3. Les faiblesses de l'insertion

Les effets pervers du partage des compétences effectué en 1988, et notamment l'effet déresponsabilisant de la dilution des responsabilités, sont enfin apparus de façon manifeste dans le domaine de l'insertion. Car s'il est, à mon sens, un échec du RMI, c'est bien celui du dispositif d'insertion.

a) La défaillance du pilotage de l'insertion

« Le RMI souffre (...) d'un défaut de pilotage local. Ceci est souvent masqué par une bonne collaboration technique entre les chargés de mission du RMI relevant de l'Etat et ceux du département. (...) Le dispositif peut ainsi fonctionner correctement dans ses aspects quotidiens. Pour autant, le RMI ne bénéficie pas d'un pilotage local dégageant des orientations prioritaires lisibles, au service d'objectifs précis. »

Cette remarque de l'IGAS 6 ( * ) , dans son rapport annuel pour 2002, illustre parfaitement le fonctionnement local du RMI.

Si le principe du copilotage est bien posé, l'Etat s'est largement déchargé de la politique d'insertion des bénéficiaires du RMI sur les départements , dans la mesure où ceux-ci sont les financeurs de l'insertion, mais sans pour autant lui confier les outils nécessaires pour faire face à cette mission.

Telle était d'ailleurs l'analyse de la mission commune d'information sur la décentralisation 7 ( * ) , en 2000 : « Le département est ainsi trop souvent placé dans la situation paradoxale d'être impliqué au coeur des difficultés de l'insertion sur le terrain, tout en ayant des moyens et les prérogatives trop réduits pour jouer un rôle véritablement efficace. »

Le secteur de l'insertion suppose que les départements interviennent dans un domaine où l'Etat dispose d'une large maîtrise des instruments, qu'il s'agisse de la formation professionnelle, de la politique de l'emploi ou de la politique du logement social.

Cette difficulté d'articulation devait être résolue au sein des instances de copilotage que sont les conseils départementaux d'insertion (CDI) et les commissions locales d'insertion (CLI). Mais ces instances sont aujourd'hui défaillantes : les CDI constituent des instances souvent pléthoriques dont le fonctionnement est difficilement compatible avec leur rôle de réflexion, de programmation, d'évaluation et d'animation de la politique locale d'insertion. De même, les CLI, dont la répartition géographique est fréquemment déséquilibrée ou irrégulière, restent souvent cantonnées dans le rôle formel d'enregistrement des contrats individuels.

Le plan départemental d'insertion, quand il est adopté, reste le plus souvent un document formel, qui ne joue pas son rôle d'articulation entre l'Etat et le département : le plus souvent, seules les actions à la charge de ce dernier y figurent. Les actions entreprises par d'autres acteurs sont simplement ignorées par ce document qui se voulait central dans le dispositif, puisqu'il sert de base à l'engagement des crédits obligatoires d'insertion.

Dans ces conditions, même les départements les plus concernés par les phénomènes d'exclusion ont du mal à utiliser l'ensemble des crédits inscrits à leur budget . Si le taux de consommation des crédits obligatoires d'insertion atteint désormais plus de 90 %, les reports de crédits non consommés représentaient, en 2001, 66 % de l'obligation légale au titre de cette même année.

La mauvaise volonté des départements, souvent mise en avant pour expliquer ce phénomène, ne saurait expliquer les reports constatés. Il paraît évident qu'il est avant tout imputable au manque de souplesse dans les possibilités d'utilisation de ces crédits , notamment en matière de suivi ou de prévention.

b) Un grand absent : le contrat d'insertion

Dans ces conditions, alors que le contrat d'insertion devait précisément assurer le lien entre l'allocation et l'engagement de l'allocataire à entrer dans une démarche d'insertion, le taux de contractualisation oscille, depuis 10 ans, autour de 50 %, avec des disparités départementales importantes.

Taux de contractualisation des bénéficiaires du RMI

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

51 %

53 %

52 %

50 %

49 %

49 %

50 %

Lorsqu'un contrat existe, il brille souvent par son manque de contenu concret. C'est d'ailleurs ce que soulignait la Cour des Comptes dans son rapport public de 2001 : « trop souvent (...), le contrat n'est que formel, soit que l'accompagnement du bénéficiaire revête un caractère purement administratif, soit que les contrats d'insertion se caractérisent par leur imprécision. »


Le contenu des contrats d'insertion en 2000

Une enquête de la DREES auprès de 2.000 ménages qui étaient allocataires du RMI en février 2000 dans cinq départements permet de mieux connaître les actions inscrites dans les contrats d'insertion :

- la très grande majorité (80 %) des contrats signés mentionnent une ou deux actions, 7 % environ en prévoient au moins trois et 13 % n'ont pas d'action inscrite.

