EXAMEN DES ARTICLES
TITRE PREMIER
DE L'ORGANISATION ET DES COMPÉTENCES DE LA
COLLECTIVITÉ TERRITORIALE DE CORSE
Article additionnel avant l'article premier
Définition des
spécificités de la collectivité territoriale de
Corse
Votre
commission spéciale vous soumet
un amendement
tendant à
insérer un
article additionnel
avant l'article premier, afin de
définir les
spécificités susceptibles de justifier les
adaptations au droit commun
au bénéfice de la
collectivité territoriale de Corse.
La rédaction que vous propose votre commission spéciale s'inspire
très largement de celle déjà votée par le
Sénat en 1982, lors des travaux préparatoires de la loi du
2 mars 1982, portant statut particulier de la région de
Corse
50(
*
)
.
L'énumération proposée n'est pas exhaustive, mais elle
reprend ce que les uns et les autres s'accordent à reconnaître
comme les caractéristiques particulières de la
collectivité territoriale de Corse. Ces caractéristiques sont de
trois ordres : géographique, historique et culturel. Elles
justifient une adaptation du droit commun, notamment en matière
économique et sociale.
Tel est le sens de cet article additionnel que votre commission spéciale
vous propose d'adopter.
CHAPITRE PREMIER
DU RÉGIME JURIDIQUE DES ACTES
DE
L'ASSEMBLÉE DE CORSE
Article premier
(art. L. 4424-1 et L. 4424-2
du code
général des collectivités territoriales)
Attributions
de l'Assemblée de Corse
Adaptation des lois et des
règlements
Cet
article tend à reconnaître à la collectivité
territoriale de Corse un pouvoir d'adaptation des normes nationales dans le but
de tenir compte des spécificités de l'île.
Cet article traite des points suivants :
- les attributions de l'Assemblée de Corse (clause
générale de compétence) ;
- le pouvoir de proposition de modification des lois (III) ou des
règlements (I) ;
- le pouvoir réglementaire « propre »de la
collectivité territoriale de Corse (II) et son pouvoir
réglementaire d'application des lois ;
- le pouvoir d'adaptation législative (IV) ;
- la consultation de la collectivité territoriale de Corse (V), la
présentation par le préfet des suites données (VI), la
publication au Journal Officiel (VII).
A. ATTRIBUTIONS DE L'ASSEMBLÉE DE CORSE
1° Le droit existant : la clause générale de
compétence
Dans sa rédaction actuelle, l'article L. 4424-1 du code
général des collectivités territoriales dispose que
l'Assemblée de Corse «
règle par ses
délibérations les affaires
de la collectivité
territoriale de Corse
et contrôle le conseil exécutif. Elle
vote le budget, arrête le compte administratif, adopte le plan de
développement et le schéma d'aménagement de la
Corse
».
Cette rédaction, issue de l'article 25 de la loi
n° 91-428 du 13 mai 1991
51(
*
)
portant statut de la
collectivité territoriale de Corse, est conforme au droit commun de la
décentralisation
52(
*
)
.
2° Le projet de loi initial
Selon l'exposé des motifs du projet de loi, l'article L. 4424-1
proposé ne ferait que reprendre l'énoncé des
compétences générales actuellement dévolues
à l'Assemblée de Corse.
Tel n'est pas le cas, puisque cet article introduit une innovation majeure, en
indiquant que
l'Assemblée de Corse règle par ses
délibérations «
les affaires de la
Corse
»
.
Par ailleurs, il opère une coordination avec le plan
d'aménagement et de développement durable de la Corse,
prévu à l'article 12 du projet de loi.
3° Un glissement sémantique délibérément
confirmé à l'Assemblée nationale
En séance publique à l'Assemblée nationale, l'amendement
tendant à rétablir le droit existant a été
écarté par la commission des Lois, au motif que, si cette
compétence pouvait paraître symbolique, elle n'en était pas
moins importante, et était
cohérente avec l'accroissement des
compétences
de la collectivité territoriale de Corse, sans
pour autant remettre en cause la compétence générale de
l'Etat. Le Gouvernement s'est lui aussi opposé à ce
rétablissement, en s'appuyant sur l'avis du Conseil d'Etat qui n'avait
pas disjoint cette disposition, et en assurant que «
l'article ne
remet aucunement en question les compétences des autres
collectivités en Corse
».
4° La position de votre commission spéciale : le refus de
l'anticipation de la « phase 2004 » et de la tutelle
de la collectivité territoriale de Corse sur les autres
collectivités
Votre commission des Lois
s'oppose à l'idée que
l'Assemblée de Corse règle seule les affaires de la Corse
,
comme le laisse entendre la rédaction du présent paragraphe, au
mépris tant des compétences reconnues aux conseils municipaux et
aux conseils généraux pour régler les affaires locales,
que de celle de l'Etat.
Elle s'élève de plus contre le sort réservé par le
présent projet de loi aux départements de Corse-du-Sud et de
Haute-Corse, ainsi qu'aux communes. Ces collectivités sont
« les oubliées » de la démarche de Matignon.
L'interdiction d'une tutelle d'une collectivité locale sur une autre a
un fondement constitutionnel
: l'article 72 de la Constitution
dispose que les collectivités territoriales
s'administrent
librement
par des conseils élus. En conséquence, le Conseil
constitutionnel a censuré les dispositions de lois qui introduiraient
une telle tutelle
53(
*
)
.
L'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre est ainsi
un des
principes fondamentaux de la décentralisation
. L'article
L. 1111-3 du code général des collectivités
territoriales dispose que «
la répartition des
compétences entre les communes, les départements et les
régions ne peut autoriser l'une de ces collectivités à
établir ou exercer une tutelle, sous quelque forme que ce soit, sur une
autre d'entre elle
».
En conséquence, votre commission spéciale vous soumet
un
amendement
tendant à rétablir la rédaction de droit
commun.
B. ADAPTATION DES LOIS ET DES RÈGLEMENTS
I. PROPOSITIONS DE MODIFICATION OU D'ADAPTATION DES DISPOSITIONS
RÉGLEMENTAIRES
1° Le droit en vigueur : un pouvoir de proposition renforcé en
1991
Les deux derniers alinéas de l'article L. 4424-2 du code
général des collectivités territoriales, dans leur
rédaction actuelle, permettent à l'Assemblée de Corse, de
sa propre initiative ou à la demande du conseil exécutif, ou de
celle du Premier ministre, de
présenter des
propositions
tendant à modifier ou à adapter des dispositions
législatives ou réglementaires
en vigueur ou en cours
d'élaboration concernant les compétences, l'organisation et le
fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales de Corse,
ainsi que toutes dispositions législatives ou réglementaires
concernant le développement économique, social et culturel de la
Corse. Ces propositions sont adressées au président du conseil
exécutif qui les transmet au Premier ministre.
Ces dispositions sont issues de l'article 26 de la loi du
13 mai 1991
54(
*
)
, qui
reprenait lui-même, en le complétant, l'article 27 de la loi
du 2 mars 1982.
2° Un dispositif dont l'application s'est révélée
peu satisfaisante, faute de réponse adaptée de la part du
Gouvernement
En dix ans, au titre de l'article 26 de la loi du 13 mai 1991, cinq
délibérations de l'Assemblée de Corse ont visé
à demander au Gouvernement de modifier des
mesures
réglementaires
afin de les adapter à la situation
particulière d'île. Par ailleurs, seize autres, proposant des
modifications législatives, seront exposées au
paragraphe III du présent article. Interrogé par votre
rapporteur sur les suites réservées à ces cinq demandes,
le Gouvernement a fait savoir que :
- la délibération n° 92-65 AC du 17 juillet 1992 visait
à la modification des dispositions réglementaires
en
matière de nominations
dans les administrations, afin de donner la
priorité
, à compétences égales,
aux
originaires
et conjoints d'originaires
du territoire de Corse
.
Aucune suite
n'a été donnée ;
- la délibération n° 95-15 AC du 20 février 1995
visait à classer les communes de Corse en « zone
zéro » pour
l'indemnité de résidence des
fonctionnaires
. Un
décret
du 1
er
avril
1995
55(
*
)
répond à
cette demande ;
- la délibération n° 97/77 AC du 18 juillet 1997 visait
à déroger à la partie réglementaire du code rural,
afin de lutter contre la
prolifération des lapins en Balagne
. Un
forte mortalité des lapins de mai à juillet 1997 et un
programme
du préfet de Corse permettant notamment le classement
du lapin en Balagne comme nuisible ont ramené les effectifs à un
niveau moins dommageable pour l'environnement ;
- la délibération n° 99/37 AC du 29 avril 1999 tendait
à modifier les textes qui régissent le
concours national
d'entrée à l'IUFM
, afin d'instaurer une épreuve
obligatoire de
langue corse
;
- la délibération n° 01/11 AC du 1er février 2001
tendant à prévoir par décret la fixation du
régime indemnitaire des agents
de la collectivité
territoriale de Corse par référence au régime applicable
aux agents des administrations centrales de l'Etat. Le 10 avril 2001, le
président du conseil exécutif de Corse a été
informé que les délibérations de l'Assemblée de
Corse modifiant en ce sens le régime indemnitaire des agents de la
collectivité territoriale de Corse était
entaché
d'illégalité
. La procédure est en cours devant le
tribunal administratif de Bastia.
