EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 26 NOVEMBRE 2025

___________

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen du rapport pour avis de Jérémy Bacchi sur les crédits consacrés au cinéma.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits relatifs au cinéma. - Pour le cinéma, les années se suivent et ne se ressemblent pas. Après une année 2024 au cours de laquelle la fréquentation s'était finalement maintenue grâce à de grands succès du cinéma français, mais une année également marquée par des révélations accablantes sur les violences sexuelles et sexistes, 2025 s'achève par une baisse très forte des entrées en salle.

Depuis le 1er janvier dernier, 122 millions d'entrées ont été enregistrées, soit un recul de 15 % par rapport à la même période de 2024. Après les 181 millions d'entrées de 2024, soit un quasi-rattrapage par rapport à l'avant-covid - 2019 totalisait 210 millions d'entrées -, on devrait avoir du mal à atteindre les 168 millions d'entrées en 2025, chiffre le plus bas depuis vingt-cinq ans.

Toute la question est de savoir s'il s'agit d'un creux conjoncturel ou d'un nouveau plancher.

Il existe quelques arguments en faveur de la première hypothèse, celle d'un simple trou d'air. Le cinéma est une économie de l'offre, et l'année 2025 a été en retrait sur ce plan. Le cinéma d'outre-Atlantique a représenté seulement 30 % des entrées en 2025, son point le plus bas depuis quarante ans. On pourrait être tenté de crier « cocorico », mais ce serait une erreur : c'est non le dynamisme du cinéma français, mais l'absence de blockbusters américains qui est en cause, et cela fragilise toute la profession.

Le plus gros succès, Lilo et Stich, n'a obtenu que 5 millions d'entrées. En 2024, trois films américains avaient fait mieux. Les effets de la grève des scénaristes d'Hollywood se font, semble-t-il, toujours sentir. Et alors que l'année 2024 avait vu deux immenses succès français, Un p'tit truc en plus et Le comte de Monte-Cristo arrivant aux deux premières places du box-office, rien de comparable malheureusement en 2025. Le plus grand succès, le cinquième Tuche, n'a réuni « que » 3 millions de spectateurs. Les films d'art et essais n'ont pas démérité, mais cela ne peut pas compenser cette absence de locomotives.

Pour sauver un peu le millésime, tous les espoirs reposent donc sur Avatar 3 et Zootopie 2, dont les sorties sont annoncées pour les prochaines semaines.

Inversement, il y a quelques raisons d'espérer pour l'année prochaine avec les sorties attendues des Misérables, de De Gaulle, du Marsupilami, ou encore des Légendaires.

L'autre hypothèse, plus pessimiste, serait que nous descendions vers un nouveau plateau sensiblement plus bas que celui de l'avant-covid, du fait d'une accentuation de tendances déjà présentes, mais masquées l'année dernière par quelques succès exceptionnels. Des jeunes, mais aussi des moins jeunes, auraient durablement basculé vers les plateformes. Le public serait désorienté, la promotion des films par les distributeurs n'étant, selon certains, pas assez dynamique. Il y aurait également une prudence supplémentaire sur les dépenses de loisirs, dont les sorties cinéma seraient les premières à souffrir.

Quelles qu'en soient les causes, les exploitants ont pris cette baisse de la fréquentation de plein fouet. En effet, elle se combine avec une poursuite du gonflement des charges et des loyers, une diminution des aides de certaines collectivités et un taux d'endettement souvent élevé, dû à des investissements importants les années précédentes.

Selon le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), il ne s'agit pas encore d'une catastrophe : le solde entre les ouvertures et les fermetures de salles n'est négatif que de cinq ou six unités. Mais la crise est bien là.

Quelle a été, justement, la réaction du CNC à cette situation ?

Afin de soutenir les exploitants, il a mis en place deux mesures. La première a consisté en une augmentation de 5 millions d'euros du soutien automatique à l'exploitation. La seconde, une avance sur ce soutien automatique, a été débloquée pour les petits et moyens exploitants ; elle peut se prolonger pendant trois ans et permet à ses bénéficiaires de notamment faire face aux échéances d'emprunts contractés pour se moderniser.

Ce dispositif a montré son utilité puisqu'il y a eu de l'ordre de 120 demandes, dont 70 entrent dans les critères d'éligibilité et seront satisfaites. Or il a pu être déployé rapidement grâce à la bonne santé financière du CNC.

Vous le savez, en cette période où l'on cherche partout des marges de manoeuvre budgétaires, le modèle financier du Centre a été parfois remis en cause, avec des arguments plus ou moins valables.

