III. QUELLE SÉCURITÉ POUR LES PAYS D'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE ?

Conformément à la tradition de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, votre rapporteur, après l'examen du budget du Département, consacre un développement à un thème d'actualité.

Les problèmes posés par la sécurité des pays d'Europe centrale et orientale (PECO) ont paru devoir être soulevés par votre rapporteur, pour diverses raisons qui font de cette question un enjeu majeur de la politique étrangère de notre pays : le débat en cours sur l'élargissement à l'Est de l'OTAN, la situation en ex-Yougoslavie, la réflexion sur la politique étrangère et de sécurité commune dans le cadre de la préparation de la Conférence intergouvernementale, et la réforme de la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe), devenue organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Votre rapporteur ne prétend pas apporter de réponses définitive à un problème qui occupe les spécialistes de nombreux pays, et dont le Sénat s'est déjà saisi 14 ( * ) , mais entend rappeler, sans prétendre à l'originalité, les questions posées par les ambitions européennes d'anciens satellites de l'URSS, ainsi que les pistes actuellement tracées en vue de répondre au besoin de sécurité des PECO.

A. LES AMBITIONS EUROPÉENNES DES PAYS D'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE : RÊVE ET RÉALITÉ

Tout naturellement, la chute du communisme en Europe centrale et orientale a tourné les anciens satellites de l'URSS vers la Communauté européenne. Celle-ci symbolisait le retour à un occident dont ces pays s'estimaient naturellement membres après la parenthèse de la domination soviétique. Force est de constater toutefois que le réalisme opposé aux ambitions européennes des anciens satellites de l'URSS n'a pas répondu aux attentes de ceux-ci.

1. Le "besoin d'Europe" des candidats est-européens

Les motivations des anciens satellites de l'URSS, exprimées dès 1989-1990, se fondent sur plusieurs considérations : culturelles, politiques, économiques et stratégiques.

a) L'appartenance à une culture et à une civilisation communes

La chute du rideau de fer est, pour les satellites européens de l'URSS, l'occasion de mettre un terme à leur statut d' « occident kidnappé » 15 ( * ) , pour reprendre l'excellente formule de l'écrivain Milan Kundera.

« Pour la première fois depuis plus d'un demi-siècle, ces pays ont le sentiment de pouvoir réconcilier leur géographie et leur histoire, leur culture et leur appartenance politique » 16 ( * ) . Pour le Premier ministre hongrois J. Antall, la référence aux valeurs de la chrétienté occidentale joue un rôle dans ce sentiment d'appartenance à une civilisation commune. Vaclav Havel, dissident devenu chef de l'Etat tchécoslovaque, puis Président de la République tchèque, se réfère à l'attachement aux valeurs de l'humanisme européen.

b) De puissantes motivations politiques

L'enjeu de l'ancrage des PECO da ns la Communauté européenne est de rendre irréversible l'avènement de la démocratie dans l' « autre Europe », de même que la CEE a contribué à l'ancrage de la démocratie en Europe du Sud (Portugal, Espagne, Grèce). A cet égard, le Conseil de l'Europe favorise l'apprentissage de l'Etat de droit dans l'Europe ex-communiste, mais l'appartenance au Conseil de l'Europe n'est perçue par les impétrants est-européens que comme un banc d'essai à l'intégration dans l'Union européenne, dont aucune organisation internationale ne saurait de leur point de vue être le substitut .

c) Le poids des arguments économiques

Les motivations économiques jouent un rôle essentiel dans le "besoin d'Europe" des PECO. Au lendemain de la chute du mur de Berlin, les transformations à accomplir sur ce terrain sont immenses. Plusieurs décennies de domination soviétique ont étouffé le secteur privé et l'initiative individuelle, ont perpétré des dommages écologiques souvent irréversibles, ont orienté toutes les activités productives selon les standards de la Division internationale socialiste du travail, et ont appliqué à l'économie les principes de l'idéologie communiste (cf. le poids surdimensionné et caractéristique des industries lourdes par rapport aux industries de biens de consommation).

Les PECO se tournent donc naturellement vers l'Europe communautaire, qui constitue un gage de développement économique et de prospérité, et qui représente un modèle libéral dont ils souhaitent se rapprocher au plus vite.

d) Le besoin de sécurité

La crainte suscitée par l'émergence d'une « zone grise » entre l'Est et l'Ouest, d'un vide géopolitique au centre de l'Europe, entre pour beaucoup dans le désir des PECO de rejoindre l'Europe communautaire, considérée comme une « assurance contre les menaces de déstabilisation qui se manifestent à la périphérie de l'ex-URSS et dans les Balkans » 17 ( * ) .

