N° 145

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2025

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1)
sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté
par l'Assemblée nationale, pour
2026,

TOME XII

SÉCURITÉS

Par M. Henri LEROY,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Laurence Harribey, Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, Lauriane Josende, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. Jean-Baptiste Blanc, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Thani Mohamed Soilihi, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Anne-Sophie Patru, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 1906, 1990, 1996, 2006, 2043, 2047, 2048, 2060, 2063 et T.A. 180

Sénat : 138 et 139 à 145 (2025-2026)

L'ESSENTIEL

Confirmant la trajectoire haussière entamée en 2017, le projet de loi de finances pour 2026 prévoit une augmentation du budget de la police (programme 176) et de la gendarmerie nationales (programme 152). Les crédits alloués aux forces de sécurité s'élèveraient ainsi à 25,5 milliards d'euros en autorisation d'engagement - AE (+ 346 millions d'euros ; + 1,38 %) et à 24,98 milliards d'euros en crédits de paiement - CP (+ 637 millions d'euros ; + 2,6 %).

Les forces de sécurité sont donc une nouvelle fois relativement « préservées » des restrictions budgétaires que prévoit le PLF 2026 dans l'objectif légitime de maîtrise du déficit public. De fait, les crédits proposés respectent pour l'essentiel la trajectoire budgétaire fixée par le Parlement dans la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI).

Pour autant, ce projet de budget appelle à la vigilance sur deux points.

L'objectif de la LOPMI de rééquilibrage des dépenses au profit de l'investissement et du fonctionnement n'est tout d'abord pas atteint. Les dépenses de personnel continuent ainsi à accaparer plus de 80 % des crédits, en contradiction avec l'esprit de la LOPMI. Cet effet d'éviction s'opère aux détriments des indispensables dépenses de fonctionnement et d'investissement, ce qui ralentit de manière préoccupante le renouvellement d'un parc de moyens mobiles vieillissants. Force est donc malheureusement de constater que les réponses aux difficultés structurelles subies par les forces de sécurité sont une nouvelle fois reportées à plus tard.

L'objectif de la LOPMI de 7 412 créations de postes à horizon 2027 apparaît deuxièmement de plus en plus compromis. Si le PLF 2026 renoue avec un schéma d'emploi positif (1 000 postes supplémentaires pour la police nationale, 400 pour la gendarmerie nationale), cet effort ne permettra probablement pas de combler le retard accumulé du fait notamment du gel des recrutements en 2025.

Si la commission n'a pas caché sa préoccupation sur ces points, elle a néanmoins estimé que, dans un contexte budgétaire difficile, le respect des cibles fixées par la LOPMI permettait a minima de sauvegarder l'essentiel. Aussi, sur la proposition de son rapporteur, Henri Leroy, elle a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités » (hors programme « Sécurité civile »).

I. POUR 2026, DES CRÉDITS À NOUVEAU RELATIVEMENT ÉPARGNÉS PAR LES RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES

A. UNE EXÉCUTION 2025 PARTICULIÈREMENT TENDUE

À l'instar de l'année précédente1(*), l'exécution du budget 2025 se caractérise par une forte tension du fait notamment des mouvements observés en gestion et de l'engagement renforcé des forces sur le terrain. Le décret d'annulation du 25 avril 2025 a ainsi précocement diminué le budget de la police nationale de 46,5 millions d'euros en AE et de 36,5 millions d'euros en CP sur les dépenses hors titre 2 ; cette diminution a été intégralement imputée sur la réserve de précaution. 15 millions d'euros en AE ont par ailleurs été annulés sur le programme 152. Relativement plus touchée par ces mouvements de crédit, la direction générale de la police nationale (DGPN) a confirmé que « la fin de gestion [serait] particulièrement tendue ». Les conséquences sont par ailleurs immédiates d'un point de vue opérationnel, la DGPN ayant été contrainte de ralentir le lancement de nouveaux investissements immobiliers pour absorber cette importante annulation de crédits.

L'exécution 2025 est par ailleurs également marquée par des difficultés du côté de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Le point le plus saillant est l'insuffisance des crédits fléchés vers la réserve opérationnelle, qui a conduit la DGGN à interrompre temporairement à l'automne son recours aux réservistes, faute de financements disponibles.

Dans ce contexte, le rapporteur ne peut malheureusement que renouveler le constat dressé l'année précédente selon lequel « ces renoncements, hélas, n'ont rien d'un phénomène ponctuel [mais] sont plutôt les symptômes d'un problème structurel et les annonciateurs de la nouvelle donne budgétaire, extrêmement tendus, à laquelle la France doit désormais faire face ».

B. DANS UN CONTEXTE BUDGÉTAIRE TENDU, DES CRÉDITS DE LA POLICE ET DE LA GENDARMERIE DONT L'AUGMENTATION SE POURSUIT

Pour 2026, les crédits attribués aux forces de sécurité intérieure connaîtraient une légère augmentation :

- ceux du programme 176 « Police nationale » se porteraient à 14,34 milliards d'euros en AE - soit une hausse de 515 millions d'euros (+ 3,72 %) - et à 13,89 milliards d'euros en CP - soit une hausse de 437 millions d'euros (+ 3,25 %) ;

- ceux du programme 152 « Gendarmerie nationale » se porteraient à 11,16 milliards d'euros en AE - soit une diminution de 168 millions d'euros (- 1,48 %) - et à 11,1 milliards d'euros en CP - soit une augmentation de 200 millions d'euros (+ 1,84 %).

Au total, ces deux programmes connaîtraient donc une augmentation de 637 millions d'euros en CP (24,98 milliards d'euros ; + 2,6 %), inférieure au milliard d'euros supplémentaire accordé en 2025. Le rapporteur relève par ailleurs que les augmentations de crédits sont fléchées aux deux tiers vers la police nationale, qui connaît une progression de crédit identique à l'année précédente alors que celle de la gendarmerie nationale est réduite de plus de 60 % (+ 200 millions d'euros contre + 538 millions d'euros en 2025). L'importance de cet écart, qui fait plus que compenser le déséquilibre observé l'année précédente en faveur de la gendarmerie nationale, peut légitimement interroger.

Évolution des crédits de paiement des programmes 176 « Police nationale » et 152 « Gendarmerie nationale » à périmètre courant entre la LFI 2025 et le PLF 2026

Source : commission des lois du Sénat, d'après les documents budgétaires

Si cette augmentation est moindre que par le passé, elle doit être analysée au regard de la dégradation importante et continue des finances publiques. Le déficit des administrations publiques s'élevait ainsi à 5,8 % du produit intérieur brut en 2024 et devrait s'établir à 5,4 % en 2025. Si l'objectif pour 2026 devrait être fixé au cours des débats parlementaires, force est de constater qu'un effort massif de maîtrise des dépenses publiques sera nécessaire sur les prochaines années pour espérer un retour à la cible de 3 %. Dans ce contexte, le Gouvernement a entendu définir certains postes de dépenses prioritaires dont le budget progresse, en particulier les dépenses régaliennes, tandis que les autres seraient soumis à l'effort de maîtrise des dépenses. In fine, les crédits de la majorité des missions devraient être amenés à diminuer en 2026 (pour 16 d'entre elles contre 11 missions hors CAS pensions qui verraient leurs crédits augmenter de plus de 100 millions d'euros)2(*).

La priorisation des budgets de la police et de la gendarmerie nationales est donc confirmée pour 2026. Le rapporteur a pris acte de cette préservation des crédits de la mission « Sécurités ». Si le budget proposé sera à l'évidence insuffisant pour couvrir l'intégralité des besoins des forces de sécurité, il a a minima le mérite de sauvegarder l'essentiel dans un contexte budgétaire particulièrement contraint.

C. UNE TRAJECTOIRE CONFORME AUX CIBLES ÉTABLIES PAR LA LOPMI

L'évolution des crédits des programmes 152 et 176 fait depuis 2023 et jusqu'à 2027 l'objet d'une programmation pluriannuelle fixée par la LOPMI. Celle-ci prévoit une augmentation des crédits en CP de 4,5 milliards d'euros en 2027 (20,8 milliards d'euros en 2022 contre 25,3 milliards d'euros en 2027). Comme rappelé dans l'avis budgétaire pour le PLF pour 2025, cette programmation se décline en plusieurs trajectoires distinctes relatives aux CP totaux des programmes (hors compte d'affectation spéciale pensions, qui compte pour environ 8 milliards d'euros), aux CP hors dépenses de personnel ainsi qu'aux seules dépenses de personnel. Cette présentation visait à répondre à la décorrélation observée depuis 2010 entre la forte progression de la masse salariale et les variations bien plus modestes des dépenses d'investissement et de fonctionnement de la police et de la gendarmerie nationales. La dynamique légitime des dépenses de titre 2 ne saurait en effet se faire au détriment des indispensables opérations de rénovations immobilières ou de renouvellement des équipements des forces de sécurité.

Lors de l'examen du PLF pour 2025, le rapporteur avait constaté que la hausse des crédits s'inscrivait « incontestablement dans la dynamique impulsée par la LOPMI », tout en soulignant la différence de situation entre le programme 176 « Police nationale » - dont les CP hors titre 2 étaient inférieurs de 64,2 milliards d'euros à la cible LOPMI - et le programme 152 « Gendarmerie nationale » - qui dépassaient assez significativement les objectifs fixés.

Si des dynamiques similaires peuvent être observées dans le budget 2026, elles sont néanmoins d'une moindre ampleur. Là encore, l'analyse diffère entre la police et la gendarmerie nationale :

- S'agissant de la police nationale, l'effort consenti permet de combler la quasi-totalité du retard observé l'année précédente sur la LOPMI. Les CP totaux hors CAS « Pensions » dépasseraient ainsi largement la cible (+ 190 millions d'euros contre - 24,1 millions d'euros l'année précédente). Ce rattrapage s'observe également si l'on retranche les dépenses de personnel, avec un niveau de crédit proche de la cible fixée (- 22 millions d'euros contre - 64,2 millions d'euros l'année précédente).

- S'agissant de la gendarmerie nationale, les cibles LOPMI sont une nouvelle fois dépassées. En revanche, la « marge » importante observée l'année précédente a très largement diminué : l'effort budgétaire consente l'an passé s'est réduit cette année au profit de la police nationale. Dans le détail, les CP totaux hors CAS « Pensions » dépassent la cible de 239 millions d'euros (contre 428 millions d'euros l'année précédente) et les CP hors titre 2 de 101 millions d'euros (contre 328 millions d'euros l'année précédente).

Comparaison des crédits de paiement prévus en PLF 2026 avec la LFI 2025 et la cible LOPMI pour 2026 (en millions d'euros)

 

CP totaux HCAS*

CP hors titre 2

CP titre 2 HCAS*

 

PLF 2026

Écart 2025

Cible Lopmi

Écart Lopmi

PLF 2026

Écart 2025

Cible Lopmi

Écart Lopmi

PLF 2026

Écart 2025

Cible Lopmi

Écart Lopmi

P176

9 753

+ 156

9 563

+ 190

1 804

+ 69

1 826

- 22

7 949

+ 87

7 737

+ 212

P152

7 050

+ 158

6 811

+ 239

1 939

+ 36

1 838

+ 101

5 111

+ 125

4 973

+ 138

Source : commission des lois du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le respect de la trajectoire générale fixée par la LOPMI constitue indéniablement un motif de satisfaction. On peut néanmoins s'interroger sur les différences de dynamique observées chaque année entre les programmes 152 et 176. Il est étonnant que les augmentations annuelles de crédit soient alternativement concentrées sur l'une des deux forces plutôt que systématiquement réparties de manière équitable.

II. UN EFFORT INDÉNIABLE EN FAVEUR DES FORCES DE SÉCURITÉ, QUI NE PERMETTRA CEPENDANT PAS DE FINANCER L'INTÉGRALITÉ DE LEURS BESOINS

A. UNE DÉGRADATION CONSTANTE DU CONTEXTE SÉCURITAIRE QUI JUSTIFIE UNE SANCTUARISATION DES BUDGETS

La préservation du budget de la police et de la gendarmerie nationales est une absolue nécessité dans le contexte sécuritaire actuel. Celui-ci se dégrade de manière importante et continue sur la période récente, avec une augmentation inquiétante du niveau de violence observé au sein de la société.

Le DGPN et le DGGN ont confirmé cette dégradation au cours de leurs auditions respectives. Le total des crimes et délits enregistrés par les services de police a ainsi augmenté de 5,2 % entre 2010 et 2024, tandis que « pour la criminalité organisée, les réseaux de malfaiteurs se sont professionnalisés et complexifiés ». Les atteintes aux personnes sont en très forte progression depuis 2010 (+ 45,4 %), principalement en raison des violences intrafamiliales portées à la connaissance des services de police. De manière générale, l'ensemble des acteurs auditionnés par le rapporteur ont confirmé cette progression importante du nombre d'infractions et de leur niveau de violence. Ils ont également souligné leurs grandes difficultés à y faire face avec leurs moyens actuels.

Cette évolution prend une dimension particulière dans le domaine du trafic de stupéfiants. Le Sénat a mis au jour l'emprise inquiétante du narcotrafic sur l'ensemble du territoire national. Si la proposition de loi sénatoriale visant à sortir la France du piège du narcotrafic a permis de doter les forces de sécurité d'outils juridiques à même de lutter contre ce fléau, elle nécessite d'être accompagnée de moyens conséquents pour être pleinement efficace3(*).

B. UNE REPRISE DES RECRUTEMENTS EN 2026 QUI NE PERMETTRA QU'UN RATTRAPAGE PARTIEL DU RETARD PRIS SUR LA LOPMI

1. Pour la gendarmerie nationale, une cible de recrutements sans doute hors de portée

Le projet de budget pour 2026 prévoit un schéma d'emploi positif avec la création de 400 emplois. Selon la DGGN, ces 400 équivalents temps pleins (ETP) seront dédiés à la création de 58 nouvelles brigades dans le cadre du plan des « 239 brigades ». Celles-ci seront intégralement armées de sous-officiers de gendarmerie.

Si ces créations de poste sont conformes à l'objectif fixé par la LOPMI pour l'année 2026, elles ne permettront pas de résorber le retard enregistré l'année précédente. Le schéma d'emploi pour 2025 ne prévoyait aucune création de poste, en dépit d'une cible LOPMI fixée à + 500 ETP. L'objectif final de 3 450 ETP à horizon 2027 n'aura ainsi été rempli qu'aux deux tiers en fin d'année (2 395 créations de poste). Celui-ci semble durablement mis en cause, sauf à ce qu'un rattrapage massif soit effectué sur la dernière année de programmation (pour laquelle 1 145 ETP supplémentaires seraient nécessaires). L'effort de recrutement effectif à fournir en 2027 serait en effet deux fois supérieur à la prévision LOPMI.

Trajectoire des créations d'emploi dans la gendarmerie nationale prévue par la LOPMI

Source : Commission des lois, d'après les données du ministère de l'intérieur

Ces éléments auront une incidence directe sur l'exécution de plan des « 239 brigades », dont plus de 40 % devront être financées sur la seule année 2027. Pour rappel, les 80 premières ont été créées en 2024 avant une année blanche en 2025, tandis que le budget 2026 ne devrait permettre d'en financer que 58 (27 brigades fixes et 31 brigades mobiles).

