N° 186

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 25 février 2003

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur :

- la proposition de loi de MM. Louis de BROISSIA, Philippe ADNOT, Gérard BAILLY, Claude BELOT, Gérard DÉRIOT, Mme Sylvie DESMARESCAUX, MM. Jean-Claude GAUDIN, André GEOFFROY, Charles GINÉSY, André LARDEUX, Dominique LECLERC, Jacques OUDIN, Michel PELCHAT, Charles REVET, Philippe RICHERT, Bruno SIDO et Jean-Pierre VIAL relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie ,

- et la proposition de loi de M. Michel MOREIGNE portant modification de la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie,

Par M. André LARDEUX,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Christian Bergelin, Joël Billard, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, André Geoffroy, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mmes Valérie Létard, Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Sénat : 169 et 178 (2002-2003)

Personnes âgées.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Décidée all'improvviso , étayée par une étude d'impact que notre excellent collègue Alain Vasselle avait généreusement qualifiée « d'indigente » tant il était manifeste qu'elle servait d'alibi, l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) est en passe de réaliser le sinistre financier que la majorité du Sénat avait alors prédit.

Celle-ci n'avait nulle intention de « jouer les Cassandres », ni d'entraver la mise en place d'une prestation permettant de répondre avec générosité aux situations douloureuses que vivent nos aînés et leur famille face la perte d'autonomie. Elle savait simplement que cette création, qu'elle avait appelée de ses voeux mais dont elle connaissait l'ampleur, ne verrait sa viabilité assurée que par un plan de financement crédible.

Le principe de réalité ne pouvait être plus longtemps ignoré.

Il appartient aujourd'hui aux pouvoirs publics de résoudre l'insoluble équation que pose l'APA. Longtemps attendue par les personnes âgées et leurs famille, la prise en charge de la perte d'autonomie pourrait se trouver rapidement compromise si les choses étaient laissées en l'état.

Dès la deuxième année de la mise en place de la nouvelle prestation, la rapide montée en charge du nombre des bénéficiaires -que tout laissait supposer- en a accru la facture d'un bon tiers. Financée à hauteur de 500.000 bénéficiaires en 2003, soit environ 2,4 milliards d'euros, l'APA appelle pour sa survie un financement complémentaire de 1,2 milliard d'euros correspondant aux 300.000 bénéficiaires supplémentaires que le précédent gouvernement avait feint d'ignorer.

Une telle situation, si elle devait perdurer, ne laisserait le choix qu'entre l'asphyxie financière d'un grand nombre de départements ou la remise en cause pure et simple de la nouvelle prestation.

Aussi, dès la fin de l'année 2002, le Gouvernement et les conseils généraux se sont-ils réunis pour envisager les voies et moyens de garantir l'avenir de l'APA.

« Il est extrêmement rare que la montagne soit abrupte de tous côtés » écrit André Gide. Sans nul doute, l'équilibrage financier de l'APA en 2003 répond à ce critère. Comment préserver ce droit nouveau et légitime sans pouvoir recourir aux marges de manoeuvre dont la précédente majorité avait profité ?

Incapables de dégager dès aujourd'hui les recettes nécessaires au financement pérenne de l'allocation, les pouvoirs publics assumeront dans l'immédiat les deux tiers du surcoût, un tiers pour les départements et un tiers, semble-t-il, pour l'Etat, au travers d'un emprunt auquel souscrira le fonds de financement de l'APA.

Le contrôle de la dépense sera accentué afin que l'aide dispensée atteigne véritablement l'objectif qui lui est assigné.

L'objet de la proposition de loi n° 169, déposée par M. Louis de Broissia et plusieurs de ses collègues, est de mettre en oeuvre, en coordination avec le projet de décret soumis à l'avis du Comité des finances locales, le plan de sauvegarde de l'APA pour 2003. Elle ne permet en aucun cas d'aller plus loin.