Ainsi, deux des cinq propositions de l'Assemblée de Corse n'ont pas
reçu de réponse de la part du Gouvernement. Toutefois, il est
permis de se demander si, compte tenu de leur contenu, elles n'appelaient pas
une certaine réserve (préférence locale,
« corsisation des emplois »).
3° Le texte adopté par l'Assemblée nationale
Le I de l'article L. 4424-2 proposé par le projet de loi
initial
reprenait sans le modifier le droit existant
.
L'Assemblée nationale a décidé de présenter le
pouvoir de proposition de l'Assemblée de Corse en deux paragraphes, afin
de distinguer selon qu'il s'exerce en matière législative ou
réglementaire.
Le I de l'article L. 4424-2 adopté par l'Assemblée
nationale reprend les termes du projet de loi initial concernant le domaine
réglementaire. Comme le V du projet de loi initial le prévoyait,
les propositions de l'Assemblée de Corse sont adressées au
président du conseil exécutif qui les transmet au Premier
ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité
territoriale de Corse. Par rapport au droit existant, est ajoutée la
transmission au préfet
des propositions adoptées par
l'Assemblée de Corse.
Interrogé par votre rapporteur, le Gouvernement a fait savoir que la
transmission au préfet «
supprime toute
ambiguïté quant à un éventuel lien
privilégié que la transmission de ces propositions pourrait faire
naître entre le Gouvernement et la collectivité
territoriale
».
4° La position de votre commission spéciale
Votre commission spéciale estime que le pouvoir de proposition de
l'assemblée de Corse mériterait d'être conforté.
Toutefois, elle souligne que
la solution consistant à enjoindre au
Gouvernement d'apporter une réponse aux demandes de l'Assemblée
de Corse a déjà été écartée comme
inconstitutionnelle
.
La loi du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région de Corse
prévoyait déjà que le Premier ministre accuse
réception de ces propositions dans les quinze jours et fixe le
délai dans lequel il leur apportera une réponse au fond. Cette
disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel
en 1991.
Dans sa décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, le
Conseil constitutionnel a considéré que «
le
législateur ne saurait, sans excéder la limite de ses pouvoirs,
enjoindre au Premier ministre de donner une réponse dans un délai
déterminé à une proposition de modification de la
législation ou de la réglementation, émanant de l'organe
délibérant d'une collectivité
territoriale
. » En conséquence, il a jugé que
la disposition de l'article 26 faisant obligation au Premier ministre de
se justifier sur la suite à donner à une proposition de
modification de la législation ou de la réglementation
émanant de l'Assemblée de Corse, devait être
déclarée contraire à la Constitution.
Votre commission spéciale souhaite que
le Gouvernement s'engage en
séance publique à apporter une réponse aux demandes et
propositions émises par l'Assemblée de Corse.
Elle ne vous soumet qu'
un amendement
formel, tendant à
réunir en un seul paragraphe les dispositions du I et du III du texte
adopté par l'Assemblée nationale.
II.
AFFIRMATION DU POUVOIR RÉGLEMENTAIRE DE LA
COLLECTIVITÉ TERRITORIALE DE CORSE
1°. Le droit existant : le pouvoir réglementaire des
collectivités locales est résiduel
Avant d'examiner au fond les dispositions du projet de loi et le vote de
l'Assemblée nationale sur le pouvoir réglementaire de la
collectivité territoriale de Corse, votre rapporteur tient à
rappeler l'état du
droit positif existant
concernant le pouvoir
réglementaire sous la Vème République.
Le pouvoir réglementaire désigne la faculté de prendre
des
mesures générales et impersonnelles à
caractère exécutoire.
Les termes mêmes de la Constitution du 4 octobre 1958
énoncent que, sous réserve des prérogatives propres du
Président de la République, le Premier ministre détient le
pouvoir réglementaire de droit commun.
En pratique néanmoins, d'autres autorités se sont vu attribuer un
pouvoir réglementaire dans des limites précisément
définies :
- les ministres, préfets, autorités
délibérantes des collectivités locales et des directeurs
des établissements publics ;
- certaines autorités administratives indépendantes ;
- certaines personnes morales de droit privé chargées d'une
mission de service public, comme les ordres professionnels, les
fédérations sportives ou les sociétés gérant
un service public industriel et commercial.
Toutefois, ce constat appelle deux réserves :
- d'une part,
il ne saurait être question de placer ces
différents détenteurs du pouvoir réglementaire sur le
même plan
. La distinction doit être faite selon que ces
autorités tiennent leur pouvoir réglementaire de la Constitution,
de la loi, ou de solutions jurisprudentielles ;
- d'autre part, chaque autorité investie du pouvoir
réglementaire l'exerce
dans les limites de ses attributions
.
LES
DETENTEURS DU POUVOIR REGLEMENTAIRE
SOUS LA Vème REPUBLIQUE
1. Le
Premier ministre et le Président de la République
56(
*
)
Selon l'article 21 de la Constitution, «
le Premier ministre
(...) assure l'exécution des lois. Sous réserve des dispositions
de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux
emplois civils et militaires.
».
En vertu l'article 13, le Président de la République signe
les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil
des ministres
57(
*
)
et nomme aux
emplois supérieurs de l'Etat.
Le Premier ministre et le Président de la République sont
investis du seul pouvoir réglementaire méritant la qualification
de
général
: il leur permet d'édicter des
règlements
en toutes matières (non réservées
à la loi) et pour toute l'étendue du territoire national
.
2. Le refus du pouvoir réglementaire des ministres en tant que
membres du Gouvernement
Le deuxième alinéa de l'article 21 de la Constitution
dispose que le Premier ministre peut déléguer certains de ses
pouvoirs aux ministres, ce qui inclut la possibilité d'une
délégation de son pouvoir réglementaire
58(
*
)
.
Mais le Conseil d'Etat n'a jamais accepté de reconnaître le
principe de la détention du pouvoir réglementaire par les
ministres
59(
*
)
. Cette
non-détention est compensée par le fait qu'une loi ou un
décret peut investir un ministre du pouvoir réglementaire
(arrêté ministériel), par le pouvoir de prendre des
directives et par le fait qu'ils sont associés à
l'élaboration des décrets réglementaires qu'ils
contresignent et dont il leur appartient de provoquer l'édiction.
3. Les autorités administratives indépendantes
Le Conseil constitutionnel a affirmé à plusieurs reprises que les
articles 21 et 13 de la Constitution «
confèrent au
Premier ministre, sous réserve des pouvoirs reconnus
au Président de la République, l'exercice du pouvoir
réglementaire à l'échelon national ; si elles ne font
pas obstacle à ce que le législateur confie à une
autorité publique autre que le Premier ministre le soin de fixer des
normes permettant de mettre en oeuvre une loi, c'est à la condition que
cette habilitation ne concerne que
des mesures de portée
limitée tant par leur champ d'application que par leur
contenu
. »
Ce considérant de principe a fondé la reconnaissance du pouvoir
réglementaire des autorités administratives
indépendantes : Conseil supérieur de l'audiovisuel
(CSA)
60(
*
)
et Autorité de
régulation des télécommunications (ART)
61(
*
)
, ou des institutions publiques
personnalisées telles la Banque de France
62(
*
)
.
La compétence ainsi reconnue au CSA ne saurait s'exercer que dans le
respect des règles essentielles posées par le législateur
et des principes généraux fixés par décret en
Conseil d'Etat. Dans l'exercice de ses compétences, il est, à
l'instar de toute autorité administrative, soumis à un
contrôle de légalité
63(
*
)
.
De même, la compétence réglementaire reconnue à
l'ART par la loi doit s'exercer dans le respect des dispositions du code des
postes et télécommunications et de ses règlements
d'application, et sous le contrôle du ministre chargé des
télécommunications.
4. Le pouvoir réglementaire des chefs de service
Les chefs de service, notamment les ministres
64(
*
)
, les préfets,
les maires,
les présidents des conseils généraux et
régionaux
et les directeurs des établissements publics,
détiennent un pouvoir réglementaire. Ils peuvent ainsi
réglementer la situation des agents placés sous leurs
ordres
65(
*
)
ou prendre des
mesures réglementaires à destination des usagers des services.
Toutefois, deux limites s'imposent : les règlements que les chefs
de service peuvent édicter (arrêté ou circulaire à
caractère réglementaire, ne peuvent tendre qu'au « bon
fonctionnement » de l'administration placée sous leur
autorité. La légalité de ces mesures est
subordonnée à l'existence d'un vide dans l'ordonnancement
juridique que le chef de service pourra combler
66(
*
)
, et au respect des normes de niveau
supérieur.
Il est de jurisprudence constante qu'un pouvoir réglementaire ne peut
être attribué à un établissement public ou
à un organisme privé chargé d'une mission de service
public qu'en vertu d'une délégation expresse consentie à
leur profit par la loi ou le règlement. Deux conditions de fond limitent
ce pouvoir : l'organisme titulaire de la délégation ne peut
prendre que des règlements nécessaires pour atteindre les buts
qui lui sont fixés ; il doit respecter les normes de niveau
supérieur
67(
*
)
.
5. Les collectivités locales : un pouvoir
résiduel
Le Conseil constitutionnel ayant posé la
compétence
législative
pour les questions qui touchent à la libre
administration des collectivités territoriales,
les espaces dans
lesquels la collectivité pourra utiliser son pouvoir
réglementaire sont très limités
.
