b) Le recours au concept de la « solidarité nationale » pour justifier un prélèvement sur les recettes du Fonds de solidarité vieillesse
(1) Un concept curieux : « la solidarité nationale », mais sans l'Etat

Cette mesure nouvelle, dont le financement a été dénoncé comme « un détournement de l'objet social du FSV 32 ( * ) », va ponctionner de 5 milliards de francs en 2002 les recettes du FSV.

Cette estimation est d'ailleurs en dessous de la réalité : une fraction de 0,10 point de la CSG correspond davantage à 5,4 milliards de francs en 2001, soit 5,5 milliards de francs dès 2002.

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, a ainsi déclaré à l'Assemblée nationale : « Le recours à la CSG pour assurer l'équilibre du financement de l'APA correspond à la logique de solidarité nationale sur laquelle repose ce nouveau droit. La CSG en est la meilleure expression du fait de son universalité » 33 ( * ) . Votre rapporteur observe que ce l'atteinte à « l'universalité » était précisément le grief adressé au projet du Gouvernement d'instaurer une « ristourne dégressive », projet censuré par le Conseil constitutionnel.

Cette utilisation de la CSG et son affectation à un fonds de financement permettent ainsi de faire « un clin d'oeil » aux partisans du cinquième risque : « la création de ce nouvel établissement public constitue une nécessité pour reconnaître, sans aller jusqu'à la création d'une nouvelle branche de sécurité sociale, la perte d'autonomie comme un nouveau risque social » .

Votre rapporteur n'ignore pas que selon l'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale « l'organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de la solidarité nationale » .

Mais selon le douzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, « La Nation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales » . L'expression de « solidarité nationale » est bien celle qui s'applique pour indemniser les éleveurs victimes de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, ou les habitants du département de la Somme, noyé sous les eaux...

On n'imagine pas un seul instant recourir à la CSG pour financer de telles indemnités. Par ce terme de « solidarité nationale » , le Gouvernement introduit ainsi une confusion supplémentaire des genres.

Car le grand absent du financement de l'APA est bien l'Etat, tandis que la sécurité sociale est mise à contribution. La CSG fait en réalité l'objet d'un double détournement.

(2) Le premier détournement de la CSG : financer une allocation qui n'est pas une prestation de sécurité sociale

La CSG a été créée en 1991 dans le but premier de financer la Caisse nationale d'allocations familiales, par l'intermédiaire d'un prélèvement proportionnel de 1,1 %, dont l'assiette est plus large que celle des cotisations, à la fois en raison des revenus d'activité et les revenus de remplacement retenus dans son calcul, et de l'existence d'une contribution sur les revenus du patrimoine et les produits de placement.

Une CSG de 1,3 % a été ajoutée en 1993 pour financer à titre principal le Fonds de solidarité vieillesse.

Enfin, une CSG affectée aux régimes d'assurance maladie a été instituée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 opérant un basculement massif entre les cotisations maladie et cette contribution.

Affecter une fraction de CSG au financement de l'APA aurait été justifié si la voie du cinquième risque avait été prise. A partir du moment où la sécurité sociale ne finance pas le risque dépendance, la justification de recourir à cette imposition, affectée jusqu'alors de manière exclusive au financement de la sécurité sociale, est bien mince : elle ne s'explique que par la volonté du Gouvernement, une fois de plus exprimée, de financer par la sécurité sociale les générosités de sa politique sociale. La même logique que pour le financement des trente-cinq heures est en marche.

Votre rapporteur n'a pas « la mémoire courte ». Le projet de loi « mort né » de 1995, instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes, élargissait les missions du FSV à la prise en charge d'une partie du coût de cette prestation, déjà au titre de « la solidarité nationale » .

Mais votre rapporteur observe que le Sénat avait refusé justement un tel financement, susceptible de mettre en cause l'équilibre financier du fonds.

Par ailleurs, le contexte a profondément changé. La création des lois de financement de la sécurité sociale par la réforme constitutionnelle adoptée par le Congrès du 19 février 1996 a profondément modifié la nature du Fonds de solidarité vieillesse. En effet, la loi organique du 22 juillet 1996, en prévoyant que « les organismes concourant au financement des régimes de base » faisaient partie du champ des lois de financement, a clairement inclus le FSV dans la sphère de la sécurité sociale, lui faisant perdre son seul caractère d'établissement public d'Etat.

(3) Le second détournement de la CSG : financer un fonds de formation professionnelle

Le projet de loi crée, au sein du fonds de financement de l'APA, un autre fonds, « le fonds de modernisation de l'aide à domicile ».

L'objectif général, évidemment louable, est de former les salariés des associations d'aide à domicile et de contribuer ainsi à la professionnalisation de ce secteur.

Les actions de ce fonds apparaissent déjà plus imprécises.

Son financement pose de graves questions de principe : comment peut-on justifier qu'un fonds de formation soit financé par la CSG, dont l'objet est de financer de manière exclusive la sécurité sociale ? Comment pourra-t-on refuser désormais les revendications légitimes d'autres secteurs professionnels, souhaitant bénéficier des mêmes ressources ?

Votre rapporteur rappelle que le Gouvernement a refusé d'appliquer l'article 16 de la loi du 24 janvier 1997 portant création de la PSD selon lequel « les salariés rémunérés pour assurer un service d'aide à domicile auprès d'une personne allocataire de la prestation spécifique dépendance bénéficient d'une formation selon des modalités définies par décret » .

En somme, l'Etat accepte de former les salariés des associations d'aide à domicile lorsque ce n'est pas lui qui paye, mais la sécurité sociale. Mme la ministre de l'Emploi et de la Solidarité a même tenu à préciser en séance publique que « pour la première fois, l'Etat se dote d'un outil budgétaire permettant de conduire une politique nationale dans le secteur de l'aide à domicile » 34 ( * ) .

Le financement de la formation professionnelle repose en France sur trois acteurs : les entreprises, l'Etat et les régions. D'innombrables fonds de la formation professionnelle existent déjà.

Il n'est pas souhaitable d'en créer un nouveau, a fortiori lorsqu'il est financé par la CSG.

* 32 Conseil d'administration de la CNAV, 1 er mars 2001, délégation des employeurs.

* 33 Cf. Compte rendu de l'audition le 28 mars 2001 de Mme Elisabeth Guigou devant la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, in rapport n° 2971, op. cit., p. 32.

* 34 JO Débats Assemblée nationale, 1 ère séance du 18 avril 2001, p. 2001.

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