- quel que soit le nombre d'actions prévues, 60 % environ des contrats portent sur un seul des domaines suivants : emploi, formation, santé, logement, suivi social, autre action sociale. 27 % portent sur des champs combinés, associant principalement l'emploi et la formation ou l'emploi et l'action sociale (le reste, 13,1 % n'a pas de champ connu).

- près d'un contrat enregistré sur deux propose au moins une action en lien avec l'emploi . Pour près d'un tiers des contrats il s'agit d'une recherche d'un emploi avec un accompagnement spécifique ou de l'orientation vers un emploi aidé.

- 14,2 % de l'ensemble des contrats proposent une action de formation, alphabétisation ou acquisition des savoirs de base. Viennent ensuite les contrats ayant au moins une action de suivi médical (13,1 %) ou social, familial et éducatif (12,4 %).

Globalement, l'emploi et la formation semblent avant tout envisagés pour les allocataires âgés de moins de 40 ans et dont l'ancienneté au RMI est inférieure à 3 ans . Ceux âgés de moins de 30 ans sont plutôt orientés vers un emploi non aidé alors que leurs aînés se voient plutôt proposer une recherche d'emploi accompagnée ou un emploi aidé.

La nature de l'action « emploi » engagée semble liée à l'ancienneté de présence dans le RMI : les allocataires inscrits depuis moins d'un an se voient proposer plus souvent une recherche d'emploi sans accompagnement particulier ; lorsque la durée de perception du RMI s'échelonne entre un an et trois ans, l'orientation vers la recherche d'emploi accompagnée devient proportionnellement plus importante ; enfin, pour les allocataires plus anciens, l'orientation vers l'emploi, sans disparaître tout à fait, est relayée par des interventions relevant du champ de l'action sociale dont la part relative s'accroît sensiblement.

Pour une part de la population des bénéficiaires du RMI, il y a bien concordance entre contrat et accompagnement ; pour une autre part il peut y avoir contrat sans que l'accompagnement soit perçu ou réalisé ou à l'inverse, que l'accompagnement effectif n'ait pas été formalisé dans le contrat.

Votre rapporteur souhaite insister sur l'un des enseignements de l'étude de la DREES : dans plus d'un cas sur dix, aucune action n'est inscrite au contrat . Par ailleurs, si pour une part de la population des bénéficiaires du RMI, il y a bien concordance entre contrat et accompagnement, dans de nombreux cas, malgré l'inscription d'une mesure d'accompagnement, celui-ci n'est en réalité pas mis en oeuvre.

Votre rapporteur insiste ici sur le fait que la faiblesse du taux de contractualisation n'est pas seulement due aux déficiences de l'instruction des dossiers. Il est largement imputable à une carence de l'offre d'insertion : c'est alors la collectivité qui ne remplit pas sa part du contrat.

c) Les difficultés du retour à l'emploi des bénéficiaires

Ces carences du dispositif d'insertion expliquent pour partie les difficultés d'accès ou de retour à l'emploi des bénéficiaires du RMI.

L'enquête de référence sur les conditions de retour à l'emploi des allocataires du RMI 8 ( * ) - déjà ancienne puisqu'elle a été réalisée en 1998 - a souligné les difficultés, même si ses résultats sont finalement assez contrastés.

Ainsi, 26 % des allocataires suivis dans cette enquête avaient retrouvé un emploi dans l'année, qu'il s'agisse d'un emploi aidé ou d'un emploi « ordinaire ». L'entrée dans le RMI n'est donc pas forcément synonyme d'exclusion durable.

Si les perspectives de retour à l'emploi existent, elles concernent principalement des personnes proches du marché du travail et qui ne sont guère confrontées à de graves difficultés d'ordre social.

A l'inverse, ces perspectives deviennent très restreintes pour des publics plus en difficulté : 60 % des allocataires sont au RMI depuis au moins deux ans et plus de 4 % le sont depuis l'origine du dispositif.

Votre commission considère, pour sa part, que ces difficultés d'accès à l'emploi sont loin de s'expliquer avant tout par un effet de « trappe à inactivité ». Elle souligne en effet que les gains financiers ne sont pas le seul déterminant du retour à l'emploi . Le souci de retrouver un statut social reconnu, apporté par le travail, joue notamment un rôle important quand bien même ce travail « rapporterait » peu.