En effet, la disparition, avec la chute du Pacte de Varsovie, des anciennes structures de sécurité collective est-européennes, jointe à la violence de conflits interethniques dans les anciennes républiques soviétiques (Moldavie, Géorgie, Azerbaïdjan, Tadjikistan...) et en ex-Yougoslavie rendent plus pressant le besoin de sécurité des PECO. Ceux-ci frappent non seulement à la porte de l'Europe communautaire, mais aussi à celle de l'OTAN, garant de la présence américaine en Europe, et à celle de l'UEO, seule organisation européenne compétente en matière de défense.

2. Des réponses réalistes et jugées décevantes

L'effondrement du communisme a coïncidé, pour les Douze, à l'élaboration du traité de Maastricht et à la préparation de l'Union européenne. Les ambitions exprimées par les PECO se sont donc heurtées au dilemme approfondissement-élargissement, et le traité de Maastricht a été perçu à l'est comme une forme d'exclusion par une « forteresse Europe » en voie de consolidation.

a) Les obstacles à l'adhésion des PECO

Les arguments opposés à l'intégration immédiate des PECO dans l'Europe communautaire tiennent, d'une part, à la difficulté de les faire participer aux politiques communes en raison de leurs problèmes agricoles, à la très faible compétitivité internationale de leurs entreprises, à leur niveau de vie et de salaire, très inférieur à celui de l'Union européenne et, d'autre part, au souci de ne pas exposer les industries est-européennes à la concurrence d'entreprises occidentales beaucoup plus compétitives. Par ailleurs, l'élargissement est conçu comme une étape postérieure à l'approfondissement des institutions communautaires, préalable indispensable afin d'éviter de paralyser le fonctionnement institutionnel de la Communauté.

Le coût des adhésions se mesure au décalage entre le revenu par habitant des pays de l'Est et des membres de l'Union. Ce décalage est estimé à 40-45 % de la moyenne communautaire pour les pays du groupe de Visegrad, et à 30 % environ de la moyenne communautaire pour la Bulgarie et la Grèce. Les impétrants est-européens se situent donc nettement en-deçà de la Grèce (52 % de la moyenne communautaire) et du Portugal (57 %) 18 ( * ) au moment de l'adhésion de ces deux pays.

La dépense au titre des fonds sructurels serait donc, si les PECO bénéficient des mêmes aides structurelles que les membres de l'Union actuellement les plus pauvres, de 13 milliards d'Ecus environ pour les membres du groupe de Visegrad, de 19 milliards d'Ecus si l'on considère l'ensemble des candidats est-européens. L'élargissement du champ d'action des fonds structurels représenterait donc une charge financière extrêmement lourde pour les finances communautaires (1) .

La même constatation vaut pour la Politique agricole commune, dont l'extension pourrait induire une charge supplémentaire de 17 milliards d'Ecus pour le seul groupe de Visegrad, 23 milliards pour l'ensemble des candidats est-européens.

b) Un rapprochement prudent

En dépit de la pertinence de toutes ces réserves, il était néanmoins impossible d'opposer un refus définitif à la demande d'adhésion des PECO , ne serait-ce que parce que le creusement d'un clivage entre une Europe riche et une Europe pauvre aurait pu exposer l'Europe occidentale à des flux migratoires difficilement maîtrisables.

Les réponses de l'Europe communautaire ont toutefois été prudentes. Il s'est agi, dans un premier temps, d'apporter un soutien financier aux réformes économiques entreprises, à des rythmes différents, par les pays de l'Est (restructuration industrielle, transition vers l'économie de marché, et privatisation) au moyen d'une aide financière attribuée dans le cadre du programme PHARE (Pologne-Hongrie-Aide à la reconstruction économique) élaboré en 1990. 4,28 milliards d'Ecus ont ainsi été attribués aux 11 pays bénéficiaires (Slovénie, Albanie, Pologne, Hongrie, Slovaquie, République tchèque, Roumanie, Bulgarie, Lituanie, Estonie, Lettonie). L'aide devrait être portée à 6,7 milliards d'Ecus pendant la période 1995-1999.

La deuxième étape a consisté à signer des accords d'association avec les candidats est-européens. Les premiers accords ont été passés en décembre 1991 entre Bruxelles et la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie. En 1993 ont été conclus les accords avec la Roumanie et la Bulgarie. En 1994, le traité d'association avec la Tchécoslovaquie a été adapté à la partition du pays entre République tchèque et Slovaquie. En juin 1995 ont été signés les trois accords d'association avec les pays baltes. L'accord d'association entre la Slovénie et l'Union a été paraphé en juin 1995.