Dans l'attente du bilan de la prestation prévu pour la fin du premier semestre, qui environnera les contours d'une véritable réforme de cette prestation, dans l'attente également des décisions indispensables pour en assurer un financement pérenne, les conclusions de votre commission issues de la proposition de loi précitée devraient, à tout le moins, prémunir les bénéficiaires contre toute interruption de leurs droits 1 ( * ) .

I. L'AVENIR COMPROMIS DE L'ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE (APA)

A. L'ORIGINE DE L'APA : RAISON ET SENTIMENTS

1. La prise en charge de la dépendance : une préoccupation ancienne

En 1996, une étude de l'INSEE au titre évocateur « aisance à 60 ans, dépendance et isolement à 80 ans » reprenait les conclusions d'une enquête réalisée sept ans auparavant par le CERC, le centre d'études des revenus et des coûts.

Par cette enquête, l'organisme avait tenté de mettre en évidence l'ampleur d'un tel phénomène dont les contours demeuraient toutefois mal définis.

Dès la fin des années 1980, il était donc déjà démontré que les personnes âgées, notamment de plus de 80 ans, souffraient d'une perte progressive d'autonomie réduisant fortement leur capacité à effectuer les gestes les plus simples. Cette enquête soulignait par exemple que près de 60 % de ces personnes marchaient alors avec difficulté, un tiers ne sortant pas de chez elles et un peu moins de 10 % demeurant consignées au fauteuil.

Pour autant, les pouvoirs publics n'ignoraient pas l'apparition de cet handicap de l'âge. Les structures hospitalières avaient, depuis longtemps, vocation à accueillir au sein de services de long séjour des personnes âgées ayant un besoin d'aide permanent. Dès le milieu des années 1970, ces personnes ont pu bénéficier de l'allocation compensatrice pour une tierce personne (ACTP) versée par les départements afin de recourir à une aide extérieure.

En outre, les régimes de retraites de la sécurité sociale assuraient, au moyen de leurs budgets d'action sociale, le financement d'heures d'aide ménagère.

Au total, une prise en charge collective de la dépendance des personnes âgées existait même si elle était assez inégalement répartie entre la sécurité sociale (63 %), les départements (6 %) et l'Etat pour moins de 1 %.

La prise en charge des personnes âgées dépendantes en 1993

(en millions de francs)

Domicile

Hébergement

Total

Sécurité sociale (tous régimes)

4 535

11 122

15 657

Branche maladie

2 235

10 635

12 870

Services de soins à domicile

2 235

Long séjour

5 911

Sections de cure médicale

4 588

Soins courants

136

Branche vieillesse

2 300

487

2 787

Majoration pour tierce personne

1 475

Aide ménagère Cnavts

397

Aides ménagères autres régimes

291

Garde à domicile

137

Actions auprès des établissements

487

Départements

5 825

2 909

8 734

Allocation compensatrice

5 525

Aide sociale à l'hébergement

2 909

Aide ménagère

300

État

300

300

Allocations simples

124

Auxiliaires de vie

123

MTP des pensions militaires

53

Total

10 660

14 031

24 691

dont prestations en espèces

7 177

dont prestations en nature

3 483

14 031

Source : d'après données sociales

Pour autant, le système tel que construit ne donnait pas entièrement satisfaction. Il ne permettait pas d'isoler véritablement ce qui relevait du soin et ce qui était spécifique à la dépendance. En outre, la prise en charge de cette dernière à domicile faisait la part belle aux prestations en espèces -dont l'allocation compensatrice- qui se trouvaient, dans bien des cas, thésaurisées. Enfin, de nombreux départements déploraient l'économie générale du système, notamment l'insuffisante coordination des différents acteurs et l'imbrication des responsabilités financières.

Forte de ce constat, la loi du 25 juillet 1994 a autorisé l'expérimentation, dans un certain nombre de départements (12 au total) et en coordination avec les caisses de retraite, d'une prestation dépendance. Cette proposition était le premier résultat en droit positif du travail de longue haleine réalisé par votre commission sur ce sujet.


