III. L'ENFOUISSEMENT DES RÉSEAUX ÉLECTRIQUES ET TÉLÉPHONIQUES

L'enfouissement des réseaux téléphoniques et électriques est un enjeu essentiel de la politique des paysages.

Lors de leur création dans la première moitié du XX° siècle, à une époque où les préoccupations environnementales étaient loin d'être aussi présentes qu'aujourd'hui, ces réseaux constituaient un tel progrès pour le confort domestique et les activités professionnelles qu'ils ne pouvaient être considérés comme portant atteinte aux paysages. L'essentiel des réseaux a été développé par la construction de lignes aériennes, les techniques recourant à l'enfouissement des lignes n'étant pas jusqu'à une date récente envisageables du fait de leurs coûts et de la forte dispersion de l'habitat en France.

Ces ouvrages sont aujourd'hui contestés. Des travaux d'effacement ont été engagés par les opérateurs qui comme les autorités concédantes y ont consacré des sommes importantes. Les opérations réalisées jusqu'à présent ne concernent qu'une faible proportion des réseaux existants et beaucoup reste encore à faire.

Une politique d'effacement systématique apparaissant hors de portée des opérateurs et des collectivités locales, votre rapporteur a souhaité identifier les obstacles auxquels se heurtaient les opérations d'enfouissement et dans quelle mesure elles pouvaient être poursuivies.

Ces questions se posent différemment selon que les réseaux remplissent une fonction de transport ou de distribution. Il convient en effet de distinguer les possibilités de mise en souterrain de ces différents types de réseaux.

On rappellera que les réseaux de transport acheminent l'électricité produite par les centrales et assurent la répartition de la production à l'intérieur d'une zone de consommation. Ces réseaux utilisent des lignes à très haute tension (THT) et à haute tension (HT). Les réseaux électriques de distribution quant à eux alimentent directement les consommateurs soit à basse tension (BT) pour les utilisations domestiques ou artisanales, soit à moyenne tension (MT) pour les usagers industriels dont les besoins exigent des puissances plus importantes.

La même distinction est établie pour le réseau téléphonique. Les réseaux téléphoniques de transport relient les centraux téléphoniques entre eux et les réseaux de distribution permettent de relier les abonnés aux centraux téléphoniques.

Lexique des lignes et tensions électriques

Les lignes de transport

Très haute tension, THT : entre 400 et 225 kilovolt (kV)

Haute tension, HT : entre 80 et 63 kV

Les lignes de distribution

Moyenne tension, MT : environ 20 kV

Basse tension, BT : environ 380 V.

Si l'effacement des réseaux de transport aériens est aujourd'hui limité par des contraintes techniques, la politique d'enfouissement des réseaux de distribution se heurte principalement à des difficultés financières qui en retardent la mise en oeuvre. Par ailleurs, le développement de la téléphonie mobile constitue aujourd'hui un nouvel enjeu environnemental qu'il convient d'appréhender alors que ces réseaux sont encore en cours d'installation.

A. DES ACTIONS PERFORMANTES DANS LE DOMAINE DU TRANSPORT

Il convient de préciser que les lignes de transport de France Télécom sont déjà enterrées, ou utilisent les voies hertziennes. Les lignes téléphoniques de transport ont d'abord été des lignes aériennes en fil nu de cuivre ou de bronze qui représentaient le grand inconvénient d'être soumises aux perturbations atmosphériques. Le voisinage de lignes de transport d'énergie provoquait de plus des courants induits nuisibles, et des précautions spéciales devaient être prises pour éviter les diaphonies (interférence des signaux) entre les lignes d'une même artère de transport. Les lignes aériennes ne sont donc plus guère employées que pour les lignes d'abonnés des agglomérations à faible densité ou pour quelques circuits ruraux.

Les problèmes d'effacement des réseaux de transport se posent donc essentiellement dans le cas des réseaux de transport électriques.

La mise en souterrain de ces réseaux se heurte à des difficultés techniques et financières significatives, en dépit de l'effort réalisé par EDF en la matière. De plus, il ne semble ni possible ni souhaitable d'empêcher toute extension des lignes électriques aériennes, afin de faire face aux besoins de consommation en électricité, dans des conditions de sécurité satisfaisantes.

