2. Le numérique terrestre en question

Le précédent gouvernement n'avait pas véritablement pris en compte les réalités économiques dans sa politique du numérique terrestre, telle qu'elle résultait de la loi sur la communication audiovisuelle.

La conjoncture est venue rendre cette attitude volontariste encore plus difficile : l'éclatement de la bulle Internet, la régression du marché publicitaire après des années d'expansion exceptionnelle, le recul des valeurs boursières, achèvent de rendre problématique l'économie de la télévision numérique.

La question majeure figurant dans la mission que le Premier ministre a confiée à M. Michel Boyon, dans une lettre du 12 juillet dernier, était l'avenir de la télévision numérique terrestre.

Certains y ont vu la volonté du Gouvernement de donner un coup d'arrêt au lancement de la télévision numérique terrestre. Le nouveau ministre de la culture a mis les choses au point, lorsqu'il a indiqué qu'il n'était pas contre la TNT, car il ne pouvait pas être contre un nouveau support.

C'est dans ce contexte que le Conseil supérieur de l'audiovisuel a poursuivi le processus de sélection des candidatures, qui devrait déboucher à la désignation des heureux élus dans la deuxième quinzaine d'octobre.

Pour M. Michel Boyon, une série de facteurs économiques vont dans le sens du lancement de la TNT. Il y a, d'une part, la pression des fabricants de télévisions ou de décodeurs qui voient dans ce nouveau mode de diffusion le moyen de conforter leur activité ; il y a, d'autre part, le souci d'introduire un supplément de concurrence avec des conséquences indirectes, comme de permettre éventuellement une fusion entre TPS et Canal Satellite.

En tout état de cause, la TNT est une façon de faire intervenir de nouveaux « entrants ». Leurs noms sont bien connus, qu'il s'agisse du groupe Lagardère, de Pathé, des groupes NRJ ou Bolloré. L'équilibre économique des chaînes du numérique terrestre reste incertain à en juger par les difficultés des chaînes thématiques, dont très peu dépassent 1 % d'audience (RTL 9, Eurosport, Canal J, LCI et Télétoon), tandis que huit autres atteignent 0,5 point d'audience. La santé fragile de ces chaînes ne laisse pas présager que les nouvelles chaînes de la télévision numérique de terre se fassent une place importante sur le marché de la publicité.

Les opérateurs en place, c'est-à-dire essentiellement Canal + et TPS/TF1 peuvent craindre, à juste titre, que cette concurrence nouvelle vienne éroder leur parc d'abonnés ou leurs recettes publicitaires. Cette inquiétude est partagée par les milieux du cinéma, dont le financement dépend largement de Canal +.

La controverse sur l'opportunité de poursuivre le compte à rebours du lancement de la TNT avait fait grand bruit l'année dernière et donné lieu à des échanges d'arguments qui gardent leur actualité et rappellent l'état de tension des acteurs.

Le plus déterminé dans l'offensive contre le projet du numérique de terre a sans doute été le président-directeur général de TF1, qui a lancé des avertissements solennels : « Il n'est pas interdit, quand on est responsable, d'arrêter une catastrophe ». Son analyse économique est non moins radicale : « Sur les cinq dernières années, quelque 80 chaînes thématiques ont été créées en France. Il y en a 60 de trop». Pour lui, «il ne faut pas se voiler la face, la télévision payante perd de l'argent». «On peut chiffrer à 26 milliards d'€ les pertes des chaînes du satellite et du câble dans l'ensemble des pays européens ».

C'est toute la question de l'économie de la télévision numérique de terre qui est et reste posée . Quand le marché hésite, quand les opérateurs historiques privés traînent les pieds pour alimenter une offre adaptée, quand le service public n'a pas les moyens de se déployer et d'occuper sa place sur ce nouveau créneau, quand les industriels, enfin, tardent à se mettre d'accord sur un standard commun, on ne peut qu'en tirer les conséquences et réexaminer le processus de mise en oeuvre de la télévision numérique de terre.

C'est dans ce contexte compliqué que M. Michel Boyon a été chargé d'examiner plusieurs questions préalables relevant de la compétence du Gouvernement : le financement des opérations de réaménagement des fréquences analogiques existantes, le périmètre des chaînes du service public sur la TNT et les conditions de développement des télévisions locales.

L'objectif de M. Michel Boyon a été de mettre en évidence les conditions du lancement réussi de la TNT. Il a estimé que le délai incompressible de mise en oeuvre de ce nouveau mode de diffusion devait, précisément, servir à « adapter ce qui doit être modifié, préciser des schémas techniques et commerciaux, réunir les partenaires qui n'ont pas disposé, jusqu'à présent, d'un espace de réflexion en commun ».

Votre rapporteur spécial ne peut qu'approuver l'approche générale qui caractérise le rapport de M. Michel Boyon.

En premier lieu, il y a le constat de ce que la TNT s'inscrit dans le mouvement général de numérisation de l'audiovisuel et, qu'à cet égard, il s'agit bien d'une tendance de fond.

Il partage également l'analyse du rapport selon laquelle la TNT doit procéder du marché et que son succès ne peut être qu'un succès de marché.