Les propositions de la commission des Affaires sociales
en matière de prise en charge de la dépendance

- 1990 : dépôt par M. Lucien Neuwirth d'une proposition de loi créant une allocation au bénéfice des personnes âgées atteintes d'une perte d'autonomie. Cette proposition est adoptée par le Sénat le 18 novembre 1990 ;

- 1993 : suite aux travaux du groupe d'études sur la dépendance, diligenté par la commission au cours de l'hiver 1992-1993, adoption en commission d'une proposition de loi n° 295 présentée par le président Jean-Pierre Fourcade et M. Philippe Marini tendant à instituer une allocation en faveur des personnes âgées dépendantes ;

- 1994 : amendement adopté à la loi du 25 juillet 1994 instituant la prestation expérimentale dépendance ;

- 1997 : proposition de loi devenue la loi n° 97-60 du 24 janvier 1997 relative à la prestation spécifique dépendance (PSD).

L'ampleur des déficits présentés par les comptes publics en 1995 n'a pas alors permis que la discussion d'un projet de loi instituant une prestation d'autonomie discutée à l'automne 1995 aille à son terme. Votre commission avait souhaité qu'une première étape puisse néanmoins être franchie dans la prise en charge de la dépendance des personnes dans l'incapacité d'assumer seules leur état, notamment les personnes âgées les plus dépendantes et aux moyens les plus modestes, et avait alors déposé et fait adopter la loi n° 97-60 du 24 janvier 1997 tendant, dans l'attente du vote de la loi instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des personnes âgées par l'institution d'une prestation spécifique dépendance.

2. La prestation spécifique dépendance injustement décriée

Le vote de la loi relative à la prestation spécifique dépendance (PSD) constituait une étape décisive dans la prise en charge de la dépendance des personnes âgées, notamment en rompant avec certains principes antérieurs.

La PSD a permis d'assurer l'effectivité de l'aide versée au bénéfice des personnes âgées. En effet, à la différence de l'ACTP, la PSD était une prestation en nature, c'est-à-dire affectée au règlement de dépenses préalablement déterminées (dépenses de personnel, prise en charge hospitalière de la dépendance, etc.) et ne pouvait donc être détournée de son objectif, par exemple thésaurisée.

Elle a, en outre, tenté de séparer, par le biais d'une réforme de la tarification en établissement, les coûts relevant de l'assurance maladie (les soins) et ceux relevant de la dépendance et de l'hébergement assumés par le département et la personne âgée. Les bases posées par le titre V de la loi seront complétées par deux décrets.

La PSD va permettre de confirmer la nécessité de quelques principes déjà retenus dans le cadre de la « prestation expérimentale dépendance » pour la prise en charge de la dépendance à domicile : la pertinence d'une aide en nature, évaluée à domicile par une équipe pluridisciplinaire, la pertinence également d'une coordination entre les acteurs de la prise en charge de la dépendance, les départements, la sécurité sociale et les associations.

Au moment du vote de la loi relative à l'allocation personnalisée d'autonomie, c'est-à-dire au printemps 2001, le bilan de la PSD était plus qu'honorable.

Le nombre des personnes âgées prises en charge était passé de 40.000 au premier trimestre 1998 à 140.000 à la fin de l'année 2000, bénéficiant pour 15 % à des personnes en GIR 1, 47 % en GIR 2 et 38 % en GIR 3 2 ( * ) .

Fin 2000, sur les 400.000 dossiers examinés par les conseils généraux, 300.000 avaient reçu une réponse favorable.

Pourquoi, dans ces conditions, un grand nombre d'associations représentatives de l'aide à domicile et de l'accueil en établissement ont-elles rédigé et adressé le 8 juin 1998 à Mme Martine Aubry, alors ministre de l'emploi et de la solidarité, un livre noir de la PSD ?

A l'encontre de la loi, les signataires de cet opuscule formulaient essentiellement trois griefs :

- l'accès doublement restrictif des conditions de ressources et de dépendance, les personnes relevant des GIR 4, 5 et 6, ne bénéficiant pas de la PSD ;

- la présence de mécanismes jugés dissuasifs notamment le recours sur succession ;

- des inégalités territoriales nées de pratiques divergentes d'un département à l'autre.

