N° 145

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2025

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1)
sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté
par l'Assemblée nationale, pour
2026,

TOME I

ADMINISTRATION GÉNÉRALE ET TERRITORIALE DE L'ÉTAT

Par Mme Cécile CUKIERMAN,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Laurence Harribey, Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, Lauriane Josende, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. Jean-Baptiste Blanc, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Thani Mohamed Soilihi, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Anne-Sophie Patru, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 1906, 1990, 1996, 2006, 2043, 2047, 2048, 2060, 2063 et T.A. 180

Sénat : 138 et 139 à 145 (2025-2026)

L'ESSENTIEL

La mission « Administration générale et territoriale de l'État » poursuit trois objectifs : garantir aux citoyens l'exercice de leurs droits dans le domaine des libertés publiques, assurer la continuité de l'État sur l'ensemble du territoire et mettre en oeuvre les politiques publiques au niveau local.

Pilotée par le ministère de l'intérieur, elle se compose de trois programmes :

· le programme 354 « Administration territoriale de l'État », qui représente 56 % des crédits de la mission et comprend notamment les moyens des préfectures, des sous-préfectures et des directions départementales interministérielles (DDI) ;

· le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », auquel sont rattachés les fonctions support du ministère de l'intérieur (38 % des crédits de la mission) ;

· le programme 232 « Vie politique », consacré au financement des élections et des partis politiques (6 % des crédits de la mission).

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 fixe les crédits de la mission à 5,03 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE), en hausse de 7 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2025, qui avait enregistré une baisse de 15,8 %. Les crédits de paiement (CP) s'élèvent à 5,12 milliards d'euros, en progression de 3,41 %, après une hausse de 6,5 % en 2025.

Cette hausse des crédits est toutefois principalement conjoncturelle, puisque portée par les échéances électorales de 2026 qui expliquent à elles seules 60 % de la croissance des dépenses de l'ensemble de la mission.

Le schéma d'emplois renoue, lui aussi, avec une trajectoire ascendante. Après la suppression d'un poste en 2025, le PLF 2026 prévoit la création de 100 ETP, répartis à parts égales entre les programmes 354 (« Administration territoriale de l'État ») et 216 (« Conduite et pilotage des politiques de l'Intérieur »).

La rapporteure demeure toutefois préoccupée par la portée limitée de la création de 50 emplois au regard de l'essoufflement général des services de l'administration déconcentrée. Cette administration pâtit d'un déficit d'attractivité et d'un malaise professionnel croissant : si les agents demeurent attachés à leurs missions, ils déplorent un manque de reconnaissance et une succession de réformes mises en oeuvre sans accompagnement. La mise en place des secrétariats généraux communs départementaux, sujet sur lequel la rapporteure a concentré son attention, en constitue une illustration.

Relevant néanmoins l'effort consenti pour maintenir une dynamique de progression des moyens alloués à l'administration territoriale de l'État, dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, la commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission.

I. UNE ÉVOLUTION BUDGÉTAIRE POSITIVE, PRINCIPALEMENT PORTÉE PAR LE FINANCEMENT DES ÉCHÉANCES ÉLECTORALES DE 2026

A. DES CRÉDITS ÉLECTORAUX FORTEMENT MARQUÉS PAR L'ORGANISATION DE DEUX SCRUTINS NATIONAUX

Les crédits du programme 232 « Vie politique » demeurent structurellement volatils, étant liés au calendrier électoral. Ainsi, après une année 2025 dépourvue de scrutin national, le financement des élections municipales de 2026 (193,5 millions d'euros) et le renouvellement sénatorial (3,74 millions d'euros) font fortement progresser les crédits du programme, à raison d'une augmentation de 205 % des autorisations d'engagement et de 200 % des crédits de paiement.

Le calcul des crédits nécessaires pour le financement des élections municipales dans près de 35 000 communes est une tâche ardue, puisque les dépenses varient selon plusieurs facteurs exogènes, dont le nombre de candidats et la proportion de candidatures atteignant le seuil de 5 %. Le choix a ainsi été fait caler les prévisions budgétaires sur les volumes observés lors du scrutin de 2020. Les dépenses intègrent en outre deux évolutions législatives récentes :

· la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des élus locaux, qui a étendu la protection fonctionnelle aux candidats et permis le remboursement des dépenses de sécurité en cas de menace avérée. Cette mesure, difficile à estimer en l'absence de précédent, représente une charge supplémentaire de 7,6 millions d'euros ;

· la loi n° 2025-795 du 11 août 2025, réformant le mode d'élection des conseils municipaux de Paris, Lyon et Marseille. L'instauration d'un double scrutin au niveau municipal et au niveau des arrondissements ou secteurs implique un doublement des opérations électorales représentant un surcoût de 15 millions d'euros.

Le coût moyen de ces élections atteint ainsi 4 euros par électeur en 2026, contre 3,35 euros en 2020. Cette augmentation s'explique principalement par le renchérissement des tarifs postaux, de l'ordre de 90 % en seulement six ans.

Les principaux postes de dépenses des élections municipales de 2026

Source : commission des lois, d'après les documents budgétaires

Le renouvellement sénatorial partiel de septembre 2026 représente quant à lui un coût limité évalué à 2,2 millions d'euros pour les comptes de campagne et 440 000 euros pour la propagande. Le coût moyen par électeur, fixé à 0,15 euro, demeure stable malgré un doublement du coût de la propagande, qui passe de 0,01 euro à 0,02 euro.

Dans ce contexte, la recherche de rationalisation des coûts électoraux conduit naturellement à s'interroger sur l'usage de la propagande électorale, qui constitue le principal poste de dépense des scrutins. Les réflexions menées en anticipation de l'échéance de 2027 portent, à cet égard, sur l'éventualité d'une dématérialisation partielle, en offrant à chaque électeur la faculté de renoncer à la réception des documents imprimés. À ce stade, aucun arbitrage n'a toutefois été arrêté par le ministère.

