II. L'« ÉNIGME » DU NOMBRE DES FONCTIONNAIRES SERA-T-ELLE UN JOUR RÉSOLUE ?

En janvier 2000, la Cour des comptes publiait un rapport particulier consacré à La fonction publique de l'Etat , premier acte de la démarche de contrôles systématiques engagés par la haute juridiction financière sur ce sujet.

Le rapport de la Cour des comptes de janvier 2000 : l'Etat, un employeur accablant

Le rapport public particulier de la Cour des comptes de janvier 2000 consacre d'importants développements à la gestion des emplois, des effectifs et des rémunérations de plusieurs ministères :

- l'éducation nationale, pour l'enseignement secondaire ;

- l'économie, les finances et l'industrie, pour la direction générale des impôts et la direction générale de la comptabilité publique ;

- l'intérieur, au titre des personnels des préfectures et de la police nationale ;

- la justice, pour les personnels de l'administration pénitentiaire ;

- l'emploi et la solidarité, en particulier ses services déconcentrés ;

- l'équipement ;

- l'agriculture.

Ce rapport est accablant pour l'Etat-employeur tant sont nombreux les dysfonctionnements ou irrégularités constatés : emplois en surnombre ou bloqués, existence de mises à disposition ou de détachements injustifiés ou irréguliers, système de contrôle des effectifs réels insatisfaisant, gestion prévisionnelle des ressources humaines défaillante, voire carrément inexistante, dépenses indemnitaires financées sur des ressources extra-budgétaires, avantages indus sans base juridique autre qu'une simple décision ministérielle, méconnaissance des effectifs de fonctionnaires...

En avril dernier, la Cour des comptes a publié le 2 ème tome de ce rapport public particulier, qui présente les résultats des contrôles de la gestion des emplois et des rémunérations dans six ministères :

- l'économie, les finances et l'industrie, pour la direction générale des douanes et des droits indirects ;

- la défense, en particulier les personnels militaires de la gendarmerie nationale ;

- l'éducation nationale, en ce qui concerne les enseignants-chercheurs et les personnels enseignants du second degré ;

- la justice, au titre de l'administration centrale, et des services judiciaires ;

- les administrations centrales du ministère de l'emploi et de la solidarité ;

- l'équipement, pour l'ensemble des personnels titulaires et contractuels.

Les observations soulignées dans ce rapport vont malheureusement dans le même sens que celles du premier.

La Cour des comptes a également présenté les mesures prises par le gouvernement à la suite de ses enquêtes. Elle note d'entrée de jeu que « mises à part les dispositions adoptées dès avant la parution du premier rapport de la Cour sur la fonction publique de l'Etat, les mesures effectivement prises ne concernent que quelques ministères et sont de portée limitée », et considère que « la refonte des dispositifs de gestion et de rémunération des personnels de l'Etat est une oeuvre de longue haleine ».

A la suite du rapport de la Cour des comptes, le gouvernement a pris trois types de mesures :

1) des dispositions de portée générale :
la publication de la circulaire du 1 er octobre 1999 rappelant les règles fondamentales concernant l'élaboration et la publicité des textes relatifs à la rémunération des fonctionnaire, et la création de l'Observatoire de l'emploi public par le décret du 13 juillet 2000 5( * ) .

Les premières conclusions de L'Observatoire de l'emploi public

D'ores et déjà, le premier rapport de l'Observatoire de l'emploi public de juin 2001 indique qu'en France, l'importance de l'emploi public varie, selon différents concepts, de la manière suivante :

dans une approche de comptabilité nationale , le nombre de personnes travaillant à titre principal dans des administrations ou organismes publics financés majoritairement par prélèvements obligatoires s'est élevé en 1998 (au 31 décembre) à 5,5 millions (hors contingent, TOM et étranger), ce qui représentait environ 27 % des salariés de la métropole et des DOM. Parmi ces personnes, seules 3,6 millions relevaient des titres II, III et IV du statut de la fonction publique ;

dans une approche plus juridique , le nombre de personnes dépendant d'administrations ou d'organismes dans lesquels le recrutement de droit commun de l'agent relève des titres II, III et IV du statut de la fonction publique s'est élevé à 5,1 millions. Parmi eux, le nombre des titulaires et non-titulaires exerçant leur activité principale dans des administrations ou dans des établissements publics et administratifs s'est élevé à 4,5 millions, ce qui représentait environ 22 % des salariés de métropole et des DOM, chiffre auquel peuvent être ajoutés les 274.000 agents bénéficiant de contrats aidés, soit un total de 4,8 millions.
Le problème de la définition du champ n'est pas propre à la France mais à l'ensemble des pays. Selon le champ retenu, l'emploi public peut varier de 379.000 à 1.546.000 personnes en 1995 pour l'Australie, de 353.000 à 2.311.000 personnes en 1994 pour le Canada, de 474.000 à 3.701.000 personnes en 1995 pour le Royaume-Uni (« La mesure de l'emploi public dans les pays de l'OCDE : sources, méthodes et résultats », 1997).