1. Un programme d'effacement de grande envergure se heurte à des obstacles techniques et financiers

Les lignes à haute tension et très haute tension ne représentent que 7,7 % du réseau linéaire électrique ; elles s'étendent sur respectivement 47 000 et 58 000 kilomètres alors que les lignes à basse et moyenne tension constituent un réseau long de près de 1 260 000 kilomètres. Néanmoins, bien que moins nombreuses, ces lignes à haute et très haute tension sont plus visibles et plus contestées.

Leur enfouissement exige la mise en oeuvre de techniques coûteuses, parfois encore inadaptées, qui constituent un obstacle à la mise en oeuvre d'un programme d'effacement de grande envergure.

A partir des années 50, le développement de la technologie des câbles à très haute tension a permis la réalisation de courtes liaisons souterraines à 400 kV ; les liaisons internes aux centrales ou aux stations de pompage en constituaient alors la seule application en France comme à l'étranger. Vers la fin des années 1970, quelques rares liaisons ont été installées pour des alimentations urbaines. Au début des années 1990, le réseau souterrain mondial ne totalisait que quelques dizaines de kilomètres, concernant principalement des liaisons urbaines.

La technologie la plus couramment utilisée recourt aux câbles à huile fluide ; d'autres plus récentes utilisent des câbles à isolation synthétique ou à isolation gazeuse.

La complexité des techniques résulte des conditions nécessaires à l'acheminement d'un courant de très forte puissance. Elles ne sont pas encore totalement équivalentes pour les lignes aériennes et les lignes souterraines qui n'offrent pas encore des services comparables à ces dernières. Leur coût explique, en dépit des progrès réalisés, que pour l'instant seules de très courtes portions de lignes à haute ou très haute tension soient souterraines.

D'après les estimations fournies par EDF à votre rapporteur, le coût de construction d'une ligne à très haute tension souterraine est dix fois supérieur à celui d'une ligne aérienne. Le coût au kilomètre d'une ligne souterraine s'établit à 23 millions de francs. Ce coût peut être comparé à des investissements d'infrastructure très importants, comme un kilomètre d'autoroute (35 à 40 millions de francs) ou de ligne ferroviaire à grande vitesse (66 millions de francs). Il ne semble pas envisageable à court terme qu'une avancée technologique puisse permettre d'égaliser les coûts par rapport aux ouvrages aériens.

EDF conduit, en liaison avec les industriels concernés, des programmes de recherche et développement sur les capacités de transport des lignes souterraines à très haute tension afin d'en réduire le coût de construction, d'améliorer leur fiabilité, et également de limiter les emprises au sol de tels ouvrages.

En effet, l'enfouissement des lignes 400 kV nécessite de réserver des bandes de terrain, d'une largeur d'environ 10 mètres, protégées de toute construction ou plantation et exige également la construction de pylônes massifs aux deux extrémités du tronçon enterré. En outre, les conséquences de l'insertion de telles installations dans le sous-sol ne sont pas toutes maîtrisées, notamment les incidences sur le réseau hydraulique. Si l'enfouissement permet de résoudre une difficulté environnementale, celle liée à l'intégrité des paysage, elle en pose d'autres, souvent complexes à résoudre sur le plan technique.

On relèvera que les difficultés techniques sont moindres pour les lignes à haute tension, dont le coût d'enfouissement reste toutefois 3 à 8 fois supérieur à celui d'une construction aérienne (l'écart résultant de la nature des sols).

2. Un cadre législatif peu contraignant

Les obligations légales relatives à l'enfouissement des lignes à haute et très haute tension s'avèrent peu contraignantes. Les dispositions de la loi n°95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, ne s'appliquent qu'aux lignes nouvelles et ne concernent que les espaces protégés que sont les zones centrales des parcs nationaux, les réserves naturelles et les sites classés au titre de la loi du 2 mai 1930.