Enfin, la rapporteure déplore, une nouvelle fois, l'absence de toute initiative visant à réexaminer les frais d'assemblée électorale versés aux communes pour couvrir les charges afférentes à l'ouverture des bureaux de vote. Ces frais, estimés à 11,3 millions d'euros pour 2026, sont en effet établis sur la base des taux réglementaires en vigueur depuis 2006 (44,73 euros par bureau de vote et 0,10 euro par centaine d'électeurs inscrits). Ces montants, manifestement insuffisants et déconnectés des dépenses réellement engagées par les collectivités, fragilisent la crédibilité même du dispositif. La rapporteure invite donc le ministère à engager une évaluation quantitative précise du coût réel des opérations électorales pour les communes.

B. LE PROGRAMME 216 « CONDUITE ET PILOTAGE DES POLITIQUES DE L'INTÉRIEUR », VARIABLE D'AJUSTEMENT DES ÉQUILIBRES BUDGÉTAIRES

Le suivi de la trajectoire fixée par la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) révèle une dynamique contrastée entre les programmes 354 « Administration territoriale de l'État » et 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ». Alors que le programme 354 dépasse nettement les prévisions - avec des crédits de paiement atteignant 2,8 milliards d'euros en 2026, soit +32 % par rapport à la trajectoire -, le programme 216 accuse un décrochage croissant, affichant des crédits de paiements de 17 % en deçà des prévisions, prolongeant les écarts déjà observés en 2024 (-2 %) et 2025 (-16 %).

Dès lors, si la trajectoire de renforcement des moyens du ministère est globalement tenue, elle l'est au prix d'un rééquilibrage interne nettement défavorable au programme 216.

Écarts de crédits de paiement entre les prévisions de la Lopmi
et les lois de finances pour 2024, 2025 et 2026

Source : commission des lois, d'après les données du ministère de l'intérieur

Parmi les leviers mobilisés pour contenir l'évolution des crédits du programme 216, figure une contraction des dépenses d'intervention de l'ordre de 21 %. Cette diminution s'explique pour moitié par la transformation du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) en délégation interministérielle, laquelle s'est accompagnée d'un recentrage de ses missions. Le financement de la vidéoprotection est en outre réduit de 30 % par rapport à la LFI 2025, avec un resserrement du financement aux « projets matures [...] et essentiels aux territoires »1(*) ;

Un rééquilibrage s'opère en faveur des dépenses d'investissement, dont les autorisations d'engagement augmentent de 19,68 %, sous l'effet d'une priorité nettement affirmée en faveur des investissements numériques (+19,7 %). Cette évolution ne s'accompagne toutefois pas d'un effort comparable en matière de moyens humains : le schéma d'emplois pour 2026 ne prévoit que 30 ETP supplémentaires au sein de la filière numérique, sur un total de 50 créations d'emplois, très en deçà des 300 postes annoncés par la Lopmi à l'horizon 2027.

II. DES MOYENS HUMAINS EN HAUSSE : UNE RESPIRATION ENCORE TROP LIMITÉE POUR L'ADMINISTRATION TERRITORIALE

A. UN SOUS-DIMENSIONNEMENT DEVENU CHRONIQUE MALGRÉ LES SIGNAUX DE REDRESSEMENT

L'administration territoriale de l'État a pâti, presque une décennie durant, de diverses coupes conduisant à la perte de 14 % de ses effectifs entre 2010 et 2020. Le plan « préfectures nouvelle génération » (PPNG) avait certes marqué, entre 2015 et 2018, un infléchissement provisoire de cette tendance, mais celui-ci n'a pas empêché une nouvelle réduction des effectifs de 363 ETP en 2019 et de presque 400 ETP en 2020.

Avec la Lopmi, le ministère affiche la volonté de rompre avec cette dynamique d'érosion. Sur la période 2023-2025, 214 emplois ont ainsi été créés. Les 50 ETP supplémentaires prévus par le PLF 2026 prolongent cette tendance mais demeurent toutefois inférieurs aux objectifs.

Comparaison, pour l'administration territoriale de l'État, entre les créations d'emplois
prévues par la Lopmi et le schéma d'emplois
(en ETP)

 

2023

2024

2025

2026

2027

Total

Créations d'emplois prévues par la Lopmi

+42

+101

+45

+81

+81

350

Schéma d'emplois

+58

+1572(*)

-1

+50

-

254

Source : commission des lois, d'après les documents budgétaires

L'exercice 2025 a pourtant mis en lumière les limites d'une programmation trop éloignée de la réalité des besoins réels de l'État déconcentré. Confronté à des besoins que la fixation d'un schéma d'emplois nul ne permettait manifestement pas d'absorber, le ministre de l'intérieur a décidé, à l'issue des Rencontres de l'administration territoriale de l'État, de réaffecter 101 ETP au programme 354. Parmi ces ETP, 84 ont en définitive été affectés aux services des étrangers, mettant en lumière leur situation critique.

Cette opération, reposant sur des transferts en provenance de quatre autres programmes du ministère, n'a généré aucune création nette d'emploi. La rapporteure rappelle à cet effet qu'un tel procédé, consistant à compenser les tensions d'un programme en ponctionnant les marges déjà limitées d'autres programmes, ne saurait constituer qu'un palliatif ponctuel, contournant la contrainte sans répondre aux engagements fixés par la Lopmi.

Des marges de manoeuvre managériales encore embryonnaires pour les préfets

Depuis plusieurs années, l'État affirme sa volonté de responsabiliser davantage les préfets dans la gestion des moyens humains de l'administration territoriale. Cette orientation a trouvé une première traduction concrète avec le 6e Comité interministériel de la transformation publique (CITP) de juillet 2021, qui a instauré la possibilité, pour les préfets de région, de redéployer jusqu'à 3 % des effectifs relevant de leur périmètre.

Depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2022, les redéploiements réalisés au moyen de ce dispositif sont néanmoins restés dérisoires : 7,5 ETP en 2022, 3 en 2023, 13 en 2024 et à peine 2 ETP prévus en 2025. Dans une organisation fonctionnant déjà en flux tendu, tout prélèvement dans un service amoindrit d'autant la capacité d'un autre à remplir ses missions, neutralisant de fait l'utilité de cet outil de gestion.

