II. LE CONTENU DES ACCORDS ENGAGE LA SUISSE DANS UNE DÉMARCHE DE NORMALISATION DE SES RÈGLES SOCIALES ET D'OUVERTURE DE SON MARCHÉ DU TRAVAIL

Le rejet de l'adhésion à l'Espace économique européen par la population suisse a conduit les autorités helvétiques à adopter une attitude pragmatique pour sortir leur pays de l'isolement économique et diplomatique qui en résultait. Ainsi, ont-elles délimité une série de secteurs sur lesquels une négociation bilatérale avec les institutions de l'Union européenne a été engagée au mois de décembre 1994.

Au terme de longues et âpres négociations, ces accords ont été signés le 21 juin 1999, sous l'impulsion décisive de l'Autriche qui présidait alors l'Union européenne.

Seul, l'accord sur la libre circulation des personnes est soumis à ratification des parlements nationaux, en ce qu'il englobe des dispositions « mixtes », c'est-à-dire relevant à la fois de la compétence de l'Union et de celle des Etats membres, suivant les textes européens en vigueur. En effet, les règles touchant au droit d'entrée et de séjour des personnes, comme celles portant sur l'organisation de la sécurité sociale, relèvent de la compétence des Etats.

Mais c'est un ensemble global et indissociable de sept accords sectoriels qui a été signé en juin 1999. En effet, ces accords sont liés par une clause d'entrée en vigueur simultanée, et par une clause d'existence continue (il n'est pas possible de mettre un terme à l'un des accords sans rendre caduc l'ensemble).

Votre rapporteur s'attachera donc à présenter le contenu des six accords non soumis à ratification, en tâchant d'établir pour chacun d'entre eux un bilan évaluatif de leur portée pour la France.

A. LES SIX ACCORDS SECTORIELS NON SOUMIS À RATIFICATION : DES AVANCÉES PROMETTEUSES QUI DEVRAIENT SE CONCRÉTISER AU TERME D'UNE PÉRIODE TRANSITOIRE

Les accords portent respectivement sur les transports terrestres et aériens, la recherche et le développement technologique, les marchés publics, l'agriculture, et la reconnaissance mutuelle en matière de conformité qui vise les obstacles techniques au commerce et les certifications.

1. L'accord sur les transports terrestres était très attendu par la France, alors que l'accord sur les transports aériens répond à un souhait de la Suisse

a) L'accord sur les transports terrestres

Les termes de cet accord illustrent particulièrement les concessions que les autorités suisses ont été conduites à consentir pour parvenir à la conclusion finale de l'ensemble des négociations sectorielles, et soulignent ainsi le prix qu'elles y attachent.

En effet, la protection de l'environnement alpin relève de la constitution helvétique qui dispose, dans son article 68, que : « le trafic de marchandises à travers la Suisse sur les axes alpins s'effectue par rail ».

De plus, une votation du 26 février 1984 a instauré une redevance sur le trafic des poids lourds, introduite dans la Constitution (article 69).

C'est pour accompagner l'ouverture réciproque, entre l'Union européenne et la Suisse, du marché des transports routiers et ferroviaires que la Suisse s'est engagée à construire les « Nouvelles Lignes Ferroviaires Alpines », sous la forme de deux tunnels reliant l'Allemagne à l'Italie à travers son territoire (tunnel du Loetschberg et tunnel du Saint Gothard) 3 ( * ) . Les investissements considérables que requièrent ces travaux seront en partie financés par la redevance instaurée en 1984 sur les poids lourds empruntant le réseau routier suisse, dénommée Redevance Poids Lourds liée aux Prestations (RPLP).

A l'heure actuelle, les relations franco-suisses dans le domaine des transports terrestres sont régies par un accord bilatéral pour l'accès des transporteurs français au réseau routier suisse . La mise en oeuvre de l'accord entre l'Union européenne et la Suisse permettra une ouverture réciproque du marché des transports routiers et ferroviaires au terme d'une période transitoire.

De 28 tonnes maximum aujourd'hui, la limite de poids des véhicules de transport routier issus de l'Union européenne passera à 34 tonnes lors de la mise en place de l'accord, puis à une limite supérieure de 40 tonnes en 2005 , avec, durant cette période, un accroissement des contingents pour les véhicules entre 34 et 40 tonnes.

