B. LES DIFFICULTÉS IMMÉDIATES DU FINANCEMENT DE LA COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE

1. Le montage financier : des réaffectations de recettes, des dotations budgétaires et un prélèvement obligatoire

a) Le financement de la couverture de base : un montage financier complexe

La couverture de base sera assumée par le régime général de l'assurance maladie. Elle est déconnectée de tout paiement de cotisation ouvrant droit à prestation en dessous d'un seuil de revenus fixé par décret et pour l'instant annoncé à 3.500 F par mois pour une personne seule. Le projet de loi met en place dans ses articles 9 à 13 une mécanique complexe pour essayer de rendre le plus neutre financièrement possible pour la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ce transfert de charges.

Le texte aménage en effet les transferts existants autour de l'actuelle assurance personnelle pour rendre la nouvelle couverture de base la plus neutre financièrement possible lors de sa première année de mise en place. Il fait ainsi disparaître l'ensemble des cotisations versées par les départements, l'Etat, la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), le fonds de solidarité vieillesse (FSV) et les assurés. Pour équilibrer l'ensemble, il procède à des transferts de recettes au profit de la CNAMTS.

La CNAF transfère à la CNAMTS 28 points sur les 50 points du produit des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine et produits de placement qui lui sont affectés, soit 2,7 milliards de francs pour un allégement de 2,38 milliard de francs de dépenses. Au total, elle supporte une perte de 320 millions de francs justifiée, d'après le Gouvernement, par la non prise en charge de cotisations d'assurance personnelle pendant plusieurs années, au détriment des départements.

Pour compenser la charge actuelle de 4,05 milliards versés par les départements et l'Etat au titre de l'aide médicale gratuite, la CNAMTS obtient l'affectation à son profit d'une fraction du produit des droits de consommation sur les tabacs (3,5 milliards de francs), soit une différence de 550 millions de francs.

La CNAMTS récupère 5 points des 60 % des droits de consommation sur les alcools affectés au FSV, soit une recette de 600 millions de francs compensant 610 millions de dépenses supprimées par ce dernier.

Les cotisants voient leurs cotisations se réduire, pour passer de 440 à 100 millions de francs, ce qui représente une perte de recettes pour la CNAMTS de 340 millions de francs.

La CNAMTS doit par ailleurs prendre en charge l'intégralité du déficit de l'assurance personnelle, actuellement réparti entre les régimes obligatoires, soit un surcroît de dépenses de 570 millions de francs. En compensation, elle devrait percevoir 830 millions de francs au titre de la cotisation sur les véhicules terrestres à moteur. Les 260 millions de francs de différence aujourd'hui perçus par les autres régimes devraient être compensés par une subvention de l'Etat.

Enfin, la CNAMTS devra supporter le coût de l'extension du champ de la couverture de base, estimé à 600 millions de francs.

Synthèse du financement annoncé par le Gouvernement pour la première année de la couverture de base de la CMU

Pertes de recettes et dépenses supplémentaires

 

Recettes supplémentaires et moindres dépenses

 

CNAF

 
 
 

reprise de 28 points sur les 50 qu'elle touche du produit des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine et produits de placement

2,7 MMF

suppression des cotisations à l'assurance personnelle

2,38 MMF

 
 

Perte nette

0,32 MMF

CNAMTS

 
 
 

Perte des cotisations de la CNAF à l'assurance personnelle

2,38 MMF

Affectation de 28 points sur les 50 qu'elle touche du produit des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine et produits de placement

2,7 MMF

Perte des cotisations versées par l'Etat et les départements au titre de l'assurance personnelle

4,05 MMF

Fraction du produit des droits de consommation sur les tabacs

3,5 MMF

Perte es cotisations versées par le FSV

0,61 MMF

Fraction des 60 % des droits de consommation sur les alcools affectés au FSV

0,6 MMF

Prise en charge du déficit de l'assurance personnelle

0,57 MMF

Cotisation sur les véhicules terrestres à moteur

0,83 MF

Perte de cotisations des assurés

0,44 MMF

Cotisations nouvelles des assurés

0,1 MMF

Extension du champ

0,6 MMF

Perte nette

0,92 MMF

Départements

 
 