La réforme de l'État local, annoncée par le Premier ministre en juillet 2025 et mise en oeuvre par trois décrets publiés fin juillet puis une circulaire du 5 septembre, institue un volet managérial d'une autre nature pour le préfet, centré non sur les effectifs mais sur la gouvernance des cadres dirigeants (association à la nomination des chefs de service et des responsables d'établissement public, participation à leur évaluation annuelle, renforcement de la collégialité, pouvoir d'adresser des directives aux opérateurs de l'État). La rapporteure craint néanmoins que, sans moyen budgétaire dédié, cette promesse de déconcentration soit à nouveau limitée par la réalité comptable.

Pour 2026, le plafond d'emplois devrait progresser de 348 ETPT, sous l'effet conjugué du schéma d'emplois (+27 ETPT), des transferts ayant eu lieu en 2025 (+111 ETPT) et de la suppression d'une mesure, instaurée la même année, imposant un mois de vacance avant tout remplacement de poste (+210 ETPT). La rapporteure accueille favorablement cette progression, mais tient à rappeler qu'elle s'apparente davantage à un exercice de rattrapage destiné à répondre à l'urgence dans les services les plus fragilisés et ne saurait, à ce stade, être assimilée à un véritable renforcement de l'État territorial.

Au-delà des indicateurs chiffrés, la réalité opérationnelle demeure quant à elle toujours préoccupante.

Les services des étrangers offrent l'illustration la plus frappante d'un effet ciseau qui combine hausse des demandes et complexification des procédures. Malgré l'affichage d'un effort de renforcement des services depuis 2023, la hausse des effectifs, limitée dans les faits à 3,8 % (+12 ETP en 2023, +60 en 2024 et +84 en 2025), reste insuffisante pour absorber cette progression de la charge de travail. En 2024, les délais de traitement des demandes de titre de séjour ont augmenté de 27 % pour les premières demandes et de 25 % pour les renouvellements.

Cette tension sur les effectifs rejaillit également sur l'ensemble des missions exercées par les services territoriaux de l'État. Le contrôle de légalité comme le contrôle budgétaire enregistrent, à cet égard, un décrochage inquiétant. Les effectifs dédiés à ces missions ont diminué respectivement de 15 % et de 26 % entre 2010 et 2024, tandis que le volume des actes soumis au contrôle augmente de moitié (de 5,15 à 7,72 millions) sur la même période.

Les conditions d'accueil du public dans les sous-préfectures constituent également un indicateur de la dégradation de la qualité du service rendu par l'État territorial. Sur 233 sites, 58 ne reçoivent désormais plus aucun usager. Parmi ceux qui restent ouverts, 127 ne proposent qu'un point d'accueil numérique (PAN), tandis que seuls 48 disposent d'un espace France services, dispositif exigeant la présence d'au moins deux agents. L'expérimentation « PAN+ », qui élargissait l'accompagnement des usagers à l'ensemble des téléprocédures relevant du ministère de l'intérieur, n'est quant à elle pas appelée à être pérennisée. Son interruption interroge : aucun motif opérationnel ne semble la justifier, alors même qu'elle répondait à un besoin identifié. La trajectoire actuellement suivie renforce, de fait, l'impression d'un réseau sous-préfectoral qui se maintient davantage par inertie que par stratégie, au risque de fragiliser la visibilité et l'utilité de ces implantations de proximité.

B. AU-DELÀ DES CRÉATIONS DE POSTES, UNE ADMINISTRATION TERRITORIALE FRAGILISÉE PAR LA DIFFICULTÉ À MAINTENIR L'ATTRACTIVITÉ DE SES MÉTIERS

1. Une précarisation des recrutements, reflet de difficultés d'attractivité et de conditions de travail dégradées

Le recours aux agents contractuels au sein de l'administration déconcentrée marque une progression continue, de l'ordre de 6 % en 2025, pour atteindre 4 660 ETPT fin septembre, soit 16 % du programme. Deux séries de facteurs, distinctes mais convergentes, contribuent à expliquer ce phénomène.

En premier lieu, le pilotage des ressources humaines demeure contraint par le respect du schéma d'emplois, quand bien même la masse salariale disponible permettrait en théorie de financer des emplois supplémentaires. Cette contrainte incite l'administration à privilégier le recours à des contrats infra-annuels.

En première ligne face à l'augmentation du volume de demandes, les services des étrangers, qui comptent 1 646 contractuels soit 39 % de leurs effectifs, ainsi que les centres d'expertise et de ressources des titres (CERT), qui accueillent 434 contractuels représentant 26 % de leurs effectifs, illustrent de façon emblématique cette dépendance croissante aux vacataires. Ces derniers sont mobilisés à la fois pour absorber les pics d'activité et pour compenser les suppressions ou vacances de postes. La succession des plans de renforts, d'une année sur l'autre, en atteste :

· pour les services des étrangers, un plan triennal de 570 vacataires (190 par an) a été déployé entre 2022 et 2024 et reconduit en 2025, complété par 36,5 ETPT en septembre ;

· pour les CERT, en 2023 et 2024, trois vagues de renforts ont permis d'attribuer respectivement 340 ETPT et 230 ETPT. En 2025, un premier plan de 140 ETPT a été mis en oeuvre dès janvier, suivi de 25 ETPT supplémentaires au printemps, avant l'allocation d'un reliquat de 5,5 ETPT en septembre.

En second lieu, la progression du recours aux contractuels révèle un déficit persistant d'attractivité des postes au sein de l'administration déconcentrée. Deux indicateurs de performance, introduits par la LFI pour 2023, permettent d'en mesurer l'ampleur : le nombre de postes non pourvus, dont la cible est fixée à 670 en 2024, ainsi que le nombre de préfectures présentant un taux de vacance supérieur à 3 %, l'objectif étant de 55.

Ces cibles restent toutefois largement hors de portée. En 2023 comme en 2024, 75 préfectures dépassaient le seuil de 3 % de vacance, tandis que le nombre de postes non pourvus au niveau national ne reculait que marginalement de 1 291 à 1 289,5.