Pour la France, cet accord devrait, selon les termes du ministère français des affaires étrangères « se traduire par une diminution significative du trafic routier actuellement rejeté sur les routes françaises par la limitation du poids des véhicules admis en Suisse. Il devrait également rendre le transport ferroviaire et combiné plus compétitif par rapport au trafic routier transalpin. L'incidence globale estimée est une réduction de 500 000 véhicules-kilomètre par an. »

Cependant, le trafic de nuit des poids lourds reste interdit de 22 heures à 5 heures du matin.

Les transporteurs suisses pourront, quant à eux, acheminer, dès la ratification de l'accord par l'ensemble des membres de l'Union européenne, des marchandises vers un pays de l'Union et, à partir de 2005, librement transporter des marchandises entre deux pays de l'Union.

Ainsi, le marché des transports de personnes et de marchandises sera libéralisé entre l'Union européenne et la Suisse, sur la base du principe de non-discrimination et du traitement national. La Suisse s'engage à appliquer des dispositions analogues à celles de l'Union européenne en matière d'accès à la profession, de prestations sociales, de normes techniques et de limites de poids.

La Suisse étant un pays pionnier en matière de ferroutage , son impulsion ne pourra être que bénéfique pour parvenir au rééquilibrage entre la route et le rail souhaité par la France , particulièrement depuis l'incendie qui a frappé le tunnel du Mont-Blanc.

Ce rééquilibrage est également fortement appuyé par la Commission européenne ; ainsi, le « livre blanc sur les transports » rendu public le 12 septembre dernier cite, parmi de nombreuses recommandations pour éclairer les choix à faire par les Etats membres de l'Union à l'horizon 2010, la Suisse en exemple « qui s'est dotée d'un programme d'infrastructures ferroviaires financé à plus de 50 % par la route », c'est-à-dire par la RPLP.

L'accord sur les transports terrestres et ferroviaires ne devrait donc pas se traduire, s'il est bien appliqué, par un simple accroissement du transport de fret par la route, mais plutôt par une rationalisation des modes de transport de ce fret.

b) L'accord sur les transports aériens

Comme le ministère des affaires étrangères l'a indiqué à votre rapporteur, « L'accord instaure une liberté d'établissement et d'investissement fondée sur la non-discrimination et l'égalité de traitement entre les personnes physiques et morales suisses et communautaires. La Suisse reconnaît à la Commission une compétence en matière de surveillance et de contrôle dans le domaine du droit de la concurrence (concentrations, abus de position dominante, ententes, aides d'Etat).

En étendant à la Suisse la législation européenne en matière de transports aériens, l'accord garantit des conditions de concurrence égales aux compagnies de l'Union européenne et de la Suisse et permet ainsi d'intégrer ce pays dans le marché commun des transports aériens. Cette évolution devrait se traduire par des tarifs plus bas, un service amélioré et une compétitivité renforcée du secteur aéronautique européen. ».

Les compagnies aériennes suisses seront ainsi libres d'établir leurs plans de vol et de desservir les villes de leur choix à l'intérieur de l'Union européenne à compter de 2003. Les destinations définies comme prioritaires par les transporteurs suisses sont Paris, puis Madrid, puis Lyon.

Cependant, la forte crise qui frappe actuellement la compagnie Swissair rend peut-être aléatoires ces ambitieux projets de développement.

La compétitivité des compagnies européennes devrait, en tout état de cause, bénéficier de l'harmonisation des réglementations applicables en matière de transports aériens.

2. L'accord sur les échanges de produits agricoles peut bénéficier en priorité à la France au sein de l'Union européenne

Cet accord vise à renforcer les échanges de produits agricoles entre la Communauté européenne et la Suisse par le biais d'améliorations aussi bien quantitatives (échange de concessions tarifaires réciproques) que qualitatives (suppression d'obstacles techniques aux échanges de produits agricoles).

Des concessions tarifaires sont accordées dans les secteurs des fromages (libre-échange à l'issue d'une période de cinq ans), des fruits et légumes, de l'horticulture, ainsi que pour certaines spécialités de viande porcine et bovine, et certaines spécialités de vins.

L'essentiel est qu'un certain nombre d'obstacles techniques au commerce agricole seront levés par le biais d'arrangements fondés sur le principe de la reconnaissance mutuelle des législations dans les secteurs vétérinaire, phytosanitaire, des aliments pour animaux, des semences, des produits viti-vinicoles et de l'agriculture biologique. L'accord permet cependant à la Commission et aux Etats membres de prendre des mesures de sauvegarde contre les exportations bovines en provenance de Suisse dans le cadre de la lutte contre l'ESB. En outre, les parties s'accordent une protection réciproque de leurs dénominations dans les secteurs des vins et spiritueux.