Les exemples suivants montrent toutefois qu'ils ont une importance pratique
réelle : d'une part, la collectivité prend les mesures
réglementaires utiles à son
«
auto-organisation
»
68(
*
)
.
Les règlements de portée
« générale », c'est-à-dire
destinés à l'ensemble de la population de la collectivité
considérée, sont pris sur l'invitation expresse du
législateur (
règlements locaux d'urbanisme, pouvoir financier
local
pour voter le taux des quatre grandes taxes dans les limites
fixées par la loi,
règlement départemental d'aide
sociale
), pour régler des situations de fait (
police
municipale
) ou pour
créer des services publics
.
Le juge constitutionnel
distingue bien l'exercice d'une attribution par une
collectivité locale (pouvoir exécutif) du pouvoir de
réglementer la matière considérée (pouvoir
normatif)
. Par exemple, si les collectivités locales peuvent, en
vertu de la loi, être titulaires de l'exercice du pouvoir de
préemption, la fixation des modalités de mise en oeuvre des
principes posés par la loi relève de la compétence du
pouvoir réglementaire national
69(
*
)
.
La jurisprudence administrative reconnaît le pouvoir réglementaire
local, non sans en souligner les limites.
Le pouvoir réglementaire local n'est jamais exclusif du pouvoir
réglementaire général du Premier ministre
. Si la loi
est insuffisamment précise, mais nécessite un décret
d'application, le pouvoir réglementaire d'une collectivité locale
est exclu, tant que ce décret n'aura pas été
pris
70(
*
)
. En l'absence
d'exercice du pouvoir réglementaire national, la collectivité
locale ne se voit reconnaître un pouvoir réglementaire que si le
décret n'était ni prévu par la loi, ni
nécessaire
71(
*
)
. De
même, la compétence du département pour organiser et
gérer les services de la protection maternelle et infantile,
prévue par la loi, n'est pas exclusive du pouvoir réglementaire
du Premier ministre pour édicter les normes applicables à ces
services
72(
*
)
.
En d'autres termes,
le pouvoir réglementaire local ne s'exerce que
dans le respect des dispositions législatives et réglementaires
en vigueur
73(
*
)
.
Une thèse existe qui privilégie une lecture extensive du champ
d'application du pouvoir réglementaire local
74(
*
)
, au moyen d'une
généralisation du pouvoir d'édicter des décisions
individuelles (par exemple : en matière d'aides économiques
et de subventions, la collectivité locale, compétente pour
attribuer les aides individuelles, le serait aussi pour établir
a
priori
les critères qu'elle utilisera pour les attribuer aux
demandeurs). Cette conception est pour l'instant purement doctrinale. Elle
n'est confortée par aucun élément du droit positif
(jurisprudence comprise). Dans ce domaine, il existe sans doute un
décalage entre le droit positif et la pratique.
6. L'unité du pouvoir réglementaire
L'unité du pouvoir réglementaire général
a
été affirmée par le Conseil constitutionnel. En
conséquence, le législateur ne peut modifier la ligne de partage
entre matières législatives et matières
réglementaires
75(
*
)
.
Il n'est pas possible de se fonder sur la jurisprudence du Conseil d'Etat pour
remettre en cause l'unité du pouvoir réglementaire
général. En effet, le Conseil d'Etat ne peut censurer des
dispositions de forme réglementaire intervenues en matière
législative, car ce serait reconnaître
l'inconstitutionnalité de la loi qui en a permis l'édiction, et
le juge administratif n'est pas juge de la loi.
7. L'obligation d'exercer le pouvoir réglementaire
La jurisprudence administrative sanctionne le refus d'édicter des
règlements nécessaires à l'application d'une loi
76(
*
)
. Toutefois, il n'y a obligation que si
l'absence des règlements d'application rend impossible l'application du
texte de base
77(
*
)
. Le corollaire
est l'obligation d'abroger les règlements illégaux.
2° Le projet de loi initial
Le II de l'article L. 4424-2 proposé par le projet de loi initial
tend à ouvrir la possibilité pour l'Assemblée de Corse de
prendre des mesures d'adaptation de règlements pris pour
l'application des lois
.
Sur le fond,
quatre conditions cumulatives
encadreraient cette
faculté :
- celle ci s'exercerait
dans les matières où la
collectivité territoriale de Corse est compétente
;
- l'adaptation ne pourrait remettre en cause les conditions essentielles
d'application des lois organisant l'exercice d'une
liberté
publique
;
- ces mesures d'adaptations devraient être prises
dans un but
d'intérêt général
;
- et être
justifiées par la situation
spécifique
de la Corse,
appréciée au
regard
de l'objet de la réglementation
considérée.
Quant à la procédure, ces adaptations seraient fixées par
délibérations motivées de l'Assemblée de Corse,
prises sur proposition du conseil exécutif.
Le caractère provisoire de ces adaptations est souligné,
puisqu'en cas de modification de la réglementation ayant donné
lieu à adaptation, la délibération cesserait de produire
effet au plus tard
six mois
après l'entrée en vigueur du
décret fixant la nouvelle réglementation.
3° L'avis du Conseil d'Etat du 8 février 2001
Le Conseil d'Etat a
disjoint
les dispositions figurant au II de
l'article premier du projet de loi, dans la nouvelle rédaction
proposée pour le II de l'article L. 4422-16 du code
général des collectivités territoriales, qui organisent la
faculté, pour la collectivité territoriale de Corse, de modifier
les décrets pris pour l'application des dispositions législatives
régissant les matières dans lesquelles elle exerce des
compétences.
Selon le Conseil d'Etat, «
les dispositions de l'article 21
de la Constitution en vertu desquelles le Premier ministre assure
l'exécution des lois et, sous réserve des dispositions de
l'article 13, exerce le pouvoir réglementaire, ne font pas obstacle
à ce que le législateur confie à une collectivité
territoriale dont, en vertu de l'article 72, la loi prévoit les
conditions de la libre administration, le soin de définir les conditions
d'application d'une loi, mais il ne peut le faire qu'à condition que
cette habilitation porte sur des mesures dont elle définit
précisément le champ d'application et les conditions de mise en
oeuvre et
ne porte pas atteinte à la compétence qui appartient
au Premier ministre d'édicter des règles nationales applicables
à l'ensemble du territoire
».
4° Le texte adopté par l'Assemblée nationale :
reconnaître à la collectivité territoriale de Corse un
pouvoir réglementaire propre et un pouvoir réglementaire
d'adaptation des lois
L'Assemblée nationale a tout d'abord procédé à une
affirmation de principe : «
le pouvoir réglementaire
de la collectivité territoriale de Corse s'exerce dans le cadre des
compétences qui lui sont dévolues par la loi
. »
(premier alinéa).
Puis l'Assemblée nationale a modifié les quatre conditions de
fond cumulatives subordonnant l'exercice du pouvoir d'adaptation des
règlements nationaux (deuxième alinéa). Ainsi, la
collectivité territoriale de Corse pourra «
demander
à être habilitée par le
législateur
» :
- à fixer des règles adaptées aux
spécificités de l'île
,
-
dans le respect de l'article 21 de la Constitution
, selon
lequel le Premier ministre assure l'exécution des lois et exerce le
pouvoir réglementaire,
- pour la mise en oeuvre des
compétences
qui sont
dévolues à la collectivité territoriale de Corse
en
vertu de la partie législative du code général des
collectivités territoriales,
- les adaptations sont exclues lorsque est en cause l'exercice d'une
liberté individuelle ou d'un droit fondamental
.
En revanche, l'Assemblée nationale a supprimé la mention selon
laquelle la délibération cesserait de produire effet dans les six
mois suivant l'entrée en vigueur d'une modification de la
réglementation considérée.
Sur la procédure, l'Assemblée nationale a ajouté la
possibilité d'une
auto-saisine de l'Assemblée de
Corse
; dans ce cas, le conseil exécutif remettrait un rapport
à l'Assemblée de Corse avant que celle-ci ne rende sa
délibération motivée.
Comme le V de l'article L. 4424-2 proposé par le projet de loi
initial le prévoyait, l'Assemblée nationale a confirmé que
la demande, qui prend la forme d'une délibération motivée
de l'Assemblée de Corse, est transmise par le président du
conseil exécutif au Premier ministre et au représentant de l'Etat
dans la collectivité territoriale de Corse.
III.
PROPOSITIONS DE MODIFICATION OU D'ADAPTATION DES DISPOSITIONS
LÉGISLATIVES
1° Le droit existant
Les deux derniers alinéas de l'article L. 4424-2 du code
général des collectivités territoriales, dont votre
rapporteur a exposé le contenu dans le paragraphe I, permettent à
l'Assemblée de Corse de présenter des propositions tendant
à modifier ou à adapter des dispositions législatives ou
réglementaires concernant l'organisation et le fonctionnement des
collectivités territoriales en Corse ou le développement
économique, social et culturel de l'île.
