III. ASPECTS SPÉCIFIQUES DU RÉGIME ÉCONOMIQUE DE LA PRESSE

A. LES RELATIONS PRESSE-POSTE

Le problème récurrent des relations entre la presse et la poste, en l'occurrence La Poste, gestionnaire du service postal, mérite une attention particulière dans le cadre du présent rapport en raison de son actualité, la table ronde qui doit définir leur évolution pour les trois ans à venir vient de commencer ses travaux, en raison de l'importance des montants financiers qu'il met en cause (l'aide postale représente les deux-tiers des aides indirectes à la presse), en raison enfin de son caractère crucial pour l'avenir de la presse. En effet, la distribution postale est pour elle un enjeu majeur dans la mesure où de son efficacité dépend le développement de l'abonnement dont on sait les avantages : fidélisation des lecteurs, garantie de recettes stables, avance de trésorerie consentie par l'abonné au moment de la souscription de abonnement (compensée il est vrai par une remise sur le prix au numéro).

1. La sortie des Accords Laurent

La table ronde qui réunit des représentants de la presse, de La Poste et de l'administration (SJTI) en présence de parlementaires a pour objectif de redéfinir des relations régies jusqu'au 31 décembre 1995 par les accords Laurent élaborés en mars 1980 et plusieurs fois prorogés. Leur objectif avait été de régler le problème du partage du coût de la distribution postale de la presse et celui de la qualité de la distribution postale.

Après quelque huit mois de travaux, la table ronde réunie sous la présidence du conseiller d'État Pierre Laurent avait recommandé d'opérer une distinction entre les trois composantes du trafic postal de presse selon la nature de la personne physique ou morale agissant en qualité d'éditeur : publications de l'administration de l'État ou des établissements publics, presse associative et presse éditeurs.

S'agissant de la presse éditeurs (86 % du trafic postal de presse), le dispositif élaboré avec l'accord de la profession prévoyait la mise en oeuvre d'un plan pluriannuel d'ajustement des taxes, impliquant jusqu'en 1987 une augmentation de 11,5 % par an réévaluée compte tenu de l'évolution du prix des services. Le plan devait, à son terme, permettre de porter la part de la presse à 33 % des coûts de distribution supportés par La Poste.

Les barèmes de la presse éditeurs étaient également appliqués à la presse associative.

S'agissant des publications éditées par les administrations et les établissements publics, la table ronde préconisait, compte tenu de la nature de ce trafic qui ne rentre pas stricto sensu dans le champ d'application de l'aide de l'État à la presse, l'assujettissement des envois correspondants à un tarif assurant la couverture du coût des opérations, cet objectif devant être atteint en quatre années à partir de janvier 1991.

Le protocole tripartite (Presse-Poste-État) conclu le 23 mars 1992, afin de régir les relations entre la presse et La Poste jusqu'à la fin du premier contrat de plan État-Poste 1992-1994 a repris le principe d'un taux de couverture par les éditeurs de 33,33 %, et a complété le dispositif issu des Accords Laurent, d'une part en préconisant la concertation entre La Poste et la presse et, d'autre part, en précisant les devoirs et les exigences de chacune des parties en matière de qualité de service (délai d'acheminement et de distribution pour La Poste, conditions de dépôt pour les éditeurs).

Le bilan des Accords Laurent ne doit pas être sous estimé. En effet, la presse qui en 1979 ne couvrait que 13 % du coût global de son transport postal, en assurait 31,3% en 1994 alors même que celui-ci a fortement progressé en quinze ans. En outre, le cadre institutionnel -commission tripartite État-Presse-Poste- a favorisé l'amorce d'un dialogue (concertation entre la presse et La Poste sur leurs investissements respectifs, dans la préparation des tâches et le routage pour les uns, dans l'organisation du réseau pour les autres).

Cependant, plusieurs raisons militaient en faveur d'une évolution du système.

