EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 18 juin 2025 sous la présidence de M. Michel Canévet, vice-président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis, sur le projet de loi n° 729 (2024-2025), rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2024.
M. Michel Canévet, président. - Nous examinons maintenant le rapport pour avis de notre collègue Vincent Delahaye sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2024.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) constitue le pendant, pour les comptes sociaux, du texte que nous venons d'examiner, à savoir le projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes. Comme l'année dernière, la commission des finances s'est saisie pour avis de ce texte afin de donner son appréciation de la situation de la sécurité sociale en 2024. N'oublions pas en effet que les dépenses sociales représentent 46,5 % des dépenses publiques.
La très grande majorité des dépenses sociales constituent des dépenses de fonctionnement, ce qui justifierait que les comptes soient à l'équilibre... Or nous assistons à une hausse incontrôlée des déficits : le déficit total de la sécurité sociale s'est ainsi élevé à 15,3 milliards d'euros en 2024, supérieur de 4,5 milliards à celui de 2023.
Ce déficit provient très largement de la mise en oeuvre des décisions prises dans le cadre du Ségur de la santé, pour un coût de 13 milliards d'euros chaque année : l'augmentation des salaires des soignants n'a pas été financée par des recettes nouvelles ou par des économies. Ainsi, la branche maladie connaît un déficit de 13,2 milliards d'euros.
De son côté, le déficit de la branche retraite atteint 5,6 milliards, en incluant le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Ce montant provient principalement de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), qui gère les pensions des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers : le déficit s'est élevé à 3 milliards d'euros en 2024, alors même que le taux de cotisation des employeurs a été rehaussé d'un point. Il est prévu que ce taux de cotisation augmente de trois points par an entre 2025 et 2028, année où est envisagé un retour à l'équilibre, ce qui ne me parait pas certain.
Je tiens à souligner l'impact qu'a eu le mécanisme de compensation démographique sur les comptes de la CNRACL. En 2024, cette caisse a encore versé 456 millions d'euros à ce titre. Au total, elle a contribué pour près de 100 milliards d'euros constants depuis 1974. Une révision des règles du mécanisme de compensation démographique doit absolument être envisagée.
L'explosion des déficits de la sécurité sociale implique une hausse très forte de la dette sociale, qui devient insoutenable : 157,1 milliards d'euros en 2024. Cette dette sociale est encore portée en majeure partie par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), dont le plafond de transfert de dette est fixé par la loi organique à 136 milliards d'euros. Aucun nouveau transfert de dette à la Cades n'est possible à partir de 2025 sans une nouvelle loi organique. Les déficits sont donc portés par l'Urssaf Caisse nationale, nouveau nom de l'Acoss, qui ne peut se financer que sur le court terme.
J'imagine que le Gouvernement envisage de présenter un projet de loi organique pour transférer une nouvelle fois de la dette à la Cades. Une telle mesure ne remplacerait pas la nécessité de prendre des mesures de fond pour juguler une situation qui est aujourd'hui insoutenable, en particulier dans les branches maladie et retraite.
Par ailleurs, comme pour l'État, les prévisions de recettes ont été largement surestimées, de l'ordre de 4,8 milliards d'euros. Leur hausse est stabilisée.
En 2024, les dépenses ont crû de 33 milliards d'euros, principalement en raison de la revalorisation des retraites - 5,3 % au 1er janvier 2024.
De nouveau cette année, les comptes de la branche famille n'ont pas été certifiés par la Cour des comptes.
Pour conclure, je vous rappelle que, pour les comptes 2022 et 2023, nous avions décidé de ne pas émettre d'avis favorable au projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale en raison à la fois des réserves de la Cour des comptes et de la dérive des dépenses. Je vous propose de faire de même cette année.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Malheureusement, l'annus horribilis 2024 se confirme pour les comptes publics !
Je m'interroge sur l'enchevêtrement et la fragilité des montages financiers entre les branches, les régimes, la Cades et l'Urssaf Caisse nationale. Comment avancer en la matière ?
Mme Nathalie Goulet. - Comme l'indique Vincent Delahaye dans son rapport pour avis, les comptes sociaux ont une fiabilité incertaine. Ainsi, il y aurait 6 milliards d'euros d'indus, d'erreurs et de fraudes pour la seule branche famille ! Que représente la menace d'une non-certification des comptes dans ce contexte ? Pas grand-chose ! Dans n'importe quel autre organisme, combien de temps laisserait-on des dirigeants en place avec un tel montant de fraudes et d'erreurs ? Qui plus est, les contrôles sont toujours réalisés en interne. Il faut absolument inverser le cours des choses.
M. Grégory Blanc. - Je partage l'avis défavorable proposé par notre rapporteur en raison des réserves émises par la Cour des comptes.
Cela étant, parler d'une dette sociale « insoutenable » me paraît excessif au regard des enveloppes budgétaires des comptes sociaux : elle est insoutenable en raison des déficits annuels qui s'accumulent.
À combien évalue-t-on le montant des recettes qui devraient rentrer dans les caisses et qui n'y sont pas du fait de décisions politiques ?