2° Une application peu satisfaisante
Votre rapporteur a recensé les délibérations de
l'Assemblée de Corse prises au titre de l'article 26 de la loi du
13 mai 1991 (l'actuel article L. 4424-2 du code général
des collectivités territoriales) tendant à la
modification de
dispositions législatives
78(
*
)
, et a demandé au
Gouvernement pour chacune d'entre elles les suites qu'il y avait
apportées :
- la délibération n° 92 /92 AC du 17 septembre 1992
tendait à modifier la loi n° 63-777 du 31 juillet 1963
relative à certaines modalités de
grève dans les
services publics
;
- la délibération n° 93/68 AC du 18 juin 1993 tendant
à modifier la loi n° 84-512 du 29 juin 1984 relative à
la
pêche en eau douce
. Le ministre de l'environnement a
répondu
le 9 septembre 1993 que les difficultés
rencontrées n'étaient pas propres à la Corse et que les
services étudiaient les solutions à y apporter ;
- la délibération n° 93/77 AC du 29 juin 1993 tendait
à modifier les dispositions législatives concernant les
différentes
aides au logement
; le Gouvernement a
répondu
qu'il n'envisageait pas d'accorder cette
dérogation ; les demandes de l'Assemblée de Corse sont
ensuite devenues caduques en octobre 1995 du fait de l'instauration du
« prêt à taux zéro » ;
- la délibération n° 93/122 AC du 19 novembre 1993 tendait
à modifier les dispositions de la loi du 13 mai 1991 relatives à
l'Agence de développement économique
de la Corse ;
- la délibération n° 94/25 AC du 1er mars 1994 tendait
à modifier la loi du 13 mai 1999 afin de transférer dans le
patrimoine de la collectivité territoriale de Corse les
biens
immobiliers et mobiliers affectés au
service public du transport
ferroviaire
;
- la délibération n° 94-150 AC du 21 novembre 1994 tendait
à inscrire en loi de finances que toute perte de ressources au titre de
la
taxe de consommation sur les alcools
soit systématiquement
compensée par la dotation générale de
décentralisation ;
- la délibération n° 94/151 AC du 21 novembre 1994 tendait
à modifier la loi du 13 mai 1991 afin que la
dotation compensant le
transfert des
charges
d'investissement de la collectivité
territoriale de Corse évolue comme la dotation globale
d'équipement ;
- la délibération n° 95/07 AC du 10 février 1995
tendait à l'exemption de la nouvelle
taxe d'aménagement du
territoire
en faveur de la Corse (taxe due par les entreprises de
transports public aérien). La loi de finances pour 1999 ayant
abrogé les articles concernés du code général des
impôts, le Gouvernement a fait savoir que «
le souhait de
l'Assemblée de Corse de limiter l'accroissement du coût du
transport dû aux taxes a donc été pris en
compte
» ;
- la délibération n° 95-56 AC du 30 juin 1995 tendait
à modifier les dispositions de la loi du 13 mai 1991 relatives
aux transports et à la
continuité territoriale
;
- la délibération n° 95/57 AC du 30 juin 1995 tendait
à modifier des projets de loi en cours d'examen au Parlement afin de
favoriser la politique de
plaisance et de croisière
en
Corse ;
aucune suite
n'a été réservée
à cette demande ;
- la délibération n° 95/120 AC du 20 novembre 1995 tendait
à modifier l'article 50 de la loi du 13 mai 1991 concernant la
carte
scolaire
; le Gouvernement «
n'a pas jugé utile de
faire suite à cette demande
» ;
- la délibération n° 96/16 AC du 1er mars 1996 tendait au
dépôt d'un projet de loi relatif à la
représentativité du syndicat des travailleurs corses. Auparavant
la délibération n° 94/132 AC du 28 octobre 1994 tendait
à la reconnaissance au plan territorial de la
représentativité du même syndicat. Le Gouvernement a
estimé que deux
décrets
du 7 février1997
79(
*
)
« font suite à cette
demande » ;
- les délibérations n° 96/36 AC et n° 96/37 AC du
2 mai 1996 et n° 96/121 AC du 20 décembre 1996, tendaient à
modifier le statut fiscal de la Corse concernant la taxe sur les transports.
Une
réunion de travail
entre services de l'Etat et
représentants de la collectivité territoriale de Corse s'est
tenue le 7 février 1997 et une note a été adressée
le 19 février 1997 au président du conseil exécutif.
Ainsi, sur les 16 délibérations recensées,
seules sept
ont reçu une réponse
de la part du Gouvernement.
3° Le texte adopté par l'Assemblée nationale
Le I de l'article L. 4424-2 proposé par le projet de loi initial
reproduisait le droit existant
, en ajoutant la
transmission au
préfet
.
L'Assemblée nationale a scindé en deux les dispositions du projet
de loi initial, afin de distinguer les propositions de modification des
dispositions législatives et réglementaires, sans apporter de
changement au fond.
4° La position de votre commission spéciale
Par coordination avec le regroupement en un seul paragraphe des dispositions
relatives au pouvoir de proposition de la collectivité territoriale de
Corse, opérée au I de l'article L. 4424-2 du code
général des collectivités territoriales proposé,
votre commission des Lois vous soumet
un amendement de suppression du
III
.
IV. ADAPTATION DES LOIS
1° Le projet de loi initial
Le III de l'article L. 4424-2 proposé par le projet de loi
initial ouvre la possibilité pour l'Assemblée de Corse de
prendre des mesures d'adaptation dérogeant au droit commun des
dispositions législatives applicables
.
Sur le fond, la condition pour ce faire est que l'Assemblée de Corse
« estime » que les dispositions législatives en
vigueur ou en cours d'élaboration présentent, pour les
compétences de la collectivité territoriale, des
«
difficultés d'application liées aux
spécificités de l'île
».
Dans ce cas, l'Assemblée de Corse demande au Gouvernement que lui soit
conférée par la loi, qui en fixe les modalités,
l'autorisation de prendre par délibération,
dans un but
d'intérêt général, à titre
expérimental,
des mesures d'adaptation de ces dispositions
législatives.
Cette demande de l'Assemblée de Corse au Gouvernement, qui prend la
forme d'une délibération motivée, résulte d'une
proposition du conseil exécutif ou d'une initiative de
l'Assemblée de Corse elle-même. dans ce dernier cas, le conseil
exécutif établit un rapport.
Chaque année, le Gouvernement devra présenter au Parlement un
rapport
sur les mesures ainsi prises par l'Assemblée de Corse. Ce
rapport retracera l'état de réalisation des objectifs
fixés par les délibérations de l'Assemblée.
2° L'avis du Conseil d'Etat du 8 février 2001
Le Conseil d'Etat a
disjoint
ces dispositions du projet de loi.
Selon le Conseil d'Etat, «
s'il est loisible au
législateur
d'adopter des dispositions particulières
applicables à une catégorie de collectivité territoriale
déterminée même si celle-ci ne comprend qu'une
unité, il lui appartient de préciser lui-même, selon les
procédures définies par la Constitution pour l'adoption de la
loi, la nature, l'étendue et la portée des dérogations que
ces dispositions apportent au droit commun ; il
ne peut
, en
revanche,
déléguer l'exercice de la compétence
législative à quelque autorité que ce soit, en-dehors des
cas prévus par la Constitution
».
A titre d'illustration, comme votre rapporteur vous l'exposera à
l'article 12 du présent projet de loi, le Conseil d'Etat a disjoint
les dispositions conférant à la collectivité territoriale
de Corse compétence pour définir, par dérogation à
l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, «
des
règles relatives à l'extension de l'urbanisation adaptées
aux particularités géographiques locales
» et pour
déterminer les espaces où s'appliquerait ce régime
dérogatoire au droit commun.
Selon le Conseil d'Etat, «
en l'absence de précisions
suffisantes sur la nature, l'étendue et la portée des
dérogations ainsi apportées au régime législatif de
droit commun, les dispositions susmentionnées équivalent à
une délégation du pouvoir législatif à la
collectivité territoriale de Corse, délégation qui est
contraire à l'article 34 de la Constitution
».
3° Le texte adopté par l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a entièrement réécrit le
dispositif proposé. Sur le fond, elle a repris la condition tenant au
constat, par l'Assemblée de Corse, que des dispositions
législatives en vigueur ou en cours d'élaboration
présentent, pour l'exercice des compétences de la
collectivité territoriale, des difficultés d'application
liées aux spécificités de l'île.
Elle a ensuite prévu
une formule d'habilitation et de validation par
le législateur des expérimentations effectuées par
l'Assemblée de Corse
:
- l'Assemblée de Corse demande au Gouvernement que le
législateur lui ouvre la possibilité de procéder à
des expérimentations comportant le cas échéant des
dérogations aux règles en vigueur ;
- ces expérimentations précèdent
«
l'adoption ultérieure par le Parlement de dispositions
législatives appropriées
» ;
- la loi fixerait la nature et la portée de ces
expérimentations, ainsi que les cas, conditions et délai dans
lesquels la collectivité territoriale pourrait faire application de ces
dispositions ;
- la loi fixerait également les conditions et les procédures
d'
évaluation
de cette expérimentation, ainsi que les
modalités d'information du Parlement sur leur mise en oeuvre ;
- les mesures prises à titre expérimental par la
collectivité territoriale de Corse cesseraient de produire leur effet au
terme du délai fixé si le Parlement, au vu du rapport
d'évaluation qui lui est fourni, n'a pas procédé à
leur
adoption
.
Ce faisant, l'Assemblée nationale a
supprimé le rapport
du
Gouvernement au Parlement.