Le rapporteur ne peut donc malheureusement que constater que, dans le cas de la gendarmerie nationale, l'avertissement formulé l'année précédente n'a pas été suivi d'effets. Le décrochage avec la cible finale de recrutements fixée par la LOPMI se confirme en 2026 et, alors que le ministre évoquait déjà en 2024 la perspective d'un rattrapage comme un « véritable combat », celui-ci apparaît de plus en plus mal engagé. En l'absence d'inflexion, cet objectif sera à n'en pas douter rapidement et définitivement hors d'atteinte. Dans ce contexte, le rapporteur appelle à procéder aux ajustements nécessaires pour se donner les moyens de parvenir aux 3 540 créations de poste en 2027.

2. Pour la police nationale, une trajectoire globalement respectée, mais qui ne prend que trop peu en compte les nouveaux besoins

La police nationale a également subi un schéma d'emploi nul en 2025, en contradiction avec les 356 ETP originellement prévus par la LOPMI. Ceci n'a pas été sans conséquence, la DGPN ayant confirmé avoir été de ce fait mise en difficulté pour répondre aux objectifs supplémentaires qui lui avaient été assignés en matière notamment de lutte contre l'immigration irrégulière (entrée en vigueur du système « EES » d'entrée-sortie Schengen, poursuite du plan « CRA 3000 » etc.) et contre la criminalité organisée, ainsi que pour la mise en oeuvre des plans d'actions départementaux de restauration de la sécurité du quotidien.

Le budget 2026 permet un rattrapage significatif de cette année blanche, avec la création de 1 000 ETP supplémentaires. Sous réserve de son exécution, cet indéniable effort permettra de se placer légèrement au-dessus de la cible LOPMI (+ 4 041 ETP contre + 3 872 en trajectoire LOPMI 2023-2027).

Ces nouveaux postes viendront selon la DGPN renforcer les effectifs de la police aux frontières, afin notamment d'accroître la capacité des CRA (+ 300 ETP), ainsi que ceux de la filière investigation, afin notamment d'augmenter les capacités de traitement des stocks de procédures (+ 700 ETP). S'ils ne seront pas nécessairement suffisants, ces renforts seront bienvenus au sein d'une filière investigation notoirement en souffrance, comme l'ont montré les deux rapports de Nadine Bellurot et Jérôme Durain sur le sujet4(*). Ceux-ci ont en effet dressé le constat d'une crise profonde de la police judiciaire, que la dernière réforme de l'organisation de la police nationale n'a pas permis d'endiguer.

Si le retour à la trajectoire LOPMI en matière de recrutement constitue en soi un élément de satisfaction, il n'en appelle pas moins deux réserves. D'une part, il est regrettable que ces efforts de rattrapage bénéficient exclusivement à la police nationale, au détriment d'une gendarmerie nationale dont l'année blanche en 2025 est « confirmée ». D'autre part, il convient de rappeler que la LOPMI ne tient pas compte des objectifs supplémentaires assignés ces deux dernières années aux forces de sécurité. Quand bien même le schéma d'emploi serait intégralement exécuté, il est donc peu plausible qu'il permette de couvrir l'ensemble des besoins opérationnels.

C. DES DÉPENSES DE PERSONNEL DONT LE DYNAMISME CONTINUE À « CANNIBALISER » LA MISSION, AU DÉTRIMENT D'AUTRES POSTES

Si les cibles de crédit fixées par la LOPMI sont formellement respectées, son objectif de rééquilibrage des dépenses de la mission « Sécurités » au profit de l'investissement et de l'équipement n'a en revanche pas été atteint.

L'exemple de la police nationale est à cet égard parlant. Si les crédits supplémentaires ouverts par la LOPMI devaient initialement se concentrer aux deux tiers sur les dépenses hors-titre 2, ce ratio s'est progressivement inversé pour répondre à la multiplication des mesures salariales. Peuvent notamment être cités l'augmentation de 3,5 % du point d'indice en 2022 et le protocole du 2 mars 2022 sur la modernisation des ressources humaines, ce dernier comptant encore en 2026 pour 36,6 millions d'euros dans le budget de la police nationale. Dans le détail, le titre 2 compte en 2026 pour 65 % des crédits LOPMI (722,8 millions d'euros, contre 391,6 millions pour les crédits hors titre 2), alors même que celle-ci établissait initialement une prévision à 33 % (371,1 millions d'euros pour le titre 2, contre 743,3 millions d'euros pour les crédits hors titre 2).

Le Sénat alerte de longue date sur le fait que l'accent mis sur le renforcement des effectifs se fait pour partie au détriment de l'amélioration de l'équipement et des conditions de travail des policiers et des gendarmes. Ainsi, la part des dépenses de personnel sur le budget total demeure stable en 2026, à hauteur de 87 % pour le programme 176 et de 82 % pour le programme 152. Ces niveaux sont en contradiction avec l'objectif fixé par la LOPMI. Dans ce contexte, le rapporteur estime indispensable de renouer au plus vite avec une trajectoire de réduction de ce ratio, sans quoi il sera porté atteinte à terme à la capacité opérationnelle des forces de sécurité.

Comparaison de la décomposition initiale de l'enveloppe LOPMI pour le programme 176 « Police nationale » (à gauche) et de sa mise en oeuvre effective (à droite)

(En millions d'euros CP)

Source : Commission des lois, d'après les données de la DGPN

D. LE RENOUVELLEMENT DES MOYENS MOBILES DES FORCES DE SÉCURITÉ : UN RETARD PRÉOCCUPANT

Cet effet d'éviction se manifeste notamment vis-à-vis des dépenses affectées au renouvellement du parc automobile des deux forces et, de manière plus préoccupante encore, de la flotte d'hélicoptères de la gendarmerie nationale.

S'agissant des moyens automobiles, les lignes budgétaires ouvertes seront à nouveau insuffisantes pour atteindre les seuils de renouvellement des parcs :

- s'agissant de la police nationale, 2 500 acquisitions annuelles de véhicules sont nécessaires pour assurer ce renouvellement, soit un coût annuel de 100 millions d'euros en AE et de 80 millions d'euros en CP. Si les montants prévus au budget 2026 sont légèrement supérieurs à cette cible (116 millions d'euros en AE et 103 millions d'euros en CP, permettant théoriquement l'acquisition de 2 900 véhicules), cet effort ne permettra pas de compenser le retard accumulé sur les deux exercices précédents. Les acquisitions de véhicules neufs ont en effet été moitié moins importantes que la cible de renouvellement en 2024 comme en 2025 (voir graphique infra) ;

- s'agissant de la gendarmerie nationale, le besoin de renouvellement annuel estimé pour le seul maintien du parc est de 3 750 véhicules. Si ce seuil avait été atteint entre 2020 et 2022, cette dynamique s'est ensuite brutalement interrompue avec deux années quasi- blanches en 2023 et 2024 (respectivement 428 et 543 véhicules acquis), et une exécution qui sera une nouvelle fois inférieure au seuil de renouvellement en 2025 (2 000 véhicules acquis). L'investissement dans le parc automobile connaîtra un nouveau coup d'arrêt en 2026. Le « sacrifice » de cette enveloppe pourtant cruciale est la conséquence directe des choix budgétaires opérés en défaveur de la gendarmerie nationale, qui contraignent la DGGN à prioriser certains postes de dépense (préservation de l'activité des forces et investissement immobilier). La DGGN a ainsi confirmé qu'il n'avait pas été possible de conserver en 2026 le même niveau de dotation qu'en 2025 pour l'investissement dans les moyens mobiles et que les enveloppes afférentes avaient dû être revues à la baisse (- 63 millions d'euros en AE et - 39 millions d'euros en CP). Les crédits ouverts ne pourront permettre l'acquisition que de 105 véhicules de maintien de l'ordre et de 600 à 700 véhicules classiques.

Le rapporteur est particulièrement préoccupé par cette accumulation de retards dans le renouvellement des moyens mobiles. Il est regrettable que la police et la gendarmerie n'aient d'autre choix que de sacrifier des postes de dépense aussi essentiels sur l'autel d'autres priorités. Faute d'investissements importants, cette accélération du vieillissement du parc pourrait dégrader de manière durable leurs capacités opérationnelles. Le rapporteur sera par conséquent vigilant à ce que l'engagement pris par le ministre de l'intérieur devant la commission de procéder à des commandes supplémentaires en gestion soit tenu.

Comparaison entre les acquisitions annuelles de véhicules de la police et de la gendarmerie nationale et le seuil de renouvellement du parc

Source : Commission des lois, à partir des données de la DGPN et de la DGPN

La situation est même particulièrement critique pour le renouvellement de la flotte d'hélicoptères de la gendarmerie nationale. Sur ses 56 aéronefs, 26 sont en effet des AS 350 « Écureuils » dont l'âge moyen approche les 40 ans. Ceux-ci sont confrontés à des indisponibilités chroniques et huit d'entre eux ont déjà dus être retirés du service prématurément. Le retrait des 18 restants interviendra entre 2028 et 2030. Si les crédits exceptionnels ouverts au titre du plan de relance ont permis d'amorcer le remplacement de ces appareils, la DGGN a confirmé que le budget 2026 ne permettrait pas de financer le reste de l'effort nécessaire - à savoir une tranche complémentaire estimée à 355 millions d'euros. Le rapporteur considère qu'il y a urgence à agir en la matière car, en l'absence de décision d'ici le début 2027, la gendarmerie nationale pourrait subir une rupture capacitaire abrupte, avec des conséquences opérationnelles particulièrement dommageables en outre-mer.

*

Le rapporteur n'a pas caché sa préoccupation vis-à-vis du budget proposé en 2026 pour la mission « Sécurités » qui, certes, respecte formellement la trajectoire définie par la LOPMI mais qui, en pratique, sera loin de couvrir l'intégralité des besoins des forces de sécurité. Dans un contexte budgétaire extrêmement difficile, ce budget a au moins le mérite de sauvegarder l'essentiel. En conséquence, le rapporteur a proposé de ne pas s'opposer à l'adoption des crédits.

*

* *

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », hors programme « Sécurité civile », inscrits au projet de loi de finances pour 2026.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 12 NOVEMBRE 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport pour avis de la mission « Sécurités », à l'exception du programme « Sécurité civile », du projet de loi de finances (PLF) pour 2026.

M. Henri Leroy, rapporteur pour avis sur la mission « Sécurités » (hors programme « Sécurité civile »). - Les crédits de la police et de la gendarmerie nationales augmentent chaque année depuis 2017 et l'année 2026 ne dérogera pas à la règle. Le PLF pour 2026 prévoit ainsi une progression de 1,38 % en autorisations d'engagement (AE) et de 2,6 % en crédits de paiement (CP).

Nos forces de sécurité sont donc une nouvelle fois relativement préservées des restrictions budgétaires rendues indispensables par l'objectif gouvernemental de maîtrise des dépenses publiques. Une nouvelle fois, le régalien est protégé, et c'est heureux compte tenu de la dégradation manifeste du contexte sécuritaire dans le pays. De plus, le budget respecte pour l'essentiel la trajectoire que le Parlement a définie dans la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi). Toutefois, si la lettre de la Lopmi est respectée, je ne suis pas certain que l'on puisse en dire autant de son esprit... J'y reviendrai.

Avant de présenter les crédits 2026 dans le détail, il me semble nécessaire de revenir sur l'exécution 2025. Une fois n'est pas coutume, celle-ci se caractérise par une forte tension. Une importante annulation de crédits est intervenue en avril, avec des conséquences opérationnelles immédiates. La direction générale de la police nationale (DGPN) a ainsi été contrainte de ralentir brutalement ses investissements immobiliers pour absorber cette annulation. L'exécution n'est pas plus fluide du côté de la gendarmerie. L'exemple le plus marquant est celui de la réserve opérationnelle : le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) nous a ainsi confié avoir dû interrompre purement et simplement le recours aux réservistes à l'automne, faute de financements disponibles. Je vous laisse imaginer les conséquences et l'incompréhension sur le terrain...

La situation est donc extrêmement difficile pour nos forces de sécurité, et les augmentations de crédits prévues doivent être analysées en fonction de ce contexte.

Si l'effort budgétaire doit être apprécié à sa juste valeur, il appelle néanmoins quelques réserves. Tout d'abord, il est en volume bien moins important que l'année précédente, en croissance de 2,6 %, contre 4,4 % en 2025. Vient ensuite la question de l'asymétrie entre les forces. L'effort consenti pour la police nationale est deux fois supérieur à celui accordé à la gendarmerie nationale : 437 millions d'euros contre 200 millions d'euros. Cet écart fait bien plus que compenser le déséquilibre observé dans le sens inverse en 2025. Je ne manquerai pas d'interroger le ministre sur les raisons qui ont présidé à cet arbitrage objectivement très défavorable à la gendarmerie.

En revanche, les cibles définies par la Lopmi sont majoritairement respectées. J'y vois un signal positif et un progrès par rapport à l'année précédente, où un retard avait encore été constaté, notamment pour le programme 176 « Police nationale ».

Cet effort envers nos forces de sécurité est une absolue nécessité. Le DGPN comme le DGGN ont confirmé en audition faire face à des besoins accrus du fait de la dégradation du contexte sécuritaire. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : le total des crimes et délits enregistrés par les services de police a augmenté de 5,3 % entre 2010 et 2024. Plus préoccupant encore, les atteintes aux personnes ont progressé de 45,4 % depuis 2010, avec une explosion notamment des violences intrafamiliales enregistrées. Nous échangeons tous avec les forces de sécurité implantées dans nos départements ; le discours que nous entendons est toujours le même : la criminalité est de plus en plus structurée, de plus en plus importante et, surtout, de plus en plus violente. Je ne parle même pas de l'emprise du narcotrafic sur l'ensemble territoire - la commission d'enquête de nos collègues Étienne Blanc et Jérôme Durain a fait date sur le sujet.

Je ne suis toutefois pas certain que ce budget soit suffisant pour répondre aux enjeux, et je formulerai deux réserves.

Premièrement, si la Lopmi est respectée sur les crédits, elle ne l'est pas ou pas totalement sur les recrutements. Je rappelle que l'année 2025 a été une année blanche de ce point de vue : aucune création de postes, contre 856 initialement prévues.

Ce retard pourrait être rattrapé pour la police nationale, qui bénéficiera de 1 000 postes supplémentaires en 2026. La police sera donc remise sur les rails de son objectif de 4 000 postes à l'horizon 2027, et c'est heureux. C'est d'autant plus heureux que ces créations de postes viendront renforcer la police aux frontières - 300 postes - et, surtout, la filière investigation - 700 postes -, aujourd'hui en grande souffrance. Nos collègues Jérôme Durain et Nadine Bellurot ont encore alerté sur le sujet l'an dernier, dans le deuxième opus de leur rapport sur l'organisation de la filière judiciaire.

