LES OBSTACLES À SURMONTER

Afin de mieux apprécier la pertinence des réponses apportées par le contrat de plan du 25 juin dernier, votre rapporteur souhaite rappeler tout d'abord les principaux obstacles au redressement de La Poste auxquels le contrat de plan tente de répondre.

LA CHARGE DES MISSIONS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL

Les missions d'intérêt général assumées par La Poste

La loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public des postes et télécommunications et le décret du 29 décembre 1990 relatif au cahier des charges de La Poste ont assigné à La Poste des missions d'intérêt général. Parmi ces missions, le service public du courrier ainsi que l'acheminement et la distribution de la presse relèvent explicitement du service public. La Poste concourt également à une mission d'intérêt général en participant, notamment par l'exploitation de son réseau de bureaux et d'agences postales, à l'aménagement du territoire , ainsi que par sa mission de guichet bancaire des plus démunis.

Le service public du courrier

L'article premier du cahier des charges dispose que La Poste " a pour objet d'offrir le service du courrier (...) ". L'article 2 explicite les conditions générales de l'offre en précisant que " La Poste distribue tous les jours ouvrables, à l'adresse indiquée par l'expéditeur, les objets de correspondance qui lui sont confiés (...) ". Les articles 3 et 4 développent les conditions générales d'exécution du service public du courrier en affirmant l'égalité de traitement des usagers , notamment en ce qui concerne l'accès aux services et leur tarification. Les principes de tarification sont explicités par l'article 4 qui fait obligation à l'exploitant public d'opérer une péréquation géographique sur l'ensemble du territoire des tarifs des services dont l'exclusivité est réservée à La Poste.

L'équilibre économique de l'exécution du service public du courrier, tel qu'il a été défini ci-dessus, est assuré notamment par la péréquation géographique des tarifs ainsi que par l'existence du monopole postal , dont le périmètre coïncide avec le pourtour du service public du courrier.

L'acheminement et la distribution de la presse

L'article 3 du cahier des charges dispose que " le service public du courrier est constitué des services du courrier national et international dont l'exclusivité est réservée à La Poste (...), ainsi que des services d'acheminement et de distribution de la presse (...). L'acheminement et la distribution de la presse sont donc explicitement définis comme relevant du service public.

Ce service de transport de la presse ne rentre pas dans la définition du périmètre du monopole postal. Des règles de partage du financement du coût de l'acheminement et de la distribution de la presse -entre l'Etat, la Presse et La Poste- ont donc été fixées.

L'aménagement du territoire

La Poste, conformément à la loi du 2 juillet 1990, adapte sa présence afin d'assurer un service de qualité sur l'ensemble du territoire .

L'article 21 de la loi précitée prévoit qu'en contrepartie des contraintes de desserte de l'ensemble du territoire national et de participation à l'aménagement du territoire qui sont imposées à La Poste, celle-ci bénéficie d'un abattement égal à 85 % de la taxe foncière et de la taxe professionnelle .

A cet égard, votre commission pour avis redoute que la réforme de la taxe professionnelle proposée par le projet de loi de finances ne réduise l'avantage que La Poste tire de cette compensation. En effet, si les éventuels effets à la hausse de cette réforme sont " neutralisés " pour La Poste, ses concurrents vont, eux, bénéficier de la baisse liée à la suppression de la part salariale de l'assiette de cette taxe.

La Poste, guichet bancaire des plus démunis

La Poste assure en outre une mission d'accès aux services financiers de certaines populations défavorisées . L'analyse des encours et des mouvements de certains portefeuilles, comparée aux coûts de gestion occasionnés pour l'opérateur, l'indique clairement. Ainsi en est-il de certains Livret A, utilisés comme de véritables " porte-monnaie ".

Le coût net à la charge de La Poste

Votre commission a établi il y a un an, en commun avec le groupe d'études sur l'avenir de La Poste et des télécommunications 8( * ) , une estimation des coûts d'intérêt général non compensés et restant donc à la charge de La Poste.