Sur la procédure, l'Assemblée nationale a repris le projet de loi
initial prévoyant une délibération motivée de
l'Assemblée de Corse, prise à l'initiative du conseil
exécutif, ou de l'Assemblée de Corse après rapport du
conseil. Comme le prévoit le V du projet de loi initial, cette
délibération serait transmise par le président du conseil
exécutif au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la
collectivité territoriale de Corse.
V. CONSULTATION DE LA COLLECTIVITÉ TERRITORIALE DE CORSE SUR LES
PROJETS DE TEXTES COMPORTANT DES DISPOSITIONS SPÉCIFIQUES A LA CORSE
1° Le droit existant
Les deux premiers alinéas de l'article L. 4424-2 du code
général des collectivités territoriales, dans leur
rédaction actuelle, disposent que l'Assemblée de Corse est
consultée
sur les projets de loi ou de décret comportant
des dispositions spécifiques à la Corse. L'Assemblée
dispose d'un délai d'un mois pour rendre son avis. Ce délai est
réduit à quinze jours en cas d'urgence sur demande du Premier
ministre. Le délai expiré, l'avis est réputé avoir
été donné.
Cette rédaction résulte de l'article 26 de la loi du
13 mai 1991 précitée et n'avait pas d'équivalent dans
la loi du 2 mars 1982.
Des dispositions équivalentes existent pour les collectivités
d'outre-mer :
- en application de l'article 74 de la Constitution, pour les
territoires d'outre-mer :«
les statuts des territoires
d'outre-mer sont fixés par des lois organiques qui définissent,
notamment, les compétences de leurs institutions propres, et
modifiés, dans la même forme, après consultation de
l'assemblée territoriale intéressée. Les autres
modalités de leur organisation particulière sont définies
et modifiées par la loi après consultation de l'assemblée
territoriale intéressée
» ;
- en application du décret du 26 avril 1960 relatif à
l'adaptation du régime législatif, pour les départements
d'outre-mer.
En revanche,
un tel dispositif demeure sans équivalent en France
métropolitaine
. Sur ce fondement, l'Assemblée de Corse a
été consultée sur l'avant-projet de loi
80(
*
)
.
2° Le projet de loi initial
Le V de l'article L. 4424-2 proposé par le projet de loi
initial ne modifie le droit en vigueur qu'à la marge : le
délai imparti à l'Assemblée de Corse pour rendre son avis
serait réduit en cas d'urgence non plus à la demande du Premier
ministre mais à la demande du représentant de l'Etat dans la
collectivité territoriale de Corse.
Le V précise que les avis adoptés par l'Assemblée de Corse
sont adressés au président du conseil exécutif qui les
transmet au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la
collectivité territoriale de Corse.
3° Le texte adopté par l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a ajouté que l'Assemblée de Corse
serait consultée sur les
propositions de loi
comportant des
dispositions spécifiques à la Corse. Dans ce cas, les avis
relatifs aux propositions de loi sont transmis par le Premier ministre aux
présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.
4° La position de votre commission spéciale
Bien que le Gouvernement, interrogé par votre rapporteur sur le fait que
les avis concernant des propositions de loi transitent par le Premier ministre,
a répondu «
qu'il appartient au Gouvernement de
procéder à l'information du législateur
»,
votre commission spéciale rappelle que le Gouvernement n'a pas le
monopole de cette information. Elle vous soumet donc
un amendement
tendant à prévoir que les avis de l'Assemblée de Corse sur
les propositions de loi seront directement transmises aux présidents de
l'Assemblée nationale et du Sénat par le président du
conseil exécutif de Corse. Bien entendu, le Premier ministre en sera
aussi destinataire.
VI. PRÉSENTATION PAR LE PRÉFET DES SUITES ENVISAGÉES
PAR LE GOUVERNEMENT
Le V de l'article L. 4424-2 du code général des
collectivités territoriales proposé par le projet de loi initial
prévoyait que, par accord entre le président de
l'Assemblée de Corse et le représentant de l'Etat, celui-ci
serait entendu par l'Assemblée sur les suites que le Gouvernement entend
réserver aux avis et demandes de la collectivité territoriale.
Cette communication pourrait donner lieu un débat sans vote.
L'Assemblée nationale a apporté une simple précision
à ce dispositif.
Votre commission spéciale remarque que la rédaction des
paragraphes I, III et VI du présent article se contentent pour une large
part de reproduire le droit existant, non sans présenter ces
dispositions comme de nouvelles avancées... En l'occurrence, l'article
L. 4422-27 du code général des collectivités
territoriales
permet déjà au préfet de Corse
, en
accord avec le président de l'Assemblée de Corse,
d'être
entendu par l'Assemblée
. Cet article existe depuis la loi du 13 mai
1991.
Votre commission spéciale vous soumet
un amendement
de
coordination avec les solutions précédemment retenues.
VII. CONTRÔLE DE LÉGALITÉ ET PUBLICATION AU JOURNAL
OFFICIEL
1° Le projet de loi initial
Le II du présent article prévoyait l'insertion d'un nouvel
article L. 4424-2-1 dans le code général des
collectivités territoriales, dont l'objet serait double :
- soumettre au contrôle de légalité les
délibérations adoptées par l'Assemblée de Corse en
application de l'article L. 4424-2, portant mesures d'adaptation de
dispositions législatives ou réglementaires
81(
*
)
;
- prévoir la publication de ces délibérations au
Journal officiel
de la République française.
2° Le texte adopté par l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a supprimé la soumission au contrôle
de légalité des délibérations de l'Assemblée
de Corse portant mesure d'adaptation des dispositions législatives et
réglementaires, au motif qu'il s'agit d'une précision inutile.
Par ailleurs, elle a étendu l'obligation de publication au Journal
officiel de la République française à l'ensemble des
propositions, demandes et avis adoptés par l'Assemblée de Corse
en application des I à IV de l'article L. 4424-2
proposé.
3° La position de votre commission spéciale
Votre commission spéciale tient à souligner que la publication au
Journal Officiel de la République française de
délibérations d'une collectivité locale n'existe pas
actuellement. Il s'agirait donc d'une innovation notable, au profit de la
collectivité territoriale de Corse, justifiée par le pouvoir
législatif et réglementaire qui lui sont accordés en vertu
du présent projet de loi.
En Nouvelle Calédonie
82(
*
)
et en Polynésie française
83(
*
)
, les actes des assemblées
territoriales sont publiés respectivement au Journal officiel de la
Nouvelle Calédonie et au Journal officiel de la Polynésie
française.
Votre commission spéciale vous soumet
un amendement
de
coordination avec la solution précédemment retenue, afin de
limiter la publication au Journal Officiel aux délibérations de
l'Assemblée de Corse portant propositions de modifications
législatives ou réglementaires.
C. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION SPÉCIALE : L'ADAPTATION
DES LOIS ET DES REGLEMENTS, NON CONFORME A LA CONSTITUTION, DOIT ÊTRE
REJETEE
Les modifications apportées par l'Assemblée nationale au texte
initial soulignent que
le Gouvernement a soumis au Parlement un texte non
conforme à la Constitution
.
En dépit des efforts de clarification considérables
effectués par l'Assemblée nationale, on ne peut que constater
l'échec de celle-ci à produire un texte conforme à la
Constitution.
I. LE REFUS DE LA DÉLÉGATION DU POUVOIR LÉGISLATIF
À LA COLLECTIVITÉ TERRITORIALE DE CORSE, CONTRAIRE À LA
CONSTITUTION
1° Le texte de l'Assemblée nationale est inacceptable
a) Un texte incompréhensible
Votre commission spéciale tient tout d'abord à souligner
l'extrême complexité
du texte transmis au Sénat.
Puisqu'
une explication de texte est indispensable
, votre rapporteur a
souhaité avoir l'interprétation du Gouvernement sur ses
intentions et celles, qu'il a approuvées, de l'Assemblée
nationale.
b) Une dévolution du pouvoir législatif sans le dire
Force est de constater que
le Gouvernement
, par un discours
lénifiant,
minimise les innovations institutionnelles
proposées par le projet de loi,
mais qu'au détour
d'explications techniques, il reconnaît la véritable nature de
celui-ci, à savoir la dévolution pure et simple du pouvoir
législatif et du pouvoir réglementaire dans les mains d'une
collectivité territoriale.
Interrogé par votre rapporteur sur la question de principe, le
Gouvernement affirme que «
le projet de loi n'ouvre aucune
compétence législative à l'Assemblée de
Corse
. La collectivité territoriale de Corse n'aura de
possibilités d'expérimenter des dérogations que si le
Parlement y consent. La collectivité territoriale de Corse ne dispose
d'
aucun droit d'appréciation particulier qui serait, de près
ou de loin, assimilable à un véritable pouvoir
législatif.
»
Mais, devant des questions plus techniques telles que :
- comment
régler les droits acquis
lorsque, une fois le
délai dépassé et en l'absence de validation
législative, les « mesures prises à titre
expérimental par la collectivité territoriale de
Corse » cesseront de produire leur effet ?
- ces mesures sont-elles
réputées n'avoir jamais
existé
, s'agit-il d'un retrait ou d'une abrogation ?
Le Gouvernement répond : «
Il s'agit d'une
abrogation dont les effets sont comparables à ceux d'une modification
législative
. ».
Votre commission spéciale remarque que, sauf à jouer sur les
mots, les mesures expérimentales de la collectivité territoriale
de Corse seront bien des mesures législatives, puisque les effets de
l'absence de loi ultérieure les confirmant sont assimilés
à ceux d'une modification législative.