La situation est radicalement différente pour la gendarmerie, qui ne bénéficie pour sa part d'aucun effort de rattrapage. Les 400 créations de postes prévues correspondent à la cible Lopmi et l'année blanche de 2025 est donc en quelque sorte confirmée en 2026.

L'objectif de 3 500 créations de postes à l'horizon 2027 pour la gendarmerie est de ce fait durablement compromis, ce qui aura une incidence directe sur la création des 239 brigades promises par le ministère de l'intérieur. Près de 100 devront être créées sur la seule année 2027 si nous voulons respecter l'objectif. Je vous laisse donc juger de sa crédibilité... La situation est particulièrement préoccupante et je ne manquerai pas d'interroger le ministre sur ce point.

Deuxièmement, la lettre de la Lopmi est incontestablement respectée, mais on ne peut pas forcément en dire autant de son esprit. L'un de ses objectifs était de réduire le déséquilibre dans la structure des dépenses de la police et de la gendarmerie au profit de l'investissement et du fonctionnement. Force est toutefois de constater que les dépenses de personnel sont toujours aussi importantes : 87 % pour la police et 82 % pour la gendarmerie. Portées par l'exécution de plusieurs mesures catégorielles, les dépenses de personnel continuent à créer un effet d'éviction sur l'investissement, avec des conséquences opérationnelles certaines et potentiellement graves à terme.

J'en veux pour preuve l'exemple du renouvellement des moyens mobiles des forces de sécurité. Les lignes budgétaires ouvertes seront à nouveau insuffisantes pour garantir le renouvellement de parcs toujours plus vieillissants.

Côté police nationale, 2 900 acquisitions de véhicules pourront être financées en 2026. C'est légèrement au-dessus du seuil de renouvellement, fixé à 2 500, mais cet effort ne permettra pas de combler le déficit accumulé sur les deux dernières années. Seuls 2 500 véhicules ont été achetés sur ces deux années, alors qu'il en aurait fallu 5 000.

La situation est plus inquiétante encore côté gendarmerie, où les besoins sont plus forts, les gendarmes parcourant par définition bien plus de kilomètres que les policiers. Ils couvrent 95 % du territoire national et 50 % de la population.

En 2026, entre 600 et 800 véhicules pourront être achetés, soit 3 000 de moins que ce qu'il faudrait, sachant que la gendarmerie a accumulé une « dette » de 6 500 véhicules sur les deux dernières années. Le DGGN me l'a confirmé : il est maintenant monnaie courante que les gendarmes se déplacent dans des véhicules ayant allégrement dépassé la barre des 300 000 kilomètres... Dans ce contexte, je tiens à saluer solennellement l'action des forces sur le terrain, qui font beaucoup à partir de pas grand-chose.

Je termine enfin sur la situation particulièrement critique de la flotte d'hélicoptères de la gendarmerie nationale. Elle comprend encore 26 hélicoptères AS 350, les fameux « écureuils », qui ont 40 ans de moyenne d'âge et dont un quart a déjà été remisé au hangar... Le renouvellement du reste est urgent et devra en tout état de cause intervenir d'ici à 2028. Sauf que le budget pour 2026 ne le finance pas... Je suis particulièrement préoccupé par ce sujet, car, faute de décision d'ici début 2027, la gendarmerie pourrait subir une rupture capacitaire abrupte, avec des conséquences opérationnelles particulièrement dommageables en outre-mer.

Vous en conviendrez, la situation de nos forces de sécurité est inquiétante et justifierait un investissement massif. Quelles conclusions devons-nous toutefois en tirer pour le budget 2026 ?

Comme je le rappelais en introduction, ce budget doit être replacé dans un contexte plus général de maîtrise des dépenses publiques. Certes, il n'est pas suffisant ; certes, le respect de la Lopmi n'est pas intégral. Pour autant, je rejoins l'avis de Bruno Belin, rapporteur spécial de la commission des finances : au vu de la dégradation très importante des finances publiques, ce projet de budget a au moins le mérite de sauvegarder l'essentiel. J'aurais préféré à titre personnel qu'il soit plus important, mais je constate qu'il préserve autant que faire se peut nos forces de sécurité dans une période où nous devons tous faire preuve de responsabilité.

Sans préjuger de ce que pourra nous dire le ministre de l'intérieur cet après-midi, je vous appellerai donc, mes chers collègues, à ne pas vous opposer à l'adoption des crédits de la police et de la gendarmerie nationales.

Mme Audrey Linkenheld. - Il nous sera difficile de nous opposer à ce budget, mais nous attendons l'audition du ministre et le sort réservé à nos amendements pour savoir si nous émettons in fine un avis favorable.

Nous sommes globalement en phase avec le diagnostic posé par notre collègue Henri Leroy. Dans le contexte budgétaire actuel, nous n'allons pas regretter les emplois supplémentaires proposés pour la police et la gendarmerie. La trajectoire de la Lopmi est respectée, même si nous restons en dessous du niveau des effectifs de 2007, avant la révision générale des politiques publiques (RGPP). Or, depuis lors, les enjeux en matière de sécurité intérieure n'ont pas diminué, bien au contraire. Il est donc parfaitement légitime de considérer que, malgré ces augmentations, des effectifs supplémentaires seraient encore nécessaires pour répondre à l'intégralité des besoins. Nous partageons également le constat du rapporteur sur le contraste entre la dotation de la police et celle de la gendarmerie.

Un effort indéniable est fait sur la police judiciaire, même s'il n'est sans doute pas suffisant, puisqu'il manquerait encore 2 500 enquêteurs en France d'après les syndicats. En revanche, on peut s'étonner que la police aux frontières voie ses effectifs augmenter de 288 équivalents temps plein (ETP) quand la police de proximité du quotidien voit dans le même temps ses effectifs diminuer. C'est là un drôle de symbole que certains approuvent peut-être, mais sur lequel, de notre côté, nous nous interrogeons.

Se pose aussi la question des moyens de fonctionnement et d'investissement, un enjeu important d'attractivité et de fidélisation pour les métiers de la sécurité intérieure. Quand on a des voitures, des motos, des avions, des casernes, des bureaux et du matériel informatique vieillissants, les conditions de travail en pâtissent, de même que la manière dont on accueille les citoyens.

De même, s'agissant des moyens de formation initiale et continue, ils sont a priori stables, mais je regrette qu'ils soient fondus dans les moyens généraux de fonctionnement, ce qui induit un manque de transparence budgétaire sur ce poste.

J'ajoute un dernier point sur l'importance de la « dette grise » de la gendarmerie, conséquence d'un manque d'investissement dans son patrimoine immobilier qui s'explique aussi par la part croissante des loyers dans son budget depuis que le parc locatif a été privilégié. Pour l'instant, nous ne voyons pas l'amorce d'un changement d'orientation, qui serait pourtant souhaitable.

Mme Isabelle Florennes. - Monsieur le rapporteur, nous rejoignons votre parti, celui du « moindre mal ».

J'interrogerai toutefois le ministre, cet après-midi, sur trois points qui m'ont particulièrement interpelée lors des auditions que nous avons menées.

Premièrement, l'audition du Conseil supérieur de la fonction militaire de la gendarmerie m'a alarmé sur le moral des troupes, qui semble nettement se dégrader. Et le DGGN a lancé un véritable cri d'alarme sur la couverture territoriale.

Deuxièmement, je note un problème de cohérence sur les crédits de la réserve opérationnelle. Un objectif ambitieux de recrutement de 50 000 réservistes d'ici à 2027 a été fixé. Nous atteignons déjà les 39 000, et les préparations militaires sont pleines, ce qui est encourageant. En revanche, il arrive souvent qu'on ne puisse pas les envoyer en mission faute de crédits suffisants pour les rémunérer...

Troisièmement, je relève que, de plus en plus, le manque de crédits pour les forces de sécurité est compensé par les collectivités locales. Équipements, prêt de véhicules, centres de supervision : ce sont souvent les collectivités qui investissent pour la police nationale, notamment dans les agglomérations.

M. Alain Marc. - En notre qualité de sénateurs, nous sommes en relation permanente avec les policiers et les gendarmes sur le terrain. Depuis 2004, le commissariat de Rodez a perdu trente policiers nationaux. On dit souvent que les municipalités gaspillent de l'argent, mais elles doivent embaucher de plus en plus de policiers municipaux pour compenser le désengagement de l'État. Ces efforts doivent être pris en compte.

Concernant la gendarmerie, je souhaite aborder deux points en particulier. Le premier a trait à la formation des nouvelles recrues. Autrefois, les gendarmes allaient au contact de la population, au point que nous avions l'un des meilleurs services de renseignement du monde grâce à la gendarmerie. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, nos jeunes gendarmes connaissent moins leur territoire et perdent peut-être de ce fait en efficacité.

Le deuxième a trait aux véhicules saisis mis à la disposition des forces de sécurité. Combien de véhicules l'ont-ils été l'an dernier ? Il me semblait que le Sénat avait simplifié les procédures pour que ces véhicules soient rapidement mis à la disposition de nos policiers et de nos gendarmes.

M. Michel Masset. - Je rejoins mon collègue Alain Marc : alors que les gendarmes passaient beaucoup de temps avec les élus et la population, on voit aujourd'hui moins de « bleu » sur le terrain. Il faut dire aussi que les charges administratives se sont nettement accrues.

Même si nous déplorons que la gendarmerie soit relativement maltraitée par ce budget, le RDSE ne s'opposera pas à ces crédits. Je serai pour ma part très attentif au nouveau mode de financement des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), à la suite du Beauvau de la sécurité civile.

Mme Audrey Linkenheld. - Les difficultés propres aux territoires d'outre-mer nécessitent aussi un déploiement accru de forces de gendarmerie, en particulier mobiles, qui pèse sur les effectifs disponibles pour le territoire métropolitain.

M. Henri Leroy, rapporteur pour avis. - Les efforts consentis pour la police judiciaire étaient nécessaires ; ils constituent un début de réponse à l'augmentation de la criminalité et de la violence.

Les moyens de la police et de la gendarmerie sont vétustes. Nous le dénonçons chaque année, au-delà des clivages politiques, puisque Jérôme Durain et moi-même sommes parvenus à un diagnostic commun sur l'état de nos forces de sécurité dans le cadre du Beauvau de la sécurité. Des efforts ont été faits, mais ils restent insuffisants. Même si les missions de sécurité sont, avec les armées, les seules à voir leurs moyens augmenter, les crédits alloués ne suffisent pas à résorber le passif.

Cette année, j'ai notamment été très surpris d'entendre le DGGN affirmer qu'il ne serait plus en mesure d'exécuter ses missions, faute de moyens. Certes, il est issu du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), c'est donc un homme d'action, mais le constat qu'il dresse est alarmant, notamment sur les hélicoptères.

Quant à l'outre-mer, il faut savoir que seuls les meilleurs gendarmes y sont affectés. Dans ces territoires, la gendarmerie assure des missions qui ne lui sont pas traditionnellement attribuées, comme celles d'huissier ou d'intervention pour des problèmes familiaux. Ces territoires mobilisent en effet des effectifs qui amputent d'autant les moyens métropolitains - une vingtaine d'escadrons de gendarmerie sont déployés en Nouvelle-Calédonie - ; pour autant, ces territoires mériteraient une attention encore plus soutenue.

La réserve opérationnelle de la police nationale a été créée grâce au Sénat, sur le modèle de celle de la gendarmerie nationale, qui est indispensable à son bon fonctionnement. Il faut évidemment que les moyens suivent.

La gendarmerie a en effet perdu une part de son ADN. Elle avait été conçue comme une toile d'araignée capable, sur les territoires, de prendre contact aussi bien avec les élus, les familles ou les lobbys. Mais aujourd'hui, les gendarmes, accaparés par leurs missions de sécurité civile et de surveillance du territoire, n'ont plus le temps d'effectuer les anciennes « tournées de communes », qui permettaient d'établir un contact avec la population.

Pour répondre au constat selon lequel il y a moins de « bleu » sur le terrain, il avait été décidé dans la Lopmi, à la suite du rapport que nous avions transmis au ministre, de multiplier par deux les effectifs sur le terrain. Mais il manque 3 500 ETP dans la gendarmerie, et les 400 ETP prévus pour 2026 ne combleront même pas la moitié du déficit des deux années précédentes.

Concernant les véhicules saisis, certains sont en effet attribués aux forces de sécurité, mais principalement à la police. En 2024, 130 véhicules ont fait l'objet d'une saisie-affectation dans le cadre de dossiers de trafics de stupéfiants. Ce chiffre monte à 743 avec l'ensemble des infractions. Quoi qu'il en soit, on est bien loin des 3 600 véhicules manquants.

Il est faux de dire que la gendarmerie manque d'attractivité. Elle attire douze candidats pour un poste, contre deux pour un du côté de la police. Le vrai problème, en réalité, réside dans la durée des carrières. Certains gendarmes ne restent parfois que trois, cinq ou dix ans en poste.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Sur les véhicules saisis, les gendarmes souhaitaient surtout pouvoir disposer de véhicules banalisés quelconques pour les filatures, plutôt que de véhicules classiques « logotés ». Il y avait toutefois un obstacle législatif : dès lors qu'une juridiction était saisie, il devenait impossible d'attribuer le véhicule jusqu'à sa confiscation éventuelle par la justice. Les véhicules étaient donc mis en gardiennage sans pouvoir être utilisés et leur valeur se dépréciait. Une loi est venue permettre cette affectation pendant la durée des procédures, mais comme elle est assez récente, nous ne pouvons pas encore évaluer précisément son effectivité.

M. Alain Marc. - Dans le département de l'Aveyron, j'ai vu deux véhicules rapides mis à disposition de la gendarmerie après avoir été saisis. Ils étaient très utiles aux gendarmes pour intervenir sur l'autoroute.

Mme Cécile Cukierman. - Nous avons évoqué le manque de véhicules. J'ai aussi en tête ces années où, à compter du 1er décembre, les crédits alloués à l'achat de carburant étaient épuisés dans un certain nombre de gendarmeries et de commissariats...

Quelles que soient les réponses du ministre ce soir, et même si nous partageons un certain nombre des constats dressés par le rapporteur, notre groupe ne votera pas les crédits de cette mission, car, chaque année, la situation est un peu plus préoccupante.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Je vous propose que nous émettions notre avis sur les crédits de la mission « Sécurités » à l'issue de l'audition du ministre de l'intérieur, qui se déroulera cet après-midi après les questions d'actualité au Gouvernement.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », hors crédits du programme « Sécurité civile ».

COMPTE-RENDU DE L'AUDITION DE M. LAURENT NUNEZ, MINISTRE DE L'INTÉRIEUR

Mme Muriel Jourda, présidente. - Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue devant notre commission, qui n'a pas encore eu l'occasion de vous entendre depuis votre entrée en fonctions. Nous sommes heureux de vous accueillir dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2026. Comme la précédente, cette loi de finances s'inscrit non seulement dans la poursuite d'un effort de maîtrise de la dépense publique, mais aussi dans un contexte politique particulièrement difficile.

