N° 78

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1995.

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi de finances pour 1996, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME VI

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Par M. Jean-Pierre CAMOIN, Sénateur.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (l0ème législ.) : 2222. 2270 à 2275 et T.A. 413.

Sénat : 76 et 77 (annexe n°17) (1995-1996).

Lois de finances.

(1) Cette commission est composée de MM Adrien Gouteyron , président; Pierre Laffitte,Albert Vecten, Jean Delaneau, Jean-Louis Carrère, vice-présidents; André Egu, Alain Dufaut, André Maman, Ivan Renar, secrétaires ; François Autain, Honoré Bailet, Jean Bernadaux, Jean Bernard, James Bordas, Jean-Pierre Camoin, Jean-Claude Carle, Robert Castaing, Marcel Charmant, Philippe Darniche, Marcel Daunay, André Diligent, Ambroise Dupont, Daniel Eckenspieller, Alain Gérard, Jean-Paul Hugot, Pierre Jeambrun, Alain Joyandet, Philippe Labeyrie, Pierre Lacour, Henri Le Breton, Jacques Legendre, Guy Lemaire, François Lesein, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin, François Matthieu, Philippe Nachbar, Sosefo Makapé Papilio,MichelPelchat, Jean-Marie Poirier, Guy Poirieux, Mme Danièle Pourtaud. MM.Roger Quilliot,Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Claude Saunier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Marcel Videl, Henri Weber.

« Nous voici arrivés au temps où nous ne pouvons plus ni accepter nos maux ni en supporter les remèdes »

Tite Live, Livre I (Préface)

Mesdames, Messieurs,

Dans un contexte économique et budgétaire qui est commandé par la recherche de la réduction des déficits, le projet de budget de l'enseignement supérieur, s'il témoigne encore de la priorité donnée par le Gouvernement à la formation supérieure des jeunes, et à l'accueil d'un nombre d'étudiants aujourd'hui stabilisé, apparaît comme un budget de transition et d'attente.

La large concertation proposée par le ministre sur l'avenir de l'enseignement supérieur, selon un calendrier précis -au cours du premier trimestre 1996 pour la définition du statut de l'étudiant, avant la fin du deuxième trimestre 1996 pour une nouvelle organisation de l'enseignement supérieur- annonce en effet, en associant tous les acteurs à la réflexion engagée, une réforme profonde de notre système universitaire.

Les problèmes de l'orientation, de l'organisation des premiers cycles, de la définition et de la simplification des filières et notamment de la filière technologique et professionnelle, de l'accueil et de la vie quotidienne des étudiants qui seront évoqués dans le présent rapport pour avis sont donc susceptibles de faire l'objet de propositions concrètes dans moins de sept mois.

Le rapporteur pour avis de votre commission qui a été associé au cours des années récentes aux projets et propositions d'aménagements de notre système universitaire ne peut que souscrire à la démarche annoncée par le ministre, qui s'inspire de celle qui a été adoptée pour l'enseignement scolaire avec le « nouveau contrat pour l'école » ; cette procédure devrait permettre de surmonter l'allergie de la communauté universitaire à tout aménagement d'importance, tant en ce qui concerne l'assouplissement du fonctionnement des universités, que la tentative de réforme de la filière technologique universitaire, ou des aides à la personne concernant le logement étudiant.

S'agissant de la méthodologie retenue par le ministre, si la convocation d'États généraux et l'établissement de cahiers de doléances a donné lieu à des résultats inégaux au cours de notre histoire, il apparaît cependant que la manière d'établir un diagnostic et d'administrer une thérapeutique, en y associant le malade, laisse bien augurer du sort d'une réforme en profondeur qui est attendue par de nombreux acteurs de notre système universitaire.

Cette réforme est rendue indispensable et apparaît d'autant plus urgente que les temps ont changé.

A une université encore élitiste il y a quelque vingt-cinq ans a succédé une université de masse dont les difficultés se sont traduites dans un certain nombre d'établissements depuis la dernière rentrée.