De plus, elle s'inquiète des évolutions annoncées à
mots couverts par le Gouvernement : «
L'objectif du texte
n'est pas de donner valeur législative à des mesures prises par
une collectivité locale. Il s'agit simplement de consolider les bases
législatives servant de fondement aux mesures prises par la
collectivité territoriale de Corse, et de
lui permettre
également,
sans recours au législateur
, de les modifier
postérieurement à la consolidation du
dispositif
. »
c) Une procédure calquée sur celle des ordonnances de
l'article 38 de la Constitution
84(
*
)
Votre commission spéciale souligne le parallèle existant entre
l'article premier soumis à son examen, et l'article 38 de la
Constitution, permettant au Gouvernement de légiférer par
ordonnance.
En effet,
la collectivité territoriale de Corse agirait sur
habilitation du législateur, et ses délibérations seraient
ensuite ratifiées par le Parlement, au moyen d'une loi de validation
.
Interrogé par votre rapporteur sur la nature des expérimentations
en matière législative, sur leur portée, leur valeur
juridique et
leur place dans la hiérarchie des normes
, le
Gouvernement a fait savoir que «
Ces expérimentations
prendront la forme d'actes de la collectivité territoriale de Corse,
pris par les autorités compétentes, ces actes étant soumis
au contrôle de légalité. La publication au Journal officiel
est justifiée par l'existence d'un droit différent qu'il semble
indispensable de porter à la connaissance des tiers
. »
Votre commission spéciale estime quant à elle que
l'article
premier du présent projet de loi se comporte en tout points comme un
article de la Constitution, en ce qu'il répartit le pouvoir normatif
entre plusieurs autorités
, et prévoit une procédure de
dévolution du pouvoir législatif à la collectivité
territoriale de Corse sur le modèle des ordonnances.
Or, sous la Vème République, le législateur n'a pas la
compétence de sa compétence.
Le Conseil constitutionnel le
censurerait pour incompétence négative s'il n'allait pas au bout
de la compétence que la Constitution, notamment son article 34, lui
reconnaît.
A cet égard, on ne peut être surpris que le Premier ministre
Lionel Jospin ait pu, lors de la réunion de Matignon du 6 avril 2000,
demander aux élus de la collectivité territoriale de Corse :
«
en ce qui concerne l'éventualité d'une
compétence législative, s'agirait-il d'une compétence
exclusive, concurrente avec l'Etat ou subsidiaire
? ».
d) Des ambiguïtés rédactionnelles qui ouvrent la voie
à des interprétations redoutables
Sur la rédaction des dispositions en cause, un paradoxe se fait
jour : tantôt l'Assemblée nationale et le Gouvernement jugent
utile de faire une référence expresse à la Constitution,
tantôt, au contraire, ils excluent cette mention, au motif qu'elle serait
juridiquement inutile.
Ainsi, interrogé par votre rapporteur sur les spécificités
de l'île qui pourraient justifier l'adaptation de la loi, le Gouvernement
a répondu : «
le caractère insulaire, le retard
de développement ou la protection des espaces naturels peuvent
être autant d'éléments qui, selon les législations
en cours d'examen, pourront mériter des dispositions propres à la
Corse. Il ne paraît
pas utile de préciser que ces
dérogations devront être en rapport avec l'objet de la loi
à adapter
dans la mesure où cette précision
se
contente de reprendre les exigences que le Conseil constitutionnel
marque
pour apprécier le respect du principe d'égalité et de
proportionnalité.
».
De même, la précision selon laquelle l'adaptation devait
répondre à un but d'intérêt général
ayant été supprimée, le Gouvernement fait savoir que
«
la précision relative à l'intérêt
général était de faible valeur normative
ou
redondante par rapport aux exigences constitutionnelles
».
Pourtant, le pouvoir réglementaire d'application des lois qui serait
reconnu à la collectivité territoriale de Corse devrait s'exercer
«
dans le respect de l'article 21 de la
Constitution
».
2° L'absence de validation
a priori
par le Conseil
constitutionnel : la décision du 28 juillet 1993 n'est pas
transposable aux collectivités locales
a) Une décision implicite et sans rapport avec l'objet aujourd'hui
examiné
La justification évoquée au dispositif imaginé
résulte non d'une disposition expresse de la Constitution, mais de
l'habile sélection d'une jurisprudence du Conseil constitutionnel qui
n'a rien à voir avec les collectivités locales.
Les deux considérants de principe de la décision n° 93-322
DC du 28 juillet 1993 sont ainsi libellés :
«
le législateur, dans le respect des principes de valeur
constitutionnelle, (...) peut, pour la détermination des règles
constitutives des établissements publics à caractère
scientifique, culturel et professionnel, prévoir, eu égard
à l'objectif d'intérêt général auquel lui
paraîtrait répondre le renforcement de l'autonomie des
établissements,
que puissent être opérés par
ceux-ci des choix entre différentes règles qu'il aurait
fixées
. Il lui est aussi possible, une fois des règles
constitutives définies, d'autoriser des dérogations
pour
des établissements dotés d'un statut particulier en fonction de
leurs caractéristiques propres
.
«
Il est de même loisible au législateur de
prévoir la possibilité d'
expériences
comportant des
dérogations
aux règles ci-dessus définies de nature
à lui permettre d'adopter par la suite, au vu des résultats de
celles-ci,
des règles nouvelles
appropriées à
l'évolution des missions de la catégorie d'établissements
en cause. Toutefois il lui incombe alors de
définir
précisément la nature et la portée de ces
expérimentations, les cas dans lesquels celles-ci peuvent être
entreprises, les conditions et les procédures selon lesquelles elles
doivent faire l'objet d'une évaluation conduisant à leur
maintien, à leur modification, à leur
généralisation ou à leur
abandon
.
»
Il convient tout d'abord de rappeler que cette décision concernait
des établissements publics de l'Etat
, en l'occurrence les
établissements publics à caractère scientifique, culturel
et professionnel, et en aucun cas des collectivités territoriales. Votre
commission spéciale estime qu'
en l'état actuel du droit
positif, une telle solution ne peut être interprétée comme
s'appliquant aux collectivités locales.
De plus,
l'objet même des dérogations
ainsi
autorisées en principe (et rejetées en l'espèce pour
non-respect des conditions ci-dessus évoquées)
est
extrêmement limité
, puisqu'elle ne pouvaient porter que sur
l'organisation interne des universités et des instituts et
écoles. Même dans cette rédaction prudente, le Conseil
constitutionnel a censuré le dispositif, notamment sur le fondement de
l'incompétence négative du législateur, qui n'a pas
assorti de garanties légales les principes de caractère
constitutionnel que constituent la liberté et l'indépendance des
enseignants chercheurs.
b) La validité de cette décision, qui sert de fondement au
raisonnement du Gouvernement, est contestée par l'Assemblée
nationale elle-même
Tant le Gouvernement, pendant la démarche de Matignon et dans
l'exposé des motifs du présent projet de loi, que
l'Assemblée nationale, s'appuient sur les termes de cette
décision n° 93-322 DC du 28 juillet 1993, qui autoriserait selon
eux l'expérimentation législative par les collectivités
locales. L'Assemblée nationale a en conséquence reproduit dans
l'article premier les dispositions de cette décision.
Toutefois, une ambiguïté demeure dans le raisonnement du
Gouvernement et de l'Assemblée nationale.
En effet, la commission des Lois de l'Assemblée nationale a
rappelé que, «
conformément aux motifs de la
décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1993,
plusieurs conditions sont requises pour que le législateur puisse
habiliter la collectivité territoriale à procéder aux
adaptations nécessitées par sa situation
particulière : celles-ci doivent avoir
lieu dans un but
d'intérêt général et à titre
expérimental, ce qui implique que la durée de l'autorisation soit
limitée et que les adaptations entreprises dans ce cadre donnent lieu
à une évaluation
.
»
Mais, dans le même temps,
la commission a admis elle-même que
«
la transposition de la décision du Conseil
constitutionnel
relative aux établissements publics universitaires
à la collectivité territoriale de Corse
pourrait
être de nature à soulever des difficultés en l'absence de
révision constitutionnelle préalable
85(
*
)
. »
Elle avait fait
le même constat dès janvier 2001 :
«
la transposition de cette jurisprudence aux collectivités
locales en l'absence de révision constitutionnelle apparaît pour
le moins
hasardeuse, tant elle heurte de nombreux autres principes
constitutionnels
»
86(
*
)
.
Votre commission spéciale approuve sans réserve ces deux derniers
constats de la commission des Lois de l'Assemblée nationale.
c) La méconnaissance du cadre déjà fixé par le
Conseil constitutionnel concernant la collectivité territoriale de Corse
Votre commission spéciale tient à souligner que
le Conseil
constitutionnel s'est déjà prononcé
sur la question
de la dévolution d'un pouvoir de la collectivité territoriale de
Corse en matière législative.
En effet, lors de l'examen de la loi du 13 mai 1991 portant statut de la
collectivité territoriale de Corse, il n'a validé l'organisation
spécifique à caractère administratif de la
collectivité territoriale de Corse que dans la mesure où
«
ni l'assemblée de Corse ni le conseil exécutif
ne se voient attribuer des compétences ressortissant au domaine de la
loi
».