Le précédent projet de loi de finances (PLF) avait prévu un prélèvement de 450 millions d'euros sur la trésorerie du CNC. Deux remarques à cet égard. D'une part, seules les provisions du Centre avaient été mises à contribution et il n'y avait pas eu de conséquences pour les aides versées. D'autre part, pendant la pandémie de covid-19, le secteur avait reçu une manne de près de 450 millions d'euros en provenance du budget de l'État. Cette ponction s'apparentait donc à une forme de restitution.

Le PLF 2026 prévoit quant à lui une nouvelle ponction de 50 millions d'euros.

Un tel montant n'emportera pas de conséquences majeures pour l'activité du CNC, du fait de la situation financière saine de ce dernier. En effet, le panier de taxes qui alimentent le Centre se stabilise à un niveau assez élevé. Celles qui sont dynamiques, comme la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels (TSV), qui touche les plateformes, compensent celles dont le rendement est en baisse.

En revanche, et c'est là le danger, la récurrence de ce prélèvement commence à ressembler à la mise en place d'un écrêtement.

Il y aurait alors un sujet de consentement à l'impôt, car les finances du CNC sont alimentées par des taxes additionnelles sur la profession. Les grandes plateformes américaines, déjà réticentes à participer à ce système, risqueraient d'en tirer des arguments forts pour le remettre en cause, y compris sur le plan contentieux. Il faut donc rappeler que ce prélèvement est exceptionnel et doit le rester.

Deuxième sujet, qui a fait l'objet d'amendements à l'Assemblée nationale, le crédit d'impôt cinéma et le crédit d'impôt international (C2I) restent finalement intacts, des évaluations ayant montré qu'ils ont un coût fiscal net réduit et sont efficaces pour obtenir la localisation des tournages en France. Nous pouvons nous en féliciter.

J'évoquerai à présent quelques sujets d'actualité qui ont, ou auront des conséquences majeures pour la filière.

Tout d'abord, un événement important est intervenu en 2025 : le rachat de 34 % d'UGC par Canal +, en attendant une prise de contrôle majoritaire en 2028.

Dans ce dossier, il me semble qu'il y a à la fois un motif de satisfaction et un motif, sinon de préoccupation, du moins de vigilance. La satisfaction, c'est que la situation financière d'UGC était compliquée et que l'appétence pour la salle d'un acteur majeur de l'audiovisuel tel que Canal + est un signal positif fort pour l'avenir de l'ensemble du cinéma français. Canal + et UGC avaient d'ailleurs déjà opéré des rapprochements dans de nombreux domaines, du catalogue de films aux offres combinées d'abonnement. Le motif de vigilance, quant à lui, c'est que, de manière générale, il ne faudrait pas qu'une concentration accrue se traduise par une réduction de la diversité de la production.

De fait, qu'observons-nous du côté de la production cinématographique ?

En première analyse, la situation est bonne puisqu'elle a retrouvé son niveau d'avant-covid, avec des budgets satisfaisants. Si l'on creuse un peu, il y aurait cependant davantage d'aversion au risque de la part des diffuseurs, notamment pour les films dits « du milieu », c'est-à-dire les films populaires à prétention artistique et à budget moyen. Ils ne sont pas moins nombreux à être financés, mais les producteurs estiment parfois devoir choisir des thèmes plus consensuels pour espérer convaincre France Télévisions ou Canal +.

Évidemment, c'est difficile à objectiver, mais il nous faudra rester vigilants sur ce point : la consolidation économique ne doit pas se faire au détriment de la diversité artistique.

Le deuxième sujet d'actualité, c'est encore et toujours la chronologie des médias.

Un nouvel accord a été conclu en février 2025. Deux acteurs ont souscrit des engagements significatifs. C'est le cas de Canal + qui maintient son statut de premier financeur et conserve corrélativement son positionnement à six mois. Disney + pourra pour sa part proposer les films à neuf mois, contre dix-sept auparavant, en contrepartie d'un engagement renforcé de financement, fondé sur un pourcentage de son chiffre d'affaires.

Cet accord, étendu par arrêté de la ministre de la culture, a été contesté par les nouveaux entrants, Netflix et Amazon Prime Video, qui ont introduit un recours devant le Conseil d'État. L'affaire ne devrait pas être audiencée avant l'année prochaine. L'enjeu est la fenêtre d'exploitation des films de ces deux plateformes américaines, qui commence respectivement à quinze et dix-sept mois, mais qu'elles souhaiteraient voir avancer à douze mois. La question est de savoir à quel point cela peut se faire au détriment de Canal + ou de ses obligations de financements, ou si un compromis peut être trouvé entre l'ensemble des acteurs.