Cependant, le plan d'urgence qui vient d'être lancé par le ministre en faveur des universités les plus défavorisées doit évidemment tenir compte des contraintes budgétaires du moment ; il n'est plus possible d'envisager une réforme de l'enseignement supérieur par la seule injection de moyens financiers supplémentaires comme à la fin des années 60.

A cet égard, le système de gestion des moyens de fonctionnement des établissements supérieurs, qui est pour partie à l'origine des difficultés récemment rencontrées, doit être revu.

Si le schéma université 2000 a permis de répondre, par un effort considérable en faveur des constructions universitaires, à l'afflux de nouveaux étudiants, le problème du fonctionnement et de l'encadrement pédagogique de ces établissements nouveaux reste entier, notamment dans les deuxième et troisième cycles universitaires où l'encadrement des étudiants est nécessairement renforcé et donc plus coûteux.

Par ailleurs, si le développement de l'enseignement supérieur et de la recherche constitue évidemment une chance pour notre pays, il ne faudrait pas que la massification se réalise dans des formations universitaires qui débouchent sur le vide, notamment pour les étudiants issus de milieux moins favorisés, et soit à l'origine d'un véritable gâchis de ressources humaines.

Un enseignement supérieur étendu au grand nombre doit ainsi être diversifié, et à côté d'une formation générale post-secondaire, il doit tendre au renforcement de la formation professionnelle en liaison avec les besoins de notre économie.

Par ailleurs, alors que la « dualisation » de l'enseignement supérieur est déjà engagée, il ne faudrait pas que l'affectation de toutes ses ressources à un enseignement de masse sans orientation et sans finalités aboutisse à sacrifier la recherche universitaire au nom d'un égalitarisme aveugle, laquelle se réfugierait alors dans les grands établissements et les grands laboratoires.

Il convient ainsi de se garder de toute tentation de « secondarisation » de l'enseignement supérieur, sans privilégier à l'extrême les aspects sociaux de la vie étudiante, et de donner leur juste place aux enseignants-chercheurs qui sont l'avenir de l'université en leur conférant un véritable statut.

Toute réforme de notre système universitaire devra pas ailleurs se fixer un objectif : celui de la nécessaire évaluation des établissements d'enseignement supérieur, non en mesurant leurs flux d'entrée, mais en évaluant la quantité et la qualité des sorties, aussi bien en termes de diplômes qu'en termes d'insertion professionnelle et sociale de leurs étudiants. L'affectation de crédits publics considérables à l'enseignement supérieur suppose désormais qu'un contrôle soit exercé sur leur utilisation, et notamment sur la qualité des formations dispensées ; ceci implique également que l'habilitation des formations soit accordée d'une manière objective en évitant les dérives qui peuvent résulter d'un certain corporatisme universitaire.

Un tel renversement des perspectives suppose un renforcement de l'autonomie des universités, l'État se réservant de définir le cadre et les principes généraux de l'enseignement supérieur et notamment la garantie de l'accès à cet enseignement, ce qui exclut toute tentation de sélection et privilégie l'orientation des lycéens et des étudiants.

Si la réforme du système universitaire ne rompt pas avec une conception qui a consisté à ouvrir les filières supérieures au plus grand nombre sans s'interroger sur les conséquences de cette massification, alors l'enseignement supérieur ne pourra qu'aggraver les inégalités entre les étudiants.

Enfin, alors que les formations supérieures étaient censées être une préparation à l'emploi, une étude de l'INSEE vient notamment de confirmer d'une manière brutale que « l'offre du système éducatif apparaît comme une alternative au chômage » : les étudiants ne prolongeraient plus leurs études pour trouver un emploi mais pour retarder le moment où il leur faudra affronter le marché du travail. Plus grave encore, cette déconnexion entre études et emplois est illustrée par le fait que, plus les débouchés professionnels d'une filière sont faibles, plus le nombre d'étudiants augmente.

Dans cette perspective, ce ne sont plus les 80 % de bacheliers mais les 80 % de bac + 5 qui risquent de devenir la norme implicite : bon nombre de ces super-diplômés n'auraient ensuite le choix qu'entre le chômage ou la déqualification.