Les constats formulés par les organisations syndicales entendues par la rapporteure viennent éclairer ce déficit d'attractivité. Toutes font état d'une dégradation significative des conditions de travail et dénoncent un pilotage excessivement quantitatif. Ce diagnostic est également partagé par les représentants de l'association du corps préfectoral et de hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur (ACPHFMI). Le préfet Éric Freysselinard a ainsi décrit une véritable « paupérisation » des services déconcentrés, marquée par des retards importants en matière d'équipements informatiques et d'action sociale.

2. Les Rencontres de l'administration territoriale de l'État : un effort de dialogue révélateur d'une nécessaire meilleure reconnaissance des services

Les Rencontres de l'administration territoriale de l'État, organisées en 2024, ont constitué une occasion inédite pour les agents d'échanger sur leurs missions et leurs conditions de travail. Les 416 tables rondes tenues en un semestre ont suscité une mobilisation notable, révélatrice d'une forte attente de dialogue. La rapporteure salue cette démarche, de nature à renforcer la considération portée aux personnels.

Dans ce prolongement, les échanges conduits dans les territoires ont permis d'apporter des réponses immédiates à certains besoins identifiés. Parallèlement, les constats formulés quant au déficit d'attractivité ont, à l'échelon national, conduit le ministre de l'intérieur à annoncer des mesures catégorielles en faveur des agents les plus exposés. Figure par exemple la revalorisation des astreintes pour les agents mobilisés en gestion de crise et dans l'accueil du public.

Malgré ces retours positifs, la mise en oeuvre du dispositif appelle plusieurs réserves. De nombreux agents et organisations syndicales ont fait part d'un sentiment de frustration face à un processus jugé inabouti : les ateliers nationaux n'ont pas été intégralement conduits, tandis que certains des ateliers départementaux se sont limités à une communication descendante, sans véritable échange. À l'avenir, il faudra un cadre méthodologique harmonisé entre départements, garantissant une libre expression des agents. S'ajoute à cela l'absence, à ce stade, d'une synthèse consolidée du questionnaire national, privant les personnels d'une vision d'ensemble des conclusions.

Ce sentiment est enfin renforcé par l'impression d'une disparité de traitement entre les différents périmètres du ministère de l'intérieur, l'attention politique et médiatique portée au Beauvau de la sécurité puis au Beauvau de la sécurité civile pouvant donner aux agents de l'administration territoriale le sentiment d'une moindre considération.

3. Un sentiment préoccupant parmi les agents de perte de sens et de compétences, qui exige de réinvestir dans la formation et dans une administration de proximité

Les auditions conduites par la rapporteure révèlent un profond malaise des agents de l'administration territoriale de l'État. Les témoignages font état d'un sentiment de perte de sens, de déresponsabilisation et d'éloignement progressif des réalités du terrain, nourri par l'impression que leur action s'inscrit désormais davantage dans une logique de contrôle ou de sanction que d'appui aux collectivités et aux usagers. À cela s'ajoute une inflation normative soutenue, parfois assortie d'injonctions contradictoires.

Conclusions du baromètre social de l'administration territoriale de l'État (2025)

État d'esprit moyen des agents3(*)

Réception d'instructions contradictoires

 
 
 
 

Parfois

Souvent

Face à ces constats, la rapporteure estime indispensable de réaffirmer le rôle d'une administration territoriale de l'État de proximité, au service des collectivités et des usagers. Une telle ambition suppose, sur le plan stratégique, de redonner un cap aux agents, alors que les Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 arrivent à échéance.

Elle requiert également, sur le plan capacitaire, de réinvestir dans la formation continue. À ce titre, la revalorisation à hauteur de 4,5 % des crédits du ministère de l'intérieur dédiés à la formation constitue, à première vue, un signal positif. Toutefois, cette évolution révèle moins un renforcement de l'offre de formation qu'un renchérissement des coûts logistiques (transport et hébergement) et un recours accru à l'externalisation. Dans ces conditions, et après une contraction de 12,5 % des crédits l'année précédente, la revalorisation envisagée pour 2026 ne saurait compenser la réduction du volume annuel de journées de formation, passé de 100 000 en 2024 à 65 000 pour l'ensemble du ministère. Dans ce contexte, la rapporteure appelle à une clarification des objectifs, à une stabilisation durable des moyens et au développement d'indicateurs budgétaires spécifiques portant sur la formation continue, et non uniquement sur l'entrée en poste.

III. LES SECRÉTARIATS GÉNÉRAUX COMMUNS DÉPARTEMENTAUX (SGCD) : UNE MUTUALISATION PRÉCIPITÉE DES FONCTIONS SUPPORT DÉSORMAIS EN VOIE DE CONSOLIDATION

A. UNE DYNAMIQUE DÉSORMAIS ENGAGÉE VERS UNE MEILLEURE RECONNAISSANCE DU RÔLE DES SGCD

Créés par un décret du 7 février 20204(*) dans le cadre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État de 2019, les secrétariats généraux communs départementaux (SGCD) ont vocation à regrouper, au sein d'une structure interministérielle unique, l'ensemble des fonctions support auparavant dispersées entre préfectures et directions départementales interministérielles (DDI). Cette réforme devait permettre une mutualisation accrue des moyens et une professionnalisation renforcée des fonctions support. Après une phase de préfiguration engagée dès septembre 2019, la réforme s'est inscrite dans un calendrier particulièrement resserré, prévoyant un déploiement effectif des SGCD avant le 30 juin 2020. Le contexte sanitaire est venu ajouter une difficulté supplémentaire, conduisant à reporter leur installation au 1er janvier 2021.

Le déficit d'effectifs observé lors de la création des SGCD a d'emblée restreint leur capacité d'action. Le taux de vacance atteignait 10 % en février 2021. Cette fragilité initiale peut en partie être expliquée par le refus de plus d'un quart des agents des DDI de rejoindre les nouvelles structures. À ces difficultés s'est ajouté un turn-over important, passé de 12,6 % en 2021 à 14 % en 2022. Ces départs résultent pour un quart d'entre eux de l'exercice d'un droit au retour vers le ministère d'origine, mais également de l'exercice des droits à la retraite dans des services où près d'un tiers des agents devaient avoir plus de soixante ans à l'horizon 2025.