Du point de vue de l'État et de La Poste, il convient de prendre en compte :

- le changement de statut de La Poste qui est appelée à évoluer dans un environnement concurrentiel incompatible avec la publication de ses comptes et le maintien d'un déficit systématique du compte presse ;

- le poids pour le budget de l'État de l'aide postale : depuis 1991 et conformément à l'article 38 du cahier des charges de La Poste, l'État participe à la prise en charge du coût du transport de la presse (versement de 950 millions de francs en 1991, 1,930 milliard de francs en 1992, 1,7 milliard de francs en 1993, 1,9 milliard de francs en 1994). Le contrat de plan signé le 14 octobre 1994 prévoit une contribution annuelle de 1,9 milliard de francs pour la période 1995-1997 ;

- la profonde restructuration intervenue depuis une dizaine d'années dans les métiers de la presse et La Poste, aujourd'hui installés non seulement dans un rapport prestataire/client, mais aussi clairement concurrents sur le hors média (La Poste retire aujourd'hui plus de 10 milliards de francs de l'activité de marketing direct, avec une croissance de 12% en 1994, concurrençant la presse qui s'oriente également vers des activités hors média).

Du point de vue de la presse, les mécanismes des Accords Laurent fonctionnent de façon de plus en plus contestable :

- les éditeurs de presse contestent les chiffres de couverture de leurs coûts de transport avancés par La Poste. Faute de comptabilité analytique appropriée, celle-ci ne serait pas en mesure d'en faire une évaluation fiable. La presse estime que les quelque 3.200 titres de la presse éditeurs concernent ainsi plus que le tiers de leur coût de diffusion, la presse associative n'en payant de son côté que 10 % environ en raison du faible poids de ses publications et compte tenu de l'articulation de la grille tarifaire ;

- la presse estime aussi la qualité du service postal insuffisante.

Il convient de rappeler à cet égard qu'en matière de qualité de service, les engagements de La Poste sont exprimés en délais et inscrits dans le protocole tripartite :

- J ou J + 1 pour les quotidiens ou les hebdomadaires ;

- J + 2 à J + 4 pour les autres périodicités.

Une observation régulière de la qualité de service est effectuée conjointement par la presse et La Poste.

Cette mesure permanente se fait pour les quotidiens et les hebdomadaires à partir d'un panel de 100 abonnés sur 19 départements selon un plan géographique glissant qui permet de couvrir la France en un an.

Les résultats constatés pour l'année 1994 en termes de respect du jour normal de distribution sont les suivants :

- quotidiens nationaux : 92,43 % ;

- hebdomadaires régionaux : 92,46 % ;

- hebdomadaires nationaux : 92,56 %.

A cette présentation encourageante de la qualité du service postal, la presse oppose quelques constatations de bon sens sur les barèmes de distribution : 8,29 % seulement des quotidiens étaient distribués avant 9 heures, 29,7 % avant 10 heures, 55,91 % avant 11 heures, et 84,81 % avant midi, en 1993. Or la presse quotidienne doit impérativement parvenir à ses abonnés avant qu'ils ne quittent leur domicile le matin, spécialement en zone urbaine, faute de quoi l'abonnement perd toute raison d'être. La Poste n'envisage cependant pas de rétablir un service spécifique de distribution des imprimés qui permettrait à la presse de parvenir aux abonnés avant 10 heures du matin. Elle propose en revanche un service de portage, dans certaines zones, dans un cadre contractuel, à un tarif que les éditeurs jugent excessif mais dont elle considère qu'il couvre seulement les frais de fonctionnement générés ;

- enfin, la grille tarifaire, les inégalités qu'elle susciterait entre la presse éditeurs et la presse associative, introduit entre les différentes formes de presse éditeurs des distorsions relevées par certains éditeurs : les publications s'inscrivant dans les tranches de poids supérieures à200 grammes, en majorité des titres de la presse magazine, subventionnent les publications les plus légères ; le tarif étant le même quel que soit le lieu de dépôt, la presse locale subventionne la presse nationale ; le tarif étant identique quelle que soit l'urgence, la presse quotidienne et hebdomadaire est subventionnée par la presse de périodicité plus espacée ; ces écarts sont mécaniquement amplifiés chaque année, dans la mesure où les augmentations de tarifs sont appliquées en pourcentage. Aussi, les différences de prix entre les tranches les plus basses et les tranches les plus hautes de la grille varient de 1 à 27.