Si cette estimation n'a pas fait depuis l'objet d'une actualisation, elle conserve cependant toute sa pertinence. Elle est rappelée ci-dessous :

LES CHARGES NETTES DÉCOULANT DES MISSIONS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL

Participation à l'aménagement du territoire

3,2 milliards de francs par an

Contribution au transport et à la distribution de la presse

3,6 milliards de francs par an

Guichet bancaire des plus démunis

1,3 milliard de francs par an

TOTAL

8,1 milliards de francs

Au total, ce sont donc 8,1 milliards de francs qui sont supportés par l'opérateur postal, sans compensation de la collectivité nationale.

LE " BOULET " DES CHARGES DE RETRAITE

A ces charges d'intérêt général s'ajoutaient, jusqu'à il y a peu, la véritable boule de neige des charges de retraites. La Poste finance en effet le montant intégral des anciens postiers fonctionnaires d'Etat.

Les prévisions, effectuées en 1997, d'évolution du coût des retraites, qui ne sont pas sensiblement remises en cause par les tendances démographiques récentes, sont les suivantes :

PRÉVISION DE LA CHARGE DE RETRAITES

(en francs constants 1995)

 

1995

2000

2005

2010

2015

Nombre de retraités

140 756

164 381

189 516

220 597

244 998

Total des prestations versées en millions de francs

12 581

14 748

16 901

19 812

22 253

L'actualisation des prévisions réalisée dans le cadre des travaux pour la préparation du contrat de plan indique un montant de dépenses prévisionnel en l'an 2000 de 14 786 millions de francs. Le faible écart avec la prévision initiale conduit à considérer que les projections à horizon 2005, 2010 et 2015 peuvent être maintenues.

La croissance mécanique de cette charge, de 600 millions de francs par an, est étroitement liée à celle de la démographie, caractérisée par un double phénomène de rapide croissance de la population retraitée (sortie des générations entrées dans les années 60) et de diminution du nombre des actifs (réduction des effectifs fonctionnaires).

Ainsi, la population de retraités devrait-elle passer de 150 000 actuellement à 170.000 en 2001, 220.000 en 2010 et 245 000 en 2015, date à laquelle, en l'absence de modification des règles actuelles, les prévisions montrent que la charge financière liée aux retraites serait équivalente à la masse des traitements des fonctionnaires en activité !

Votre commission avait donc logiquement conclu de ces estimations que l'accroissement prévisible de cette charge pouvait entraîner l'asphyxie financière de l'opérateur et appelé le Gouvernement à une résolution rapide de ce problème.

L'IMMINENCE DU CHOC CONCURRENTIEL

A ces défis nationaux s'ajoute celui de l'ouverture européenne à la concurrence. La libéralisation du marché postal européen a, en effet, été organisé par la directive n° 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service, adoptée le 15 décembre 1997. Cette directive, qui libéralise les services postaux communautaires, est centrée sur l'offre d'un service universel postal dans chacun des Etats membres garantissant l'accessibilité du service (points de contacts suffisants pour répondre aux besoins ; levée et distribution du courrier au moins cinq jours par semaine, sauf circonstances ou conditions géographiques exceptionnelles ; tarifs accessibles) et sa qualité (80 % du courrier national acheminé en J + 1 et 90 % du courrier transfrontalier européen en J + 3) ainsi que l'accès à des prestations minimales (lettres jusqu'à 2 kg ; colis jusqu'à 10 kg ; envois recommandés).

Afin de financer le service universel, des services peuvent toutefois être réservés aux opérateurs qui en auront la charge. Ce sont :

- la levée, le transport, le tri et la distribution des lettres de moins de 350 grammes et d'un tarif inférieur à 5 fois le tarif d'affranchissement du premier échelon de poids ;

- le publipostage (envois groupés comportant un message identique adressé à des fins publicitaires ou de marketing) ;

- le courrier transfrontalier (envois provenant de pays étrangers ou qui leur sont destinés).