Ces accords prévoient notamment l'instauration d'un dialogue politique bilatéral, le libre-échange des produits industriels (sauf certains produits « sensibles »), le traitement préférentiel pour les échanges de produits agricoles, l'introduction dans les PECO des règles de concurrence prévues par le traité de Rome, le rapprochement entre les législations locales et les réglementations communautaires pour les activités concernées par les accords.

Une troisième étape a consisté à adresser aux pays associés une invitation formelle d'adhésion . Tel a été l'objet des Conseils européens de Copenhague, en juin 1993 (à cette occasion ont été mises en place des relations structurées entre Bruxelles et les pays associés), de Corfou, en juin 1994, et de Essen, en décembre 1994. L'adhésion a néanmoins été subordonnée, lors du Conseil de décembre 1994, à la capacité des pays associés à remplir « les conditions économiques et politiques requises » des membres de l'Union.

c) La déception des PECO

Le caractère dilatoire des solutions apportées par Bruxelles aux aspirations des PECO explique la déception éprouvée par ceux-ci.

Relevons tout d'abord le décalage entre les ambitions européennes des PECO et les accords d'association. Ceux-ci, en effet, « n'engagent en aucune façon les Douze, puis les Quinze à définir un programme d'adhésion comportant un échéancier et des délais précis » 19 ( * ) .

Par ailleurs, le Conseil européen de Essen, selon Alain Juppé, « ne cherche nullement à anticiper les négociations d'élargissement, ni à poser de nouvelles conditions à l'adhésion, mais à servir de guide aux pays d'Europe centrale et orientale pour qu'ils fixent leurs priorités ». La date de l'élargissement est donc, là encore, éludée.

D'autre part, notons que le conseil de décembre 1994 définit un degré d'exigence très élevé à l'égard des PECO, qui doivent être en mesure d'assumer les obligations des membres de l'Union, tout en posant une autre condition à leur intégration, « tout-à fait indépendante de leur degré d'aptitude économique et politique : celle de la sauvegarde des capacités d'action et de fonctionnement des institutions européennes dans le cas d'un futur élargissement » 20 ( * ) . Le but, pour Bruxelles, est donc d'assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne , et après avoir aménagé les institutions communautaires . La capacité des Quinze à réformer les institutions de l'Union, lors de la Conférence intergouvernementale de 1996, semble conditionner autant l'intégration des PECO que le succès de leurs réformes politiques, économiques et sociales.

. L'optimisme un temps suscité à l'Est par les accords d'association a donc été assez vite tempéré. « L'Europe de l'Ouest a mis un écriteau sur sa porte : ne pas déranger », note le Premier ministre tchèque, Vaclav Klaus.

De manière générale, le hiatus entre le modèle d'Union européenne issu du traité de Maastricht et le caractère culturel, voire émotionnel ou même romantique des ambitions européennes des PECO est très frappant. Ainsi pour Vaclav Havel, que l'on ne saurait accuser de manquer de convictions européennes, « le traité de Maastricht est une oeuvre remarquable sans conteste, (mais qui donne) l'impression d'une parfaite machine moderne, particulièrement sophistiquée, qui ferait la joie de tout admirateur d'inventions techniques, mais à laquelle il manque, malgré tout, quelque chose d'humain » 21 ( * ) .

Il est clair qu'il était résolument inadéquat d'opposer la politique agricole commune, le fragile équilibre des politiques et des finances communautaires et les « sacrifices » que devraient consentir les peuples d'Europe occidentale pour intégrer ceux qui venaient de se libérer seuls du joug communiste après avoir subi pendant des décennies la dictature importée de Moscou. De même paraît aujourd'hui peu opportune la conviction exprimée par le chef de l'Etat français lors des Assises de la Confédération européenne, en juin 1991, selon laquelle il faudrait « des dizaines et des dizaines d'années » à ces pays avant d'être en mesure d'espérer rejoindre l'Europe communautaire. « Idéal de prospérité et de sécurité, celle-ci prenait des allures d'un cercle de privilégiés, construisant un nouveau mur -celui de la richesse- et attentifs à leurs seuls problèmes internes de croissance et d'approfondissement » 22 ( * ) .

3. Où il est permis de rêver à une autre Europe

Le décalage entre l'événement historique colossal que constituaient la chute du mur de Berlin et l'effondrement du communisme à l'Est, et le manque d'imagination, voire la frilosité dont a fait preuve l'Europe communautaire à l'égard de ses voisins de l'Est, est donc patent. Votre rapporteur ne peut s'empêcher de trouver ce hiatus consternant, tout en comprenant que, pour des partisans convaincus de l'édification communautaire, accueillir les cousins est-européens au moment où la Communauté marchait vers l'Union représentait la quadrature du cercle. Il est probable que la prudence de la politique adoptée par les Douze (puis les Quinze) à l'égard de l'élargissement à l'Est constituait, et constitue encore, la seule solution viable . Il est néanmoins permis de rêver au tournant qu'aurait pu prendre l'Europe si les PECO avaient trouvé chez leurs voisins occidentaux une attitude plus conciliante, plus imaginative, plus créatrice.