Votre rapporteur spécial relève aussi que le contexte du lancement de la TNT est devenu plus difficile avec l'éclatement de la bulle Internet. La viabilité économique de la TNT dépend effectivement d'un certain nombre de facteurs, et notamment de la situation financière des opérateurs et de l'évolution du marché publicitaire. A cet égard, le rapport de M. Michel Boyon souligne que la TNT devra s'imposer face à la concurrence du câble et du satellite, ce qui ne va pas de soi compte tenu des insuffisances du cadre législatif.

Effectivement, votre rapporteur spécial approuve pleinement M. Michel Boyon lorsqu'il attire l'attention sur les lacunes du processus de décisions prévu par la loi du 1 er août 2002. M. Michel Boyon met ainsi l'accent sur un point essentiel en ce qui concerne la commercialisation de l'offre numérique terrestre : « En posant le principe d'une attribution des autorisations chaîne par chaîne à des éditeurs, et non pour tout un multiplex, à des distributeurs commerciaux, le législateur a été contraint de créer une catégorie supplémentaire d'opérateurs chargés de l'assemblage du signal sur les multiplex et des relations avec le diffuseur technique ». Il rejoint donc la position du Sénat qui a toujours considéré, lors de la discussion de la loi du 1 er août 2000, qu'il était irréaliste d'attribuer les autorisations chaîne par chaîne et qu'il aurait mieux valu le faire multiplex par multiplex.

On ne peut donc que constater avec M. Michel Boyon que, parce que la loi est centrée sur les éditeurs de chaînes, le CSA, organe de régulation, est presque investi de la responsabilité de composer les bouquets . Non seulement on crée une catégorie d'opérateurs supplémentaire, chargés de l'assemblage du signal sur les multiplex et des relations avec les diffuseurs techniques, mais encore on se prive d'une dynamique commerciale essentielle dans un contexte de concurrence.

Le rapport de M. Michel Boyon met également en évidence les incertitudes qui affectent le processus de délivrance des autorisations. Il attire l'attention, en particulier, sur le fait que la signature des conventions entre le CSA et les éditeurs peut être entravée ou retardée par la question du coût des réaménagements des fréquences . Celui-ci, qui correspond, d'une part, à des interventions sur des émetteurs et, d'autre part, à des interventions chez des particuliers, serait compris entre 44 et 84 M€ TTC. A ce sujet, on ne sait pas qui va faire quoi et comment va se répartir la charge de ces adaptations.

En dernier lieu, le rapport souligne que « les conditions de distribution sont totalement inconnues ». Il y a là, selon votre rapporteur spécial, le défaut essentiel du système mis en place par la loi du 1 er août 2000 qui ne prend pas suffisamment en compte les dynamiques de marché.

Dans sa partie prospective, le rapport écarte toutefois l'idée de refondre le projet par le vote d'une nouvelle loi . Il s'agirait, semble-t-il, d'éviter de nouveaux débats parlementaires dans un domaine sensible et de ne pas remettre en cause un processus, ce qui pourrait saper la confiance du public. Or, faute de cette confiance, on va à l'échec comme cela a été le cas dans la plupart des pays et, notamment, en Suède, en Espagne et en Grande-Bretagne.

En conséquence, le rapport estime que l'on doit s'accommoder du cadre juridique actuel. Bref, il s'agit « d'un coup parti », la procédure de sélection des candidats étant trop avancée pour que l'on puisse revenir en arrière.

M. Michel Boyon considère que l'État ne doit pas être « directeur de projets », mais plutôt « accompagnateur de projets » et, à tout le moins, « régulateur » du système. A cet égard, il s'interroge sur la pertinence de certaines dispositions législatives relatives à la concurrence, comme la règle des 49 %, qui n'a été que marginalement assouplie, ou comme l'interdiction du cumul d'autorisations pour un service national ou un service local.

L'État doit, selon lui, accompagner le projet, c'est-à-dire donner un signal positif par la mise en place d'un préfinancement (en l'occurrence 50 %) des premiers réaménagements de fréquences, par la détermination d'une offre publique numérique répondant pleinement à la mission de service public, par la mise en place d'une structure de concertation de droit privé, ainsi que par la programmation de l'arrêt des émissions analogiques et la fixation d'une norme de numérisation progressive des téléviseurs.

Sur ces bases, le rapport estime possible de prévoir le début de la TNT en décembre 2004 pour une couverture de 40 % de la population.

Votre rapporteur spécial considère qu'en matière de numérique de terre, il faut faire preuve de réalisme économique. Plutôt que de s'épuiser financièrement à couvrir la totalité du territoire national, il conviendrait dès maintenant d'envisager une couverture satellite pour toutes les zones trop difficiles à desservir.

Imposer une forme particulière de « must carry » à tous les opérateurs satellites leur enjoignant de présenter les chaînes du service public dans de bonnes conditions, c'est-à-dire de façon groupée et si l'on peut dire « en rang utile », paraît indispensable à la préservation de la visibilité des chaînes de service public dans un paysage audiovisuel numérique saturé.

C'est l'idée d'une forme de « service antenne satellite » qui, seule, nous permettra de faire l'économie d'une couverture totale extrêmement onéreuse du territoire, les surcoûts de l'antenne et du décodeur satellite par rapport au décodeur TNT pouvant éventuellement être financés par un abattement de la redevance dans la zone concernée.

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