Pour que l'enseignement supérieur échappe à cette spirale absurde, il conviendra ainsi de procéder à une véritable réforme structurelle de notre système d'enseignement supérieur.

Avec 44,1 milliards de francs en dépenses ordinaires et en crédits de paiement, y compris les crédits de recherche universitaire relevant du budget civil de recherche et de développement, les crédits prévus pour 1996 en faveur de l'enseignement supérieur enregistrent une progression importante de 4,5 %, plus de deux fois supérieure à celle du budget de l'État, mais inférieure à celle de 1995 qui s'élevait à 5 %. Le projet de budget de l'enseignement supérieur s'attache par ailleurs à mobiliser les moyens existants et à concentrer les moyens nouveaux sur les besoins les plus urgents.

Le tableau ci-après retrace l'évolution des crédits de l'enseignement supérieur prévue pour 1996 :

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (RECHERCHE UNIVERSITAIRE COMPRISE)

La part de l'enseignement supérieur dans le budget total de l'éducation nationale continue à augmenter très légèrement et devrait atteindre 13,9% en 1996.

PART DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

(RECHERCHE UNIVERSITAIRE COMPRISE)

DANS LE BUDGET DE L'ÉDUCATION NATIONALE

Il convient de rappeler, qu'en 1994, les dépenses du ministère chargé de l'enseignement supérieur n'ont représenté que 70 % du total des 90 milliards de francs consacrés par la collectivité nationale à l'enseignement supérieur, le reste étant supporté par d'autres ministères, les collectivités territoriales, les entreprises et les ménages.

Après avoir retracé les conditions dans lesquelles s'effectuera l'accueil des étudiants, il conviendra d'examiner l'évolution du régime des diverses formations supérieures proposées, la politique menée en faveur des établissements universitaires, de rappeler le système d'aides aux étudiants qui est prioritairement concerné par la réforme ainsi que le calendrier annoncé pour cette dernière.

I. LES CONDITIONS D'ACCUEIL DES ÉTUDIANTS

A. UNE CROISSANCE RALENTIE DES EFFECTIFS D'ÉTUDIANTS

1. L'inflexion de la croissance des effectifs

La fin des années 80 a été marquée par une croissance soutenue des effectifs de l'enseignement supérieur. Cette tendance se prolonge en 1991 où on dénombre 145.000 étudiants de plus que l'année précédente, ce qui représente un taux d'augmentation de 8,4 %. La rentrée de 1992 initialise une phase de ralentissement avec une progression de 6,2 % seulement, confirmée par la rentrée suivante (6,4 %), la progression n'étant plus que de 2,1 % en 1994.

L'université (IUT exclus) gagne encore 35.000 étudiants à la rentrée 1994, mais cette hausse reste modeste en regard des années précédentes. A partir de 1991, la mise en place des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) avait contribué à l'augmentation des effectifs inscrits dans l'enseignement supérieur, en partie grâce à la création d'une deuxième année pour la formation des enseignants du second degré et par l'incitation à la poursuite d'études, très perceptible en second cycle universitaire. Cet effet s'est maintenant estompé.

Le développement des écoles d'ingénieurs, qui depuis la début des années 90 ont gagné environ 5.000 étudiants par an, marque le pas. Celui des sections de techniciens supérieurs (STS) et des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) connaît un net fléchissement depuis 1992, en partie en raison d'un reflux démographique mais aussi d'une préférence des nouveaux bacheliers pour l'université.

La filière économique prise au sens large (DEUG de sciences économiques, écoles de commerce et de gestion) attire moins les nouveaux bacheliers et les effectifs correspondants sont en diminution.