À ce stade, le plus probable est qu'un tel compromis finisse par être obtenu. Mais il existe toujours un risque que l'ensemble de la machine s'enraye, d'autant que l'Autorité de la concurrence (ADLC) s'est autosaisie de la question et que l'on attend toujours sa décision.

Troisième sujet d'actualité, l'année dernière avait été marquée par des révélations en cascade sur les violences sexuelles et sexistes dans le cinéma.

Sur ce front, le milieu semble progresser vers une meilleure prévention, avec notamment des décisions inédites au Festival de Cannes 2025.

Surtout, l'obligation imposée par le CNC de former les équipes de tournage dans leur ensemble est effective depuis le 1er février 2025. Jusqu'alors, seul le chef d'entreprise était visé. Il s'agit en outre d'une nouvelle condition d'accès aux aides du CNC.

Peu à peu, grâce en particulier à toutes celles qui ont eu le courage de dire ce qu'elles avaient vécu, l'évolution positive du milieu du cinéma se concrétise avec la mise en oeuvre de nouvelles règles par ses institutions et par ses acteurs. Seule une évaluation sur le moyen terme nous permettra cependant de dire si ces progrès sont effectifs.

Dernier sujet d'actualité, celui de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA), actuellement en cours d'évaluation.

Les plateformes américaines sont extrêmement actives dans ce processus d'évaluation, avec pour objectif de minorer leurs obligations de financement. C'est dans ce contexte que le CNC a lancé une révision du décret service de médias audiovisuels à la demande (Smad) qui transpose cette directive en droit français, pour créer une sous-obligation de financement des films d'animation à hauteur de 20 % de l'obligation totale.

Pourquoi une telle décision que l'on pourrait estimer risquée dans le contexte actuel ? Parce que le secteur de l'animation, un des fleurons du cinéma français, est en sérieuse difficulté dans notre pays du fait de la baisse de financement des plateformes. Plusieurs sociétés ont mis la clef sous la porte. La nouvelle obligation de financement créée par le CNC devrait donc offrir un bol d'air au secteur. Encore faudrait-il que nous parvenions à éviter une remise en cause globale de la directive SMA. Je serai particulièrement vigilant sur ce point : il est impératif que nos représentants à Bruxelles fassent le maximum pour préserver ce système favorable au cinéma français.

Enfin, un mot sur le soutien que les collectivités, au premier rang desquelles les régions, apportent à la filière. Quoique souvent invisibilisé ou minimisé, il lui est pourtant essentiel, comme il l'est pour nos territoires. Dans le contexte de baisse répétée des dotations aux collectivités, les régions, dans leur immense majorité, ont choisi de maintenir un haut niveau de soutien. Gageons que ce soutien se poursuive, malgré les nouvelles baisses annoncées des dotations.

Je vous propose d'émettre un avis favorable sur les crédits du cinéma du PLF 2026.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Je sais votre attachement profond au cinéma et salue vos efforts pour le défendre dans un contexte économique difficile.

Je rends en particulier hommage à l'initiative relative à la sécurisation du C2I, dont l'utilité n'est plus à démontrer. Le choix des lieux de tournage par les productions étrangères intervient deux ou trois ans à l'avance et il est essentiel de donner à la France les moyens de maintenir sa position face à la concurrence extrêmement marquée d'autres pays.

Par ailleurs, je partage votre point de vue sur la nécessité et l'efficacité de l'accompagnement des régions.

Je veux cependant aussi souligner l'action des commissions du film, ces bureaux d'accueil des tournages qui, par leurs expertise et connaissance fine du terrain, simplifient la logistique des tournages dans nos départements et rendent possible la création artistique dans les meilleures conditions. Elles sont de véritables moteurs d'attraction culturelle et économique, en permettant à des productions de découvrir et de mettre en valeur des territoires.

Permettez-moi également de signaler le rôle de nos communes dans cette dynamique. Elles apparaissent en effet souvent comme les premières supportrices des initiatives artistiques, elles accompagnent la création, soutiennent l'implantation culturelle locale et favorisent l'accès au cinéma pour tous. Selon une récente enquête de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), les communes sont, au sein du bloc local, majoritairement compétentes dans le champ culturel, même si l'intercommunalité peut évidemment jouer un rôle important, en particulier dans les communes de moins de 2 000 habitants.