Nous notons que les trois missions budgétaires dont vous avez la charge - « Immigration, asile et intégration », « Sécurités » et « Administration générale et territoriale de l'État » - voient leurs crédits augmenter. Il s'agit d'un effort assez important, que l'on ne saurait minimiser, et qui témoigne du caractère prioritaire de ces politiques publiques régaliennes. Toutefois, l'augmentation globale des crédits masque parfois des variations importantes parmi les composantes des dépenses, qui traduisent certains choix politiques.

Comme de coutume, je vous laisse la parole afin que vous nous présentiez les grandes lignes du projet de budget 2026 du ministère de l'intérieur. Les rapporteurs de la commission puis l'ensemble des commissaires vous poseront ensuite leurs questions.

M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur. - Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un honneur d'être auditionné par votre commission pour défendre le projet de budget du ministère de l'intérieur pour 2026. Ce budget doit permettre d'assurer le financement des priorités indispensables pour rendre un service public de meilleure qualité, protéger nos concitoyens et lutter contre toutes les menaces que nous connaissons actuellement, en premier lieu desquelles le narcotrafic et le terrorisme.

Les crédits du ministère de l'intérieur pour 2026 s'établissent à 24,5 milliards d'euros, dont 15,4 milliards au titre de la masse salariale hors pension, et 9 milliards de dépenses de fonctionnement et d'investissement. La masse salariale représente 63 % du budget global du ministère ; elle est en diminution d'un point, puisque, dans le cadre de la loi de finances initiale (LFI) pour 2024, elle s'établissait à 64,1 %. Cette orientation, conforme à l'ambition initiale de la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), correspond à l'objectif de garantir aux agents du ministère d'exercer leurs missions dans de bonnes conditions matérielles, tout en modernisant les modalités de notre action.

Notre budget augmente de 587 millions d'euros, dont 200 millions au titre des dépenses électorales, servant à financer l'organisation des prochaines élections municipales et sénatoriales. Cette augmentation, bien qu'elle ne corresponde pas à l'euro près à la trajectoire initiale prévue par la Lopmi, permet de répondre aux besoins de modernisation du ministère. En effet, l'évolution des crédits de la mission « Sécurités » et du programme « Administration territoriale de l'État » est supérieure à celle qui était initialement prévue dans la loi d'orientation, grâce aux économies réalisées sur le programme « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ». Aussi le ministère de l'intérieur contribue-t-il au redressement des comptes publics, tout en finançant ses priorités en cohérence avec les ambitions de la Lopmi et en réalisant des économies sur ses fonctions support.

Ainsi, le budget pour 2026 permettra la création de 1 600 équivalents temps plein (ETP), indispensable pour assumer des missions dont le nombre augmente fortement. Il est réparti de la façon suivante : la mission « Sécurités » se voit attribuer 17,7 milliards d'euros, soit 72,3 % du budget du ministère de l'intérieur ; cette somme augmente de 371 millions d'euros par rapport à celle qui était prévue par la LFI pour 2025, et est supérieure de 103 millions d'euros à la trajectoire prévue par la Lopmi.

Nous prévoyons 2,2 milliards d'euros pour la mission « Immigration, asile et intégration », soit 8,8 % du budget du ministère, ce qui correspond à une augmentation de 80 millions d'euros par rapport à la LFI pour 2025.

Quant à la mission « Administration générale et territoriale de l'État », 3,9 milliards d'euros de crédits sont inscrits en excluant le programme « Vie politique » dépendant du calendrier électoral, soit 16,1 % du budget ministériel. Cette somme est en diminution de 72 millions d'euros par rapport à 2025, du fait des économies que j'évoquais à l'instant.

Sur la base de ce cadrage macrobudgétaire, je vous propose de détailler succinctement chacune des missions précitées, ce qui permettra de présenter les principales hypothèses retenues pour la construction du budget qui sera soumis à votre vote.

Au sein de la mission « Sécurités », les crédits du programme « Police nationale » augmentent de 158,7 millions d'euros par rapport à 2025. Nous pouvons ainsi financer les priorités suivantes : la création de 1 000 ETP supplémentaires pour répondre aux enjeux de la filière investigation, mais aussi pour armer les centres de rétention administrative (CRA) livrés l'année prochaine, en particulier à Dunkerque ; le financement du « plan investigation » dans ses autres composantes qu'humaines, en particulier le renforcement de l'équipement numérique des services ; la poursuite de l'effort en matière de transformation numérique, pour améliorer tant les conditions de travail des policiers que leur relation aux usagers - je songe notamment à l'acquisition de drones, à la lutte antidrone ou à la vidéoprotection de la préfecture de police ; la garantie d'un équipement adapté pour assurer la sécurité et l'efficacité des personnels, pour lesquels nous poursuivons évidemment nos efforts en 2026. En outre, le maintien des crédits immobiliers à un niveau élevé - 283 millions d'euros - permet de couvrir les dépenses déjà engagées, notamment les travaux de l'hôtel des polices de Nice, mais aussi d'accompagner les nouveaux programmes immobiliers.

Le budget du programme « Gendarmerie nationale » augmente de 163 millions d'euros. Il servira notamment à financer la création des 400 emplois nécessaires au déploiement des nouvelles brigades souhaitées par le Président de la République - nous prévoyons le déploiement de 58 unités en 2026. Nous poursuivons l'effort en matière immobilière, les crédits dédiés augmentant de 100 millions d'euros par rapport à 2025 pour s'établir à 279 millions d'euros en crédits de paiement. À cela s'ajoute l'autorisation interministérielle de lancer la consultation d'entreprises pour la rénovation du site de Satory, dans le cadre d'un partenariat public-privé. Le renforcement de la présence sur la voie publique est assuré par l'augmentation de 100 millions d'euros des crédits en faveur de la réserve opérationnelle - je détaillerai ce sujet en réponse à vos questions. Nous assurerons également la fourniture de certains équipements prioritaires, tels que les véhicules de maintien de l'ordre.

Les crédits du programme « Sécurité civile » augmentent de 49,8 millions d'euros, ce qui permet de financer la création de 50 emplois nouveaux, nécessaires notamment pour poursuivre la montée en puissance du quatrième régiment de sécurité civile, l'acquisition de deux nouveaux canadairs ou encore le renouvellement de la flotte d'hélicoptères.

Enfin, le budget de l'action « Sécurité et éducation routières » est stable par rapport à 2025. L'objectif prioritaire reste la diminution du délai de passage du permis de conduire. À cet effet, la mission « Administration générale et territoriale de l'État » porte la création de 10 emplois d'inspecteurs du permis de conduire.

Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » augmentent de 80 millions d'euros par rapport à 2025. Cette hausse permettra d'accompagner la mise en oeuvre du pacte européen sur la migration et l'asile, de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, ainsi que la réalisation du plan visant à créer 3 000 places dans les CRA. Nous prévoyons la livraison de deux nouveaux centres en 2026, à Dunkerque et à Bordeaux, ainsi que la création de 52 places dans le CRA de Rennes et celle de 28 places dans celui de Metz. La dernière grande priorité de cette mission est la poursuite du déploiement des grands programmes numériques, en particulier de l'administration numérique pour les étrangers en France (Anef), qui doit être sécurisé pour faciliter le travail des agents et améliorer l'accueil des usagers.

Enfin, les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » se répartissent de la façon suivante. Le budget du programme « Administration territoriale de l'État » augmente de 64 millions d'euros, ce qui permet de financer la création de 50 ETP supplémentaires et de poursuivre le rattrapage du retard d'investissement dans l'immobilier de l'administration territoriale de l'État, ainsi que la modernisation des infrastructures de services numériques.

Les crédits du programme « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » diminuent quant à eux de 134 millions d'euros, notamment en raison de la révision du calendrier de paiement des grands projets, en particulier celui du site unique de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), ou à cause de la prise en compte des taux de couverture en matière de vidéoprotection. Les moyens alloués permettront de poursuivre l'effort en matière numérique dans le contexte du déploiement à venir du réseau Radio du futur, mais aussi de financer la mobilisation de l'intelligence artificielle pour optimiser les processus métiers, le portage des projets du site unique de la DGSI et d'Universeine, où le regroupement de plusieurs administrations centrales permettra de réaliser à terme des économies de 35 millions d'euros par an. Enfin, nous poursuivons l'effort en matière d'action sociale, avec une hausse de plus de 10 millions d'euros, et nous créons 50 emplois visant à assurer la réinternalisation des compétences, notamment en matière numérique, qui permettront de futures économies.

Ainsi que je l'indiquais, les crédits du programme « Vie politique » augmentent de 200 millions d'euros pour financer l'organisation des élections municipales et sénatoriales.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le constatez, le budget du ministère de l'intérieur pour 2026 permet de poursuivre la modernisation et la dynamisation des services dans le souci de rendre le meilleur service au public, tout en garantissant de bonnes conditions de travail aux personnels présents sur l'ensemble du territoire national. Je le souligne, le ministère parvient à trouver un équilibre entre sa contribution au redressement des comptes publics - j'ai souligné les efforts importants en la matière - et le maintien du financement de ses priorités.

Enfin, j'appelle votre attention sur les mesures de la première partie du projet de loi de finances qui concernent le ministère de l'intérieur. Elles visent notamment à augmenter les frais administratifs payés par les étrangers, afin que le coût d'obtention d'un titre - qu'il s'agisse du timbre fiscal pour la demande d'une carte de séjour, des frais appliqués pour l'échange de permis de conduire étrangers ou des demandes de naturalisation, etc. - s'inscrive dans la moyenne européenne et soit supérieur aux coûts des titres nationaux actuellement pratiqués, pour tenir compte de l'augmentation des frais de gestion. Ces recettes supplémentaires soumises à votre vote bénéficieraient au budget du ministère de l'intérieur et serviraient à renforcer la politique d'intégration, en permettant notamment aux préfets d'accompagner la mise en oeuvre de la circulaire du 26 juin 2025 sur l'insertion professionnelle des étrangers en situation régulière, qui, ainsi que je l'affirmais à l'instant lors de la séance de questions au Gouvernement, n'est évidemment pas remise en cause.

M. Henri Leroy, rapporteur pour avis de la mission « Sécurités ». - Monsieur le ministre, afin que nous comprenions mieux la répartition des crédits entre les programmes 152 « Gendarmerie nationale » et 176 « Police nationale », j'aurai quatre questions à vous poser.

Premièrement, je constate avec satisfaction que le budget proposé pour 2026 respecte les ciblées fixées par la Lopmi, voire les dépasse dans certains cas. Pour autant, la Lopmi avait également pour objectif de rééquilibrer les dépenses au profit du fonctionnement et de l'investissement. Or le déséquilibre entre ces dernières et la courbe ascendante des dépenses de personnel ne semble pas se résorber, faisant courir à long terme un risque sur le maintien des capacités opérationnelles. Quelles actions comptez-vous engager pour rééquilibrer la répartition des dépenses, comme le préconisait la Lopmi ?

Deuxièmement, les cibles de recrutement fixées par la Lopmi pour l'année 2025 n'ont pas été respectées : les schémas d'emplois des programmes 152 et 176 étaient neutres. Si la création de 1 000 ETP pour la police nationale permet un rattrapage partiel en 2026 de cette année blanche, il n'en va pas de même pour la gendarmerie qui, avec seulement 400 postes créés, voit cette année blanche « confirmée ». Quelles raisons ont présidé à cet arbitrage, qui revient de facto à privilégier la sauvegarde de la trajectoire du programme 176 sur celle du programme 152 ? Un rattrapage est-il prévu en 2027 ? Quel sera l'impact de cette décision sur le respect du plan de création de 239 brigades de gendarmerie, dont près de la moitié, à savoir 101, devront être financées durant la dernière année de programmation ?

Troisièmement, le renouvellement du parc automobile accumule les retards. Si les crédits ouverts pour la police nationale sont pour la première fois en trois ans supérieurs au seuil de renouvellement - 2 900 acquisitions de véhicules sont programmées, pour un seuil fixé à 2 500 -, ils ne combleront que partiellement les manques de 2024 et de 2025. Les chiffres sont encore plus dégradés pour la gendarmerie, pour laquelle entre 600 et 700 acquisitions de véhicules sont programmées en 2026, quand le seuil de renouvellement du parc est fixé à 3 750 véhicules. Monsieur le ministre, vous le savez très bien pour être un ancien de la maison, le vieillissement accéléré du parc a déjà des conséquences opérationnelles. Quels leviers d'action comptez-vous employer pour inverser cette tendance ?

Enfin, quatrièmement, le renouvellement de la flotte d'hélicoptères de la gendarmerie nationale, les fameux AS350 Écureuils, est pressant : les 26 aéronefs, dont la moyenne d'âge approche les 40 ans, sont soit déjà hors service soit en passe d'être retirés du service. Faute de moyens suffisants, la gendarmerie pourrait rapidement subir une rupture capacitaire majeure dans les airs. Ma question est donc simple : les financements vont-ils être mis sur la table, et quand ? Il y a désormais urgence ; je le rappelle, il manque encore 355 millions d'euros pour financer ce renouvellement.

M. Bruno Belin, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Sécurités ». - Lors de la présentation des crédits de cette mission, la commission des finances a soulevé les mêmes points qu'Henri Leroy vient de mentionner. Un effort soutenu est réalisé pour la police nationale : dont acte. En ce qui concerne la sécurité routière, le montant prévu de 10 ETP supplémentaires semble très faible devant les difficultés pour faire passer les examens du permis de conduire.

Effectivement, les crédits affectés à la gendarmerie nationale posent d'importants problèmes. Bien sûr, un effort particulier a été fait sur l'immobilier, grâce notamment à un rapport sénatorial - veuillez excuser ce manque d'humilité, mais si les travaux commencent enfin à Dijon ou à Satory, c'est bien parce que le sujet de l'immobilier a été soulevé par le Sénat.

Ainsi qu'Henri Leroy l'a indiqué, en ce qui concerne les moyens humains, les postes dont la création est prévue par le PLF 2026 sont en réalité ceux qui étaient prévus dans le budget de l'année passée. Il y a un décalage, et la différence est donc nulle : il n'y a pas de création de postes.

En outre, de grosses difficultés concernent les matériels : rien n'est prévu pour le remplacement des Famas, les fusils d'assaut de la manufacture d'armes de Saint-Étienne ; or je ne vois pas comment des militaires sont utiles s'ils n'ont pas d'armes. Par ailleurs, les arbitrages ont fait que, sur les 26 nouveaux hélicoptères prévus par le budget de l'an passé, 24 ont été attribués à la sécurité civile. Même si ce choix était sans doute justifié, nous nous accordons tous pour dire que ces hélicoptères sont indispensables pour la surveillance du territoire. Il y a là un vrai point d'alerte.

Enfin, nous lançons une autre alerte au sujet de la réserve opérationnelle, tant de la police nationale que de la gendarmerie nationale. Nous trouvons les moyens humains, mais il faut aussi équiper les 40 000 à 50 000 volontaires qui souhaitent y entrer. Nous insistons en particulier sur les véhicules : il faudrait 3 000 véhicules supplémentaires pour assurer le renouvellement de la flotte, mais seulement 600 nouveaux véhicules sont prévus, soit 6 par département...