EFFECTIFS D'ÉTUDIANTS : CONSTAT ET PRÉVISIONS

2. La rentrée de 1995

a) Les inscriptions à la rentrée 1995

Le système universitaire a accueilli 2,2 millions d'étudiants lors de la dernière ventilés ainsi qu'il suit :

- universités : 1,588 million, soit 46.000 de plus par rapport à 1994, dont 686.000 en premier cycle, 704.000 en 2ème et 3ème cycles et 102.000 dans les IUT ;

- classes supérieures : 313.000, soit 9.000 étudiants de plus qu'en 1994, dont 78.000 en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et 235.000 en sections de techniciens supérieurs (STS) ;

- autres établissements (publics et privés) : 299.000, soit une progression de 4.000 étudiants par rapport à 1994.

b) Les établissements d'accueil

Ces 2,2 millions d'étudiants ont été accueillis dans 90 universités et 3.600 établissements publics et privés, dont :

- 233 écoles d'ingénieurs ;

- 270 écoles de commerce, de gestion et de comptabilité ;

- plus de 2.000 établissements comportant des STS et des CPGE.

c) L'afflux inattendu des nouveaux bacheliers

Les résultats inattendus du baccalauréat rénové en 1995 se sont traduits par une augmentation d'environ 19.000 bacheliers généraux et technologiques, essentiellement dans les séries ES (+13.000) et STT (+4.000) alors que le nombre de bacheliers scientifiques étaient en réduction (-4.000) par rapport aux résultats de 1994.

Par un effet mécanique, ces bons résultats se répercutent sur l'enseignement supérieur : les effectifs des 1ers cycles, des CPGE et des STS devraient croître de 21.000 étudiants, tandis que ceux des 2ème et 3ème cycles devraient progresser de 27.000 étudiants.

Le 1er cycle universitaire devrait donc connaître une progression dans l'ensemble des formations :

- croissance modérée dans les IUT, mais plus forte dans le secteur tertiaire en raison de la forte poussée des baccalauréats STT et ES ;

- interruption de la baisse des effectifs des STS tertiaires et même progression du nombre d'inscrits ;

- remontée des effectifs des CPGE, due à la rénovation de cette filière, notamment pour le commercial, et à un regain d'intérêt des bacheliers pour ces formations.

LES EFFECTIFS DANS L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

3. Le devenir des étudiants : la mesure de l'échec universitaire

a) Le taux d'accès en second cycle

Plus de la moitié des étudiants qui se sont inscrits à l'université accède au second cycle en deux, trois ou quatre ans. Les autres, soit abandonnent leurs études supérieures, soit les poursuivent ailleurs qu'à l'université.

Pour un entrant en première année, les chances de parvenir en second cycle ont fortement augmenté entre 1987 et 1990, passant de 46 % à plus de 54 % en trois ans. Cette amélioration tient en premier lieu à la rénovation des DEUG de 1984 qui a contribué à améliorer la réussite en premier cycle.

Le début des années 1990 révèle une évolution plus préoccupante : le taux d'accès en deuxième cycle gagne un point à la rentrée 1993, la fréquence d'accès en second cycle reste largement inférieure à ce qu'elle était trois ans plus tôt (63,6 % en 1993 contre 65,54 % en 1990).

Les bacheliers généraux sont aujourd'hui trois sur cinq à se retrouver en deuxième cycle après deux, trois ou quatre années passées à l'université. Cette proportion est la même qu'en 1990, alors qu'elle était de un sur deux en 1987. Les titulaires d'un baccalauréat technologique, peu nombreux à engager un cursus universitaire auquel ils sont moins bien préparés, ne sont qu'un sur quatre à atteindre ce niveau. Si les chances des bacheliers F et G étaient au départ similaires (20 % en 1987), les premiers sont aujourd'hui près de 30 % à parvenir en second cycle, contre à peine 23 % des seconds.

b) Le niveau de formation acquis à la sortie de l'enseignement supérieur

Plus de 400.000 étudiants ont quitté l'enseignement supérieur en 1993, dont 180.000 environ, c'est-à-dire 44 %, avec un niveau au moins égal à la licence.

Les jeunes sont toujours plus nombreux à accéder à des formations post-baccalauréat et ils quittent l'enseignement supérieur après des études de plus en plus longues. En 1993, ils sont 406.000 à sortir d'une formation supérieure (diplômés ou non). Le rythme de progression du nombre de sortants va toutefois en s'atténuant : 8 % en 1990, 5 à 6 % en 1991 et 1992, 3% en 1993.