Une mission inter-inspections a dressé, en mai 2023, un bilan particulièrement préoccupant, constatant que la réforme s'est accompagnée d'une baisse de performance des fonctions support, d'une multiplication des dysfonctionnements et d'une dégradation notable des conditions de travail5(*). Un temps préparatoire plus long aurait été, en définitive, indispensable.

Aussi laborieuse qu'ait été leur mise en place, cinq ans après leur création, les SGCD semblent toutefois enfin entrer dans une phase de maturité. Comme l'a relevé le directeur du SGCD du Val-d'Oise lors du déplacement de la rapporteure6(*), les équipes se stabilisent progressivement, les pratiques s'harmonisent et les usagers se familiarisent désormais avec les circuits de gestion.

Sur le plan des ressources humaines, les secrétariats ont retrouvé une situation quasi normale, avec un taux de vacances stabilisé à 5 % en 2025, conforme aux standards du programme 354. Cette stabilisation favorise la montée en compétences des agents, objectif qui, selon les auditions conduites, paraît aujourd'hui en bonne voie d'être atteint.

Le regroupement des fonctions support au sein des SGCD a, par ailleurs, permis d'accroître le niveau de technicité dans des domaines jusqu'alors fragilisés par l'insuffisance de masse critique des structures. Les directeurs des DDI du Val-d'Oise ont, par exemple, chacun souligné le recours déterminant au référent prévention du SGCD. En allégeant ainsi les charges pesant sur les services opérationnels, les SGCD confortent leur positionnement comme infrastructure d'appui transversal, véritable « service public du service public ».

B. UNE FONCTION « RESSOURCES HUMAINES » ENCORE FRAGILE, MAIS POURTANT ESSENTIELLE AU SUCCÈS DE LA RÉFORME

Les services de ressources humaines (RH) des SGCD constituent encore le principal foyer de tension. Malgré les travaux engagés sous la coordination de la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), l'harmonisation entre les ministères des outils et des procédures RH demeure en effet inachevée, alimentant d'importantes difficultés de gestion.

Cette situation n'est pas nouvelle. Dès 2009, lors du discours du 16 novembre de préfiguration des DDI, le Premier ministre François Fillon appelait les administrations centrales à : « accélére[r] la convergence de leurs façons de travailler, en matière de fonctions support, en matière de ressources humaines » dénonçant des contradictions « insupportables ». Deux ans plus tard, une mission inter-inspections insistait sur la fragilité persistante du socle interministériel, pointant l'incapacité à harmoniser des éléments de rémunération aussi concrets que les astreintes ou les tickets-restaurants7(*). Ces constats anciens demeurent d'actualité et illustrent les limites du processus de convergence RH.

Certains dispositifs récents traduisent néanmoins des avancées, même s'il peut surprendre qu'ils interviennent seulement après la création des SGCD. Tel est le cas du maintien du régime indemnitaire en cas de mobilité au sein de l'administration territoriale de l'État, instauré en septembre 20218(*) puis ajusté seulement en juin 20239(*).

En matière d'action sociale, les écarts demeurent encore importants, en raison de l'héritage ministériel et des variations des crédits alloués. Seules deux harmonisations ont, à ce stade, été pleinement mises en oeuvre : l'alignement des subventions de restauration collective au 1er janvier 2022, qui reste toutefois limité au périmètre de chaque site, et l'uniformisation des prestations relatives aux séjours d'enfants10(*).

Ainsi, malgré quelques avancées ponctuelles, la convergence RH progresse encore lentement. Cet obstacle se retrouve tout aussi fortement dans le domaine des systèmes d'information. Déjà, en 2011, la mission inter-inspections précitée alertait sur la multiplicité des applications et l'absence d'interfaçage. Ces difficultés ont été amplifiées lors de la création des SGCD : les agents ont initialement dû composer avec la coexistence de cinq environnements informatiques distincts pour saisir et extraire les données RH.

C'est dans ce contexte qu'a été engagé, début 2022, le projet d'infocentre « RenoiRH Décisionnel ATE », destiné à fournir un langage commun et à consolider, au sein d'une interface unique, les données issues des trois systèmes d'information des ressources humaines (SIRH) ministériels utilisés par les cinq ministères de l'administration territoriale de l'État11(*). Il s'agit donc moins d'un outil de gestion que d'une interface de collecte et d'extraction, facilitant l'accès aux informations sans harmoniser pour autant les processus proprement dits.

Ce projet, d'un montant total estimé à 1,7 million d'euros, financés principalement par le fonds pour la transformation de l'action publique, a fait l'objet d'expérimentations dès la fin d'année 2023 auprès de quatre SGCD pilotes, dont celui du Val-d'Oise. Les premiers retours ont mis en évidence un gain de temps en particulier pour l'élaboration du rapport social unique, évalué à environ un ETP redéployable par département.

Le déploiement de l'interface a toutefois pris un retard significatif : annoncé pour 2023, il ne devrait être pleinement opérationnel qu'à la fin de 2025, voire en 2026. La gouvernance du projet s'est en effet révélée complexe, mobilisant quatre catégories d'acteurs aux responsabilités distinctes12(*). L'identification même des agents gérés par les SGCD n'était pas prévue dans les SIRH existants, nécessitant la création d'un marqueur commun.

Pris ensemble, ces obstacles mettent en lumière les limites structurelles des actuels SIRH ministériels, que le directeur du CISIRH décrit comme ayant atteint « la limite de la complexité »13(*). En l'état actuel des choses, la perspective d'un SIRH unique apparaît non seulement prématurée, mais surtout irréaliste, tant les divergences culturelles entre ministères demeurent profondes.

Parallèlement à cet environnement de gestion complexe, la charge de travail des services RH des SGCD s'est renforcée sous l'effet de la déconcentration progressive des actes de gestion par les ministères, sans transfert de moyens équivalent14(*).

