N° 104
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 novembre 2025
AVIS
FAIT
au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales (procédure accélérée),
Par M. Alain DUFFOURG,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot, président ; M. Didier Mandelli, premier vice-président ; Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Hervé Gillé, Rémy Pointereau, Mme Nadège Havet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Yves Roux, Cédric Chevalier, Ronan Dantec, vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Audrey Bélim, MM. Pascal Martin, Jean-Claude Anglars, secrétaires ; Mme Jocelyne Antoine, MM. Jean Bacci, Alexandre Basquin, Jean-Pierre Corbisez, Jean-Marc Delia, Stéphane Demilly, Gilbert-Luc Devinaz, Franck Dhersin, Alain Duffourg, Sébastien Fagnen, Jacques Fernique, Fabien Genet, Mme Annick Girardin, MM. Éric Gold, Daniel Gueret, Mme Christine Herzog, MM. Joshua Hochart, Olivier Jacquin, Damien Michallet, Louis-Jean de Nicolaÿ, Saïd Omar Oili, Alexandre Ouizille, Clément Pernot, Mme Marie-Laure Phinera-Horth, M. Bernard Pillefer, Mme Kristina Pluchet, MM. Pierre Jean Rochette, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, M. Simon Uzenat, Mme Sylvie Valente Le Hir, MM. Paul Vidal, Michaël Weber.
Voir le numéro :
|
Sénat : |
24 (2025-2026) |
L'ESSENTIEL
Le 4 novembre 2025, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, suivant son rapporteur Alain Duffourg, a adopté, en en renforçant la portée, l'article 8 du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales qui relève de son champ d'expertise dans le domaine des transports.
Les pratiques frauduleuses ont connu un fort essor dans le transport public particulier de personnes (T3P) ces dernières années, en particulier dans le secteur des voitures de transport avec chauffeur (VTC). Ce système frauduleux s'organise autour de « gestionnaires de flotte » faisant office d'intermédiaires entre, d'une part, des chauffeurs VTC indépendants et, d'autre part, des plateformes d'intermédiation (Uber, Bolt, Freenow etc.).
Ce phénomène irrégulier, qui s'est fortement intensifié depuis trois ans, s'accompagne fréquemment d'un recours au travail dissimulé - les chauffeurs n'étant pas nécessairement déclarés -, d'un contournement des obligations fiscales et sociales et de la commission de diverses infractions à la réglementation des transports. Outre un considérable manque à gagner pour l'État, ces pratiques illicites induisent des problèmes de sécurité publique et de concurrence déloyale sur le marché du T3P.
L'article 8 a pour objectif de mieux lutter contre ce phénomène, en sanctionnant plus efficacement les faux professionnels dans le secteur des VTC et en responsabilisant les plateformes d'intermédiation vis-à-vis des exploitants avec lesquels elles contractualisent, notamment à travers l'instauration d'une obligation de vigilance quant au travail dissimulé et au recours à des personnes en situation irrégulière.
La commission a approuvé cet article en y apportant des améliorations visant à :
- rehausser le plafond annuel de l'amende prévue par le projet de loi pour les plateformes d'intermédiation qui ne respecteraient pas l'obligation de vigilance qui leur est imposée ;
- renforcer le quantum des peines pour l'exercice illégal des professions du T3P, qui constitue souvent un moyen de contourner les obligations fiscales et sociales.
I. T3P : UN SECTEUR EN PLEINE MUTATION, CARACTÉRISÉ PAR LE DÉVELOPPEMENT PRÉOCCUPANT DE PRATIQUES FRAUDULEUSES
A. UN ESSOR FULGURANT DE L'ACTIVITÉ DES VTC, DONT LA RÉGULATION SE STRUCTURE PROGRESSIVEMENT
1. Le marché du T3P a connu de profondes transformations sous l'effet d'une dérégulation engagée en 2009
Le secteur du transport public particulier de personnes (T3P) comprend les taxis, les voitures de transport avec chauffeur (VTC) et les véhicules motorisés à deux ou trois roues (VMDTR), aussi appelés « mototaxis ». Ces professions sont soumises à des règles d'exercice distinctes.
Les VTC - héritiers de la « grande remise » dont l'existence remontait au XVIIème siècle - ont été créés en 2009 avec la loi dite « Novelli » qui en a dérégulé l'activité : ce texte, conjugué au développement des nouvelles technologies et des plateformes d'intermédiation, a induit un essor considérable des VTC. Dès lors, cette profession qui ciblait autrefois une clientèle professionnelle s'est repositionnée vers le grand public, en concurrence directe avec les taxis sur le marché de la réservation préalable.
Selon la direction compétente du ministère des transports (DGITM), le nombre d'exploitants inscrits au registre VTC s'établit à 79 149 au 1er octobre 2025, avec plus de 120 000 conducteurs associés. Sur les plateformes d'intermédiation, l'Observatoire des transports publics particuliers de personnes estimait le nombre de chauffeurs VTC actifs à 56 000 en 2023, un nombre qui s'établirait plutôt autour de 70 000 chauffeurs aujourd'hui selon les estimations de la DGITM. Les VTC, désormais plus nombreux que les taxis, font l'objet d'une répartition géographique particulière, avec une concentration forte en Île-de-France.
Source: observatoire des T3P, rapport 2025
2. La réglementation actuelle du secteur découle d'une consolidation progressive face à l'apparition de nouveaux acteurs
Face à un cadre réglementaire insuffisant et compte tenu du développement rapide des plateformes d'intermédiation et d'un contexte social tendu entre les « néo-VTC » et les taxis, la régulation du secteur a été renforcée successivement par les lois dites « Thévenoud » (2014) puis « Grandguillaume » (2016) et, plus ponctuellement, par la loi d'orientation des mobilités (2019). À l'heure actuelle, le code des transports impose aux VTC de :
- s'inscrire sur un registre dédié (le registre des exploitants VTC), moyennant le paiement de frais préalables et le respect de certaines garanties (disposer d'une carte professionnelle, d'une attestation d'assurance couvrant la responsabilité civile, démontrer sa capacité financière, remplir des conditions d'honorabilité professionnelle, etc.) ;
- respecter une signalétique spécifique ;
- se conformer à des conditions d'exercice spécifiques, notamment l'interdiction du racolage sur la voie publique, la maraude étant réservée aux taxis.
Les plateformes d'intermédiation doivent quant à elles s'assurer que le conducteur qui réalise une prestation de déplacement respecte certaines garanties (permis de conduire, assurance, carte professionnelle, etc.). En revanche, actuellement, les plateformes du secteur T3P n'ont aucun devoir de vigilance s'agissant du recours au travail dissimulé ou à des travailleurs irréguliers par les exploitants VTC avec lesquels elles contractualisent, contrairement à ce qui existe pourtant dans les secteurs du transport de marchandises et du transport public collectif.