3° L'absence de « précédents »
Le Gouvernement évoque par ailleurs l'existence de
« précédents » en matière
d'expérimentation locale pour justifier le dévolution d'un
pouvoir législatif à titre expérimental à la
collectivité territoriale de Corse.
D'une part, quelques lois ont prévu leur application pour une
durée limitée : loi du 17 janvier 1975 relative à
l'interruption volontaire de grossesse et loi du 25 juillet 1994 sur la
bioéthique par exemple.
D'autre part, plusieurs lois ont prévu des expérimentations.
Ainsi, la loi n° 88-1088 du 1
er
décembre 1988 relative
au
revenu minimum d'insertion
prévoyait retour devant le
législateur après cinq années. Tel fut le cas avec la loi
du 29 juillet 1992. La loi de finances pour 1995 prévoyait aussi des
expérimentations pour améliorer le RMI
87(
*
)
.
Par la loi n° 94-637 du 29 juillet 1994 relative à la
sécurité sociale, le Sénat, sur un amendement de sa
commission des Affaires sociales, a institué des expérimentations
en matière de dépendance
dans douze départements,
expérimentations
88(
*
)
qui débutèrent le 1er
janvier 1995
. Cette expérimentation a préfiguré la loi
n° 97-60 du 24 janvier 1997 tendant, dans l'attente de la loi instituant
une prestation d'autonomie pour les personnes âgées
dépendantes, à mieux répondre aux besoins des personnes
âgées par l'institution d'une prestation spécifique
dépendance.
A la suite d'un rapport de notre collègue Hubert Haenel de 1994, un
processus expérimental de décentralisation des services
ferroviaires régionaux
a été institué par la
loi n° 95-115 du 4 février 1995 pour l'aménagement et le
développement du territoire
89(
*
)
, auquel ont participé sept
régions. En conséquence, la loi n° 2000-1208 du 13
décembre 2000 relative à la solidarité et au
renouvellement urbains prévoit, dès le 1er janvier 2002, le
transfert aux régions de l'organisation et du financement des services
régionaux de voyageurs et renvoie à un décret en Conseil
d'Etat ses modalités de mise en oeuvre.
Votre commission spéciale souligne
l'intérêt de ces
expérimentations
, qui permettent au législateur de se
prononcer en connaissance des difficultés rencontrées par les
collectivités locales dans l'exercice de leurs missions.
Toutefois, elle ne peut que constater que l'article premier du présent
projet de loi ne se situe pas du tout sur le même plan. Dans les cas
évoqués ci-dessus, il s'agissait d'expérimentations
menées par le législateur lui-même, et non de la
délégation par celui-ci, à une collectivité locale,
du pouvoir de fixer les normes applicables.
Les collectivités locales se voyaient reconnaître la
possibilité
d'expérimenter une
attribution
que la
loi leur conférait. Au contraire, l'article premier du projet de
loi créerait une
délégation de
compétence
, ce que le législateur ne peut
faire
90(
*
)
.
Encore une fois,
au sein du pouvoir exécutif, il convient de bien
distinguer le pouvoir de faire
(verser des aides sociales, financer le
transport de voyageurs dans la région)
du pouvoir de
déterminer le droit applicable
. Les expérimentations, dont le
principe est très positif, ont permis de mieux cerner les besoins, de
favoriser le partenariat entre les différents acteurs et de mieux
mobiliser les moyens humains et financiers. Mais elles ne constituent pas des
« précédents » utilement évocables
dans le cas présent.
4° Bien distinguer pouvoir législatif et
spécialité législative
Les
départements d'Alsace-Moselle
bénéficient d'un
droit local
spécial, tant dans les matières
législatives que réglementaires. Toutefois, conformément
à la Constitution, seuls le législateur et le pouvoir
réglementaire national déterminent le droit nouveau applicable en
Alsace-Moselle.
Ce n'est qu'en présence d'un droit local existant que le droit commun,
en principe, s'incline. Mais il le fait de plus en plus rarement
91(
*
)
. Aussi bien, le législateur ne
peut se lier lui-même. La loi du 17 octobre 1919, confirmant le maintien
provisoire du droit local et renvoyant au Parlement le soin d'introduire le
droit national, et les lois du 1
er
juin 1924, n'ont pas
empêché que le droit local alsacien-mosellan soit très
résiduel aujourd'hui
92(
*
)
,
d'autant plus qu'aucun droit local nouveau ne peut être
créé.
L'exemple des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ne
saurait donc être utilement évoqué pour justifier la
dévolution à la collectivité territoriale de Corse d'un
pouvoir normatif. La vraie question réside non seulement dans
l'existence d'un droit spécial, mais aussi et surtout dans
l'autorité chargée de l'édicter.
5° Supprimer toute anticipation de la « deuxième
phase » évoquée pour 2004.
Même s'il était adopté en l'état,
le dispositif
n'aurait pas le temps d'être opérationnel
. En effet, la
« phase 2004 » évoquée par l'exposé
des motifs du projet de loi initial suppose l'évaluation
préalable des expérimentations normatives par la
collectivité territoriale de Corse.
Or, compte tenu du calendrier électoral, et surtout de ses
conséquences sur le calendrier législatif, les « lois
d'habilitation » ne pourraient pas être votées avant le
second semestre 2002 (voire le début de l'année 2003, si
l'article 51 du projet de loi relatif à son entrée en vigueur est
maintenu dans le texte de l'Assemblée nationale). Quelle
expérimentation pourrait être sérieusement entreprise,
porter ses fruits et donner lieu à une évaluation entre octobre
2002 et mars 2004 ?
6° Un pouvoir législatif pour quoi faire ?
Aucune réponse concrète n'a été fournie à
votre rapporteur à cette question simple (à l'exception de la loi
« littoral »). Cette question ne peut être
renvoyée à un examen ultérieur par le Parlement, lors du
vote des futures lois d'habilitation. En effet,
le texte soumis aujourd'hui
au Sénat
prévoit déjà des
expérimentations législatives
en matière d'urbanisme,
comme votre rapporteur le montrera lors de l'examen de l'article 12 du projet
de loi.
II LE TEXTE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE SUR LE POUVOIR
RÉGLEMENTAIRE PROPRE DE LA COLLECTIVITÉ TERRITORIALE DE CORSE ET
LE POUVOIR D'ADAPTATION DES RÈGLEMENTS NATIONAUX NE PEUT ÊTRE
ACCEPTÉ EN L'ÉTAT
Votre commission spéciale relève là encore que les
réponses du Gouvernement minimisent la portée réelle des
pouvoirs nouveaux consentis à la collectivité territoriale de
Corse.
a) Une procédure virtuelle ?
Interrogé par votre rapporteur, le Gouvernement a fait savoir que
«
le projet de loi
se contente de fixer une règle de
procédure
applicable au fonctionnement de la collectivité
territoriale.
Le Gouvernement reste maître de choisir la suite
qu'il entend réserver à cette demande. Il demeure libre de
saisir le Parlement d'un projet de loi ou d'un amendement apportant une
réponse à cette demande. Naturellement, une telle initiative peut
découler d'une proposition de loi
».
S'agit-il de créer une nouvelle procédure, qui, connaissant le
même sort que l'article 26 de la loi du 13 mai 1991, resterait
virtuelle ?
b) L'absence d'évaluation préalable du champ d'application de
cette mesure
Votre rapporteur ayant demandé que lui soit fournie
la liste des
compétences dans lesquelles la collectivité territoriale de Corse
exercerait son pouvoir réglementaire « propre »
,
le Gouvernement a répondu que «
le champ d'application est
limité par les compétences énumérées dans le
code général des collectivités territoriales, en
matière économique culturelle et d'environnement
».
Quant au
champ d'application de l'exercice du pouvoir d'adaptation des
règlements nationaux
, il a indiqué «
qu'
il
n'existe pas de liste préconçue
. On peut songer, en
matière d'interventions économiques, au régime des aides
directes et indirectes ainsi qu'aux mesures énumérées au
présent projet de loi, en particulier en matière
d'urbanisme
».
Votre commission spéciale déplore le manque de précision
des réponses apportées par le Gouvernement.
c) Le renvoi aux « lois d'habilitation
ultérieures »
A la question relative au
contenu de la loi d'habilitation
, le
Gouvernement a répondu qu'«
il appartiendra au cas par
cas au législateur de se prononcer sur le partage qu'il entend
réaliser entre le renvoi à des mesures d'application prises par
le Gouvernement et des mesures d'application
décentralisées,
dans le respect des
prérogatives du Premier ministre. Un tel partage existe
déjà dans l'actuel statut de la collectivité territoriale
de Corse avec la compétence confiée à cette
dernière de fixer les règles relatives au interventions
économiques
».
Votre commission spéciale ne peut que réaffirmer que le
législateur n'est pas le constituant, et qu'il ne peut donc
répartir le pouvoir normatif entre plusieurs autorités.
L'argument relatif aux interventions économiques ne peut être
retenu (cf. commentaire de l'article 17).
L'article premier ouvre une brèche dans l'article 21 de la
Constitution, car le projet de loi ne précise pas si le pouvoir
réglementaire du Premier ministre pourra s'exercer concurremment
à celui de la collectivité territoriale de Corse, ou s'il s'agit
d'un pouvoir exclusif
.