Dans cet environnement déjà dense, une nouvelle vague de déconcentration portant sur dix actes supplémentaires de gestion RH est annoncée pour le 1er janvier 202615(*). Ce transfert, représentant environ 30 000 décisions annuelles, répond à l'objectif d'une plus grande réactivité, notamment dans les recrutements de contractuels. Toutefois, la mise en oeuvre opérationnelle dépendra de la capacité des SGCD à intégrer cette extension de périmètre. Une fois encore, elle ne pourra être soutenable que si elle s'accompagne d'une simplification effective des procédures et d'une harmonisation des pratiques entre ministères.

C. UN APPUI DE PROXIMITÉ DONT LE MAINTIEN S'AVÈRE INDISPENSABLE POUR CONTENIR LES EFFETS D'ÉLOIGNEMENT

Prévu dès février 202016(*) pour assurer un relais entre les SGCD et les structures soutenues, le réseau des référents de proximité s'est déployé de manière inégale : au début de l'année 2023, 22 % des entités accompagnées en étaient encore dépourvues et la fonction demeurait mal définie, oscillant entre médiation des situations individuelles et suivi RH et budgétaire des structures. Une note de gouvernance du 3 décembre 202417(*) a clarifié ce cadre en invitant les SGCD à faire évoluer ces référents vers un rôle de délégué à l'appui au pilotage. Dans cette nouvelle configuration, le délégué se concentre moins sur l'accompagnement individuel des agents et davantage sur le soutien global à la structure. Rattaché à l'équipe de direction du SGCD, mais présent la moitié de la semaine au sein de la structure concernée, il apporte un appui opérationnel aux chefs de service, notamment à travers des outils de suivi et la préparation des arbitrages dans le cadre du dialogue social.

Les retours de terrain confirment l'intérêt de cette évolution : les directeurs des trois DDI du Val-d'Oise ont chacun souligné l'apport déterminant de ces délégués, constatant que ce changement de positionnement a renforcé leur capacité d'action.

Selon le ministère de l'Intérieur, environ 200 agents exercent aujourd'hui des fonctions de délégués ou de référents de proximité, un effectif encore insuffisant au vu du nombre de structures soutenues par les SGCD. La rapporteure appelle donc à poursuivre la consolidation de ce réseau afin d'assurer un appui homogène dans les territoires.

Ces évolutions ne doivent, par ailleurs, pas occulter la nécessité de préserver un accompagnement de proximité des usagers. Les organisations syndicales signalent en effet un risque de « déshumanisation », imputé à une connaissance encore imparfaite par les SGCD des spécificités métiers et aux effets de l'éloignement physique. Ces inquiétudes sont renforcées par l'ambiguïté du positionnement des SGCD, souvent assimilés à la préfecture au sein de laquelle ils sont implantés dans près de 70 % des départements.

Dès lors, si les délégués à l'appui au pilotage n'ont plus vocation à traiter les requêtes individuelles, la proximité doit être garantie par d'autres modalités : une présence régulière sur les différents sites, une communication renforcée et une identification claire des interlocuteurs au sein du SGCD, incluant un accès téléphonique garanti et un accès physique effectif au service des ressources humaines. À ces conditions seulement, la réforme pourra atteindre son objectif de renforcer le pilotage sans accentuer la distanciation ressentie par les agents.

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » inscrits au projet de loi de finances pour 2026.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 26 NOVEMBRE 2025

Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - La mission « Administration générale et territoriale de l'État » présente une évolution budgétaire en apparence favorable pour l'année 2026. Les autorisations d'engagement (AE) progressent de 7 % et les crédits de paiement (CP) de 3,4 %. De prime abord, cette progression pourrait laisser croire à un renforcement de l'action de l'État dans les territoires. Toutefois, elle est absorbée pour l'essentiel par les échéances électorales de 2026, qui concentrent à elles seules près de 60 % de la hausse des dépenses. La croissance est donc plus conjoncturelle que structurelle.

Le programme 232 « Vie politique » voit ainsi ses crédits tripler pour permettre l'organisation des élections municipales et sénatoriales. Le coût moyen du scrutin par électeur est lui aussi en hausse : il atteindra 4 euros pour les municipales alors qu'il s'élevait à 3,35 euros en 2020. Cette augmentation tient pour l'essentiel à la flambée des tarifs postaux, qui ont progressé de 90 % en six ans. En 2026, la propagande électorale constituera donc le premier poste de dépenses des élections municipales, concentrant 52 % des coûts.

Concernant le reste des dépenses, je souhaite attirer votre attention sur les frais d'assemblée électorale versés aux communes, qui ne couvrent que 6 % du total des dépenses effectives. Je le déplore une nouvelle fois : aucune initiative n'a été prise pour réexaminer les barèmes applicables depuis 2006. Ces montants sont désormais déconnectés des dépenses réellement supportées par les communes. J'invite donc le ministère à engager une évaluation précise de ces coûts.

Le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » continue de constituer la variable d'ajustement interne du ministère. Les écarts avec la trajectoire de la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) se creusent. Ainsi, en 2026, le montant des CP est 17 % en deçà des prévisions, ce qui confirme un décrochage déjà observé les années précédentes. Cette dynamique se traduit notamment par une contraction de 21 % des dépenses d'intervention, en particulier dans le domaine de la vidéoprotection.

Le programme 354 « Administration territoriale de l'État » (ATE), coeur opérationnel de la mission, connaît cette année une progression modérée de ses crédits, de l'ordre de 2,4 %. Cette évolution résulte principalement d'une augmentation des dépenses d'investissement destinée à répondre à l'obsolescence du parc informatique.

Concernant les moyens humains, une vigilance particulière demeure nécessaire. Après une décennie de contraction ayant conduit à une diminution de 14 % des effectifs, la dynamique de redressement amorcée en 2023 se confirme, avec la création de 50 emplois supplémentaires en 2026. Si cette évolution va dans le bon sens, elle s'inscrit plutôt dans une logique réparatrice. En effet, elle vise à combler les fragilités accumulées, tant bien que mal et de façon limitée, plutôt qu'à impulser un mouvement de renforcement en profondeur de l'action territoriale, comme le laisse entendre le discours ministériel. Pourtant, les besoins sont urgents, notamment dans les services dédiés aux étrangers, où les délais de traitement des demandes de titres de séjour ont augmenté de 27 % en un an.

