5. Une nécessaire mobilisation autour des enjeux économiques de la francophonie

Une politique cohérente de la langue, conduite dans le cadre de la coopération francophone, une prise de conscience des enjeux linguistiques par les responsables publics et privés, un développement concerté des industries de la langue, une utilisation méthodique des atouts du français dans le domaine commercial ne présentent que des avantages : gains sur les marchés extérieurs et élargissement de ceux-ci, création dans notre pays d'activités et de services nouveaux, aux conséquences positives sur l'emploi. Elle suppose la mobilisation de tous et au premier chef des entreprises françaises.

Elles sont les premières concernées par la dimension économique de la francophonie. Or force est de constater qu'elles en méconnaissent souvent les enjeux non seulement dans leur stratégie commerciale mais également au sein même de leur établissement, comme le constatait dans son rapport le groupe de travail « industrie économie marché » qui avait été mis en place en 1993 par le ministre de la culture et de la francophonie, M. Jacques Toubon.

QUAND UN PUBLICITAIRE DÉCOUVRE LES VERTUS DE LA FRANCOPHONIE

Alors que nombreux ont été les publicitaires qui avaient lors de l'adoption de la loi du 4 août 1994 dénoncé le caractère désuet de la défense de la langue française, on ne peut que se féliciter qu'un des membres les plus éminents de cette profession se fasse aujourd'hui le défenseur de la francophonie.

En effet après avoir dressé un constat critique du dernier festival publicitaire de Cannes qui s'est achevé « une fois de plus à l'avantage de l'anglo-saxonite, une fois encore au détriment de la France », M. Séguéla se demandait cet été dans le Figaro « pourquoi nous ne ferions pas respecter chez nous notre langue ». C'est précisément ce qu'entreprennent les pouvoirs publics. Les promoteurs de la francophonie ne peuvent que se sentir réconfortés.

Dans la plupart des filiales d'entreprises françaises à l'étranger, notamment en Amérique du Sud, en Espagne, en Italie et dans les pays de l'Est, les collaborateurs, cadres, employés, secrétaires, recrutés localement, souvent très fiers de travailler dans une entreprise française, sont peu ou pas sensibilisés, voire motivés, par leurs entreprises à apprendre la langue française, voire à utiliser ce qu'ils ont pu en apprendre à l'université, dans les différentes Alliances françaises et dans les lycées français locaux.

La maîtrise de l'anglais est souvent une condition prioritaire parmi les critères d'embauché. Bien qu'ils soient constamment en contact avec des Français, jamais on ne demande à ces collaborateurs de posséder quelques rudiments de notre langue pour pouvoir rentrer dans l'entreprise. De même, des fonds de formation permanente sont utilisés pour améliorer le niveau d'anglais de ces cadres. Jamais, ou rarement, on n'en fait autant pour le français.

Il convient donc d'engager un effort important de sensibilisation auprès des responsables d'entreprise, et de mettre en place des incitations à la formation du personnel local à la langue française en liaison avec les filières francophones créées par le ministère des Affaires étrangères dans certaines universités étrangères. Il est en effet regrettable que les élites francophones formées par ces filières ne trouvent pas au sein des entreprises françaises implantées localement des débouchés. Comme l'ont observé les membres de la mission d'information sur la francophonie et l'enseignement du français, présidée par M. Adrien Gouteyron, président de la commission des Affaires culturelles, qui s'est rendu en République socialiste du Vietnam en septembre dernier, les efforts entrepris pour mettre en place des enseignements supérieurs en français à l'étranger, n'obtiendront des résultats que s'il existe de réels débouchés sur le marché du travail afin que le choix de l'apprentissage du français ne soit pas source de désillusions.

Or, à un autre niveau, trop peu d'entrepreneurs s'intéressent aux programmes d'intensification des échanges économiques, scientifiques et technologiques qui sont mis au point dans le cadre des institutions francophones. À cet égard, il faut saluer l'action menée par des organismes tels que le Forum francophone des affaires qui s'appliquent à promouvoir les liens entre partenaires francophones.

Les institutions de la francophonie multilatérales ont également leur rôle à jouer. Il n'y a pas lieu ici de rappeler la responsabilité des institutions et des opérateurs de la francophonie en matière de coopération, d'échange et de développement. On doit cependant se féliciter que l'action en faveur d'une coopération en matière de technologie de l'information soit aujourd'hui mieux prise en compte comme l'illustrent la résolution n° 10 du Sommet de Cotonou sur la société de l'information ainsi que les nombreux programmes initiés par l'AUPELF-UREF et l'ACCT.

Il revient enfin et surtout à l'ensemble des structures ministérielles concourant a la francophonie de poursuivre sans relâche la promotion de la langue française dans le monde.

L'Allemagne qui ne bénéficie pas -loin s'en faut- d'un réseau comparable à celui de la francophonie a parfaitement intégré l'articulation entre la politique linguistique et la promotion des exportations. Elle a ainsi consacré plus de 525 millions de francs aux programmes linguistiques en Europe de l'est dans le but clairement affiché d'augmenter ses parts de marché dans des économies qui ont un potentiel d'expansion important.

De son côté, le Gouvernement français ne consacre que près de 150 millions de francs à la diffusion du français dans les pays d'Europe centrale et orientale.

Au-delà de la différence de moyens financiers, il conviendrait d'étudier les différences de stratégie entre les deux pays. Il semble en effet que l'Allemagne ait réussi à mobiliser autour de l'enjeu linguistique non seulement les ressources du ministère des Affaires étrangères mais également celles de fédérations privées et de collectivités territoriales.

La diffusion du français à l'étranger exige également la mise en place de stratégies appropriées à chaque pays. Dans certains cas, il pourrait apparaître préférable de mettre en place des filières franco-anglaises en collaboration avec des partenaires britanniques plutôt que d'implanter des filières francophones qui ne pourront pas offrir à leurs étudiants de débouchés réels. Dans d'autres cas, l'accent devrait être mis sur la formation locale de professeurs de français.

Il convient enfin de souligner la liaison existant entre l'enseignement du français à l'étranger et l'étude des langues étrangères en France.

Comme l'a observé la mission d'information sur l'enseignement des langues vivantes dans l'enseignement scolaire 3 ( * ) que présidait votre rapporteur, il ne faut pas s'étonner que certains pays de l'Europe centrale, traditionnellement francophones, répugnent à engager des efforts en faveur de l'enseignement du français, alors que leur propre langue n'est plus enseignée en France.

L'évolution récente révèle en effet une régression du nombre des langues effectivement demandées et étudiées, et donc une hégémonie écrasante de l'anglais.

Or, si rien n'est fait dans les années à venir, la France verra son potentiel linguistique irrémédiablement condamné à l'uniformisation autour d'une seule langue étrangère, cette perspective risquant d'être encore accélérée avec la mise en place d'un apprentissage précoce des langues qui n'a pas abordé le problème crucial de la diversification linguistique, et est de nature à renforcer le « tunnel du tout anglais », c'est-à-dire un cursus continu allant du cours élémentaire de l'école primaire jusqu'à l'entrée dans l'enseignement supérieur.

Un an après la publication de ce rapport, il ne semble pas que le ministre de l'éducation ait pris la mesure de cet enjeu.

* 3 Sénat, rapport n° 73 (1995-1996) - Vers un nouveau contrat pour l'enseignement des langues vivantes.

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