M. David Margueritte, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Monsieur le ministre, mon collègue Olivier Bitz et moi-même avons cinq questions à vous poser.

Premièrement, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » augmentent de manière significative, notamment pour accroître les capacités de rétention et le nombre de zones d'attente. Nous nous en réjouissons, car il s'agit en effet d'une priorité. Néanmoins, cette augmentation doit être mise en regard de la sous-consommation chronique des crédits liés à l'investissement dans ces programmes immobiliers, qui semble, d'après les premiers éléments dont nous disposons, se poursuivre en 2025. L'atteinte de l'objectif de 3 000 places en CRA en métropole a été décalée de deux ans -de 2027 à 2029 - par rapport au calendrier fixé par la Lopmi, en raison notamment des difficultés rencontrées dans certains territoires, qu'il s'agisse de problèmes fonciers ou d'acceptabilité des projets. Monsieur le ministre, pouvez-vous garantir que ces 3 000 places pourront bien voir le jour d'ici à 2029 ?

Deuxièmement, malgré l'amélioration qui se dessine en 2025 en matière d'exécution des mesures d'éloignement, le compte n'y est pas encore, au moins pour deux raisons. D'une part, il faut tenir compte de l'insuffisante capacité de rétention dans les centres. Durant la séance de questions au Gouvernement, nous avons d'ailleurs entendu Marie-Carole Ciuntu s'interroger sur le rôle des associations et rappeler que sa proposition de loi relative à l'information et l'assistance juridiques en rétention administrative et en zone d'attente, adoptée par le Sénat, a été transmise à l'Assemblée nationale. D'autre part, plus essentiellement, le compte n'y est pas en raison de l'absence de coopération des États tiers, notamment de l'Algérie, d'où 40 % de la population des CRA est originaire. Le refus d'appliquer le protocole d'accord sur les réadmissions de 1994 et l'arrêt de la coopération consulaire posent de vraies difficultés. Quelles mesures concrètes proposez-vous pour restaurer le rapport de force avec les autorités algériennes ?

Ma troisième question concerne le pacte européen sur la migration et l'asile, qui entrera en application le 12 juin prochain. 85 millions d'euros sont inscrits au PLF 2026 pour l'application de ce pacte, mais en décembre dernier il était plutôt question de 150 millions d'euros. Comment expliquez-vous cet écart ? En outre, tous les acteurs que nous avons reçus nous ont fait part de leurs incertitudes quant à l'application de cette nouvelle réglementation : quand sera déposé un projet de loi visant à préciser ses conditions d'application ?

Quatrièmement, le PLF 2026 prévoit un budget constant en ce qui concerne la formation linguistique et civique, dans un contexte d'augmentation des exigences prévue par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Il semblerait que l'on constate une dégradation de la qualité des formations, liée à leur passage intégral dans un format distanciel - à l'exception de celles destinées aux non-lecteurs et non-scripteurs. Pourriez-vous nous rassurer quant aux conséquences de la transition vers des formations entièrement en distanciel ?

Enfin, avec ma dernière question, je me fais le relais des élus du littoral de la Manche et de la mer du Nord. Les difficultés s'accroissent en raison de l'augmentation manifeste du nombre de migrants qui cherchent à joindre illégalement le Royaume-Uni. Quelles actions pouvez-vous mettre en place d'urgence, et quel premier bilan tirez-vous de l'accord franco-britannique signé l'été dernier ?

Mme Muriel Jourda, présidente. - Monsieur le ministre, mes chers collègues, je me permets de me substituer à nos rapporteurs pour avis qui n'ont pas pu assister à notre réunion.

Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis de notre commission sur le programme « Sécurité civile », souligne que l'acquisition d'avions bombardiers d'eau au niveau européen dépend actuellement d'un acteur canadien, en l'absence d'une production industrielle sur le territoire de l'Union européenne. Le ministère de l'intérieur a signé des lettres d'intention à destination de certains porteurs de projets européens. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer plus précisément quelles suites pourraient être apportées à cette démarche et s'il sera possible, à plus ou moins court terme, de passer commande auprès de ces porteurs de projets européens ?

Monsieur le ministre, Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » (AGTE), souhaite vous interroger sur le rôle du préfet, renforcé par des mesures réglementaires publiées durant l'été 2025. Devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, vous aviez indiqué vouloir faire vivre cette politique à travers le prochain acte de décentralisation, ce qui nous convient. Toutefois, aucun moyen budgétaire spécifique n'est prévu pour accompagner cette ambition. Comment le préfet peut-il devenir le patron des services de l'État sans les moyens budgétaires associés ?

Par ailleurs, nous achevons le cycle 2022-2025 des missions prioritaires des préfectures. À moins que ces missions ne disparaissent, ce dont je doute, quel cap entendez-vous désormais donner aux agents de l'administration déconcentrée ?

Concernant les effectifs de l'administration territoriale de l'État, les schémas d'emplois déjà réalisés, conjugués aux redéploiements réalisés en 2024 et à l'annonce de la création de 50 ETP en 2026, ont permis de déployer 365 postes supplémentaires depuis 2023. Cette administration, qui compte près de 30 000 ETP, a perdu 4 700 ETP entre 2010 et 2020 alors que sa charge d'activité ne cesse de croître. En dix ans, le nombre de titres de séjour délivrés a augmenté de 56 %, tandis que les effectifs des services ont progressé de 30 %. On peut certes avancer qu'il faut tenir compte d'une amélioration de la productivité, mais cela provoque en réalité un allongement des délais et une détérioration du service. Un quart des sous-préfectures ne sont plus en mesure d'accueillir du public, alors que la proximité constitue le fondement de l'État territorial - je sais que vous partagez cette opinion, monsieur le ministre. Dès lors, comment enrayer la dégradation des services, qui pèse à la fois sur les usagers et sur les agents ?

M. Laurent Nunez, ministre. - Messieurs les sénateurs Leroy et Belin, vous avez raison : même si un certain nombre d'hélicoptères de la sécurité civile ont été renouvelés, le renouvellement de la flotte d'hélicoptères de la gendarmerie nationale est un enjeu opérationnel pour le ministère. Ainsi que je l'ai annoncé au directeur général de la gendarmerie nationale et aux représentants de la gendarmerie nationale, des travaux sont en cours pour déterminer le volume d'hélicoptères, notamment les H145, qu'il est nécessaire de commander. Nous allons lancer des travaux supplémentaires afin d'ouvrir la discussion avec le ministère des comptes publics dans la perspective du projet de loi de finances pour 2027. Pour autant, nous avons débuté le renouvellement de la flotte d'hélicoptères de la gendarmerie nationale. Dans le cadre du plan de relance, nous avons commandé dix H160 et six H145 en 2024 pour débuter le remplacement de la flotte d'Écureuils, deux d'entre eux ayant d'ailleurs été financés dans le cadre des accords de Sandhurst.

Le renouvellement du parc automobile est effectivement une question extrêmement sensible, d'autant plus que ces équipements structurants n'ont pas été renouvelés de manière linéaire ces dernières années. Des efforts très importants ont été faits dans le cadre du plan de relance en 2021-2022, permettant l'acquisition de 12 000 véhicules. Aujourd'hui, dans le contexte financier contraint actuel, la programmation des moyens mobiles s'organise en deux temps. Comme vous l'avez rappelé, dans un premier temps, le PLF pour 2026 prévoit le renouvellement de 2 900 véhicules pour la police nationale et de 600 véhicules pour la gendarmerie. En accord avec le ministre Bruno Retailleau, dont je prolonge l'action, la gendarmerie a privilégié la poursuite du renforcement des moyens financiers alloués à l'immobilier, lesquels augmentent de 100 millions d'euros. Une seconde étape est évidemment prévue. Je ne peux pas m'engager sur des chiffres, mais, ainsi que nous l'avons indiqué aux représentants de la gendarmerie, des commandes complémentaires seront passées dans le cadre du projet de loi de fin de gestion, en fonction des moyens financiers qu'il sera possible de dégager. Nous donnerons alors clairement la priorité aux moyens mobiles. Les travaux sont en cours et, dans ce cadre, il sera possible de procéder à des acquisitions supplémentaires.

Pour ce qui concerne l'évolution du schéma d'emplois, le ministère de l'intérieur a bénéficié d'un arbitrage favorable dans le PLF 2026. Je le répète, même si nous ne respectons pas forcément les trajectoires prévues par la Lopmi, ces arbitrages nous permettent de créer 1 600 ETP, dont 1 450 seront affectés au bénéfice des missions de sécurité - 1 000 pour la police nationale, 400 pour la gendarmerie nationale et 50 pour la sécurité civile. En outre, même si ces emplois ne sont pas portés par la mission « Sécurités » et bien que le chiffre paraisse insatisfaisant, nous avons tout de même prévu la création de 10 emplois d'inspecteurs du permis de conduire.

La répartition de ces créations d'emplois repose sur une démarche pragmatique. Nous avons voulu nous concentrer sur nos priorités. Pour la gendarmerie, 400 emplois sont créés au bénéfice des nouvelles brigades, dont nous poursuivons la création. Une centaine d'entre elles ont déjà été créées, et nous prévoyons d'en créer 58 autres en 2026. Il y aura évidemment une troisième année et un troisième cycle de création. Nous avons fléché ces crédits sur les brigades territoriales, qu'elles soient fixes ou mobiles.

Au sujet des moyens de la police aux frontières, nous avons également prévu la création d'effectifs pour armer les CRA. Deux CRA seront créés, et deux autres seront étendus. Il s'agit également d'armer les équipes pour assurer le déploiement du système européen d'entrée et de sortie (EES).

Nous prévoyons ensuite le renforcement de la filière investigation en matière de police. Je présenterai prochainement le « plan investigation » préparé par mon prédécesseur aux organisations syndicales. Ce plan me convient ; évidemment, je devrai également en discuter avec le garde des sceaux, lui aussi concerné. L'affectation de nos ETP correspond donc à la volonté de répondre à nos priorités. Nous avons d'ailleurs attribué une trentaine d'ETP pour assurer la montée en puissance du quatrième régiment de sécurité civile.

Monsieur le sénateur Leroy, vous avez raison de souligner l'éviction des dépenses salariales sur les dépenses de fonctionnement et d'investissement. Nous avons subi les effets de certaines mesures salariales générales, notamment les mesures dites Guerini, c'est-à-dire la revalorisation du point d'indice et l'ajout de cinq points d'indice majorés pour chaque fonctionnaire à compter du 1er janvier 2024. Ainsi, la masse salariale a augmenté : elle représentait 75,6 % des crédits de la mission « Sécurités » en LFI 2023, et s'est établie à 76,1 % dans la LFI 2024. Depuis 2025, nous avons réalisé un effort pour la maîtriser : dans le cadre du PLF 2026, elle représente 74,8 % des crédits de la mission « Sécurités ».

Cet effort en matière de crédits de fonctionnement et d'investissement permet tout de même de répondre aux ambitions de la Lopmi et de respecter les engagements pris. L'effort immobilier est notamment maintenu à un niveau assez haut, ce qui permet de porter des projets immobiliers majeurs pour la police nationale, notamment l'ouverture de l'hôtel des polices de Nice. Il permet également de remettre à niveau l'immobilier de la gendarmerie nationale : 279 millions d'euros de crédits de paiement sont prévus dans le PLF 2026, contre 176 millions dans la LFI 2025. Nous poursuivons évidemment les efforts en matière de modernisation des équipements numériques et de développement des systèmes d'information, dont le réseau « Radio du futur » et d'autres solutions d'intelligence artificielle. Par exemple, nous fondons beaucoup d'espoir sur le logiciel Parole, qui permet de retranscrire les procès-verbaux d'audition.

Monsieur le sénateur Belin, je prends note de votre remarque sur le besoin de créer des postes d'inspecteurs du permis de conduire. Dans le contexte budgétaire contraint, nous faisons tout de même un effort avec la création de 10 ETP. En ce qui concerne le remplacement des Famas, mes services réuniront davantage d'éléments.

Quant aux réserves opérationnelles, elles restent effectivement une de nos priorités. Les crédits augmentent de 25 millions d'euros pour la gendarmerie, pour atteindre 100 millions d'euros ; pour la police, ils passent de 39 à 46 millions d'euros. Nous comptons déjà 40 000 réservistes dans la gendarmerie et 10 000 dans la police, et nous avons pour objectif d'atteindre le plus vite possible 30 000 réservistes dans la police et 50 000 dans la gendarmerie. À mes yeux, cela reste une priorité, car les réserves ont maintenant un rôle opérationnel majeur.

J'en viens aux questions de M. le sénateur David Margueritte sur l'immigration. Nous avons bon espoir - en tout cas, j'y veillerai - de voir le plan de création de 3 000 places en CRA aboutir en 2029. Notre programme me semble réaliste au regard des prévisions. Ainsi que je l'indiquais, nous créerons en 2026 les CRA de Bordeaux et de Dunkerque, et nous étendrons ceux de Rennes et de Metz pour atteindre 2 299 places en 2026. En 2027, nous créerons le CRA de Dijon, qui comptera 140 places et nous permettra d'atteindre 2 439 places. En 2028, les CRA de Nantes, de Béziers, d'Oissel et du Mesnil-Amelot permettront d'atteindre 2 923 places. L'ouverture du CRA d'Aix-Luynes, avec ses 140 places, nous permettra d'atteindre 3 063 places en 2029. Effectivement - je reprends mon ancienne casquette de préfet de police, chargé de certains de ces projets pour la région d'Île-de-France -, les aléas immobiliers, des questions d'urbanisme, des autorisations diverses et variées et des procédures environnementales peuvent évidemment provoquer un certain nombre de retards, lesquels ont entraîné une sous-consommation de crédits, ce qui a conduit à rééchelonner le déploiement des projets sans aller toutefois au-delà de l'échéance fixée à 2029. Nous veillerons donc à atteindre l'objectif ambitieux que s'était fixé le Gouvernement.

En ce qui concerne la lutte contre l'immigration clandestine (LIC), 70 272 personnes ont été impliquées en 2024 dans des tentatives de traversée de la Manche à destination du Royaume-Uni, dont 5 156 via le seul vecteur routier, par l'intermédiaire des ferries ou du tunnel sous la Manche, et 65 116 à bord d'embarcations. La majorité des passages - 93 % des tentatives - se fait donc à bord d'embarcations de fortune, appelées small boats. Au total, 36 759 personnes ont réussi la traversée et sont parvenues au Royaume-Uni, tandis que 28 357 personnes en ont été empêchées par les forces de sécurité intérieure. Je le rappelle, le dispositif concerne 1 200 effectifs, policiers et gendarmes, présents en permanence. L'action de ces forces a permis d'intercepter 68 % des tentatives de départ d'embarcation. En 2024, nous déplorons 89 décès, 78 étant intervenus sur le seul vecteur maritime.