La plupart de ces griefs étaient, à bien des égards, excessifs et pour tout dire irrecevables.

Le bien-fondé d'une réforme du système antérieur était alors largement reconnu. Nul ne pouvait légitimement soutenir la prise en charge de la dépendance au moyen de l'ACTP qui, si elle semblait parfois plus généreuse au détriment des finances départementales, n'offrait aucune garantie quant à l'aide effectivement perçue par la personne âgée.

N'était pas davantage recevable la critique de montants insuffisants, de conditions de ressources trop restrictives ou d'une exclusion des personnes les moins dépendantes. La loi relative à la PSD affichait sa modestie et son caractère provisoire jusque dans son titre.

Cette prestation s'inscrivait dans une logique et une seule : remédier aux difficultés des personnes les plus affectées, c'est-à-dire les plus modestes (conditions de ressources) et les plus dépendantes (limitations aux GIR 1, 2, 3) dans l'attente de la création d'une véritable prestation d'autonomie.

Il est sans doute possible de débattre longtemps sur la légitimité ou l'illégitimité d'une récupération sur la succession des personnes âgées bénéficiant d'une prise en charge de leur dépendance. Votre rapporteur y reviendra.

La prise en charge par la collectivité de la dépendance s'adresse aux personnes pour qui elle constitue une véritable contrainte, et ce parce que les budgets publics sont contraints et que la collectivité n'a pas à faire, en matière de dépendance, ce qu'elle ne fait pas par exemple pour l'assurance maladie : rembourser les dépenses de confort.

La difficulté centrale posée par la PSD était les écarts apparaissant d'un département à l'autre dans le montant de la prestation versée.

En effet, pour un montant moyen national d'environ 3.500 francs (533,57 euros) par mois à domicile, les montants moyens mensuels variaient d'un département à l'autre de 1.374 francs (209,46 euros) à 6.414 francs (977,81 euros). Certains départements ont « bien joué le jeu », suscitant par contraste l'opprobre pour ceux qui ne l'auraient pas joué... Cette situation, qui n'était sans doute pas acceptable pour les bénéficiaires de l'aide, s'inscrit pourtant dans la philosophie de l'aide sociale. Il y a un minimum que chaque collectivité est libre de compléter selon ses moyens et les besoins qu'elle évalue...

Au total, le principal grief adressé à la PSD par ses détracteurs est de n'avoir pas été la prestation qu'ils auraient voulue. D'ailleurs, les signataires du livre noir de la PSD ont peu après fait paraître un livre blanc pour une prestation autonomie qui propose les principes d'une prestation de sécurité sociale.

Votre rapporteur ne saurait reprocher au législateur de 1997 ce qui fut le cheminement de celui de 2001.

Le premier avait conscience des moyens limités des collectivités publiques et avait sagement écarté la tentation de reporter sur l'une d'entre elles un effort qu'il savait impossible à assumer.

Le second a choisi une posture inverse, en créant pour les budgets départementaux et sociaux une charge qu'ils ne peuvent porter. Les règles générales de la construction s'appliquent aussi à la mise en place d'une prestation : on ne pose pas les murs et le toit sans fondation solide. Or la situation des finances publiques rendait dès l'origine cette construction véritablement hasardeuse.

Le risque financier alors dénoncé par le Sénat est aujourd'hui en passe de se réaliser.

* 1 Votre commission a décidé de procéder à un examen conjoint de la proposition de loi précitée n° 169 (2002-2003) de M. de Broissia et de la proposition de loi n° 178 (2002-2003) de M. Michel Moreigne, qui prévoit une répartition différente de l'actuelle dotation versée par le fonds de financement de l'APA afin de tenir compte de la situation des départements les plus en difficulté.

* 2 Voir ci-après l'analyse de la grille nationale AGGIR.

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