Dans ces conditions, tout appelait à une révision profonde des conditions de transport postal de la presse. Le contrat de plan conclu en octobre 1994 entre l'État et La Poste pour la période 1995-1997 fixe les prémisses de la négociation.

Le contrat 1995-1997 ne fait en effet aucune référence aux Accords Laurent. L'article 7 du contrat de plan précise simplement que « pendant la période du contrat de plan, l'État stabilisera en francs courants, sur la période, sa contribution au titre de l'aide à la presse calculée sur une base de 1,9 milliard de francs ». Par ailleurs, l'article 7 prévoit que « les conditions d'évolution du système d'aide au transport de presse et en particulier son volet tarifaire (...) devront permettre de parvenir avant 2005, toutes choses égales par ailleurs, à un accroissement de la part prise par les éditeurs ».

Une lettre du précédent Premier ministre au président de la Fédération nationale de la presse française, en date du 7 octobre 1994, précise qu'à la lumière des conclusions des groupes de travail sur l'économie de la presse mis en place par le ministre de la communication, « des négociations entre la presse et La Poste, sous l'égide de l'État et avec la présence de parlementaires, devront se dérouler au cours de l'année prochaine pour aboutir, avant la fin de 1995, à un nouveau cadre conventionnel ».

2. La négociation presse-poste

Elle aura à résoudre en principe avant la fin de 1995 trois questions liées : celle de l'évolution des tarifs, La Poste souhaitant réduire la charge qu'elle assume au titre de la distribution postale, celle de la grille tarifaire, qui met en question, comme on vient de le voir, des intérêts forts divers, et celle de la qualité de service postal.

En se référant aux orientations dessinées en décembre dernier dans le rapport du Président Adrien Gouteyron sur la distribution de la presse (n° 152, 1994-1995), dont la validité demeure entière, votre rapporteur tient à avancer quelques remarques susceptibles d'éclairer les travaux de la table ronde :

- La Poste conçoit assez naturellement, comme on l'a vu, ses relations avec la presse comme de client à fournisseur, elle n'en demeure pas moins un service public dont la distribution de la presse n'est pas la moindre des missions depuis que la loi du 4 thermidor au IV a institué pour la presse périodique le premier tarif préférentiel de transport postal afin de « faciliter la circulation des ouvrages périodiques (...) pour encourager la libre communication des pensées entre les citoyens de la République ». Il est ainsi justifié que La Poste contribue au transport de la presse par le biais d'un tarif préférentiel et d'efforts d'amélioration de la qualité du service ;

- le contexte concurrentiel dans lequel La Poste évoluera désormais de plus en plus impose une stricte définition de sa contribution à l'aide postale, ce qui justifierait un retour à la logique initiale de cette aide : aide au lecteur dont il s'agit de favoriser la formation au métier de citoyen et non aide économique aux entreprises de presse.

Cette logique politique explique que l'aide postale bénéficie dans les mêmes termes à la presse éditeurs et à la presse associative, elle n'explique pas que tous les organes de presse en bénéficient indistinctement quelle que soit leur participation à la « libre communication des pensées ». On peut concevoir un redéploiement des moyens disponibles en faveur de la presse, aussi bien éditoriale qu'associative, qui concourt à la diffusion des idées et de l'information générale et politique ;

- dans la mesure où l'aide postale ne répond pas à une logique de solidarité entre éditeurs mais à une logique d'aide à la diffusion de la presse, ce qui implique l'égalité de traitement des publications éligibles, il serait légitime de supprimer de la grille tarifaire les éléments qui introduisent entre la presse associative et la presse éditeurs ainsi qu'entre les différentes catégories de la presse éditeurs les distorsions relevées ci-dessus ;

- il serait aussi justifié de réorganiser la grille tarifaire afin de mieux prendre en compte les critères d'urgence, de périodicité et de préparation qui diversifient sensiblement la situation des organes de presse devant le service postal.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page