L'article 91 de la loi du 2 février 1995 dispose en effet que : " sur le territoire d'un parc national, d'une réserve naturelle ou d'un site classé au titre de la loi du 2 mai 1930, il est fait l'obligation d'enfouissement des réseaux électriques ou téléphoniques, ou pour les lignes électriques d'une tension inférieure à 19 000 volts, d'utilisation de techniques de réseaux torsadés en façade d'habitation, lors de la création de lignes électriques nouvelles ou de réseaux téléphoniques nouveaux.

" La pose de nouvelles lignes électriques aériennes d'une tension inférieure à 63 000 volts est interdite à compter du 1er janvier 2000 dans les zones d'habitat dense définies par décret en Conseil d'Etat.

" Lorsque des nécessités techniques impératives ou des contraintes topographiques rendent l'enfouissement impossible, ou bien lorsque les impacts de cet enfouissement sont jugés supérieurs à ceux d'une pose de ligne aérienne, il peut être dérogé à titre exceptionnel à cette interdiction par arrêté conjoint du ministre chargé de l'énergie ou des télécommunications et du ministre chargé de l'environnement "


Cet article ne comporte aucune prescription pour les lignes existantes qui semblent désormais devoir faire partie du paysage .

Les incitations à l'enfouissement d'une ligne résulte donc à l'évidence moins des prescriptions législatives que des difficultés pouvant survenir lors de la concertation précédant l'implantation de réseaux de transport et dont les procédures ont été renforcées depuis 1993. En effet, le décret du 25 février 1993 modifiant le décret du 12 octobre 1977 a soumis à enquête publique la construction des ouvrages haute tension et des liaisons souterraines. Par ailleurs, le décret du 10 mai 1996 relatif au débat public vise les ouvrages très haute tension d'une longueur supérieure à 10 kilomètres. Les déclarations d'utilité publique concernant ces ouvrages sont, depuis 1997, signées par le ministère de l'environnement et par le ministère de l'industrie.

3. L'effort consenti par EDF

En dépit des coûts financiers que représentent les travaux d'enfouissement et l'absence de réglementation contraignante, EDF a, dans le cadre de ses obligations contractuelles, consenti un effort significatif en faveur de l'effacement de son réseau de transport.

Sur la période 1992-1996 qui correspond au premier protocole " pour l'insertion des réseaux électriques dans l'environnement " signé entre EDF et l'Etat, le rythme de construction en souterrain en haute tension a atteint 11 %, alors que le protocole fixait un objectif de 6 % et le taux de dépose ou de substitution en aérien sur cette période a atteint 63 %. En très haute tension, si la totalité des 375 kilomètres de lignes nouvelles a été réalisée en lignes aériennes, la longueur totale du réseau aérien a pu être réduit, le taux de dépose atteignant 36 %, soit un résultat supérieur aux engagements pris (30 %).

Afin de poursuivre cette politique, un nouvel accord a été signé le 22 mai 1997 et annexé au contrat d'entreprise 1997-2000. Pour 1997, le bilan de cet accord se caractérise par un taux de dépose global d'ouvrages à haute et très haute tension de 88 % et par un taux de réalisation en souterrain pour la haute tension de 21 %, les engagements pluriannuels de l'accord étant respectivement fixés à 60 % et 20 %.

On constate donc que si les constructions souterraines sont peu développées pour la haute tension, voire inexistantes pour la très haute tension, EDF s'est efforcé de réduire le rythme des constructions aériennes et de déposer dans la mesure du possible les lignes existantes devenues inutiles. En conséquence, à partir de 1996 la longueur totale des lignes aériennes à haute et très haute tension a commencé à diminuer.

On soulignera également qu' EDF , dans le cadre des protocoles signés en 1992 et 1997, a tenté de répondre à l'opposition croissante soulevée par les projets de nouvelles lignes aériennes à haute et très haute tension en conduisant une politique destinée à mieux organiser la concertation en amont des décisions, à assurer une meilleure indemnisation des riverains et, enfin, à veiller à une meilleure insertion du réseau aérien dans le paysage.