En 2025, l'activité migratoire sur la Manche a connu une augmentation soutenue. Le 31 octobre dernier, 36 949 personnes étaient arrivées au Royaume-Uni, soit une augmentation de 19 %. Cette hausse est due moins à celle du nombre des traversées qu'à celle de la capacité des navires, qui met en péril la sécurité de ceux qui se risquent sur la Manche : en 2024, les embarcations transportaient en moyenne 53 personnes, contre 61 personnes au cours du premier semestre 2025. Voilà pour le constat.

Dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine en mer du Nord et sur la Manche, nous déployons d'importants moyens humains et matériels, dont une part importante est financée par les Britanniques au titre de l'accord de Sandhurst, en cours de renégociation. C'est dans ce sens que Bruno Retailleau avait relancé les discussions ; j'espère poursuivre dans cette voie et parvenir à une hausse des crédits britanniques.

Parmi les 1 200 effectifs de police et de gendarmerie, 850 postes sont financés par les Britanniques. Ils sont déployés quotidiennement sur le littoral afin d'empêcher les traversées irrégulières. Nous avons également développé des moyens de surveillance aérienne - drones, hélicoptères, avions -, en grande partie financés par le Royaume-Uni, qui permettent d'optimiser l'intervention au sol de nos forces de sécurité intérieure. Celles-ci sont ainsi guidées par les moyens aériens, avec des images transmises directement au centre de coordination zonal basé à Lille.

Les accords de Sandhurst prévoient également le financement d'un certain nombre d'équipements pour nos forces au sol. Ces crédits financent aussi la construction de projets immobiliers, notamment celle du CRA de Dunkerque, ainsi que celle de certains centres de formation de réservistes et une brigade de gendarmerie.

Nous devons faire évoluer notre doctrine d'intervention en mer - particulièrement attendue par la partie britannique -, afin de sécuriser et d'augmenter l'efficacité de l'intervention de nos forces de sécurité intérieure, puisque nous assistons de plus en plus à des départs qui s'effectuent en mer, avec des navires qui viennent récupérer les migrants déjà à l'eau. J'y travaille ardemment avec le secrétariat général de la mer (SGMer) et nous espérons aboutir rapidement.

L'accord conclu par mon prédécesseur et signé à la fin du mois de juillet dernier prévoit la réadmission légale sur le territoire national de personnes arrivées au Royaume-Uni en small boat et dont la demande d'asile sur ce territoire a été rejetée, en contrepartie de l'acceptation, par ce même État, dans le cadre d'une immigration légale, d'un certain nombre de ressortissants de pays tiers présents en France et souhaitant le rejoindre.

Depuis l'entrée en vigueur de l'accord, nous avons reçu de la part des autorités britanniques 304 demandes de réadmission sur notre territoire. Nous relevons que les nationalités afghane, érythréenne, iranienne et soudanaise sont les plus représentées. Dans le même temps, nous avons enregistré 1 455 demandes d'admission sur le territoire britannique. Au total, ce sont 94 individus qui ont été réadmis en France et 60 autres qui ont été admis légalement au Royaume-Uni.

Je resterai prudent, car l'accord est expérimental, son application ne fait que commencer et nous devons encore en évaluer les effets. Je dois en discuter avec mon homologue britannique dans les jours qui viennent et ma position n'est pas encore tranchée.

Comme mes prédécesseurs, mon souhait est aussi d'obtenir l'implication de l'Union européenne dans ce dossier. Nous gérons en effet, avec les Britanniques, dans le cadre d'un accord bilatéral, une frontière extérieure de l'Union - ce qui peut légitimement surprendre nos concitoyens et, a fortiori, la représentation nationale.

Toujours est-il que cet accord sera au programme des discussions relatives au renouvellement, pour la période 2026-2029, des accords de Sandhurst.

En ce qui concerne les mesures d'éloignement du territoire national, leur nombre augmente année après année, cette progression atteignant 24 % en 2025. Vous avez signalé les difficultés que nous rencontrons, au premier rang desquelles l'insuffisance des places en CRA. Soulignons aussi l'embolie dans ces mêmes centres, des personnes y restant toujours plus longtemps pour des raisons procédurales ou parce que les États ne délivrent pas les laissez-passer consulaires et n'admettent pas leurs ressortissants. Le constat n'est pas propre à nos seules relations avec l'Algérie et les préfets se mobilisent partout sur le territoire national auprès des différents consulats, afin d'obtenir ces laissez-passer. Nos concitoyens doivent comprendre la difficulté de les obtenir.

Certes, l'Algérie est impliquée dans 40 % - nous avons même atteint la proportion de 42 % - des cas d'étrangers en situation irrégulière dans les CRA. Nous espérons évidemment un déblocage de la situation. Il passera sans doute par la rediscussion avec nos partenaires algériens de l'accord de 1968 et de son avenant de 1994. Le Premier ministre l'a d'ailleurs annoncée. J'y participerai pour ma part, sans a priori, pour les sujets ayant trait à la sécurité. Nous serons jugés au résultat.

Le pacte européen sur la migration et l'asile entrera en vigueur en juin prochain et des crédits sont donc prévus pour 2026, afin de couvrir des dépenses d'investissement supplémentaires. Celles-ci seront notamment liées à l'adaptation des systèmes d'information, à l'acquisition de nouveaux équipements, à la formation des agents concernés par les nouvelles procédures ainsi qu'à l'harmonisation des garanties procédurales entre les États.

La discussion se poursuit, tant sur le mécanisme de solidarité que sur le futur règlement sur les retours. La France souhaite encore obtenir un certain nombre de « bougés », notamment, en matière de retours, l'inversion du principe actuellement appliqué du départ volontaire. Les échanges portent également sur l'acceptation sur notre territoire des décisions de reconduite prises par d'autres États.

L'application du pacte suppose des adaptations du système juridique français. À ce titre, la direction générale des étrangers en France (DGEF) élabore un projet de loi regroupant les différents règlements - procédure d'asile, conditions d'éligibilité à la protection internationale, contenu du statut de protection, filtrage et asile aux frontières, Eurodac, Dublin - ainsi que la directive Accueil. L'idée est de le déposer au début de l'année 2026, mais, compte tenu des points qui restent en discussion, le calendrier n'est à ce stade pas plus précisément défini. Une circulaire d'application globale accompagnera le dispositif.

Dans le domaine des formations linguistiques, rappelons que la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration avait prévu, à la charge des étrangers non européens primo-arrivants, une obligation de moyens, celle de se former, ainsi qu'une obligation de résultat, celle d'acquérir une maîtrise de la langue. L'offre de formation linguistique proposée aux signataires du contrat d'intégration républicaine (CIR) a été adaptée depuis le 1er juillet dernier pour répondre à ces nouvelles exigences ; elle n'est désormais plus obligatoire, mais est proposée à tous les signataires n'ayant pas le niveau A2, soit plus de 63 % d'entre eux, contre 45 % précédemment.

Votre question porte plus précisément sur les formations en distanciel. Une partie des publics est orientée vers ce type de formations et les publics les plus fragiles font l'objet d'une attention particulière. Le programme de 600 heures de formation, qui ne bénéficiait auparavant qu'à un faible nombre de signataires - ils étaient 9 000 en 2024, soit 8 % du total des signataires -, concerne désormais 35 % de ces signataires. Par ailleurs, l'atteinte du niveau requis s'inscrit dans une temporalité plus longue que celle du CIR, les étrangers pouvant renouveler leur titre temporaire jusqu'à trois fois pour le même motif.

Le PLF 2026 vise à renforcer la maîtrise de la langue française par les étrangers présents sur notre sol et à accélérer l'accès à l'emploi de ceux qui sont en droit de travailler, afin de favoriser leur autonomie, dans la continuité de la circulaire du 26 juin 2025 que j'évoquais tant dans mon propos introductif que, plus tôt dans la journée, à l'occasion des questions d'actualité au Gouvernement.

La flotte d'aéronefs de la sécurité civile comprend douze avions Canadair CL415, huit avions Dash, trois avions Beechcraft King 200 et trente-six hélicoptères bombardiers d'eau, dont treize H145-D3. Grâce au travail de fond mené par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) avec le prestataire chargé de leur entretien, le taux de disponibilité de ces équipements atteint aujourd'hui 80 %. Depuis 2023, s'ajoutent en location durant la saison de lutte contre les feux de forêt six avions et jusqu'à dix hélicoptères bombardiers d'eau supplémentaires.

Le PLF 2026 intègre l'acquisition sur fonds propres de deux nouveaux canadairs, après une précédente acquisition de deux appareils, réalisée avec le financement de l'Union européenne. En 2032, la flotte sera ainsi composée d'un total de seize canadairs, dont quatre aéronefs neufs, en propriété de l'État.

La réflexion stratégique se poursuit sur l'évolution de cette flotte, afin de l'adapter aux principaux risques à l'horizon 2035 et 2050. Elle intègre les principaux projets innovants qui sont ceux d'Hynaero, de Kepplair Évolution et de Positive Aviation, et qui nous permettront de disposer à l'avenir, dans le respect du code de la commande publique, d'une plus grande diversité de matériel.

Sur le rôle et les moyens des préfets, je confirme ma volonté forte de faire vivre et aboutir la réforme engagée par Bruno Retailleau durant l'été 2025, soutenue par le Président de la République et traduite par trois décrets du 5 septembre dernier, tendant à ériger ces préfets en pivot de la coordination interministérielle à l'échelon départemental. Je précise qu'elle mériterait d'être complétée par certaines dispositions législatives, la loi seule pouvant par exemple conférer aux préfets la responsabilité des opérateurs locaux.

Il y a parfois - je ne vous l'apprends pas - un écart entre les textes et la réalité du terrain. Je veillerai aux deux.

Quant aux moyens, nous estimons que le renforcement du rôle et des pouvoirs du préfet n'appelle pas nécessairement de crédits complémentaires. Nous ne saurions cependant dire que nous ne leur conférons aucun moyen nouveau : le programme « Administration territoriale de l'État » (ATE) comprendra en effet 50 agents supplémentaires et les crédits augmentent de 3,6 %.

Les missions prioritaires des préfectures sont réunies dans un référentiel qui a été distribué aux préfets pour la période 2022-2025, en vue d'appuyer leur travail de répartition des différents services préfectoraux. Dans ce travail, les préfets conservent évidemment une marge d'appréciation. Le cap que je fixe désormais aux agents consiste à poursuivre la trajectoire engagée au service des missions prioritaires qui ont été précédemment définies.

Sur le plan des moyens humains, l'ATE avait connu une perte d'effectifs de l'ordre de 15 % en dix ans. Cette évolution s'est arrêtée à partir de 2021 avec la stabilisation des effectifs ; depuis 2023, nous recréons des emplois. Ces créations représentent un total de 360 ETP, en incluant les 50 nouveaux ETP prévus pour 2026. C'est une première réponse et je serai attentif aux besoins humains de l'ATE.

Nous approfondirons l'étude d'autres moyens susceptibles d'améliorer son potentiel. De nombreuses expérimentations sont ainsi en cours en matière d'intelligence artificielle au sein du ministère de l'intérieur et dans les préfectures. Récemment, plusieurs de ces projets m'ont été présentés à la préfecture du Nord, à Lille. Ils représentent un gain dans l'action des services, au bénéfice à la fois des usagers et de nos agents.

M. Alain Marc. - Je m'interroge sur la distorsion qui existe entre, d'une part, l'augmentation annoncée des crédits du budget à venir et celle du nombre de policiers au niveau national, et, d'autre part, la réalité que nous observons dans nos départements.

Le maire de Rodez m'a alerté sur la situation qui le concerne : sa ville, de 23 000 habitants pour une circonscription de police d'environ 55 000 habitants, comptait en 2004 quatre unités de police - une brigade cynophile, deux brigades anticriminalité (BAC) et une police secours ; ne subsistent plus qu'une unique BAC, qui ne fonctionne plus après 1 heure du matin, ainsi qu'une police secours. Il y est parfois difficile d'obtenir un équipage entier. L'effectif a été réduit de trente agents entre 2004 et 2025.

La politique nationale que nous évoquons aujourd'hui se répercutera-t-elle véritablement jusque dans les préfectures ? En l'état actuel, les maires, tel celui de Rodez, sont contraints, pour suppléer aux carences de l'État, de recruter des policiers municipaux - ce que l'on ne manque ensuite pas de leur reprocher sous l'angle de la dépense publique.

Dans le cas précis que j'évoque, je souhaiterais que vous preniez attache avec le maire de Rodez pour lui expliquer votre démarche .

Les augmentations d'effectif dont vous faites état incluent les policiers adjoints, de même que les agents en arrêt de longue maladie. La réalité du terrain est bien celle que je décris.

Par ailleurs, la qualité du renseignement dans la gendarmerie me semble s'étioler par rapport à ce qu'elle était quelques années en arrière. Nos gendarmes, accaparés par des questions de procédure extrêmement chronophages, n'ont plus le temps d'entretenir des relations de proximité avec la population, qui, pourtant, leur permettent de savoir ce qui se passe exactement sur le terrain - notamment dans le domaine des violences intrafamiliales.

Peut-être faudrait-il que nous nous efforcions de convaincre les nouvelles générations de gendarmes de travailler autrement, en allant au contact direct des populations. Cela permettrait de relever significativement la qualité du renseignement, tout en étant peu onéreux.

Mme Isabelle Florennes. - Lors de notre récente audition du directeur général de la gendarmerie nationale, celui-ci a attiré notre attention sur le manque de crédits et ses conséquences sur la réserve opérationnelle. Depuis le début de ce mois de novembre, la gendarmerie ne peut apparemment plus payer ses réservistes opérationnels, ce qui est en contradiction avec le déploiement de cette même réserve, qui compte actuellement près de 39 000 personnes pour l'ensemble du territoire national, avec un recrutement performant et alors que l'on connaît le fort engouement dont jouissent auprès des jeunes les préparations militaires gendarmerie.

Comment comptez-vous concilier les crédits prévus pour 2026 avec la poursuite du recrutement de réservistes opérationnels, dont le nombre total devrait atteindre 50 000 en 2027 ? Des perspectives d'augmentation de ces crédits se dessinent-elles ? Le directeur général de la gendarmerie nationale nous a fait part de besoins qui seraient de l'ordre de 220 millions à 300 millions d'euros pour employer à un bon niveau la réserve opérationnelle dans l'ensemble du territoire.

En outre, à la suite d'Alain Marc, je dois signaler que les remontées du terrain nous indiquent que les collectivités territoriales compensent d'implacables problèmes de matériel, notamment au sein de la police nationale. Sous pression à l'approche des prochaines élections municipales, tout spécialement sur les questions de sécurité qui sont au premier rang des préoccupations de leurs administrés, les maires doivent consentir à de forts investissements. Je vous alerte à mon tour à ce sujet.