 

Reprise de 95 % des sommes affectées à l'aide médicale sous forme de DGD

8,7 MMF

Suspension du versement des prestations d'aide médicale

9,15 MMF

Gain net

0,45 MMF

 
 

Etat

 
 
 

Subvention aux régimes spéciaux pour compenser la perte de recettes liée à l'arrêt de la cotisation sur les véhicule terrestres à moteur

0,26 MMF

Perte nette

0,26 MMF

Cette tuyauterie apparaît comme éminemment critiquable dans les transferts financiers qu'elle met en oeuvre au titre de l'affectation de ressources diverses. Deux principales critiques se font jour. La première concerne l'affectation de la contribution obligatoire des assurés automobiles au titre de la cotisation sur les véhicules terrestres à moteur. Celle-ci avait été créée pour compenser la charge pesant sur les régimes obligatoires de sécurité sociale suite aux accidents de la circulation. Cependant, cette charge pèse autant sur la CNAMTS que sur la CANAM et la MSA, ce qui expliquait la répartition de son produit entre les trois organismes. L'affectation totale au profit de la CNAMTS pourrait donc justifier dans l'avenir une augmentation de cette contribution au profit de ceux qui en ont été privés par ce projet de loi, la faisant revenir à son lien initial avec les accidents de la route.

Par ailleurs, les transferts de droits sur les alcools opérés par l'article 9 du projet de loi soulève deux ambiguïtés. D'abord elle réduit la part des droits sur les alcools perçus par le FSV de 5 points la faisant passer de 60 à 55 %. Comme les 40 % restants perçus par l'ACOSS demeurent inchangés, dans l'état actuel du projet de loi le solde de 5 % ne lui revient pas à droit constant (l'article L. 139-1 du code de la sécurité sociale n'est pas modifié). Le texte s'appuie donc sur un équilibre financier qu'il n'achève même pas juridiquement ! D'autre part, le transfert devrait se faire au 1 er janvier 2000 mais ne tiendra pas compte des créances. Donc certaines sommes dues au titre de 1999 mais seulement recouvrées en 2000 seront transférées alors qu'elles ne l'auraient pas dû.

b) Le financement de la couverture complémentaire : budget de l'Etat et prélèvement obligatoire

Le texte crée à son article 25 un fonds de financement de la protection complémentaire. Il doit prendre en charge le coût de la couverture complémentaire, évalué la première année à 1500 F par an et par bénéficiaire pour 6 millions de personnes, soit 9 milliards de francs. Il obéit à un principe inégal : reversement pour les organismes privés (dès qu'un organisme prend en charge un bénéficiaire de la CMU, il reçoit cette somme forfaitaire), remboursement au franc le franc pour l'assurance maladie.

Les recettes de ce fonds proviennent :

• d'une contribution de 1,75 % du chiffre d'affaires des activités " santé " des mutuelles et des compagnies d'assurance, avec un paiement trimestriel. Cette contribution est nette des reversements aux mêmes organismes par le fonds pour la prise en charge de bénéficiaires de la CMU (1500 F par affilié), chaque organisme ne versant au fonds que la différence (ou percevant le surplus théorique) entre sa contribution et les reversements ; sa ressource est estimée à un montant maximum de 1,8 milliard de francs ;

• d'une subvention d'équilibre de l'Etat évaluée ex post , estimée en première année à 7,2 milliards de francs au moins.

Le financement du volet complémentaire de la couverture maladie universelle repose ainsi sur un prélèvement obligatoire nouveau et sur une subvention d'équilibre qui servira de variable d'ajustement. Or comment est-elle financée dans les crédits de l'Etat ? L'étude d'impact révèle qu'il manque au moins 1,7 milliards de francs la première année du financement. Mais de plus toute hausse des dépenses du fonds ou toute baisse de ses recettes pèsera entièrement sur l'Etat, sauf à augmenter davantage la contribution des organismes de protection complémentaire.

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