L'action des communes est déterminante : lorsqu'elles investissent dans l'offre culturelle, qu'il s'agisse de soutenir les salles de cinéma existantes, d'encourager les tournages ou de renforcer l'éducation à l'image, c'est directement la fréquentation des salles qui s'en trouve stimulée. Cet ancrage territorial demeure un rempart contre la désertification culturelle.

Essentiels, les cinémas itinérants reconnectent pour leur part les publics ruraux et périurbains à l'expérience cinématographique. Ils s'invitent là où l'offre culturelle fait défaut et redonnent le goût d'aller voir des films.

Enfin, alors que la France a longtemps maintenu une position stable en matière de fréquentation des salles, y compris dans la période postérieure à la crise sanitaire du covid, je déplore comme vous de voir celle-ci désormais s'éroder. On peut évidemment s'interroger sur le poids, dans les causes de ce phénomène, d'autres modes de communication audiovisuelle. Quels leviers pensez-vous que nous puissions actionner pour essayer d'inverser cette tendance ?

Le groupe Les Républicains suivra votre avis.

Mme Sylvie Robert. - Merci de la qualité de votre rapport et de votre avis, que notre groupe suivra également.

Trois observations sur ce budget.

Premièrement, l'éducation à l'image et au cinéma n'y est pas inscrite. Une annonce commune de Mme Dati et M. Geffray est intervenue hier, qui nous apprend l'ouverture d'un grand chantier dans ce domaine. Nous ne pouvons que nous en réjouir, après avoir déjà salué le rapport que l'actuel ministre de l'éducation nationale a récemment commis sur le sujet ; des plus intéressant, le document contient des propositions que nous partageons.

Cependant, les mesures que les deux ministres ont dévoilées risquent de donner des sueurs froides aux acteurs qui seront chargés de leur mise en place. Pourquoi ? Parce qu'aucun crédit supplémentaire ne les accompagne et, au contraire, nous avons vu que les crédits du programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » sont en baisse. Parce qu'il n'y a pas, non plus, encore eu de correction des effets de bord de la réforme des enseignants de 2023. Et parce que les régions, dont on connaît l'importance du soutien au dispositif Ma classe au cinéma dans le cadre des conventions passées avec le CNC, voient leurs financements fragilisés et pourraient être amenées à reconsidérer leur engagement dans ce domaine.

Attention donc aux grandes déclarations et donnons-nous d'abord les moyens d'agir !

Deuxièmement, nous avons la chance d'avoir un CNC. C'est un organisme vertueux qui, par le jeu de taxes dynamiques, permet une redistribution et une solidarité entre les blockbusters et les productions plus fragiles.

Une ponction sur ses crédits est déjà intervenue l'année dernière, que le Centre a pu absorber. Une autre est prévue dans le PLF 2026 ; ce serait, si cela devenait récurrent, et ainsi que le rapporteur l'a relevé, de l'écrêtement. Or le rapporteur général de la commission des finances vient de déposer un amendement visant à plafonner les taxes affectées au CNC. Le voter reviendrait à remettre en question la nature et la philosophie de cet opérateur, en empêchant, alors même que la fréquentation des salles a diminué de 30 % en cinq ans, que ne s'opère la redistribution en compensation des pertes que subissent certaines productions. J'espère que nous serons nombreux dans l'hémicycle pour contrer un amendement extrêmement préjudiciable au fonctionnement du CNC !

Troisièmement, j'appelle à la vigilance, comme Else Joseph, Monique de Marco et moi-même l'avions déjà fait dans notre rapport commun, sur les questions de censure dont la fréquence ne faiblit pas. Des films ne trouvent plus de financements ou les avances qui leur sont nécessaires et ne peuvent plus se monter en raison de phénomènes d'entraves à la liberté de création - phénomènes que la fonctionnaire missionnée par la ministre de la culture a parfaitement documentés.

M. Pierre-Antoine Levi. - Je tiens tout d'abord à féliciter Jérémy Bacchi de la précision de son rapport.

Le cinéma français n'est pas seulement un patrimoine, c'est aussi une industrie vivante qui emploie plus de 100 000 personnes, structure 2 000 salles sur notre territoire et constitue un modèle d'intervention publique envié en Europe.

Avec 180 millions d'entrées en 2024 - son meilleur résultat post-covid -, le secteur a prouvé sa résilience, mais les signaux de 2025 sont bien plus préoccupants : la forte baisse de la fréquentation des salles de cinéma fragilise les exploitants indépendants et nous oblige à la vigilance.