N'oublions pas que, si la menace soviétique commençait, comme on le disait pendant la guerre froide, « à une étape du tour de France », c'est désormais « à une étape du tour de France » que se trouvent les PECO : la proximité géographique ne doit pas être éludée par le souvenir des décennies où ces pays, qui sont nos voisins, évoluaient dans un monde totalement étranger. La proximité culturelle ne doit pas non plus être oubliée : les affinités avec les peuples de l'Est que nous a léguées l'Histoire sont immenses.

C'est pourquoi on peut regretter qu'une occasion historique ait été manquée quand l'Europe communautaire a éludé la création de formules inédites d'adhésion, telle que celle d'un statut d'adhésion partielle à l'Union européenne 1. . Ce scénario aurait permis de tenir compte des difficultés économiques propres aux PECO, tout en tirant les conséquences de la nécessité de conforter ces jeunes démocraties, et, de ce fait, de stabiliser le continent européen.

Une telle évolution aurait, certes, requis un bouleversement complet de la philosophie communautaire, en rendant inéluctable l'inversion entre le politique et l'économique. Désormais le politique serait devenu le substrat de la construction communautaire, dont l'économique aurait été l'aboutissement. Les PECO, membres politiques de l'Union européenne, auraient participé à toutes les instances communautaires, sauf à celles liées au fonctionnement du marché : « Les anciens pays communistes auraient, de la sorte, trouvé l'ancrage démocratique qu'ils réclament à cor et à cri à l'Occident, et que nous devons offrir à des Européens qui ont mis à bas la forteresse communiste au nom de nos valeurs. L'adhésion économique, devenue seconde, aurait eu lieu plus tard et de façon empirique » 23 ( * ) . Une telle Communauté n'aurait pas été totalement en contradiction avec la réalité du fonctionnement de l'Union européenne : les exemptions accordées à Maastricht aux Britanniques puis aux Danois ont déjà validé l'idée d'une Union à plusieurs vitesses. Pourquoi donc avoir rejeté, au nom de critères économiques inadaptés aux réalités, des demandes d'adhésion politiquement incontestable ?

Aujourd'hui, les perspectives d'adhésion des pays de l'Est les plus avancés se rapprochent. Cette adhésion se fera selon des modalités classiques, et non selon l'architecture originale évoquée par Alain Minc. Votre rapporteur se félicite que M. de Charette, ministre des Affaires étrangères, se soit prononcé clairement, le 29 octobre dernier, pour l'entrée des pays d'Europe centrale et orientale dans l'Union , tout en persistant cependant à poser comme condition que la Conférence intergouvernementale de 1996 ait aménagé les modalités de décision au sein d'une Union de 27 membres. Mais il est permis de rêver qu'en 1990 une autre formule, plus généreuse, ait été imaginée. Une telle révolution des concepts communautaires aurait pu se produire si « la France et l'Allemagne n'avaient pas été prisonnières de l'a priori selon lequel il fallait renforcer l'Europe à douze avant de l'étendre à l'Est », si « le Royaume-Uni n'avait pas été accaparé par l'obsession d'obtenir un traitement spécifique », et si « les pays les moins riches de l'Union n'avaient pas vu dans l'élargissement une menace pour leur droit de tirage sur les subsides communautaires » 1 .

*

* *

Quelle est donc, dans ce contexte de très relative ouverture de l'Europe communautaire aux PECO, la place dévolue à ceux-ci dans l'architecture européenne de sécurité ? Là encore, force est de constater que, d'une part, les solutions proposées par l'Occident n'ont pas répondu aux attentes des anciens satellites de l'URSS, et que, d'autre part, il n'existe pas dans ce domaine de solution pleinement satisfaisante et accessible à court terme.

B. LES SOLUTIONS NÉCESSAIREMENT INCOMPLÈTES APPORTÉES AU BESOIN DE SÉCURITÉ DES PECO

Le vide stratégique créé au centre de l'Europe par la disparition du Pacte de Varsovie, les inquiétudes suscitées, à tort ou à raison, par les relations perçues comme néo-impérialistes instaurées par la Russie avec les anciennes républiques soviétiques de « l'étranger proche », et le risque lié au problème des minorités, omniprésent en Europe centrale et orientale, inspirent aux pays d'Europe centrale et orientale un besoin à la fois de sécurité collective , permettant le maintien de la paix dans les zones de crise, et de défense collective , apportant une garantie de sécurité en cas d'agression. Aucune des solutions mises en oeuvre à ce jour ne semblent en mesure de satisfaire l'intégralité de ces deux besoins.