Cette volonté de transparence s'est traduite par la création des comités régionaux de concertation au sein desquels siègent les élus locaux, les représentants de l'Etat et des représentants de la société civile (membres des conseils économiques et sociaux régionaux, représentants d'associations de consommateurs, et, dans une moindre proportion, d'associations de défense de l'environnement).

Ces comités ont pour vocation de permettre un débat sur des projets d'infrastructures très en amont de leur réalisation, dans le cadre de schémas directeurs établis pour 10 à 15 ans.

Pour les nouveaux ouvrages à très haute tension, EDF a mis en oeuvre une politique de l'indemnisation du préjudice visuel des riverains de ces lignes. Les commissions départementales d'évaluation du préjudice visuel, qui pour l'instant ont été mises en place dans 27 départements, sont composées de manière paritaire de représentants de l'administration (un conseiller de tribunal administratif, qui la préside, et un représentant des services fiscaux) et de représentants des intérêts des riverains (un notaire et un expert immobilier désignés par leurs pairs), EDF n'étant pas représenté. Entre 1993 et 1996, dernière année connue, ces commissions ont accordé des indemnités à plus de 400 riverains pour un montant estimé à plus de 13 millions de francs.

Par ailleurs, pour les nouveaux ouvrages à très haute tension, le fonds d'aménagement des réseaux (FAR) abondé par EDF à hauteur de 5 % des investissements réalisés permet de cofinancer avec les collectivités locales des opérations destinées à améliorer l'insertion des réseaux existants dans l'environnement des sites prestigieux ou des communes traversées par les ouvrages.

Le bilan de cette politique est contrasté. Si les mécanismes d'indemnisation des riverains ont fonctionné de manière satisfaisante, votre rapporteur a constaté que, dans les faits, les comités régionaux de concertation ne se réunissaient pas de manière assez régulière. Par ailleurs, les crédits du FAR, en dépit du versement de la quote-part d'EDF qui s'est élevée à 105 millions de francs par an de 1993 à 1996, n'ont pu être mobilisés que pour une faible part, les collectivités locales ne pouvant participer aux opérations à hauteur des sommes dégagées par EDF.

4. Une nécessité à prendre en compte : le développement des lignes aériennes de transport

En dépit des efforts engagés par l'opérateur pour procéder à des travaux d'enfouissement, le développement du réseau exige pour assurer la sécurité de l'alimentation en électricité la construction de nouvelles lignes qui, en raison du coût des opérations d'effacement, et des difficultés techniques rencontrées, ne pourront être qu'aériennes.

Ces projets se heurtent à des difficultés croissantes. Le public et les associations concernées s'opposent de plus en plus vivement à l'utilité des projets de réseau et accentuent la pression sur l'opérateur pour la mise en souterrain.

Les procédures mises en oeuvre par EDF pour améliorer la concertation sur les projets de lignes nouvelles comme celle imposées par les textes, se traduisent par un allongement des délais de décision qui entraîne souvent le blocage ou l'abandon de certains projets. Ainsi, la construction de lignes à très haute tension destinées à assurer l'interconnexion de réseaux nationaux ou internationaux a été fortement ralentie. Sur la période 1992-1996, EDF a estimé à 15 % la part des projets de ligne à haute tension qui n'ont pu aboutir.

Or, cette situation s'avère préoccupante au regard des impératifs d'alimentation en électricité. En certains points du territoire, le réseau de transport s'avère inadapté aux besoins : c'est le cas notamment sur la Côte d'Azur où les difficultés d'alimentation risquent d'apparaître à court terme, mais également à moyen terme dans des villes comme Paris, Strasbourg ou encore Cahors. Selon les estimations fournies par EDF, la sécurité de l'alimentation en électricité exigerait par an la construction de 100 kilomètres de lignes aériennes à très haute tension.

Force est donc de constater que le ralentissement du rythme de construction des lignes aériennes nouvelles semble résulter plus de la remise en cause des projets existants que d'une politique systématique d'effacement au demeurant trop coûteuse pour l'opérateur qui devrait être dans un avenir désormais très proche soumis à la concurrence dans le cadre de la dérégulation de la distribution d'électricité.

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