Le contexte budgétaire impose la rigueur. Le prélèvement de 50 millions d'euros sur le CNC prévu en 2026, après un prélèvement de près de 500 millions d'euros en 2025, s'inscrit dans cet effort collectif. Avec des ressources de 850 millions d'euros et un fonds de roulement qui demeure substantiel, l'établissement peut absorber cette nouvelle ponction sans compromettre ses missions essentielles, ce que son président, Gaëtan Bruel, a d'ailleurs reconnu en septembre dernier, tout en alertant qu'un tel prélèvement ne saurait devenir structurel. Le CNC n'est en effet pas une variable d'ajustement budgétaire, c'est un outil de politique publique, dont l'efficacité repose sur la prévisibilité.

Quatre enjeux majeurs conditionnent l'avenir de notre cinéma.

Premier défi : la fin programmée de deux dispositifs fiscaux fondamentaux. Le crédit d'impôt pour la production exécutive d'oeuvres étrangères et le dispositif des sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle (Sofica) arrivent à échéance le 31 décembre 2026. Ces deux instruments représentent 160 millions d'euros de dépenses fiscales. Le crédit d'impôt attire en France des tournages internationaux générateurs d'emplois et de transferts de compétences. Pour sa part, le dispositif des Sofica mobilise près de 9 000 foyers fiscaux pour le financement du cinéma indépendant. Or, à ce jour, aucun dispositif de remplacement n'est prévu. Nous ne pouvons laisser s'ouvrir en 2027 un vide juridique qui affaiblirait notre attractivité face à l'Irlande, la République tchèque ou la Hongrie qui, de leur côté, renforcent leurs incitations fiscales. Le Sénat doit être force de proposition sur ce sujet.

Deuxième défi : la révision de la chronologie des médias. Ce système, qui organise la succession des modes d'exploitation des films, fait l'objet d'attaques convergentes : recours de Netflix et d'Amazon Prime Video devant le Conseil d'État, autosaisine de l'ADLC, pressions de Canal +. La chronologie des médias n'est pas un archaïsme corporatiste ; c'est un outil de régulation qui garantit la rentabilité de chaque fenêtre d'exploitation et la capacité de financement de la création. Toute révision doit chercher l'équilibre et non céder au plus fort.

Troisième défi : l'évaluation de la directive européenne SMA. Adoptée en 2018, cette directive a permis d'intégrer les plateformes dans le financement de la création européenne. Son évaluation par la Commission européenne est prévue fin 2026. Les lobbies américains sont puissants à Bruxelles et nous devons défendre notre modèle avec des arguments solides. Les plateformes ont investi massivement en France depuis 2020, suscitant emplois et rayonnement culturel, sans que leur compétitivité en soit affectée.

Quatrième défi : le maillage territorial. Les élections municipales de mars 2026 constituent une échéance critique pour les 480 cinémas en régie municipale, souvent situés dans des territoires fragilisés. Ces salles sont des lieux de lien social et d'accès à la culture. Le CNC a élaboré un plan d'action, mais avec moins de 200 000 euros supplémentaires, un montant dérisoire au regard de l'enjeu. Le Sénat doit porter cette alerte.

Le président du CNC a identifié cinq ruptures majeures qui traversent le secteur : la bascule vers les plateformes sociales, l'intelligence artificielle générative, l'exigence d'exemplarité contre les violences, les menaces géopolitiques sur notre modèle et le risque de désertification culturelle.

Autant de défis et de ruptures qui appellent des réponses ambitieuses. L'éducation aux images doit former des spectateurs et des utilisateurs éclairés, l'anticipation de l'intelligence artificielle commande de repenser le droit d'auteur, la préservation du maillage territorial requiert un engagement renouvelé.

Notre cinéma produit plus de 300 films par an, contre 200 il y a vingt ans. Sa diversité est notre richesse, elle permet l'émergence de talents, autorise la prise de risques, reflète la pluralité de notre société. Gardons-nous de toute logique purement comptable qui sacrifierait la diversité culturelle sur l'autel de la rentabilité.

Le budget qui nous est soumis porte la marque des contraintes actuelles, tout en préservant l'essentiel de notre modèle. Le maintien du crédit d'impôt cinéma au taux de 30 % en témoigne. Le prélèvement sur le CNC demeure supportable et circonscrit. Toutefois, ce budget laisse des questions sans réponse : que deviendront les dispositifs fiscaux qui s'achèvent fin 2026 ? Comment soutiendrons-nous les exploitants fragilisés ? Comment préserverons-nous notre modèle face aux pressions ?