La forte croissance des diplômés de niveau au moins égal à la licence se poursuit. Cette augmentation est due pour la plus grande partie à la progression des sorties des disciplines générales universitaires et des IUFM. Le nombre de licences et de maîtrises délivrées continue à augmenter fortement.

La part des sorties à bac + 2 dans l'ensemble des sorties reste quasi stable, autour de 28 %. Le nombre de diplômés qui entrent directement dans la vie active après avoir obtenu un diplôme de niveau bac + 2, progresse moins vite que par le passé. Les sorties les plus nombreuses à ce niveau sont celles des titulaires d'un BTS. Le nombre de BTS délivrés est en augmentation, principalement dans le secteur tertiaire, où une notable amélioration du taux de réussite a été constatée.

La part des sorties non diplômées, c'est-à-dire de bacheliers n'ayant acquis aucun diplôme nouveau, diminue : en 1993, le nombre de jeunes quittant l'enseignement supérieur après un échec en premier cycle universitaire commence à décroître. Par ailleurs le nombre d'étudiants abandonnant la préparation d'un BTS sans obtenir de diplôme est en recul.

A l'université, les disciplines générales produisent près de 176.000 sortants, effectif proche de celui de l'an passé. Cette stabilité globale masque une évolution par niveau : la part des sortants de niveau bac + 3 et au-delà s'accroît, celle des autres niveaux a tendance à diminuer. Le pourcentage de diplômés de niveau I, II dans l'ensemble des sortants reste proche de 65 % en sciences, mais il augmente notablement dans les disciplines littéraires, juridiques et économiques.

LES SORTIES DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (ENSEMBLE DES FORMATIONS SUPÉRIEURES)

4. Le problème de l'évaluation des formations

L'évaluation des établissements et des formations de l'enseignement supérieur est aujourd'hui très insuffisante, notamment en ce qui concerne l'adaptation des formations dispensées aux exigences de la vie professionnelle.

Compte tenu de l'importance des crédits consacrés à l'enseignement supérieur, et du principe de l'autonomie des établissements, il apparaît anormal que l'ensemble des formations, les initiatives des établissements, les résultats obtenus en termes de sorties du système, ne fassent pas l'objet d'une véritable évaluation, tant spécifique que générale qui permettrait par ailleurs d'améliorer l'orientation des lycéens et des étudiants vers des filières correspondant à leurs aspirations et aux besoins de l'économie et de la société.

Cependant, dans le domaine de l'enseignement supérieur, l'individualisme académique a longtemps contrarié l'introduction de tout système d'évaluation.

a) Les études du Comité national d'évaluation

Le décret du 21 février 1985 a créé un Comité national d'évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, chargé d'évaluer les établissements et d'apprécier les résultats des contrats passés par eux. Sous l'impulsion de M. Laurent Schwartz, le CNE a affirmé son indépendance par rapport à l'administration centrale et aux corps d'inspection, et l'originalité de son action en s'inspirant par ailleurs de l'expérience des pratiques anglo-saxonnes.

- Les méthodes d'évaluation

L'évaluation consiste d'abord à recueillir et à analyser les données quantitatives fournies par les établissements.

Depuis dix ans, des efforts importants ont été enregistrés dans le domaine statistique, pour évaluer les effectifs étudiants et enseignants et suivre leur évolution sur le moyen terme.

Par ailleurs, le principe d'une évaluation par les pairs se traduit par le fait que 80 % des experts du CNE sont des professeurs d'université.

- Les rapports d'évaluation publiés


• A la fin de 1995, une centaine de rapports d'évaluation portant sur l'ensemble des universités françaises auront été publiés.

Depuis 1993, le CNE a élargi son approche strictement institutionnelle en tentant de privilégier l'évaluation disciplinaire transversale, les problèmes généraux de l'université et les évaluations successives pour mesurer les incidences des recommandations faites aux établissements.