En effet, l'expression : «
dans le respect de
l'article 21 de la Constitution
», pour maladroite qu'elle
soit, ne concerne que le deuxième alinéa du II de l'article
premier (pouvoir d'application des lois) et non le premier alinéa
(pouvoir réglementaire « propre » de la
collectivité territoriale de Corse).
d) L'absence de réponses à d'autres questions juridiques
soulevées par le dispositif
Votre rapporteur ayant demandé pourquoi la mention selon laquelle
l'adaptation devait répondre à
un but d'intérêt
général
avait été supprimée,
le
Gouvernement n'a donné aucune réponse
.
Puis, sur la question de savoir pourquoi l'exigence selon laquelle la situation
spécifique justifiant les adaptations réglementaires devrait
être appréciée au regard de l'objet de la
réglementation considérée avait été
supprimée, le Gouvernement s'est contenté de
répondre : «
Parce qu'il ne pouvait en être
autrement
. ».
III. LA RECONNAISSANCE D'UN POUVOIR NORMATIF À UNE
COLLECTIVITÉ LOCALE ET L'ADAPTATION DES RÈGLEMENTS NATIONAUX SONT
DES IDÉES INTÉRESSANTES MAIS QUI NÉCESSITENT UNE
RÉVISION PRÉALABLE DE LA CONSTITUTION ET DOIVENT ÊTRE
ENVISAGÉES DANS UN CADRE GLOBAL
1° Un idée intéressante
Votre commission spéciale aborde la question du pouvoir normatif des
collectivités locales avec un grand intérêt. Le
Sénat a toujours été attentif à la
nécessaire souplesse dans l'application des lois et des
règlements au niveau local. Certaines règles ne justifient pas
une application uniforme sur l'ensemble du territoire national.
Toutefois, les expérimentations locales doivent être mises en
conformité tant avec le principe constitutionnel d'égalité
devant la loi que la répartition du pouvoir normatif sous la Vème
République. C'est pourquoi, une révision constitutionnelle
préalable est nécessaire.
2° La nécessaire révision préalable de la
Constitution devra s'inscrire dans un cadre plus général
La proposition de loi constitutionnelle tendant à introduire dans la
Constitution un droit à l'expérimentation pour les
collectivités locales, dite « proposition de loi
Méhaignerie », dans la rédaction adoptée par
l'Assemblée nationale le 16 janvier 2001, propose de compléter
l'article 72 de la Constitution dans ces termes : «
A
l'initiative des collectivités territoriales
, leur organisation,
leurs compétences ou leurs ressources
peuvent faire l'objet d'une
expérimentation
dans des conditions définies par la loi,
en vue d'une généralisation. Dans ce cadre, les
collectivités territoriales peuvent être
autorisées
à adapter les lois et les règlements
. Ces dispositions ne
s'appliquent pas aux matières mentionnées aux troisième,
quatrième, cinquième, dixième et treizième
alinéas de l'article 34. Une loi organique détermine les
conditions d'application des dispositions du présent
alinéa
».
Cette proposition de loi a un objet constitutionnel. Comme le rapport de la
commission des Lois de l'Assemblée nationale le soulignait
lui-même : «
La reconnaissance d'un droit à
l'expérimentation pour les collectivités locales est donc, pour
l'essentiel, incompatible avec le cadre constitutionnel
actuel
. »
De même, le rapport de M. Hugues Portelli au nom de l'Institut de la
Décentralisation publié en juin 2001 conclut à la
nécessité d'une révision constitutionnelle
et
propose plusieurs rédactions en ce sens. En particulier, il est
proposé de modifier l'article 72 de la Constitution afin que
«
les collectivités territoriales exercent le pouvoir
réglementaire dans les domaines de compétences que leur attribue
la loi
».
Votre commission spéciale salue la qualité de ces travaux, qui
démontrent l'intérêt que pourrait revêtir
l'idée d'une révision constitutionnelle à ce stade de la
décentralisation. Nous sommes sans doute arrivés au bout de ce
que la Constitution permettait. Il n'est pas interdit d'envisager la suite dans
un cadre constitutionnel rénové. A l'initiative du
président Christian Poncelet, le Sénat a ainsi adopté une
proposition de loi constitutionnelle en ce sens
93(
*
)
.
Votre commission spéciale estime que les avancées d'une
éventuelle révision constitutionnelle devront s'inscrire dans un
cadre plus général intéressant l'ensemble des
collectivités locales.
4° La « loi déclinable »
Votre rapporteur vous soumet une idée de révision
constitutionnelle : la reconnaissance des «
lois
déclinables
».
Partant du constat que la Constitution ne reconnaît que deux types de
lois : les lois ordinaires et les lois organiques, il convient sans doute
de prévoir une autre forme de loi, qui serait susceptible
d'
application différenciée sur le territoire national
.
Dès le vote de la loi, le législateur prévoirait d'en
confier l'application par voie réglementaire aux collectivités
locales, afin qu'elles adaptent au mieux les prescriptions de la loi aux
réalités locales. Tous les domaines ne seraient pas
concernés.
Cette mesure serait de nature à régler la grande majorité
des difficultés actuellement rencontrées par les
collectivités locales sur le terrain juridique.
Pour toutes les raisons ci-dessus évoquées, votre commission
spéciale vous soumet
trois amendements
tendant à
supprimer les paragraphes II, III et IV
du présent article.
Elle vous propose d'adopter l'article premier
ainsi modifié
.
Article 2
(art. L. 4423-1 du code général des
collectivités territoriales)
Déféré
préfectoral - recours
suspensif
Cet
article tend à renforcer les prérogatives du préfet en cas
de déféré relatif à une délibération
portant mesure d'adaptation de dispositions législatives ou
réglementaires.
Il modifie en ce sens l'article L. 4423-1 du code général des
collectivités territoriales, selon lequel les
délibérations de l'assemblée de Corse et du conseil
exécutif ainsi que les actes du président de l'Assemblée
de Corse et du président du conseil exécutif sont soumis au
contrôle de légalité dans les conditions de droit commun
(articles L. 4142-1 et suivants).
Selon le projet de loi initial, en présence d'une
délibération de l'Assemblée de Corse portant mesure
d'adaptation de dispositions législatives ou réglementaires, le
préfet pourra assortir son recours d'une
demande de suspension
.
Cette délibération cessera de produire effet jusqu'à ce
que le tribunal administratif ait statué sur cette demande. Toutefois,
si le tribunal administratif n'a pas statué dans ce délai de
deux mois
, la délibération redeviendra exécutoire.
Sur proposition de sa commission des lois et avec l'avis favorable du
Gouvernement, l'Assemblée nationale a modifié la rédaction
de cet article par coordination avec la solution retenue à l'article
premier, sans le modifier au fond.
Votre commission spéciale remarque que la demande de suspension
prévue n'est pas conditionnée par l'existence d'un doute
sérieux sur la légalité de l'acte attaqué. Le droit
commun du référé-suspension
94(
*
)
le prévoit, mais les
référés dans les domaines spéciaux, notamment en
matière d'urbanisme et de libertés publiques, ne comportent pas
cette condition.
La suppression des paragraphes II et IV de l'article L. 4424-2
95(
*
)
, prive de son objet le
déféré préfectoral prévu au présent
article.
En conséquence, par coordination avec la solution qu'elle vous a
proposée à l'article premier, votre commission spéciale
vous soumet
un amendement de suppression de l'article 2.
Article 3
Refonte du chapitre du code
consacré à
l'organisation de la collectivité territoriale de Corse
Cet
article tend à réorganiser le titre II du livre IV de la
quatrième partie du code général des collectivités
territoriales, relatif à la collectivité territoriale de Corse.
Sur proposition de sa commission des Lois et avec l'avis favorable du
Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté trois amendements
formels.
Votre commission spéciale tient à faire remarquer que
la
rédaction de l'ensemble du projet de loi est rendue plus difficilement
compréhensible par cette renumérotation qui n'est placée
ni en tête ni en fin du projet de loi
.
A cela s'ajoute l'utilisation de solutions différentes selon les
articles du projet de loi. Par exemple, l'article premier modifie l'actuel
article L. 4424-2 du code général des collectivités
territoriales. L'article 2 du projet de loi, qui fait référence
à ces dispositions, utilise la future numérotation :
L. 4422-16. Enfin, l'article 4 du texte adopté par
l'Assemblée nationale renumérote l'actuel article L. 4424-12
en un article L. 4424-2.
Cette présentation du projet de loi rend plus difficile l'exercice du
droit d'amendement par les parlementaires
. Il leur faut en effet tenir
compte tant des numéros d'articles existants que de la
renumérotation opérée par le projet de loi.
La solution la plus satisfaisante aurait consisté à
procéder à cette renumérotation au début du texte.
Votre commission spéciale vous soumet
un amendement
de
réécriture complète de l'article 3, afin de le mettre
en conformité avec l'ensemble des modifications qu'elle vous proposera
aux différents articles de ce projet de loi, et
de regrouper en un
seul article toutes les modifications portant sur la codification
. Ainsi,
les articles suivants du projet de loi pourront se concentrer sur le fond des
dispositions.
A l'occasion de cette réécriture, votre commission
spéciale vous propose de remplacer les termes
« compétences de la collectivité territoriale de
Corse » par ceux, juridiquement exacts,
d'« attributions ».
Elle vous propose d'adopter l'article 3
ainsi modifié
.