Le groupe Union Centriste (UC) suivra les conclusions de notre rapporteur. Le cinéma français a traversé bien des tempêtes depuis 130 ans, il saura traverser celle-ci à condition que nous sachions conjuguer rigueur budgétaire et ambition culturelle.

Mme Monique de Marco. - Devant la détérioration de la fréquentation des salles de cinéma, qui se traduit par une baisse de 15 % en un an, certains acteurs du secteur pointent surtout un problème d'offre et, par conséquent, de soutien à la création et à la production.

Nombre de salles connaissent des difficultés, avec un effet de ciseau entre hausse des coûts et diminution des recettes. Durant l'année 2025, le CNC a dû venir en aide en ultime recours, sous la forme d'avances exceptionnelles, à plusieurs d'entre elles, qu'elles soient privées, municipales ou associatives.

Après un premier prélèvement de 450 millions d'euros dans le fonds de roulement de l'établissement en 2025, la nouvelle ponction de 50 millions d'euros prévue dans le PLF pour 2026 peut laisser craindre qu'une habitude ne se prenne de s'attaquer aux réserves du CNC. Il permet pourtant aujourd'hui à de nombreuses salles de cinéma de tenir. Son rôle est central dans le soutien tant à la production qu'à la distribution des films. À long terme, le secteur ne survivrait pas à la fragilisation continue du CNC, et surtout pas dans le modèle à la française d'exception culturelle de soutien à la petite production.

À la suite des propos de Sylvie Robert sur la diversité culturelle et la liberté de création, j'évoquerai à mon tour les risques de censure et même d'autocensure, en citant l'exemple récent de l'intervention de Vincent Bolloré pour annuler l'achat du film Grâce à Dieu, écrit et réalisé par François Ozon, et traitant de la pédophilie dans l'Église.

Je terminerai par une note positive en mentionnant les mesures mises en place pour prévenir les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma, notamment par des actions en matière de formation ou par le conditionnement de l'accès aux aides du CNC.

Nous suivrons l'avis favorable du rapporteur.

M. Pierre Ouzoulias. - Je souhaite remercier avec chaleur notre rapporteur de la qualité de son propos et nous en suivrons également l'avis.

Pour autant, ce PLF soulève tout de même quelques interrogations.

C'est notamment le cas sur la façon dont les politiques publiques du ministère de la culture ont été, jusqu'à présent, adossées soit à des crédits d'impôt, soit à des taxes affectées. Ce procédé a longtemps été considéré comme une force, permettant de se prémunir contre les aléas budgétaires. Nous voyons aujourd'hui qu'il peut au contraire exposer à de tels aléas, les taxes affectées étant à la main de Bercy, qui peut les plafonner comme bon lui semble, une pratique qui devient récurrente à l'endroit des milieux de l'enseignement supérieur, de la recherche et de la culture. Il est à craindre que Bercy en prenne une part toujours plus importante et n'en laisse que le reliquat aux agences et établissements, ce qui les mettrait en danger. Et nous sommes obligés de constater qu'il faudrait revoir tout un pan de la construction des politiques culturelles.

Nous relevons ensuite l'attaque en règle menée par les entreprises américaines, soutenues par leur administration nationale, des normes qui fondent l'exception culturelle française. Sont concernés le cinéma, les droits d'auteur, l'intelligence artificielle. En réponse, il faudrait une réaction, non du seul ministère de la culture, mais de l'ensemble du Gouvernement, car tous les sujets sont liés. Avec l'attaque qui vise le règlement européen sur l'intelligence artificielle venant tout juste d'être promulgué, nous comprenons que c'est la totalité de ces politiques qui sont désormais dans l'oeil du cyclone. La France doit relayer ses inquiétudes à l'échelon européen, afin que nous organisions, avec nos partenaires, notre résistance collective.

Mme Laure Darcos. - Sur le danger du plafonnement des taxes affectées, insistons sur le fait que le CNC et la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) sont les piliers du plan d'aide aux salles petites et moyennes, avec l'avance sur les droits. Cette année, dans nos territoires ruraux et suburbains, des salles connaissent de graves difficultés de trésorerie et ont plus que jamais besoin de cette aide ; Bercy semble ne pas en avoir conscience, tout en prenant par ailleurs part à la réflexion qui s'engage sur les modalités de promotion des livres.