• Le dernier rapport annuel du CNE au Président de la République fournit ainsi des éléments d'évaluation sur le devenir des diplômés, les personnels IATOS, l'enseignement des langues vivantes aux non spécialistes,les magistères, la politique documentaire des établissements et abordent deux défis pour l'enseignement supérieur, l'aménagement du territoire et les difficultés des premiers cycles universitaires.

- Des indicateurs pour l'évaluation

Dès 1987-1988, le CNE avait créé un groupe de travail avec la Conférence des présidents d'université, afin d'élaborer les critères et les indicateurs utilisés pour l'évaluation d'un établissement d'enseignement supérieur. Le CNE a repris cette démarche en 1994, en tenant compte de l'expérience des secrétaires généraux et des agents comptables des universités.

Les présidents d'université sont convenus que l'évaluation est un instrument essentiel de l'autonomie des universités et de l'amélioration de la qualité de l'enseignement supérieur.

Lors d'un séminaire commun CNE/CPU, qui s'est tenu le 21 octobre 1994, les nouvelles approches du CNE ont été arrêtées :

- le retour dans les établissements évalués une première fois renforce la nécessité d'une évaluation interne menée par l'établissement en préalable de l'évaluation externe du CNE ;

- la poursuite des évaluations par discipline répond à une préoccupation de mesure de la qualité, qui doit reposer nécessairement sur des données homogènes ;

- les problèmes généraux, d'ordre transversal, de l'enseignement supérieur appellent des analyses fondées sur des données objectives.

La nécessité de disposer de données fiables, homogènes et accessibles, s'inscrit dans un effort de transparence souhaité par les responsables des établissements au plan local et régional ainsi que par l'administration centrale qui s'emploie, de son côté, à élaborer des instruments de mesure et de pilotage au niveau national. Ce nouveau dispositif devrait permettre :

- aux universités de tenir un tableau de bord pour leur propre gestion, mais aussi pour procéder à une évaluation interne préalable à la définition du projet d'établissement, à l'élaboration des contrats et aux évaluations externes ;

- au CNE de mettre à la disposition de ses experts des données élaborées et validées en commun, permettant, pour l'évaluation d'un établissement ou d'une discipline, de fonder une appréciation qualitative et un jugement par les pairs.

- Des travaux cependant encore trop parcellaires à diffusion tardive et restreinte

En dépit de l'intérêt des rapports du CNE et de ces nouvelles orientations, ceux-ci apparaissent encore trop parcellaires et tendent à privilégier l'évaluation institutionnelle des établissements au détriment d'une évaluation transversale par discipline.

Par ailleurs, le rapport annuel du CNE ne peut à lui seul constituer un instrument de synthèse susceptible d'orienter les actions du ministère, par exemple en matière d'habilitation des formations.

Enfin, ces rapports sont publiés après un certain délai et le CNE ne semble pour l'instant pas en mesure de communiquer rapidement des données aussi simples à rassembler que celles concernant les effectifs des étudiants et des diverses catégories de personnels dans les semaines qui suivent la rentrée universitaire, aussi bien au plan national qu'au niveau de chaque établissement.

En bref, les moyens humains et financiers, d'ailleurs en régression, accordés au CNE, ne lui permettent pas d'effectuer toutes les études qui seraient indispensables pour assurer l'évaluation satisfaisante de notre système d'enseignement supérieur dans ses diverses composantes, de répondre aux demandes d'enquêtes immédiates, et de constituer ainsi l'outil permanent et adapté aux besoins du ministère et de l'information des étudiants.

b) Le nécessaire renforcement de l'évaluation

Alors que l'évaluation en matière de recherche fonctionne de manière satisfaisante, les informations données sur les débouchés des filières et des diplômes de l'enseignement supérieur sont insuffisantes, ainsi que celles données en matière d'insertion professionnelle.

Une politique dynamique d'évaluation et d'information permettrait par exemple de réguler l'attribution de bourses pour les DEA en fonction des perspectives d'insertion professionnelle et d'accorder une habilitation aux formations correspondantes.

