B. LES PREMIERS SIGNES D'UN AJUSTEMENT DE LA PRODUCTION AU MARCHÉ

En dépit de la crise de la fréquentation qui a profondément affecté le secteur de l'exploitation au cours de la dernière décennie, la production cinématographique nationale, trouvant dans le petit écran un débouché commode lui permettant de s'affranchir de la sanction du grand, a traversé cette période sans dommage apparent, livrant, bon an mal an, autour de 140 longs métrages. Pour la première fois en 1994, la quantité de films produits par l'industrie française enregistre un fléchissement sensible. Plus que le symptôme d'une crise de la production, cette évolution traduit vraisemblablement une adaptation de ce secteur au marché : elle semble refléter une plus grande sélectivité des chaînes de télévision dans le montage des films, dont elles sont devenues en quelques années la principale source de financement.

1. Un fléchissement sensible du nombre de films produits

En 1994, 111 films 1 ( * ) ont obtenu l'agrément d'investissement délivré par le CNC qui conditionne l'octroi aux producteurs français du soutien financier de l'État à l'industrie cinématographique. Ce chiffre traduit une diminution importante au regard du nombre de films produits chaque année au cours de la dernière décennie, qui s'établissait entre 133 et 161 films. La baisse affecte tant les films d'initiative française que les coproductions auxquelles la France prend une part minoritaire.

Le nombre de films d'initiative française, indicateur le plus pertinent pour apprécier l'évolution de la production nationale en ce sens qu'il désigne les longs métrages produits et financés intégralement ou majoritairement par des partenaires français, s'établit à 89 unités en 1994, contre 101 à 115 en moyenne depuis 10 ans.

La diminution, dans des proportions comparables, du nombre de tournages entamés depuis le début de la présente année tend à accréditer l'idée qu'il ne s'agit pas là d'une régression conjoncturelle, mais au contraire d'une nouvelle tendance esquissée.

Cette évolution affecte essentiellement les films à « budget moyen », compris entre 15 et 25 millions de francs : 17 longs métrages de cette catégorie ont été réalisés en 1994 contre 29 en 1993.

En revanche, le montant global des investissements consentis en faveur de la production française s'est, à peu de chose près, maintenu entre 1993 et 1994. De ce fait, la réduction quantitative des films livrés s'accompagne d'une forte augmentation du devis moyen unitaire de production, qui s'établit à 26,1 millions de francs en 1994, en progression de 16 %.

Parallèlement, la part relative des films à « budget élevé » (devis supérieur à 40 millions de francs) continue de progresser : ils représentent 45 % des sommes investies dans la production cinématographique en 1994 (14 films) contre 34 % de celles-ci en 1993 (13 films), tandis que le record du film français le plus onéreux a été une nouvelle fois pulvérisé avec le Hussard sur le toit de Jean-Paul Rappeneau, dont le budget de production excède 176 millions de francs.

Dans le même temps, le renouvellement de la création continue d'être assuré avec la production de 22 « premiers films » d'un réalisateur en 1994, soit un retour à la moyenne observée entre 1987 et 1991 après deux années exceptionnelles, 1992 et 1993, marquées par la réalisation d'une quarantaine de premiers films.

En revanche, la production de « deuxièmes films » se maintient en 1994 au niveau honorable de vingt unités.

2. La marque d'une plus grande sélectivité dans les investissements réalisés par les chaînes de télévision et les SOFICA

a) L'évolution des sources de financement des films d'initiative française

Comme le rappelait opportunément M. Jacques Carat l'an passé, le financement de la production cinématographique française a subi de profonds bouleversements au cours de la dernière décennie.

ï L'apport des distributeurs, qui jouait un rôle essentiel dans le financement de la production jusqu'à une époque récente s'est marginalisé. Consentie sous forme « d'à valoir » sur les recettes escomptées de l'exploitation d'un film en salle, leur contribution oscille entre 5 à 6 % du coût de production d'un film et se caractérise par une forte concentration dans les films dont le budget est particulièrement élevé.

ï A l'inverse, les chaînes de télévision sont devenues en dix ans la principale source de financement de la production cinématographique

Leur participation, qui représentait 11,7% des investissements en 1986, atteint désormais un tiers de ceux-ci (33,9 % en 1994, dont 27,4 % sous forme de préachat de droits de diffusion et 6,5 % en coproduction, en progression de 10 % par rapport à 1993).


• Les autres sources de financement du cinéma restent proportionnellement stables, comme l'indique le tableau ci-après.

La participation des SOFICA s'est stabilisée au cours des dernières années autour de 5 à 7 % du budget de production des films français.

L'apport des producteurs français reste relativement constant, représentant un tiers des investissements.

La contribution du secteur vidéographique reste marginale, alors que son intervention est déterminante aux États-Unis.

Enfin, les aides publiques à la production, qu'elles soient automatiques ou sélectives, représentent au total un peu plus de 12 % du coût des films français.

Structure de financement des films d'initiative française

(1986-1994)

b) La récente concentration des investissements des chaînes de télévision et des SOFICA dans la production


• En 1994, les chaînes de télévision en clair ont préacheté ou coproduit 56 films dont 50 films d'initiative française, soit 13 films de moins qu'en 1993. Leur apport moyen par film continue cependant de progresser : pour TF1, il est passé de 8,9 millions de francs en 1993 à 11,7 millions de francs en 1994.

Dans le même temps, Canal Plus a préacheté 91 films produits en 1994, dont 75 films d'initiative français, soit autant que l'année précédente, mais sensiblement moins qu'en 1992 où les préachats portaient sur 124 films.

Les investissements des chaînes de télévision toutes catégories confondues dans la production cinématographique tendent donc à devenir plus sélectifs. Il faut sans doute voir dans cette évolution la conséquence du lien de corrélation établi entre le succès rencontré par un film auprès du public des salles de cinéma et sa capacité à faire grimper l'audimat. Par un juste et sain retour des choses, les attentes du public, spectateur ou téléspectateur semblent devoir guider davantage les choix des investisseurs, et la plus grande sélectivité observée cette année traduire une quête de qualité.

Si l'évolution esquissée au cours des deux dernières années devait être confirmée et refléter un réel changement de mentalités la production française pourrait sans dommage faire le deuil des produits hybrides mi-films, mi-téléfilms, qui pour être promis à une carrière désastreuse en salles ne parviennent pas davantage à séduire les téléspectateurs.


• Le mouvement de concentration observé à l'échelon des chaînes de télévision est amplifié par un phénomène identique caractérisant les investissements des SOFICA dans la production cinématographique. En 1994, l'intervention des SOFICA a porté sur 29 films seulement, alors qu'elles avaient investi dans la production de plus d'une cinquantaine de films par an au cours des quatre années précédentes. Entre 1993 et 1994 cependant, le montant total de leur investissement dans la production a progressé, autorisant une forte augmentation de l'investissement moyen par film (2,6 millions de francs en 1993 ; 4,7 millions de francs en 1994).

* 1 non compris les films bénéficiaires de l'aide aux coproductions avec les pays d'Europe centrale et orientale, le fonds ECO, soit 4 films en 1994, contre 15 en 1993 et 11 en 1992.

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