Cela n'a pas été suffisamment souligné, nous pouvons nous féliciter des parts de marché qu'ont prises dans le secteur de l'exploitation cinématographique, d'une part, le groupe Bolloré et Canal + en entrant au capital d'UGC à hauteur de 34 %, d'autre part, Rodolphe Saadé et CMA CGM en prenant 20 % de celui de Pathé. Ces participations consolident les deux principaux propriétaires de salles de cinéma en France, elles leur permettront de mieux saisir peut-être les enjeux de chronologie des médias, qu'ils appréhenderont désormais sous le double regard de juge et partie. Cette puissance accrue de nos acteurs nationaux renforcera également nos arguments à opposer aux Américains.

Comme ma collègue Sylvie Robert, je vous appelle tous à la mobilisation contre l'amendement qui tend à plafonner les taxes affectées au CNC.

Je suivrai l'avis du rapporteur.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Dans leurs rapports respectifs, MM. Mario Draghi et Enrico Letta pointaient du doigt le déficit de politique industrielle ces dernières décennies en Europe. Pour une fois que nous avons une industrie florissante, enviée de par le monde, nous avons le devoir de la préserver d'un risque de fragilisation si certaines dispositions venaient à être adoptées.

Je rejoins donc l'avis du rapporteur qui nous met en garde contre une possible tentative d'écrêtement des crédits du CNC qui, si elle se manifestait, pourrait être fatale à la dynamique vertueuse de financement du cinéma. Il importe d'autant plus de s'y montrer attentif que le rapporteur général de la commission des finances du Sénat a déposé un amendement tendant à plafonner les taxes affectées à l'établissement, que la fréquentation des salles est ébranlée et que se tassent, en conséquence, les recettes de taxe sur les entrées en salles.

De la même manière, il faut conforter le rôle des régions, dont on ignore trop souvent qu'elles soutiennent la création cinématographique plus fortement que le CNC, dans un rapport du simple au double. Les fragiliser dans leur financement remettrait en cause les crédits qu'elles ont réussi à sanctuariser au titre de l'investissement dans la création.

Nous nous étions par ailleurs mobilisés pour qu'Élisabeth Borne, alors ministre de l'éducation nationale, confie à Édouard Geffray la mission d'élaborer un rapport sur l'éducation au cinéma. Le document qu'il a remis est excellent et fixe des perspectives ambitieuses ; mais encore faut-il que des moyens leur soient consacrés. Le budget opérationnel de programme (BOP) 361 ainsi que la part collective du pass Culture doivent absolument être confortés. Sans ces dispositions, mais également sans une réflexion sur la formation des enseignants, on ne pourra pas relancer les dispositifs d'éducation artistique au cinéma tels que Ma classe au cinéma, que la réforme des enseignants de 2023 a contribué à fragiliser. En Normandie, des opérations ont ainsi dû être annulées qui - nous ne faisons aucune illusion - ne reverront jamais le jour.

M. Cédric Vial. - Merci à Jérémy Bacchi pour son rapport très complet que je partage en tout point.

L'avenir du cinéma constitue un enjeu majeur. Cet enjeu touche à la fois à la gestion des salles, à la question tarifaire et aux choix de certains exploitants dans le contexte actuel ainsi qu'à ce que l'on appelle « l'exception culturelle française », c'est-à-dire un mode de financement qui garantit une production indépendante de qualité. La production française représente quelque 44 % des films diffusés dans notre pays, un ratio à peu près unique au monde.

Ce modèle est notamment compromis par la remise en cause des taxes affectées au CNC. Nous en convenons certainement tous au sein de notre commission : l'amendement du rapporteur général est une erreur, d'autant plus qu'il prévoit un plafonnement taxe par taxe ; autrement dit, même si l'une d'entre elles - par exemple la TSV - venait à bénéficier d'un rendement important, elle ne pourrait pas compenser l'éventuel déficit des autres taxes. Un unique amendement est susceptible des déstabiliser l'ensemble de notre système. Je vous appelle à tâcher de convaincre le rapporteur général de le retirer.

La filière animation, une filière d'excellence française, est aujourd'hui en grande difficulté. Nous y avons formé beaucoup de jeunes et il nous faut l'aider à accueillir des tournages en France. Les dessins animés pour enfants et les films d'animation pour adultes connaissent de profondes évolutions, tant budgétaires que dans les modalités de travail. Nos dispositifs fiscaux actuels, en particulier le crédit d'impôt, ne nous permettent plus d'en attirer les tournages. Or ces tournages emploient, dans le pays où ils se déroulent, plusieurs centaines de personnes pendant plusieurs années.