1. Les avantages présentés par l'OTAN pour les PECO

C'est d'abord vers l'Alliance atlantique que les pays d'Europe centrale et orientale se sont tournés pour obtenir les garanties de sécurité dont ils se trouvaient privés après la chute du Pacte de Varsovie. L'OTAN demeure, en effet, l' « organisation commune de défense la plus opérationnelle sur le théâtre européen, disposant de l'essentiel des moyens d'intervention nécessaires » 24 ( * ) , et présentant le grand mérite, pour les anciens satellites de l'URSS, d'arrimer les Etats-Unis au continent européen.

Les arguments exposés, dans le cadre de l'Assemblée de l'Atlantique Nord, par Petre Roman, sont à cet égard très éclairants 25 ( * ) : « Le principal succès de l'OTAN au cours de la Guerre froide n'a pas été remporté par les armes, mais par l'imposition de la paix, qui a ainsi permis de sauvegarder les valeurs de la civilisation démocratique occidentale. C'est essentiellement pour cette raison que nous sommes tellement désireux de nous intégrer à l'OTAN, que nous considérons comme une garantie majeure et efficace pour notre développement démocratique futur (...) (L'Alliance) a été conçue pour (...) défendre ses membres contre eux-mêmes. (...) Par ailleurs, nous nous basons sur la solution trouvée, de façon identique, au conflit franco-allemand pour invoquer des arguments déjà bien connus en faveur de notre intégration à l'OTAN. (...) L'existence de l'OTAN et des autres organisations occidentales qui sont liées entre elles nous conforte dans les efforts que nous menons pour apporter notre contribution à la stabilité et à la sécurité régionales générales de l'Europe ».

Pour la plupart, ces arguments pourraient tout aussi bien être invoqués à l'appui d'une demande d'adhésion à l'Union européenne : l'OTAN est ainsi perçue comme une garantie contre les conflits locaux entre PECO, de même que l'appartenance de l'Allemagne et de la France à la Communauté économique et à l'Alliance atlantique ont chassé les vieux démons de l'antagonisme entre les deux adversaires.

2. La complexité des formules proposées

Les formules proposées aux PECO sont aussi complexes que partielles, même si leur bilan ne saurait être considéré comme négatif : association à l'OTAN et à l'UEO, et Pacte de stabilité en Europe conclu sous l'égide de l'Union européenne et de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe).

a) La préparation de l'adhésion à l'OTAN

Après la création du Conseil de coopération nord-atlantique (CCNA ou COCONA), première réponse de l'OTAN aux attentes des PECO, le Partenariat pour la paix (PPP), lancé en janvier 1994 au Sommet de l'Alliance atlantique de Bruxelles, était destiné à donner aux pays d'Europe centrale et orientale un « gage de la détermination de l'Occident à prendre en considération leurs intérêts de sécurité » 26 ( * ) . A ce jour, 26 pays ont signé le document-cadre proposé par les alliés -dont tous ne sont pas des PECO (Roumanie, Lituanie, Pologne, Estonie, Hongrie, Ukraine, Slovaquie, Lettonie, Bulgarie, Albanie, République tchèque, Moldavie, Géorgie, Slovénie, Azerbaïdjan, Suède, Finlande, Turkménistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Russie, Ouzbékistan, Arménie, Biélorussie, Autriche et Malte). Au 30 mai 1995, 12 pays avaient fait adopter leur programme individuel de partenariat, base concrète de leur coopération avec l'OTAN (Pologne, Suède, Roumanie, Finlande, Hongrie, Slovaquie, République tchèque, Bulgarie, Lituanie, Albanie, Lettonie et Estonie). Ces programmes permettent l'organisation d'exercices militaires de terrain ou d'état-major, et visent parfois la participation de l'OTAN à la réorganisation des forces militaires des PECO. Dès l'automne 1994, trois exercices avaient été conduits (en Pologne, en mer du Nord et aux Pays-Bas). Le Partenariat pour la Paix permet donc un « rapprochement individualisé et pragmatique de ses participants » 1 avec l'Alliance.