Mme Olivia Richard. - Je souhaite vous interroger sur le soutien budgétaire à trois organismes qui me semblent particulièrement importants : la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos), l'office mineurs (Ofmin) et l'office central pour la répression de la traite des êtres humains (Ocrteh). Le premier a reçu 111 000 signalements en un an, alors qu'il ne compte que 49 agents ; le deuxième est destinataire de 900 signalements par jour, pour un effectif d'à peine 35 agents quand il en souhaiterait le double ; au sujet du troisième, nous savons que la France devra l'année prochaine transposer une directive européenne relative à la lutte contre la traite des êtres humains et que des associations s'alarment de l'existence de peut-être 20 000 mineurs qui, dans notre pays, seraient victimes du système prostitutionnel. Nous serons tous d'accord pour dire qu'il faut engager des moyens dans cette lutte.

Mme Patricia Schillinger. - Vous parlez de moderniser, d'innover, d'être efficace et d'investir : il faut donc des budgets.

J'évoquerai spécifiquement les moyens consacrés aux gens du voyage. Il nous faut plus d'effectifs. Dans le département frontalier du Haut-Rhin, ce sont plus de 300 caravanes, dont certaines sont immatriculées en Suisse, qui bloquent communes et entreprises. Les moyens de police et de gendarmerie s'avèrent insuffisants, la situation accapare le sous-préfet de Mulhouse et, à l'approche des élections municipales, devient particulièrement préoccupante. Prévoyez-vous une enveloppe qui permette une meilleure gestion de cette problématique ? Car si se tiendra demain une réunion avec 150 chefs d'entreprise, les maires de l'agglomération, les élus et le sous-préfet, nous ne pourrons rien faire sans les moyens adéquats.

Mme Audrey Linkenheld. - Je partage assez largement le constat de nos collègues sur l'état du budget, sur la nécessité d'une hausse des effectifs, sur la trajectoire actuelle en regard de la Lopmi, sur le contraste qui prévaut entre la réalité du terrain et les budgets de la police nationale et de la gendarmerie nationale, ainsi que les remarques relatives aux dépenses de fonctionnement par rapport aux dépenses d'investissement.

J'insisterai sur trois points.

D'une part, vous avez déclaré le 13 octobre dernier que vous reteniez deux priorités particulières. La première concerne la lutte contre le narcotrafic, dont une partie des moyens relèvent de la mission « Justice » : jugez-vous suffisants ces moyens ? La seconde a trait à la sécurité du quotidien. À ce sujet, je perçois une contradiction avec les emplois prévus au budget de la police et de la gendarmerie : les emplois de la sécurité publique sont ainsi en baisse de 23 ETP dans le PLF pour 2026. Comment, dans ces conditions, comptez-vous répondre aux différentes demandes qui vous sont adressées ? Vous avez mentionné votre déplacement à Lille, dont le maire a attiré votre attention, comme il l'avait déjà fait avec vos prédécesseurs, sur le problème du sous-effectif chronique de policiers dans sa commune et dans son arrondissement.

D'autre part, les enjeux de la sécurité routière ne sont guère éloignés de ceux de la sécurité publique quotidienne. Nombre d'accidents sont sans doute liés au déficit d'actions de prévention et de sensibilisation, et la stabilité budgétaire dans ce domaine ne contribue certainement pas à renforcer ces actions.

Enfin, le groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER) avait indiqué l'année dernière qu'il souhaitait des progrès en matière de formation initiale et continue des forces intérieures de sécurité, indispensables à l'amélioration de leur relation avec la population. On peut noter quelques progrès dans le PLF 2026, mais on peut aussi regretter un manque de transparence sur les crédits accordés à la formation, celle-ci étant désormais noyée dans le budget général de fonctionnement. Pouvez-vous nous expliquer ce choix curieux de présentation budgétaire ?

M. Patrick Kanner. - Vous avez évoqué les moyens en investissement relatifs à la sécurité civile. Je vous interrogerai plutôt sous l'angle des dépenses de fonctionnement.

En premier lieu, le PLF 2026 alloue 22 millions d'euros aux pactes capacitaires, une somme jugée stable, quoiqu'en légère baisse par rapport à la trajectoire initialement prévue. Estimez-vous que ces crédits, dans la situation financière actuelle des départements, répondent réellement aux besoins des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) en matière d'équipements structurants notamment destinés à la lutte contre les feux de forêt et à la lutte contre les risques technologiques ? Serait-il pertinent de transformer ces pactes capacitaires en dotations pluriannuelles, territorialisées, conventionnées, afin de mieux anticiper les besoins à long terme ?

En second lieu, les responsables de Sdis nous alertent régulièrement sur l'augmentation de leurs interventions au titre des carences ambulancières qui sont dénuées de caractère d'urgence, en raison de la désorganisation du système de santé. Êtes-vous en mesure d'évaluer la part des interventions de secours à personne qui relèvent des carences ambulancières, ce que nous avons pour notre part beaucoup de mal à faire ? Par ailleurs, soutenez-vous l'idée d'une contribution spécifique du ministère chargé de la santé ou de l'assurance maladie au financement du secours à personne, dans le cadre de la solidarité gouvernementale ?

M. Laurent Nunez, ministre. - M. le député Stéphane Mazars a également attiré mon attention sur la situation des effectifs de police et de gendarmerie à Rodez. J'ai d'ailleurs prévu de me rendre sur place pour y rencontrer les élus.

Une brigade de gendarmerie mobile a été créée en juin 2024, mais je partage vos propos sur les procédures qui accaparent nos militaires de la gendarmerie, qui ne sont plus assez présents sur le terrain, ce qui pose des difficultés dans le domaine du renseignement - au sens le plus large du terme. Les gendarmes que je rencontre me le confirment. C'est pourquoi il nous faut aussi tout faire pour améliorer, dans le sens d'une simplification, la procédure pénale.

Quant à la direction départementale de la police nationale (DDPN) de l'Aveyron, elle comptait 228 agents au 31 août 2025, soit 9 de plus et une progression de 4 % par rapport à 2016. Les effectifs sont donc à la hausse. Cependant, je ne connais pas précisément la situation de cette direction et de cette circonscription de Rodez, et il arrive certes que des brigades disparaissent. Je vous promets de m'en enquérir.

J'ignorais par ailleurs que nous n'étions plus en mesure de rémunérer les réservistes de la gendarmerie. Nous en restons pourtant bien aux crédits importants que je vous ai exposés tout à l'heure : + 25 millions d'euros, pour atteindre 100 millions d'euros ; la réserve opérationnelle de la police nationale voit pour sa part ses crédits passer de 39 millions à 46 millions d'euros. Les réserves opérationnelles sont pour moi une priorité et nous allons nous pencher sur la difficulté qu'éprouve la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN).

Sur la situation des gens du voyage, nos concitoyens itinérants, rappelons que plusieurs types de procédures existent : intervention en flagrance, en cas d'installation en cours accompagnée de dégradations, et dans le cadre de laquelle les policiers peuvent procéder à une évacuation, et, quand l'installation a eu lieu, procédure judiciaire lorsque le terrain est privé ou procédure administrative lorsqu'il relève du domaine public.

Un groupe de travail, auquel des parlementaires participent, poursuit actuellement ses réflexions sur la question. Il s'est déjà réuni à de nombreuses reprises. Je m'engage à ce que nous aboutissions à proposer des mesures législatives aux solutions équilibrées, qui répondent aux attentes tout en participant à l'apaisement. Je porte du reste la plus grande attention à la situation que vous avez décrite et qui donnera lieu, demain, à une réunion.

Mme Richard, vous avez évoqué les moyens humains des offices. Je serai très clair : il importe de ne pas réduire la politique publique que nous menons en matière de sécurité et ses effets à la seule question des effectifs de telle ou telle structure, fût-elle spécialisée. Tous les services participent et doivent participer à la lutte contre la traite prostitutionnelle. Du reste, une partie des moyens financiers du « plan investigation » seront consacrés aux offices. Je ne peux cependant en dire davantage, car je dois encore en discuter avec les organisations syndicales.

La lutte contre le narcotrafic représente une priorité, chaque ministre de l'intérieur ayant apporté sa pierre à l'édifice : nous n'avons eu de cesse de renforcer les dispositifs dans ce domaine, d'autant plus que le narcotrafic alimente de très nombreux phénomènes délictueux - vols avec violence, cambriolages, séquestrations, règlements de comptes, homicides, etc. En outre, les réseaux de narcotrafic s'étendent sur l'ensemble du territoire national, avec des risques importants en termes de prise de contrôle de certains quartiers et de corruption.

Une fois ce rappel effectué, je ne veux pas laisser à penser que nous n'avons commencé ce combat qu'un ou deux ans auparavant. La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic est un texte important qui était porté par les sénateurs, auxquels je tiens à rendre hommage : il comprend, à l'image de ce que nous avons déployé pour la lutte antiterroriste, la création d'un état-major permettant d'échanger des informations au plan national et de pouvoir identifier les ramifications des différents réseaux. Par ailleurs, cette loi a confié des prérogatives fort utiles aux préfets, prérogatives qui permettent aussi de renforcer la sécurité du quotidien avec notamment les interdictions de paraître et les fermetures de commerces.

La sécurité du quotidien, justement, ne se mesure pas uniquement en termes d'effectifs...

Mme Audrey Linkenheld. - Ma question n'était en rien un piège : je souhaite simplement savoir si vous considérez que les moyens accordés à la mission « Justice » dans le PLF sont à la hauteur.

M. Laurent Nunez, ministre. -Je ne vais pas me prononcer sur les crédits alloués à ladite mission dans la mesure où le garde des sceaux aura l'occasion de vous répondre directement sur ce sujet.

Pour en revenir à la sécurité du quotidien, je vais évidemment m'y atteler en poursuivant les politiques de présence sur la voie publique et de lutte contre les trafics, dans le cadre de partenariats et de continuums de sécurité. Lesdites politiques ne se mesurent pas en volumes d'effectifs : par le passé - je pense aux quartiers de reconquête républicaine (QRR) -, on a pu laisser penser que le volume faisait la différence, mais tel n'est pas mon avis, les méthodes de travail et la coordination me semblant essentielles. De surcroît, pour reprendre l'exemple de l'Aveyron, les effectifs sur la voie publique ont évolué à la hausse.

Monsieur Kanner, les carences ambulancières sont une problématique récurrente, le problème n'étant réglé dans aucun département, ce qui conduit les sapeurs-pompiers à prendre en charge des opérations de secours aux personnes. Cela renvoie plus largement à la problématique des secours d'urgence qu'il conviendra de clarifier avec les acteurs de la santé. C'est un sujet qui doit être traité dans le cadre du Beauvau de la sécurité civile, préparé par Bruno Retailleau et François-Noël Buffet, qui devrait donner lieu à un projet de loi. Je souhaite qu'on traite cette question définitivement à cette occasion.

Les pactes capacitaires, quant à eux, induisent un soutien financier de l'État à hauteur de 150 millions d'euros. D'ici à 2027, 1 083 engins devront être livrés, 300 d'entre eux ayant déjà été livrés aux Sdis l'été dernier.

Pour ce qui est de la perspective d'une transformation en dotation, je suis très attaché au caractère partenarial de ces pactes.

M. Christophe Chaillou. - Je tiens à évoquer les centres de rétention administrative, pour lesquels empilons des moyens, avec une durée de rétention qui s'allonge, comme vous l'avez rappelé. Si nous disposons aujourd'hui d'une des plus importantes capacités d'Europe, le taux d'éloignement effectif est en même temps l'un des plus faibles, ce qui doit nous conduire à nous interroger.

Comme je l'ai constaté au CRA d'Olivet, dans le département du Loiret, la situation est tendue, avec entre autres des difficultés à retenir les effectifs de police et des conséquences très lourdes, notamment sur les tribunaux.

S'agissant des amendes forfaitaires délictuelles (AFD), qui connaissent une très forte montée en charge - 500 000 AFD ont été délivrées en 2024, selon les services statistiques de votre ministère -, nous ne disposons toujours pas de données consolidées quant à leur taux de recouvrement, qui serait a priori inférieur à 20 %. Un tel niveau nous interpelle fortement au moment où le Gouvernement prévoit d'étendre la possibilité de constater un certain nombre d'infractions pour les polices municipales. Il serait donc utile que le Parlement dispose de données exhaustives, afin d'évaluer l'efficacité du dispositif.

Par ailleurs, les délais d'obtention du permis de conduire posent de réelles difficultés dans un certain nombre de départements et appellent une adaptation des moyens, y compris dans des départements à dominante rurale tels que le Loiret.

En effet, alors que la loi a fixé un délai maximal de quarante-cinq jours, il s'élève au minimum à quatre-vingts jours dans mon département et peut dépasser cent jours, notamment pour les centres d'examen de Montargis, ce qui crée beaucoup de frustrations et de difficultés, en particulier pour de nombreux jeunes qui peuvent pourtant passer cet examen à partir de 17 ans. Or, comme nous le savons tous, l'accès à la mobilité est essentiel dans ces territoires et il serait donc urgent, monsieur le ministre, de renforcer les moyens dans ce domaine, afin d'appliquer réellement la loi.

Mme Mélanie Vogel. - Les orientations budgétaires de cette année sont-elles de nature à répondre aux questions suscitées par les révélations de la semaine précédente à propos de la manifestation de Sainte-Soline ? Grâce à la presse d'investigation, des vidéos issues des caméras embarquées des forces de l'ordre ont été publiées : elles accablent à la fois certains gendarmes, mais aussi certains de leurs supérieurs hiérarchiques et les ordres donnés, ainsi que, plus largement, la doctrine de maintien de l'ordre qui a été choisie lors de la manifestation à Sainte-Soline, le 25 mars 2023.

On y voit des gendarmes multiplier à dessein les tirs tendus de grenades, pourtant interdits, car potentiellement létaux pour les manifestants ; on entend aussi, ce qui est très préoccupant, des insultes et une forme de jubilation partagée à l'idée de blesser - voire pire - certains manifestants. Certaines gendarmes ont ainsi pu dire : « Je ne compte plus les mecs qu'on a éborgnés » ; « Un vrai kiff » ; « En pleine tête ! » ou encore « On va les manger, il faut qu'on les tue. » Je vous passe évidemment la liste complète des citations, qui est effrayante.

Ces vidéos ont évidemment choqué et ont aussi confirmé les récits des manifestants pacifistes qui étaient présents. Manifestement, des personnes au sein de la gendarmerie ont considéré qu'il était de leur devoir républicain de diffuser ces vidéos auprès du public, estimant que les comportements en cause n'étaient pas acceptables pour leur profession et pour la mission essentielle qu'elle remplit auprès de la population.

Comment en est-on arrivé là et que faire pour éviter que de tels comportements ne se reproduisent ? Mon collègue Thomas Dossus a été auditionné par l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) en décembre 2023, mais nous n'avons pas eu à ce jour de nouvelles de l'enquête : un manque de moyens est-il en cause ? Plus largement, quelles actions allez-vous mettre en place pour garantir aux citoyennes et aux citoyens que les gendarmes - et l'ensemble des forces de l'ordre - soient formés pour avoir à coeur de protéger l'ordre public tout en respectant les libertés fondamentales ?