Parallèlement à une réactivation de l'ONISEP, à un développement de l'action du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) et d'une périodicité plus régulière des publications de l'observatoire de la vie étudiante, il devrait revenir à la Direction générale des enseignements supérieurs, et surtout à la Direction de l'évaluation et de la prospective (DEP), de développer l'évaluation des universités et d'établir une carte des formations. La DEP qui dispose notamment de moyens humains importants (200 personnes), dont la qualité des études est reconnue, devrait ainsi consacrer une large part de ses travaux à l'enseignement supérieur.

c) Le programme de travail de la Direction de l'évaluation et de la prospective

Le développement de l'information, de l'analyse et des outils d'évaluation du supérieur est inscrit dans le programme de travail 1995 de la DEP : c'est en effet dans ce domaine que la qualité du système d'information doit le plus progresser afin de fournir à l'administration centrale, aux établissements et à l'opinion des éléments de pilotage, de connaissance et d'évaluation du secteur de l'enseignement supérieur.

Le système d'information sur le suivi des étudiants (SISE) devrait être la pièce maîtresse de ce développement : ses normes ont été testées et, les nomenclatures de diplôme ont été rénovées ; il convient maintenant, en s'articulant en particulier au système APOGEE de gestion des universités, de remplacer progressivement certaines des enquêtes actuelles par des remontées d'information, élaborées selon des normes de qualité et comparables d'un établissement à l'autre.

Pour la première fois, cette année devrait être élaboré un système d'indicateurs expérimental des établissements, qui aidera l'ensemble des acteurs nationaux et locaux, ainsi que l'opinion, à disposer de données quantitatives communes.

Dans cette perspective de rationalisation du système, l'effort de complémentarité des enquêtes engagé entre les directions du supérieur et la DEP sera poursuivi et des relations régulières et plus formalisées seront établies avec le ministère, la CPU et avec les services d'inscription et informatiques des universités.

Chaque rentrée universitaire fera ainsi l'objet à la fois par de projections nationales à court terme élaborées au printemps (ventilées par académie), d'une préparation de la rentrée tenant compte des résultats au baccalauréat et des voeux des élèves de terminale, disponible fin septembre et d'une estimation rapide (fin octobre) des nouveaux inscrits en premier cycle, accompagnée d'une analyse des motifs d'inscription à l'université.

Une prospective nationale de moyen-long terme sera en outre réalisée comme chaque année et sera complétée dès 1995 par une contribution de la DEP à l'élaboration et à la validation des schémas régionaux de l'enseignement supérieur et de la recherche.

La DEP, par ailleurs, participera aux efforts du ministère pour bâtir un système d'information sur le patrimoine et les enseignants. Sur ce dernier point, des analyses nouvelles devraient permettre d'apprécier l'ordre de grandeur des besoins en nouveaux enseignants au cours des prochaines années, compte tenu des départs en retraite et des évolutions d'effectifs étudiants.

Enfin, les relations entre la DEP et les IUFM pourraient se développer, notamment pour familiariser les futurs enseignants avec le système éducatif et les outils d'évaluation.

Une véritable politique d'évaluation permettrait ainsi de dispenser une information solide sur les filières et les formations aux étudiants, de réduire les conséquences d'orientations hasardeuses, de diminuer le taux d'échec à l'université, d'attribuer des habilitations à des filières débouchant sur un véritable emploi et plus généralement d'orienter les moyens humains et financiers de l'enseignement supérieur d'une manière plus cohérente.

L'affectation de crédits publics de plus en plus importants à l'enseignement supérieur suppose désormais qu'un contrôle rigoureux, à l'instar de celui exercé par les chambres régionales des comptes sur les collectivités locales depuis la mise en oeuvre de la décentralisation, soit exercé sur leur utilisation, et notamment sur la qualité des formations dispensées.

Ceci implique que l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur fasse l'objet d'une évaluation, qui ne porterait pas seulement sur les flux d'entrée de leurs étudiants mais aussi sur la quantité et la qualité des flux de sortie mesurées en termes de diplômes et d'insertion professionnelle et sociale.

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