Le débat sur les effectifs de la fonction publique de l'Etat se focalise fréquemment sur la différence entre effectifs budgétaires et réels : l'effectif budgétaire inscrit dans la loi de finances pour 1998 était, par exemple de 2.092.184, l'effectif réel payé au 31 décembre 1998 étant, quant à lui, de 2.270.135 agents (source DGAFP, fichiers de paie). Les causes de divergence sont pour l'essentiel repérées, mais la difficulté rencontrée pour les préciser et les quantifier constitue l'une des critiques majeures concernant la connaissance des effectifs de l'Etat.

Les emplois budgétaires décrits en loi de finances initiale sont les emplois permanents à temps complet autorisés par celle-ci. Les facteurs expliquant le décalage entre cette autorisation budgétaire et les effectifs réels sont notamment les suivants :

• des éléments échappent en partie aux gestionnaires de personnel : le temps partiel (un emploi budgétaire peut être occupé par plusieurs personnes à temps partiel), les vacances de postes (certains emplois budgétaires peuvent ne pas être pourvus, suite au départ de leur titulaire, jusqu'au recrutement d'un nouvel agent sur cet emploi) ;

• des éléments visent à introduire une certaine souplesse dans l'exécution budgétaire : des surnombres peuvent ainsi être accordés en cours d'année par les contrôleurs financiers (on autorise ainsi un dépassement temporaire de l'effectif budgétaire), ainsi que des gages (utilisation d'un emploi à la place d'un autre). De même, les transferts d'emplois entre ministères en cours d'année contribuent à alimenter le décalage pour un ministère entre l'effectif budgétaire en début d'année et l'effectif réellement pays en cours d'année ;

• enfin, les limites de l'autorisation budgétaire elle-même expliquent le décalage entre effectif budgétaire et réel : les crédits permettant de rémunérer des personnels temporaires ne sont pas présentés sous forme d'emplois budgétaires. Or les personnels correspondants sont pris en compte dans l'effectif réel payé.

Source : ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

Votre rapporteur spécial, en tant que membre de l'Observatoire de l'emploi public, estime que ses travaux présentent une qualité réelle et permettent notamment de progresser dans la voie d'une plus grande transparence en matière d'effectifs, en particulier par la mise au point d'une matrice décrivant le passage des effectifs budgétaires aux effectifs payés et en fonction, et aux effectifs gérés.

Toutefois, il s'interroge sur les conséquences qui seront tirées de ces travaux, avant tout techniques. En effet, il convient de prendre garde de tirer des enseignements déjà largement connus, du type : « la gestion de l'emploi public recouvre des réalités différentes selon les ministères », « malgré des progrès, les difficultés perdurent dans la production et la circulation de l'information sur les ressources humaines », ou encore « la gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences représente un enjeu majeur pour les trois fonctions publiques ». Ces vérités s'imposaient à l'évidence dès avant la création de l'Observatoire de l'emploi public...

Il semble que les missions assignées à l'Observatoire sont trop restrictives. L'« observation » dont il est question se limite au champ juridique, et ignore la dimension économique. Il conviendrait, au cours des années prochaines, qu'il s'intéresse à des notions davantage statistiques et qu'il puisse réaliser des études de productivité.

D'autre part, les discussions qui ont lieu au sein de l'Observatoire restent trop internes à l'administration, conduites en « vase clos » entre représentants de l'administration et syndicats de fonctionnaires. Il conviendrait que les travaux de l'Observatoire servent à alimenter le débat public sur le rôle et l'évolution de l'administration, ainsi que sur le rapport entre les effectifs de la fonction publique et la qualité des services publics ;

2) la sincérité budgétaire : sur ce point, la Cour des comptes note que « des évolutions positives peuvent être constatées pour la budgétisation des rémunérations. En revanche, la situation reste insatisfaisante pour ce qui est de la présentation et du respect des dotations budgétaires en emplois, une aggravation devant même être relevée dans certains cas », notamment au ministère de l'éducation nationale et à celui de l'économie, des finances et de l'industrie ;

3) la refondation juridique des régimes indemnitaires : la publication de plusieurs décrets et arrêtés est intervenue pour plusieurs ministères, mais n'a pas toujours constitué une réelle amélioration : par exemple, en ce qui concerne les ministères de l'intérieur et de la justice, la Cour des comptes note que « réguliers en la forme, ces textes ne simplifient pas l'architecture des systèmes indemnitaires [...] et n'affectent pas le fond de ses observations ». En revanche, des progrès sont plus notables aux ministères de l'équipement, de l'agriculture, ou encore de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ces rapports de la Cour des comptes sur la fonction publique de l'Etat devraient être complétés, dans les années à venir, par d'autres études portant sur la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière.

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