M. Thani Mohamed Soilihi. - Nous savons à quel point le Gouvernement reste mobilisé pour assurer le maintien de l'ordre dans les territoires d'outre-mer, tâche rendue d'autant plus difficile par leur étendue et leur isolement relatif. Dans le cadre du PLF pour 2026, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour y renforcer la présence et les moyens des forces de l'ordre, notamment en matière de prévention de la délinquance et de lutte contre les trafics d'armes ?

J'en profite pour rendre hommage aux femmes et aux hommes qui accomplissent ces missions dans ces territoires, dans des conditions très difficiles. Je rappelle, de plus, que nos outre-mer font de la France la deuxième puissance maritime du monde : nos territoires sont convoités, ce qui justifie d'autant plus d'y renforcer la sécurité.

Comment le ministère entend-il mieux articuler l'action des forces de l'ordre avec la prévention et l'insertion, afin d'éviter que les fléaux que je viens d'évoquer ne s'enracinent durablement dans des territoires déjà fragilisés sur le plan social ?

S'agissant de Mayotte en particulier, moins d'une année après les ravages causés par le cyclone, la période d'accalmie s'achève et les violences reprennent, violences d'autant plus insoutenables qu'elles se déroulent en milieu scolaire. Lundi dernier, le rectorat a ainsi suspendu les cours à Kawéni, localité de Mamoudzou, en raison des violences survenues au sein et aux abords du lycée des Lumières. Parallèlement, le caillassage des bus scolaires reprend.

Le Gouvernement avait, en partenariat avec le conseil départemental, décidé de mobiliser des fonds pour sécuriser ces bus : où en sont les actions en la matière ? Par ailleurs, le plan « Mayotte debout » prévoyait 55 ETP pour la gendarmerie et 60 ETP pour la police : quid des affectations de ces ETP ?

Enfin, un camp de réfugiés africains a été démantelé à Tsoundzou, mais ils se retrouvent désormais dans la nature : quelles actions le Gouvernement entend-il mener pour lutter efficacement contre l'immigration irrégulière ?

J'ajoute qu'un important groupe de migrants en provenance de Dar es Salam est arrivé aux Comores, et qu'il risque de se diriger sous peu vers Mayotte ; je rappelle aussi que le Président de la République avait annoncé, lors de sa venue, une opération « Mur de fer » pour intercepter au plus loin les migrants avant leur arrivée à Mayotte, en complément de l'opération « Wuambushu ».

Mme Corinne Narassiguin. - S'agissant de l'hébergement des demandeurs d'asile, la suppression de 1 403 places est prévue alors que les besoins sont de plus en plus importants : la part des femmes dans la population migrante avoisine désormais 50 %, d'où des besoins de logements spécifiques et sécurisés, une grande partie d'entre elles ayant très souvent été victimes - et l'étant parfois encore, même sur le territoire français - de violences sexistes et sexuelles (VSS). Quelle est la justification de cette suppression de places d'hébergement ?

Je tiens également à évoquer le centre Primo Levi, menacé par le retrait du soutien financier historique du ministère de l'intérieur, qui s'élevait à environ 700 000 euros, soit un tiers de son budget. Outre le retrait en 2024, prolongé en 2025, des crédits de la direction générale des étrangers en France (DGEF), le centre a reçu la notification d'un avis défavorable de la direction de l'asile concernant la subvention du fonds européen « asile, migration et intégration » (Fami) pour 2026, ce qui représente une perte prévisionnelle de 500 000 euros par an, alors que la structure bénéficie de ce soutien de l'Union européenne depuis plus d'une décennie.

Il ne s'agit donc pas de crédits inscrits dans le PLF, mais bien de fonds européens qui sont distribués par le ministère de l'intérieur. La seule explication qui a été donnée étant un changement dans les priorités de la direction de l'asile, j'aimerais savoir si vous allez remettre celles-ci en bon ordre, afin que le centre Primo-Levi retrouve des financements absolument nécessaires. Il accomplit en effet un travail indispensable sur deux sujets spécifiques, à savoir l'accueil et l'accompagnement des femmes victimes de violences sexuelles d'une part, et l'accompagnement des troubles mentaux d'autre part, c'est-à-dire des missions essentielles pour les personnes qui ont connu des parcours d'exil très traumatisants.

Enfin, l'administration numérique pour les étrangers en France (Anef) connaît des dysfonctionnements chroniques depuis plusieurs années, comme l'a relevé la Défenseure des droits dans un rapport relativement récent. Malgré des investissements, les dysfonctionnements de cette application persistent : y consacrerez-vous les moyens nécessaires afin d'améliorer urgemment cette situation, qui crée non seulement une surcharge de travail dans les préfectures, mais aussi un véritable problème d'accès aux droits pour des étrangers, parfois plongés dans la précarité par des problèmes informatiques ?

Mme Anne-Sophie Patru. - Monsieur le ministre, de nombreux investissements immobiliers paraissent nécessaires pour la gendarmerie nationale, notamment dans les zones rurales.

Au vu des retards pris sur ces investissements, une planification des programmes immobiliers de la gendarmerie nationale est-elle prévue ? En effet, certains projets sont initiés depuis plus de trente ans - c'est le cas dans mon territoire - et génèrent non seulement de l'inquiétude, mais aussi une certaine impatience liée à l'immobilisation des réserves foncières sur de telles durées. Les élus locaux ont besoin de visibilité.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué tout à l'heure le fait qu'il ne fallait pas nécessairement évaluer l'efficacité des politiques publiques en fonction du nombre d'emplois ou des crédits alloués, affirmation sur laquelle je rebondis en vous interrogeant sur deux points.

Le premier concerne la politique que vous entendez mettre en place dans votre ministère contre les violences sexuelles commises par les forces de l'ordre. Nous avons tous entendu parler de cette affaire absolument terrible d'une personne qui se trouvait au dépôt du tribunal judiciaire de Bobigny et qui aurait été - l'enquête est en cours - agressée par deux membres des forces de l'ordre.

En l'espace d'une douzaine d'années, on dénombre 429 victimes et 215 agresseurs dans 130 villes : le phénomène n'est donc pas circonscrit à telle ou telle région et tous sont concernés, puisque les agressions visent à la fois des collègues, des proches, des personnes interpellées et des plaignantes. Pourtant, on ne trouve pas trace de mesures sérieuses, ni de circulaires ou de notes internes, et l'on ne connaît guère les sanctions adoptées.

Qu'entendez-vous donc faire en la matière hormis placer une fonctionnaire de police dans l'équipe de nuit du dépôt de Bobigny, ce qui envoie le signal effrayant selon lequel tous les hommes seraient des violeurs en puissance ?

J'en viens à la lutte contre l'usage détourné du protoxyde d'azote. D'après le porte-parole de la Chancellerie, il existe un problème de législation dans ce domaine. Or plusieurs propositions de loi ont été présentées et, pour certaines, adoptées : je pense notamment à la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les usages détournés du protoxyde d'azote du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, qui a été adoptée en mars 2025 et qui couvre précisément le champ nécessaire, avec la sanction pour consommation détournée, l'encadrement de la vente, la sanction du dépôt et de l'abandon sur la voie publique.

Allez-vous, monsieur le ministre, faire en sorte que ce texte ou un autre vienne en discussion afin que nous nous dotions d'une législation satisfaisante dans la lutte contre l'usage détourné du protoxyde d'azote ?

M. Laurent Nunez, ministre. - Les AFD constituent un instrument extrêmement efficace que nous envisageons d'étendre dans le cadre du projet de loi relatif à l'extension des prérogatives, des moyens, de l'organisation et du contrôle des polices municipales et des gardes champêtres. En revanche, nous ne sommes pas en mesure de connaître précisément le taux de recouvrement, mais il était à ma connaissance en augmentation grâce à la facilitation des moyens de paiement.

Concernant les permis de conduire, nous fournissons des efforts considérables afin de réduire les délais d'obtention, qui sont effectivement très élevés. Nous avons de plus saisi l'inspection générale de l'administration (IGA) afin qu'elle conduise une mission sur les dysfonctionnements constatés et les solutions susceptibles d'être adoptées. Rappelons, néanmoins, que nous avons créé 80 000 places supplémentaires d'examen et que la création de 10 postes d'inspecteurs est prévue.

S'agissant des événements de Sainte-Soline, une enquête est en cours et nous n'avons dissimulé aucun élément pendant deux ans. Des personnes ont été blessées pendant cette journée de manifestation, des plaintes ont été déposées et l'IGGN a saisi l'ensemble des vidéos dans le cadre d'une procédure judiciaire, ce qui explique pourquoi mon prédécesseur et moi-même n'y avions pas accès.

Les actes que vous évoquiez sont évidemment condamnables et des sanctions disciplinaires seront prises à la suite de l'enquête administrative en cours si les faits sont avérés. J'ajoute que cela n'exclut pas des suites judiciaires dans la mesure où, une fois encore, la justice est en possession de ces vidéos, le ministère n'ayant aucunement la volonté d'éluder quoi que soit dans cette affaire. Cependant, je tiens aussi à rappeler le contexte, caractérisé par de nombreuses violences - dont des jets de projectiles - contre les gendarmes, 48 d'entre eux ayant été blessés ce jour-là. Dans cette affaire, les propos et les gestes visibles dans ces vidéos ne sont pas acceptables, mais je ne souhaite pas que l'on généralise et que l'on condamne, à partir de ces extraits, la façon dont les gendarmes ont remarquablement travaillé à Sainte-Soline.

Pour ce qui concerne l'Anef, les dysfonctionnements sont importants, mais la situation s'améliore peu à peu grâce à une reprise en main qui doit permettre de supprimer les bugs d'ici à la fin 2026. Des interventions de nos brigades numériques ont lieu au quotidien pour améliorer le fonctionnement de cet outil.

Concernant l'hébergement des victimes de violences familiales, aucune suppression n'est en vue : au contraire, un appel à manifestation d'intérêt vient d'être lancé pour 50 places supplémentaires en 2026, en précisant que 300 places sont déjà disponibles.

Madame de La Gontrie, des sanctions disciplinaires sont prises dès lors que des violences sexuelles sont commises par des membres des forces de l'ordre, sans oublier des poursuites pénales systématiques. La hiérarchie est bien consciente de la nécessité d'être extrêmement réactive dans ces dossiers, en engageant les procédures qui s'imposent et en saisissant les tribunaux.

Le dépôt de Bobigny, plus précisément, a vu ses effectifs progresser significativement au cours des deux dernières années, avec environ 130 agents contre 80 personnels par le passé. Nous veillons à assurer la qualité du fonctionnement de ce dépôt, et je ne doute pas que mon successeur à la préfecture de police continuera dans cette voie.

Sur un autre point, des mesures législatives ad hoc sont effectivement nécessaires pour le protoxyde d'azote : il me semble qu'une proposition de loi a été adoptée au Sénat et qu'une autre lui a été transmise, et nous réunirons les parlementaires qui les ont portées afin d'identifier les dispositions qui pourraient être retenues par le Gouvernement. En tout état de cause, je vous confirme que les sanctions, les interdictions de vente et les interdictions d'usage sont des outils qui nous intéressent fortement.

J'en viens au centre Primo-Levi : en raison des annulations de crédits intervenues en février 2024, qui se sont traduites par une suspension de l'ouverture de nouvelles places d'hébergement, aucun nouvel appel à projets n'a été lancé et les financements précédemment octroyés à l'association n'ont pas été renouvelés dans la mesure où la convention était parvenue à échéance. Au regard des informations transmises par l'association, il n'a pas été possible de considérer qu'elle était éligible au Fami, notamment compte tenu du projet de budget qu'elle avait présenté.

La planification des programmes immobiliers de la gendarmerie, quant à elle, existe bel et bien : nous devons l'honorer par le biais de procédures administratives et juridiques, mais également par le budget voté par le Parlement.

J'en termine avec Mayotte, en rappelant que les effectifs y ont été durablement renforcés avec le déploiement de forces mobiles, tandis que l'acquisition d'un certain nombre d'intercepteurs doit nous permettre de mieux lutter contre l'immigration illégale.

Plus généralement, nous sommes préoccupés par la situation dans les territoires d'outre-mer, dans lesquels des effectifs sont déployés en masse. Nous continuerons dans cette voie, en lien avec la ministre des outre-mer et avec le garde des sceaux.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Merci pour vos réponses, monsieur le ministre.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction générale de la gendarmerie nationale

M. Hubert Bonneau, directeur général de la gendarmerie nationale

M. François Desmadryl, directeur des soutiens et des finances

M. Ronan Lelong, chef du bureau de la synthèse budgétaire

Direction générale de la police nationale

M. Louis Laugier, directeur général de la police nationale

Mme Valérie Minne, directrice nationale de la police aux frontières

M. Stanislas Cazelles, directeur des ressources humaines, des finances et des soutiens

Mme Marie-Laure Berbach, sous-directrice des finances et du soutien opérationnel

Mme Naïma Ramalingom, conseillère budgétaire et logistique

Conseil supérieur de la fonction militaire de la gendarmerie nationale

M. Jean Carrel, colonel à l'inspection générale de la gendarmerie nationale

M. Vincent Charneau, contrôleur de gestion adjoint à la section pilotage de l'évaluation et du contrôle du bureau de l'organisation et de la transformation de la région Pays-de-la-Loire

M. Frédéric Coy, adjudant-chef au bureau « coordination partenariat » au sein de la région Corse

M. Tony Malatia, major au cabinet de la région Hauts de France

M. David Duhayon, major au sein de l'agence du numériques des forces de sécurité intérieure

M. Bertrand Loubette, commandant de l'unité opérationnelle Franco-Allemande à Metz

M. Christophe Duprat, enquêteur judiciaire à la brigade Les-Rousses

M. Xavier Renaud, adjudant à la brigade motorisée de Theix-Noyalo

M. Laurent Payet, adjudant-chef au cabinet de la région Ile-de-France

Table-ronde des syndicats de la police nationale

Alliance :

M. Olivier Hourcau, secrétaire général adjoint 

M. Stanislas Gaudon, chargé de mission

 

UNSA-FASMI :

M. Fabrice Dubois, délégué départemental de Seine-et-Marne

M. Jean-Paul Nascimento, secrétaire national au sein du pôle des compagnies républicaines de sécurité

UN1TÉ.MI FO :

M. Jérôme Moisant, secrétaire général adjoint 

M. Franck Fievez, secrétaire national en charge du juridique

Alternative Police CFDT :

M. Benjamin Camboulives, représentant national


* 1 Dès le mois de février, le budget avait été « amputé » de 134 millions d'euros sur le programme 176 et de 20 millions d'euros sur le programme 152 (AE et CP confondus).

* 2 Assemblée nationale, rapport général relatif au PLF 2026 de M. Philippe Juvin, Tome I, 23 octobre 2025.

* 3 Rapport n° 588 (2023-2024) du 7 mai 2024 fait au nom de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et sur les moyens pour y remédier.

* 4 Sénat, rapports d'information n° 384 (2022-2023) et n° 816 (2024-2025) de Nadine Bellurot et Jérôme Durain sur l'organisation de la police judiciaire dans la police nationale, 1er mars 2023 et 2 juillet 2025.

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