M. Christian Bilhac. - Je suis quand même abasourdi par la légèreté avec laquelle nos comptes sont gérés ! Et j'aurais pu dire la même chose pour le texte précédent, qui portait sur les comptes de l'État. N'importe quelle commune aurait déjà été lourdement sanctionnée ; là, rien ne se passe !
Je rappelle, comme l'a fait Vincent Delahaye, que la CNRACL est ponctionnée tous les ans - 100 milliards d'euros depuis 1974 ! -, si bien que les employeurs locaux et hospitaliers payent pour compenser l'inanité de la puissance publique.
En France, nous souffrons de normes excessives, d'une sur-administration. Une enquête diffusée ce matin sur Franceinfo révèle la perte d'attractivité de la France dans le secteur pharmaceutique et les raisons mises en avant sont respectivement les normes, la bureaucratie, les délais et la fiscalité - la fiscalité n'est qu'en quatrième place ! Tout le monde dit la même chose ; les agriculteurs, les maires, les chefs d'entreprise, etc. en ont tous assez de ce carcan normatif.
Je vais prendre l'exemple de l'hôpital : on vote un objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) en hausse, mais ce sont des personnels administratifs, et pas des soignants, qui sont recrutés ! Or, que je sache, les tableaux Excel n'ont jamais soigné un malade... On augmente les crédits, et chacun constate pourtant une dégradation des services publics et tout cela, parce que l'argent n'est pas consacré au coeur de métier de l'État ou de la sécurité sociale, il part dans la bureaucratie et les frais généraux ! Voilà pourquoi nous ne devons pas laisser totalement la main à l'exécutif et à l'administration.
Mme Florence Blatrix Contat. - Je veux simplement rappeler que l'État n'a pas voulu prendre en charge la dette liée au covid et que ce sont la sécurité sociale et la Cades qui ont dû le faire. Cela explique une large part de la situation actuelle.
M. Didier Rambaud. - Je peux être d'accord avec les constats qui sont faits, mais quelles conséquences en tirez-vous, mes chers collègues, en particulier pour 2026 ? On nous dit que la revalorisation des pensions de retraite à hauteur de 5,3 % début 2024 a eu un effet majeur sur les comptes sociaux. Il faut alors assumer : quid d'une année blanche en 2026 ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - L'idéal serait de réduire la dépense, au moins de limiter son augmentation, mais on ne peut pas, en tout état de cause, laisser l'Urssaf Caisse nationale s'occuper d'un déficit structurel : cet organisme est chargé de gérer la trésorerie de la sécurité sociale et est donc limité notamment dans la durée des emprunts qu'il peut effectuer.
Des augmentations de salaire ont été décidées sans aucun financement et ces décisions vont continuer de peser lourdement sur les comptes, en particulier si aucune mesure n'est prise pour endiguer les déficits. Certes, le contexte politique ne favorise pas la prise de décision, mais il nous faut être responsables !
Nathalie Goulet appelle notre attention sur les responsables de cette situation. Même si les ministres ont changé, c'est l'administration qui dirige dans notre pays, et des sanctions devraient être prises. On ne peut pas continuer sur cette base ! Les réserves de la Cour des comptes n'ont pas été levées, les choses s'aggravent et rien ne change.
S'agissant de la fraude, je crois qu'une certaine dynamique s'est enclenchée - l'engagement de Nathalie Goulet, comme d'autres, n'est d'ailleurs pas étranger à ce début de mobilisation. Les différents gouvernements qui se succèdent intègrent maintenant un objectif de lutte contre la fraude. C'est très important, parce que les sommes en jeu sont loin d'être négligeables et tout cela nuit au système lui-même.
J'imagine que la question de Grégory Blanc fait référence aux exonérations de cotisations sociales. Ces exonérations sont estimées pour les régimes de base de la sécurité sociale à 74,5 milliards d'euros, dont 2,8 milliards ne sont pas compensés par l'État à la sécurité sociale.
Je partage les propos de Christian Bilhac sur les normes excessives et la sur-administration. Mais on le voit bien, dès qu'on veut supprimer quelque chose dans notre pays, c'est extrêmement difficile... On en revient au débat précédent sur les indicateurs de performance dans le budget de l'État : en supprimant ces 2 000 indicateurs, nous ferions en fait des économies !
La dette covid a effectivement été largement prise en charge par la sécurité sociale et la Cades ; c'est une réalité. Pour autant, concernant les retraites, l'État supporte une partie du déficit de la branche, notamment au titre des pensions de ses agents : il faudrait en fait procéder à un rééquilibrage pour diminuer un peu le déficit de l'État, mais cela augmenterait celui de la branche retraite.
Pas besoin, monsieur Rambaud, de trop me pousser vers l'idée d'une année blanche sur les retraites ! Je pense même qu'il en faudrait plusieurs, puisqu'on ne réussit pas à financer les revalorisations. Ce serait une façon de faire, mais ce n'est pas la seule.
La commission a émis un avis défavorable à l'adoption du projet de loi portant approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2024.