La directive prévoit en outre la poursuite de la libéralisation , notamment en ouvrant, le cas échéant, à la concurrence , le publipostage et le courrier transfrontalier , deux marchés en croissance. Cependant, en ce cas, une décision du Conseil et du Parlement (selon la procédure de codécision, prise à la majorité qualifiée des Etats membres) est nécessaire, et doit intervenir avant le 31 décembre 2000, les nouvelles libéralisations ne pouvant entrer en vigueur avant le 1er janvier 2003. En cas d'absence de nouvelles mesures avant cette date, la directive sera caduque au 31 décembre 2004. Si tel était le cas, la Commission européenne pourrait imposer de nouvelles règles par une directive prise sur le fondement de l'article 90 du traité instituant la Communauté européenne.

La Commission européenne souhaite, de même que plusieurs Etats membres, que le processus de libéralisation soit approfondi. Ne nous voilons pas la face : la directive de 1997 n'est qu'une première étape.

Il convient en tout état de cause d'être lucide sur la nature du répit qui nous est accordé pour préparer l'opérateur postal au choc concurrentiel.

En effet, si La Poste affronte déjà une concurrence réelle sur plusieurs segments de son activité -et notamment la messagerie et les activités de prospection commerciale-, si elle subit déjà les pertes d'activité liées à une substitution croissante de nouveaux moyens technologiques (télécopie, échange de données informatiques, commerce électronique...), l'entrée en vigueur de la directive marquera une étape de plus dans le rétrécissement du champ d'activité sous monopole.

Le marché français est, par son importance, l'un des principaux enjeux de cette libéralisation. Les pratiques de repostage de La Poste néerlandaise ou anglaise par exemple ont déjà largement manifesté " l'attention " que ces opérateurs portaient aux clientèles françaises, au moyen d'un véritable détournement de courrier par le biais de la tarification des frais terminaux de l'Union postale universelle. La Poste évalue à 750 millions de francs en 1997 la perte entraînée pour elle par les pratiques de repostage.

Consciente de ce contexte, votre commission pour avis émet deux souhaits :

Une transposition rapide et ambitieuse en droit français

La directive est entrée en vigueur le 1er février 1998. Elle doit être transposée en droit interne au plus tard le 10 février 1999. Le texte de loi et ses éventuels décrets d'application devraient donc être publiés pour cette date.

Bien que le Secrétaire d'Etat à l'Industrie ait indiqué, lors de son audition devant votre commission le 4 novembre dernier, que le projet de loi serait déposé au tout début de 1999, il semble déjà acquis que ce calendrier serait difficilement tenable.

Votre commission pour avis a déjà plaidé pour que ce texte de loi soit ambitieux. Il doit à son sens non seulement exploiter pleinement les potentialités offertes par la directive en termes de services réservés mais aussi donner un nouveau souffle à l'établissement public pour préparer, déjà, la deuxième étape.


Votre commission pour avis avait appelé de ses voeux une véritable " loi d'orientation postale ". Elle a d'ailleurs formulé de très nombreuses propositions dont elle souhaitait qu'elles y figurent.

Il semble de plus en plus acquis que l'on ne doive au contraire se contenter d'un texte a minima, de stricte transposition.

Une détermination sans faille pour la révision de la directive


Les négociations pour l'étape suivante de la libéralisation européenne ne sauraient trop tarder à être entamées.

Votre commission pour avis souhaite vivement que le Gouvernement garde à l'esprit la leçon de la " première manche " de la libéralisation postale : seule une forte détermination politique -en l'occurrence, celle du Président de la République, que cet hommage lui soit rendu !- a pu éviter, de justesse, un dérapage infernal du processus.

En particulier, elle s'inquiète de l'extrême " discrétion " du Gouvernement sur ce point, alors que la deuxième étape de la libéralisation est vraisemblablement déjà en cours de négociation.

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