c) La gestion de crise

Cette « mini crise » illustre en effet les difficultés des décideurs face à la pression médiatique et l'inquiétude de l'opinion. Deux phénomènes sont apparus : la tendance à la dramatisation, et la tendance à la précipitation.

La tendance à la dramatisation

L'argumentation scientifique à l'origine de l'opposition au thiomersal n'est pas imparable et serait même à certains égards discutable.

D'une part, les seuils de toxicité sont calculés à partir des expositions dramatiques constatées en Irak et au Japon, alors que les expositions sont évidemment incomparables. On retiendra aussi que les seuils fixés au niveau international concernent le méthylmercure alors que le thiomersal contient de l'éthylmercure. L'hypothèse est faite que ces deux formes de mercure ont des effets équivalents, ce qui n'est nullement démontré.

D'autre part, l'inquiétude repose pour l'essentiel sur des calculs faits sur des vaccins américains. Or, ces calculs ne sont pas tous transposables en Europe, et en France, en particulier pour la simple raison... qu'il n'y a pas de thiomersal dans les vaccins pour nourrissons. En France, le vaccin DCT est associé au vaccin antipolio. Or, l'élément actif de ce dernier est incompatible avec le thiomersal. Il n'y a donc pas en France de thiomersal dans les vaccins des nourrissons !...

Ainsi, l'inquiétude sur le thiomersal s'est transformée en inquiétude sur la vaccination, par transposition d'une situation nationale à un autre pays. On voit, une fois de plus, les dangers des transpositions des normes nationales. Le thiomersal justifie certes un contrôle, une vigilance, de la part des pouvoirs publics, mais en aucun cas, ce climat délétère, totalement injustifié en l'espèce.

La tendance à la précipitation

Une fois le risque éventuel annoncé, l'opinion attend la réplique immédiate. Toute argumentation qui tend à temporiser passe pour une complicité, voire une volonté d'« étouffer l'affaire »...

Il convient de revenir à la raison. Tant la précipitation en matière de santé publique est particulièrement mauvaise conseillère.

Le risque, infinitésimal et hypothétique, lié à la présence de mercure est sans rapport avec l'apport incontestable et massif de la vaccination. Des milliers d'enfants ont été sauvés par cette vaccination. L'obsession du risque éventuel, exagérément grossi par la loupe médiatique opère un renversement de valeurs préjudiciable à la santé publique. Comme le disait l'une des personnes auditionnées : « on met tellement l'accent sur la peur qu'on en oublie les avantages ».

Le thiomersal doit en effet être éliminé. Et peut être éliminé. Mais demander une substitution immédiate révèle une certaine méconnaissance de procédures de mise sur le marché. Même si le changement de produit ne concerne que le conservateur et non l'élément actif lui-même, il s'agit d'un nouveau produit qui doit être autorisé après plusieurs mois, sinon plusieurs années d'études des comités de l'Agence européenne d'évaluation des médicaments. La contrainte de temps existe aussi, même en santé publique.

Enfin, l'élimination du thiomersal peut être opérée par deux voies : la substitution par un autre produit, ou la suppression pure et simple. Ces deux voies ont cependant des inconvénients considérablement supérieurs au risque supposé du thiomersal.

La substitution pose le problème du produit de remplacement. Chercher un produit de remplacement pour annuler le risque mercuriel ne garantit nullement son innocuité sur d'autres plans. Chaque jour, la recherche ouvre de nouvelles pistes, de nouvelles inquiétudes. Que penser, par exemple, des sels d'aluminium mis dans les vaccins ? L'hypothèse est qu'ils pourraient entraîner des nécroses de fibres musculaires. On maîtrise mal les produits d'aujourd'hui. On maîtrise encore moins bien les produits de demain.

L'autre possibilité est de supprimer purement et simplement le conservateur. C'est parfaitement possible. Le but principal du thiomersal étant d'éviter la contamination du flacon par les bactéries, afin de permettre une réutilisation ultérieure du produit. Le remplacement des flacons multidoses par des monodoses supprime la nécessité du conservateur. Mais cent monodoses prennent plus de place qu'un flacon unique de cent doses, ce qui suppose des conditions de stockage et de froid respectées et aisément contrôlables en Europe, mais peut être moins bien respectées dans d'autres parties du monde, au risque alors de compromettre le produit actif lui-même. Le monodose, sans thiomersal, est sans nul doute préférable au multidose avec conservateur. Mais la présence de traces de mercure ne doit pas être le seul élément de choix. Quand l'obsession du risque mercuriel se transforme en oeillère, le risque de santé publique réapparaît, massif, et sous d'autres formes.

Encore et toujours, la transparence paraît être le meilleur moyen d'éviter les polémiques stériles.

L'inquiétude récente sur le thiomersal illustre les difficultés de communication en matière de santé publique face à une opinion mal formée que les événements rendent inquiète. Comme le font les grandes entreprises privées, confrontées à des questions équivalentes, un bilan doit être systématiquement établi après chaque crise. Les ministères chargés de la Santé publique et de l'environnement pourraient semble-t-il utilement se doter d'une cellule de communication de crise.

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