L'exercice 2025 l'a démontré avec force : le schéma d'emploi, fixé à zéro, n'a pu résister à la pression des besoins opérationnels. Face à la situation critique de certains services, 101 équivalents temps plein (ETP) ont dû être réaffectés en urgence, au détriment d'autres programmes. Une telle gestion, purement réactive, ne peut constituer une stratégie durable pour l'État territorial.

La question de l'attractivité de l'administration déconcentrée demeure également préoccupante. Ainsi, trois quarts des préfectures présentent un taux de vacance de postes supérieur à 3 %. De plus, l'emploi se précarise : le recours aux contractuels atteint désormais 16 % des effectifs de l'ATE. Ce pourcentage est particulièrement élevé dans les services dédiés aux étrangers, où il atteint 39 %, et dans les centres d'expertise et de ressources des titres (CERT), où il est de 26 %. Ce phénomène traduit à la fois la contrainte du schéma d'emploi et des conditions de travail dégradées, qui ont des conséquences sur l'attractivité des postes.

Ces constats sont largement partagés par les représentants des organisations syndicales et du corps préfectoral que j'ai pu entendre. Certains préfets ont décrit une dégradation progressive des moyens matériels,
qu'il s'agisse des équipements informatiques ou de l'action sociale, allant jusqu'à évoquer une « paupérisation » des services déconcentrés.

Cette réalité matérielle s'accompagne d'un malaise diffus parmi les agents. Selon le baromètre social 2024 de l'ATE, l'état d'esprit des agents obtient une note moyenne de 5,9 sur 10, contre 6,6 sur 10 dans l'ensemble de la fonction publique. À cela s'ajoute une inflation normative soutenue, parfois accompagnée d'injonctions contradictoires. Ainsi, une attachée d'administration en préfecture, entendue en tant que représentante syndicale, expliquait que les agents de son service ont été fortement mobilisés pour inciter les communes à déposer des dossiers au titre du fonds vert, avant que la mesure ne soit finalement abandonnée.

C'est dans ce contexte que j'ai souhaité consacrer une partie de mes travaux à l'examen du bilan des secrétariats généraux communs départementaux (SGCD). Pour rappel, ces structures ont été conçues afin de mutualiser les fonctions support des préfectures et des directions départementales interministérielles (DDI).

Leur mise en place, intervenue en 2021, s'est déroulée selon un calendrier particulièrement contraint. Un an plus tard, le bilan était sans ambiguïté : 14 % de postes vacants, une performance en recul soulignée par plusieurs rapports d'inspection et des équipes profondément déstabilisées. Cependant, près de cinq ans après leur création, on commence à observer une forme de stabilisation : le taux de vacance est repassé sous la barre des 5 % et la technicité des équipes progresse.

Ces évolutions constituent de réels signaux positifs, mais ne sauraient masquer les fragilités persistantes, notamment dans le domaine des ressources humaines. En la matière, la convergence dans le domaine de la gestion, qui doit s'opérer entre les cinq ministères concernés, reste largement inaboutie. À titre d'exemple, les agents des SGCD doivent composer avec cinq systèmes d'information différents. Une interface commune est attendue de longue date pour simplifier la collecte de données ; elle ne sera pleinement opérationnelle qu'à la fin de l'année 2025, voire au début de l'année suivante.

Ces limites de gestion se doublent d'un enjeu de proximité, plus humain encore. Beaucoup d'agents des DDI ont vu disparaître leurs interlocuteurs du quotidien, dont 70 % sont désormais installés dans les bâtiments des préfectures, loin des métiers qu'ils sont censés soutenir. Dans ce contexte, une meilleure identification des interlocuteurs et une présence régulière de ces derniers sur l'ensemble des sites semblent encore nécessaires.

En définitive, si le schéma d'emplois demeure le pivot du renforcement de l'ATE, il faut aussi mener une réflexion plus large en matière de moyens humains. Un renforcement pleinement abouti de l'ATE suppose un effort de consolidation des compétences des agents, afin de conforter leur expertise, de renforcer l'attractivité des postes et de stabiliser les équipes. Or la formation continue, qui devrait être un levier majeur, demeure largement sous-dimensionnée.

Certes, le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 prévoit une hausse de près de 5 % des crédits destinés à la formation des agents du ministère et de l'ATE, ce qui peut sembler encourageant à première vue. Cependant, il s'agit en réalité d'un simple ajustement technique destiné à absorber la hausse des coûts logistiques. Cette progression ne répond en rien à la contraction d'un tiers du nombre de journées de formation depuis 2024. C'est pourquoi un effort doit être entrepris afin de renforcer l'offre de formation, laquelle doit dépasser l'unique accompagnement des prises de poste, pour redevenir un véritable outil de professionnalisation et de sécurisation des parcours des agents de l'État territorial.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, les moyens prévus pour 2026 restent trop limités au regard des fragilités de l'ATE. Néanmoins, dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, il convient de souligner l'effort engagé pour maintenir une trajectoire ascendante des crédits et un schéma d'emploi positif. À titre personnel, j'aurais émis un avis de sagesse sur l'adoption des crédits. Cependant, sachant que la majorité d'entre vous soutient cette adoption, je propose d'émettre un avis favorable, avec la prudence et la réserve qui s'imposent. Nous savons combien l'ATE est indispensable dans nos départements.

M. Éric Kerrouche. - Effectivement, le réarmement de la mission reste fragile, les moyens budgétaires demeurant insuffisants. La prévention de la délinquance est relativement désarmée, les missions de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) sont sous-financées à moyen terme et la contractualisation comme l'externalisation rampantes de certaines missions fragilisent leur santé financière et opérationnelle.

L'augmentation des effectifs du programme 354 ne comble pas les déficits cumulés sur dix ans et répare à peine des situations difficiles. De plus, de nouvelles difficultés se précisent pour les services des étrangers, puisque la condition de maîtrise de la langue française pour l'obtention de la carte de séjour entrera en vigueur en janvier 2026. Le budget de l'ANTS est, quant à lui, confronté à un problème de soutenabilité.