Quant aux tournages internationaux, la France n'en a attiré aucun en 2025 qui soit américain. Pourquoi ? Parce que nos dispositifs, qui étaient plutôt compétitifs, ne le sont plus en comparaison de ceux, désormais plus avantageux et plus attractifs, de nos voisins européens, en particulier l'Italie, l'Irlande, le Royaume-Uni, la Belgique ou la Hongrie. En arrière-plan, c'est tout l'écosystème que nous avons mis en branle dans le cadre du plan France 2030 - avec des investissements dans la formation et dans de nouveaux studios - qui ne fonctionne plus. Ainsi, un film consacré à la figure de Jean Moulin doit prochainement être tourné en Hongrie et une grosse production américaine dont toute l'action se déroule en France sera bientôt réalisée en Italie, où des décors reconstitueront notre pays ! Il en résulte pour la France d'importantes pertes fiscales et sociales.

Nombre d'entre vous ont signé un amendement qui a précisément pour objet de renforcer la compétitivité de notre filière animation et, plus généralement, d'attirer de nouveau les tournages sur notre sol. Je vous en remercie.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis. - S'ils ne sont pas amendés dans un sens défavorable, les crédits consacrés au cinéma dans le PLF 2026 suffisent à répondre aux exigences du moment. Je vous rejoins sur la nécessité que nous nous mobilisions en séance pour les maintenir à ce niveau. Je vous invite également à faire preuve de pédagogie : on a souvent tendance à parler de soutien public au cinéma, notamment au travers des crédits d'impôt tels que le C2I, alors qu'il s'agit en réalité d'une forme d'investissement, dont le retour est du reste bien supérieur aux montants engagés.

L'année 2025 représente cependant sans conteste un creux dans les productions étrangères, et notamment américaines, sur notre territoire national. Peut-être les déclarations du président Trump n'y sont-elles pas pour rien ; mais c'est surtout le manque de lisibilité de nos politiques à horizon de deux ou trois ans et l'incertitude qui en découle qui a posé un problème à des productions qui s'inscrivent dans le temps long. À cet égard, j'espère que l'amendement de notre commission permettra de les rassurer et les incitera à choisir de nouveau la France.

Sur la question des leviers disponibles pour relancer une année par ailleurs plutôt morose du point de vue des entrées en salles, je n'ai certes pas de recette miracle à vous proposer. Dans ma présentation, j'évoquais que le cinéma est une économie de l'offre : gageons que les prochains films qui sortiront en salle recueilleront l'adhésion du public. La magie du cinéma tient justement à ce que, aux films dont on pressent qu'ils rencontreront le succès et qui y parviennent le plus souvent, s'ajoutent toujours quelques belles surprises de films qui trouvent leur public de façon moins attendue.

Un levier de relance de la fréquentation des salles de cinéma tient néanmoins à l'éducation à l'image. L'effort que nous y consacrons en France explique pourquoi notre pays résiste d'ailleurs mieux que d'autres à l'échelle européenne et même planétaire à l'érosion de cette fréquentation. Il faut poursuivre dans la même voie et s'y employer pour les plus jeunes générations. Certes, vous l'avez dit, il faut y mettre les moyens. Je me félicite a minima des récentes déclarations, car, si j'ose l'exprimer ainsi, elles permettent de mettre le pied dans la porte et de pousser sur la question des moyens.

Vous attirez notre attention sur le risque de censure et je soulignerai, davantage encore, celui de l'autocensure. On s'en convainc lorsque l'on rencontre des producteurs : on perçoit qu'ils privilégient les thématiques consensuelles pour lesquelles ils auront l'assurance de bénéficier du soutien du CNC, de Canal + ou de France Télévisions. Cette forme de censure est en un sens plus pernicieuse, parce que moins visible et moins dicible ; elle porte en elle le risque d'une conformité de nos productions artistiques d'autant plus regrettable qu'elle ne correspond en rien à l'histoire du cinéma français.

L'enjeu relatif à nos collectivités concerne notamment les communes à l'aune des prochaines élections municipales. Beaucoup d'interrogations sont soulevées ici et là, que les choix démocratiques des électeurs trancheront. J'observe que la situation des cinémas communaux occupe dans bien des communes, spécialement dans les territoires ruraux et en périphérie des grandes métropoles, une place à part entière dans les programmes des candidats, quelle qu'en soit du reste l'étiquette politique. Il me paraît intéressant et rassurant que le cinéma se situe ainsi au coeur du débat démocratique.

M. Laurent Lafon, président. - Nous serons donc particulièrement attentifs aux débats dans l'hémicycle sur certains amendements.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs au cinéma au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2026.

Partager cette page