Le PPP est considéré par les pays d'Europe centrale et orientale comme le préalable à leur intégration dans l'OTAN, mais cette formule ne saurait être à leurs yeux un substitut durable . En effet, le Partenariat pour la Paix n'est assorti d'aucune véritable garantie de sécurité. Il ne pouvait donc que « laisser sur leur faim des pays désireux (d'adhérer à l'OTAN) le plus rapidement possible » 27 ( * ) .

b) La formule d'association à l'Union de l'Europe occidentale

L'Union de l'Europe occidentale (UEO) a amorcé un retour sur la scène politico-militaire européenne avec la crise du Golfe et la négociation du traité de Maastricht. Jusqu'alors effacée et marginalisée par rapport à l'OTAN, l'UEO est définie dans le traité d'Union comme « partie intégrante du développement de l'Union », comme « composante de l'Union européenne et comme moyen de renforcer le pilier européen de l'Alliance atlantique ». L'UEO est donc liée à la fois à l'OTAN et à l'Union européenne.

En vertu de la décision du Conseil de l'UEO de Kirchberg, en mai 1994, les PECO sont devenus associés partenaires de l'Union de l'Europe occidentale. Ce statut prévoit la perspective d'adhésion pleine et entière à l'Union de l'Europe occidentale, et permet aux PECO d'assister aux réunions hebdomadaires de l'organisation, de participer à des manoeuvres et à des opérations communes (missions humanitaires, opérations de maintien de l'ordre ou de rétablissement de la paix), et d'envoyer des officiers de liaison auprès de la cellule de planification de l'UEO. Notons néanmoins que les PECO ne disposent d'aucun droit de veto au sein de l'UEO, tout en étant en mesure, de par leur statut, de participer à l'élaboration de la future architecture de sécurité et de défense commune.

c) Le Pacte de stabilité en Europe et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)

Le processus qui a débuté en décembre 1993, lors de la Conférence sur la stabilité en Europe, mérite un développement particulier, car il se situe entre l'Union européenne, dont il constitue une action commune mise en oeuvre au titre de la PESC (politique extérieure et de sécurité commune), et l'OSCE qui est chargée de son suivi.

. Rappelons que l'OSCE est l'héritière, depuis décembre 1994, de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE). Celle-ci avait été lancée par l'Acte final d'Helsinki en 1975, et avait connu en 1990 un tournant significatif avec la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, qui prévoyait notamment de poursuivre des négociations sur les mesures de confiance et de sécurité, affirmait les principes d'état de droit, de respect des identités ethniques, religieuses, culturelles et linguistiques des minorités nationales, et appelait à des relations amicales entre les Etats participants (48 Etats européens, Etats-Unis, Canada). Sur le plan institutionnel, l'OSCE s'appuie sur un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement qui a lieu tous les deux ans, un Conseil des ministres des affaires étrangères qui se réunit une fois par an, un Comité des hauts fonctionnaires (deux fois par an), un Secrétariat établi à Prague, un Bureau des élections libres à Varsovie, un Centre de prévention des conflits à Vienne, et un « Conseil permanent » qui se réunit désormais toutes les semaines à Vienne au niveau des ambassadeurs.

L'OSCE joue, depuis le Sommet de Budapest de décembre 1994, un rôle accru dans le domaine de la prévention des conflits et de la gestion des crises .

A cet égard, notons la participation de l'OSCE aux négociations s'efforçant d'apporter une solution aux contentieux russo-letton et russo-estonien, aux conflits de Transdniestrie (Moldavie), du Haut-Karabakh (Arménie-Azerbaïdjan), d'Ossetie du Sud (Géorgie), du Tadjikistan, et aux difficultés liées à la définition du statut de la Crimée (Ukraine). Dans le cadre du conflit en ex-Yougoslavie, des missions de longue durée avaient été mises en place en Macédoine, au Kosovo et en Voïvodine pour jouer un rôle de médiation et éviter une extension de conflit. En Tchétchénie, une mission de l'OSCE (6 membres dont un diplomate français), a notamment pour rôle de faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire, de favoriser le retour des réfugiés, et d'encourager la poursuite des négociations.

La multiplication des missions de l'OSCE traduit le rôle croissant de cette organisation paneuropéenne dans le domaine de la diplomatie préventive et de la stabilité en Europe, mais aussi dans celui de la gestion directe des crises en Europe. Dans le même esprit, l'ouverture d'une réflexion, au sein de l'OSCE, sur « le modèle de sécurité global pour le XXIe siècle » annonce la participation de l'OSCE à la future architecture européenne de sécurité.

. Exercice de diplomatie préventive, la Conférence sur la stabilité en Europe visait à aider les futurs membres de l'Union à établir des relations de confiance au niveau régional, en concluant des accords de bon voisinage, et en favorisant le dialogue politique et la coopération dans l'ensemble de la région.