Pour notre pays, cet accord permet en particulier de mettre fin au différend relatif à l'utilisation, par certains producteurs suisses, de la dénomination « Champagne ». La partie suisse s'engage ainsi à renoncer à l'utilisation de ce nom, à l'issue d'une période de transition de deux ans.

La France pourra bénéficier de cette ouverture des marchés suisses, du fait du dynamisme de son agriculture ; la Suisse bénéficiera, quant à elle, d'un renforcement de ses capacités d'exportation de ses produits laitiers sur lesquels l'Union européenne abaissera ses droits de douane.

3. L'accord sur la coopération scientifique et technologique associera plus étroitement la Suisse aux programmes européens de recherche

Pour l'instant, la participation de la Suisse au programme-cadre de recherche technologique et de développement (PCRD) s'effectue sur une base ad hoc , projet par projet.

L'accord relatif à la coopération scientifique et technologique entre l'Union européenne et la Suisse permettra une participation globale de la Confédération au PCRD et au programme-cadre Euratom, permettant notamment à la Suisse de lancer un projet avec un seul partenaire de l'Espace économique européen (et non deux au minimum, comme c'est le cas actuellement), et d'agir comme chef de file d'un projet.

Réciproquement, l'accord prévoit également, pour les organismes de recherche établis dans l'Union européenne, la possibilité de participer à des projets de recherche nationaux en Suisse, s'ils traitent de domaines scientifiques couverts par le PCRD.

L'accord règle les questions liées à la possession, l'exploitation et la diffusion d'informations, ainsi que les droits de propriété intellectuelle résultant des recherches menées. Il définit aussi une clé de répartition fixant les coûts de la participation de la Suisse au PCRD ; la contribution annuelle de la Suisse sera supérieure d'environ 40 millions d'euros à son niveau actuel, qui se monte à 90 millions d'euros par an.

4. L'accord sur les marchés publics étend le champ de la libéralisation économique réciproque

Cet accord relatif aux marchés publics a, selon les indications recueillies par votre rapporteur, pour objet d'aboutir à une ouverture réciproque des marchés publics comparable à celle de l'EEE.

Cet accord étend la libéralisation des marchés publics aux communes, aux entités publiques et privées opérant dans les secteurs des chemins de fer, des télécommunications, de l'eau, de l'énergie et des transports.

Le marché ainsi libéralisé est estimé à 10 % du PIB des pays intéressés. L'entrée en vigueur de cet accord pourra potentiellement être bénéfique pour les entreprises françaises de BTP, alors que la Suisse s'apprête à mettre en oeuvre un vaste programme de construction d'infrastructures ferroviaires de 20 milliards d'euros sur 20 ans, décrit antérieurement.

5. L'accord sur la reconnaissance mutuelle en matière d'évaluation de la conformité facilitera les échanges de produits industriels entre la Suisse et la Communauté européenne

Il prévoit la reconnaissance mutuelle d'évaluation de la conformité dans les domaines ayant fait l'objet d'une harmonisation des normes par voie de directives communautaires, ce qui couvre une grande partie des secteurs de production industrielle. Les autorités des pays signataires désignent à cette fin des organismes de certification, pour la plupart privés, qu'ils autorisent à procéder, dans le pays d'exportation, à des évaluations de la conformité selon les prescriptions en vigueur dans l'Etat d'origine.

L'accord permet ainsi de réaliser un gain de temps et une réduction des coûts lors de la commercialisation des produits à l'exportation. L'Allemagne et la France, qui sont les deux premiers fournisseurs de la Suisse (avec respectivement 31 % et 11 % de parts du marché des importations suisses en 2000), seront les principaux bénéficiaires de cet accord.

Cependant, les formalités douanières resteront nécessaires après l'entrée en vigueur de cet accord, et ne pourraient être supprimées que si la Suisse adhérait à l'Union européenne. De même, la reconnaissance mutuelle en matière d'évaluation de conformité dans les domaines dans lesquels les normes n'ont pas été harmonisées au niveau communautaire ne serait possible que si la Suisse adhérait à l'Union européenne ou à l'EEE.

* 3 On trouvera en Annexe 4 deux cartes de ces projets.

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