Concernant le programme « Vie politique », les dépenses liées à l'organisation des élections municipales et sénatoriales sont en hausse et le coût de la propagande explose. Je le rappelle : le remboursement de l'État se fait sur la base de 44,73 euros par bureau de vote et de 0,10 euro par électeur inscrit. Ces sommes n'ayant pas été révisées depuis 2006, seulement 15 % des dépenses liées aux élections sont remboursées aux communes.

Pour tenir compte à la fois de la situation budgétaire dans laquelle nous nous trouvons et du réarmement seulement palliatif du programme 354, notre groupe s'abstiendra.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de l'intérieur

Direction des missions de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur

M. Laurent Buchaillat, directeur

Mme Sylvie Calves, directrice adjointe

M. David Cochu, sous-directeur

M. Alex Gadré, chef du bureau des élections politiques

Mme Sophie Avérous, adjointe au chef du bureau des moyens de l'administration territoriale de l'État

Direction de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier

M. Arnaud Menguy, chef du service des affaires financières ministériel, adjoint au directeur

M. Ibrahim Abdou-Saidi, adjoint à la sous-directrice de la coordination et des ressources

Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur (ACPHFMI)

M. Emmanuel Aubry, préfet du Haut-Rhin, vice-président

M. Éric Freysselinard, préfet, conseiller aux affaires intérieures auprès de l'ambassadeur de France à Madrid, vice-président délégué

Audition conjointe sur les systèmes d'information de gestion des ressources humaines des ministères

M. Emmanuel Brossier, directeur du centre interministériel de services informatiques relatifs aux ressources humaines (CISIRH)

M. Christophe Marot, adjoint à la directrice des ressources humaines du ministère de l'intérieur, chef de la mission ministérielle de gouvernance des ressources humaines

Table ronde des organisations syndicales représentées au Conseil supérieur de la fonction publique de l'État

Union des Fédérations de Fonctionnaires et Assimilés CFDT

Mme Laure Revel, secrétaire générale adjointe, trésorière

Mme Elisabeth Mortreux, secrétaire fédérale

Mme Lydie Welsch, déléguée syndicale

Union fédérale des syndicats de l'État CGT

M. Olivier Miffred, secrétaire national

Mme Joelle Lebrethon, déléguée syndicale

Fédération syndicale unitaire (FSU)

M. Maxime Caillon, délégué syndicale

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Solidaires Fonction publique

Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Mardi 4 novembre 2025 - Déplacement à la préfecture du Val-d'Oise

Préfecture du Val-d'Oise

M. Philippe Court, préfet du Val-d'Oise

Mme Hélène Girardot, secrétaire générale de la préfecture

Secrétariat général commun départemental

M. Bruno Mouget, directeur

Direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS)

Mme Johana Berthau, directrice

M. François Chaumette, directeur adjoint

Direction départementale des territoires (DDT)

M. Nicolas Fontaine, directeur,

M. Xavier-Yves Valère, directeur adjoint

Direction départementale de la protection des populations (DDPP)

Mme Marguerite Lafanechere, directrice

Mme Hélène Masson, directrice adjointe


* 1 Instruction INTQ2515076C du 10 juin 2025 du ministre de l'intérieur.

* 2 Alors que le solde initial du schéma d'emplois s'élevait à 232 ETP. Cette diminution est due aux effets du décret d'annulation du 21 février 2024, qui a réduit la masse salariale des préfectures de 21,2 millions d'euros.

* 3 Contre 6,6/10 dans l'ensemble de la fonction publique de l'État. En particulier, seuls 27 % des agents accordent une note de 8 à 10, contre 42 % dans la fonction publique de l'État.

* 4 Décret n° 2020-99 du 7 février 2020 relatif à l'organisation et aux missions des secrétariats généraux communs départementaux.

* 5 Inspection générale de l'administration, Une évaluation de l'organisation et du fonctionnement des secrétariats généraux communs départementaux, mai 2023.

* 6 Déplacement à la préfecture du Val-d'Oise du 4 novembre 2025.

* 7 Inspection générale de l'administration, Retour d'expérience sur la mise en place des directions départementales interministérielles, janvier 2011.

* 8 Circulaire du 10 mars 2021 visant à accélérer la déconcentration de la gestion budgétaire et des ressources humaines pour renforcer la capacité d'action de l'État dans les territoires.

* 9 L'instruction de la DGAFP du 21 juin 2023 de bilan et adaptation des modalités de mise en oeuvre de la garantie de maintien de la rémunération en cas de mobilité au sein des services déconcentrés de l'État tend à ne plus faire peser le différentiel de rémunération sur l'administration d'origine.

* 10 Circulaire du 23 novembre 2021 relative au barème commun applicable pour certaines prestations pour séjours d'enfants au bénéfice des agents dont la gestion relève des secrétariats généraux communs départementaux.

* 11 Dialogue 2 pour le ministère de l'intérieur, SIRHIUS pour la DGCCRF et RenoiRH pour les ministères sociaux, l'Agriculture et l'Environnement.

* 12 Le ministère de l'intérieur comme maîtrise d'ouvrage ; le Centre interministériel de services informatiques relatifs aux ressources humaines (CISIRH) pour la maîtrise d'oeuvre ; les quatre ministères concernés comme responsable de traitement ; les SGCD comme acteurs métiers.

* 13 Audition du 29 octobre 2025.

* 14 Plusieurs évolutions récentes illustrent cette dynamique, par exemple la mise en oeuvre du forfait mobilités durables, remboursement partiel des complémentaires santé.

* 15 Décret n° 2025-836 du 20 août 2025 portant diverses mesures de déconcentration en matière de ressources humaines.

* 16 Instruction du 6 février 2020 du ministre de l'intérieur relative au volet « ressources humaines » de la mise en oeuvre des secrétariats généraux communs départementaux.

* 17 Note du 3 décembre 2024 relative à la gouvernance locale des secrétariats généraux communs départementaux (SGCD) et au renforcement de l'appui au pilotage des services soutenus.

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