Cette conférence a abouti, en mars 1995, à l'adoption d'un Pacte de stabilité composé :

- d'une liste d'accords de bon voisinage, arrangements et déclarations politiques (une centaine d'accords ont ainsi été passés entre les PECO et Bruxelles, entre les pays associés eux-mêmes, et entre ceux-ci et leurs voisins. Cette liste pourra être complétée notamment par les accords attendus entre la Roumanie et la Hongrie, et entre la Russie et l'Estonie ;

- d'une déclaration politique de tous les Etats membres de l'OSCE, par laquelle les signataires déclarent leur intention de recourir, le cas échéant, aux instruments et aux procédures de l'OSCE.

Le bilan de cette action commune est positif. Les relations de la Hongrie et de ses voisins se sont ainsi notablement améliorées. Les relations entre les pays baltes et la Russie ont également progressé.

. En confiant à l'OSCE le suivi du Pacte de stabilité en Europe, la Conférence a confirmé la participation croissante de l'OSCE à la stabilité en Europe.

3. L'absence de solution véritablement convaincante dans l'immédiat

En dépit des progrès accomplis par l'OSCE dans le domaine de la stabilité en Europe, force est de constater que c'est dans le cadre de l'OTAN, voire de l'UEO, que peut être assurée la sécurité des pays d'europe centrale et orientale.

Or aucune de ces organisations ne constitue encore, à ce jour, une solution intégralement adaptée au besoin de sécurité de ceux-ci.

En effet, l'élargissement de l'OTAN pose la question de l'opposition de la Russie, et du souci des Occidentaux de ménager l'héritière de l'URSS. Par ailleurs, l'OTAN et l'UEO ne semblent pas en mesure, en l'état actuel de leur organisation, de fournir aux pays de l'Est une véritable garantie de sécurité.

a) L'opposition de la Russie à l'élargissement de l'OTAN

Vu de Washington, l'élargissement de l'OTAN présente l'avantage de renforcer la légitimité de l'Alliance, à une période où l'effondrement du Pacte de Varsovie a pu susciter quelques interrogations sur l'opportunité de maintenir une organisation née de la guerre froide.

Vu de Moscou, l'élargissement de l'OTAN est perçu comme une résurgence de l'Europe des blocs, alors que c'est d'un système de sécurité paneuropéen que l'Europe a besoin.

La question, selon la Russie, est donc de savoir dans quelle mesure, en reportant à une date ultérieure et indéterminée l'adhésion des PECO à l'OTAN, les membres de l'Alliance entendent donner à la Russie une sorte de droit de veto sur la sécurité européenne, et dans quelle mesure le "partenariat spécial" entre la Russie et l'OTAN (qui devrait être également proposé à l'Ukraine) peut atténuer l'inquiétude de Moscou. Une autre piste à envisager pour apaiser les réticences russes réside probablement dans le renforcement de l'OSCE. En effet, l'OSCE est la seule organisation de sécurité dont la Russie a accepté l'assistance en Tchétchénie. Sa participation croissante à la gestion des crises en Europe, et sa contribution à la réflexion actuelle sur l'avenir de la sécurité européenne, font probablement de l'OSCE un moyen de mieux intégrer la Russie dans l'architecture européenne de sécurité, et de conjurer le syndrome d'isolement suscité en Russie par les perspectives d'élargissement de l'OTAN.

b) Questions posées par l'avenir de l'OTAN et de l'UEO

On peut s'interroger sur la garantie que constituerait, pour les PECO, dans la perspective de l'élargissement de l'OTAN, l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord. Celui-ci prévoit, en effet qu'une attaque armée contre une Partie au traité est "considérée comme une attaque dirigée contre les autres Parties", et qu'en conséquence, chaque Partie prendra aussitôt "telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité" dans la région couverte par le traité.

On remarque donc que le traité de l'Atlantique Nord s'appuie sur l'hypothèse d'une attaque armée pour motiver l'engagement des autres Parties, alors même que la situation en Europe rend prioritaire la gestion de crises qui n'induisent pas nécessairement une attaque armée contre une Partie au traité. Par ailleurs, notons que l'article 5 s'abstient de définir de véritables obligations collectives : chaque Partie reste libre de son choix (intervention ou abstention, recours à la force armée ou non). L'enjeu est donc l'évolution de l'OTAN vers un système de sécurité collective adapté au risque de crise périphérique en Europe. Une première étape a constitué à faire admettre le principe d'une utilisation des moyens de l'OTAN par l'UEO, lors du sommet de l'OTAN de janvier 1994 (par la création de groupes de forces interarmées multinationales ou GFIM, qui visent à permettre une plus grande souplesse dans le fonctionnement de l'organisation militaire intégrée, pour répondre à de nouvelles missions de gestion des crises). Ce tournant, motivé par les enseignements du conflit en ex-Yougoslavie, se heurte néanmoins à une difficulté importante : l'OTAN pourrait ainsi n'offrir qu'un "cadre de sécurité conditionnelle et non plus automatique" 28 ( * ) , en fonction des objectifs américains dont la sécurité européenne serait alors dépendante.

La garantie de sécurité que l' UEO est susceptible d'offrir aux pays d'Europe centrale et orientale suscite également quelques interrogations. L'article V du traité de 1954 prévoit en effet, qu'en cas d' "agression armée" contre l'une des Parties, "les autres lui porteront (...) aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, militaires et autres". Plus contraignant pour les Parties, certes, que la clause correspondante du traité de l'Atlantique Nord, l'article V du traité de Bruxelles n'en est pas moins, lui aussi, inadapté à l'hypothèse de crises périphériques, aujourd'hui plus pressante que celle d'"attaques armées".

Un frémissement se manifeste néanmoins actuellement sur la voie du renforcement opérationnel de l'UEO, et de la participation de celle-ci à la gestion des crises : désignation par les Etats membres de forces susceptibles d'être placées sous l'autorité de l'UEO (il s'agit de l'Eurocorps et des projets d'Eurofor, à vocation terrestre, et d'Euromarfor, à vocation maritime, entérinés en mai 1995), et création de Groupes de forces interarmées multinationales (voir supra). Le conflit en ex-Yougoslavie n'en constitue pas moins une illustration très décevante de la difficulté à mettre en place des opérations communes dans le cadre de l'UEO, limitées de facto à la surveillance de l'embargo contre la Serbie-Montenegro. Les interventions décisives en Bosnie sont des opérations de l'OTAN (surveillance aérienne et protection de la FORPRONU) et des initiatives nationales ou bilatérales (cf la force de réaction rapide franco-britannique).

La sécurité des pays d'Europe centrale et orientale semble donc irréductiblement liée, ainsi que le confirme l'expérience de l'amitié franco-allemande dans le cadre de la CEE, puis de l'Union, à leur appartenance à l'Union européenne . L'étroitesse des liens -commerciaux, juridiques, politiques- suscités par l'appartenance à l'Union semble, en effet, le meilleur garant non seulement contre l'instabilité de cette zone, mais aussi contre une éventuelle agression extérieure. On imagine mal, en effet, un membre de l'Union faisant l'objet d'une attaque armée qui ne serait pas protégé par les autres membres, au motif qu'il n'appartient pas à l'OTAN ou qu'il n'est qu'associé à l'UEO ...

C'est donc bien dans l' élargissement de l'Union , repoussée au moment de l'effondrement du mur de Berlin à un terme indéfini, mais qui paraît aujourd'hui pouvoir être envisagé vers le début du siècle prochain, que résident les solutions au besoin de sécurité des PECO.

* 14 Votre rapporteur souhaite rendre hommage au travail accompli par M. Jacques Golliet (rapport n° 567, 1993-1994, L'élargissement à l'Est de l'Union européenne : quelles perspectives ? ) et par MM. de Villepin, Bourges, Guéna, d'Aillières, Caldaguès, Chambriard, de Cossé-Brissac, Crucis, Guyomard et Maurice-Bokanowski (rapport n° 257, 1994-1995, La rénovation de l'Alliance atlantique et le développement de l'UEO ) .

* 15 Milan Kundera, Un occident kidnappé, la tragédie de l'Europe centrale (Le Débat, novembre 1983).

* 16 Jacques Rupnik, Françoise de La Serre, Christian Lequesne, L'Union européenne : ouverture à l'Est ? PUF 1994.

* 17 Jacques Rupnik, Françoise de La Serre et Christian Lequesne, op. cit.

* 18 J. Golliet, op. cit.

* 19 Rapport Ramsès 1996.

* 20 Rapport Ramsès 1996.

* 21 Cité par J. Rupnick, F. de la Serre, C. Lequesne, op cit.

* 22 Pierre Lellouche, L' Europe et sa sécurité . Assemblée nationale, n° 1294, mai 1994.

* 23 Alain Minc, Le nouveau Moyen-Age, 1993.

* 24 P. Lellouche, op. cit.

* 25 Petre Roman, rapporteur associé, « Comprendre et assurer une sécurité mutuelle : un défi pour nous tous », Groupe de travail sur les organisations transatlantiques et européennes, AAN, 1995.

* 26 Rapport Ramsès 1996

* 27 Rapport Ramsès 1996.

* 28 P. Lellouche, op. cit.

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