L'enquête sur le devenir des personnes sorties du RMI

« L'enquête sur le devenir des bénéficiaires du RMI a été réalisée par l'INSEE en partenariat avec le délégation interministérielle au RMI (DIRMI), la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) et la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère de l'Emploi et de la solidarité, la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et le conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts (CSERC). Elle s'est déroulée en trois vagues. En septembre 1997, une enquête légère s'est déroulée auprès de 10.000 allocataires représentatifs des 882.047 allocataires du RMI inscrits dans les CAF métropolitaines au 31 décembre 1996. En janvier 1998, 3.415 allocataires parmi les 7.953 répondants de la première vague ont été interrogés, notamment sur leur emploi. Une nouvelle interrogation des mêmes individus (3.022 répondants) neuf mois plus tard, en septembre 1998, permet, d'une part, de suivre l'insertion professionnelle des employés de janvier et, d'autre part, de mettre en relation les modes de recherche utilisés en janvier par les chômeurs et la situation de ces derniers sur le marché de l'emploi en septembre : au chômage, en emploi aidé (CES, CEC) ou en stage rémunéré, en emploi non aidé (CDI ; CDD, intérim, indépendants). D'autre part, un calendrier d'activité sur 21 mois (de janvier 1997 à septembre 1998) permet de suivre mois par mois les allers et retours entre l'emploi et le chômage. Dans le cas de foyers composés de plusieurs personnes en âge de travailler, seule l'activité de l'allocataire est prise en compte.

« L'enquête permet ainsi d'observer, 13 mois après, la situation des personnes allocataires qui étaient au RMI en décembre 1996 (schéma ci-dessous). La proportion d'entre elles qui ont un emploi, sont au chômage ou inactifs, ne représente pas la probabilité pour les allocataires qui entrent au RMI de trouver un emploi en bout d'un an, ou d'être au chômage, ou inactifs. Cette mesure sous-estime la probabilité d'accès à l'emploi au bout d'un an de RMI, car elle sous-estime les passages courts par le RMI, caractéristiques des personnes qui occupent rapidement un emploi. Et la différence est de taille : ainsi, la probabilité de sortie du RMI au bout d'un an peut être estimée à 43 %, alors que la proportion d'anciens allocataires sortis au bout d'un an n'est que de 29 %  ; mais on n'étudie ici les situations d'emploi, de chômage, ou d'inactivité que des personnes qui étaient au RMI en décembre 1996. Par rapport à un raisonnement en probabilité d'accès à l'emploi au bout d'un an de RMI, on sous-estime beaucoup l'emploi, on surestime le chômage, et surtout l'inactivité, caractéristique des personnes au RMI depuis longtemps. Il est également probable qu'on sous-estime le niveau des salaires de ceux qui ont un emploi : plus l'ancienneté au RMI est importante, plus la rémunération, dans le cas d'une (re)prise d'emploi, est faible (en raison, principalement, d'un effet de structure : les plus jeunes, les plus diplômés, ceux qui ont le plus d'atouts sur le marché du travail sortent plus vite du RMI et obtiennent de meilleures rémunérations). De plus, plus la rémunération est faible, plus on a de risque de rester, ou de revenir, au RMI. »

Pour 100 allocataires

sortis du RMI
29

toujours au RMI
71

emploi
15

chômage
9

inactifs
5

emploi
11

chômage
48

inactifs
12

intéressement
7

travailleurs
très pauvres
4

Source : santé et solidarité, n° 1, 2002

L'enquête précitée a montré en effet que les trois quarts des allocataires au chômage recherchent activement un emploi 9 ( * ) , mais leurs démarches échouent faute de demande de la part des employeurs 10 ( * ) .

Parmi ceux ayant retrouvé un emploi, 15 % perçoivent un revenu d'activité trop faible pour sortir du RMI, plus de 30 % n'y gagnent pas, voire y perdent financièrement. Malgré tout, plus de 80 % déclarent se sentir mieux après la reprise d'un travail.

Certes, il existe encore des freins financiers à la reprise d'activité. Mais les réformes intervenues ces dernières années ont permis de les limiter en grande partie, s'agissant notamment des nouvelles modalités d'exonération de la taxe d'habitation, de la réforme des aides au logement, de la création de la prime pour l'emploi et de la possibilité d'un « intéressement » introduite en 1998.


Les possibilités de cumul d'un revenu d'activité et d'un minimum social

Afin d'encourager et d'aider le retour à l'activité des allocataires de minima sociaux, ceux-ci peuvent cumuler temporairement leur revenu avec leur allocation en cas de reprise d'activité. D'abord appliquée seulement au RMI à l'allocation de solidarité spécifique (ASS) et à l'allocation d'insertion (AI), cette mesure a été étendue en 1998 à l'API et à l'allocation veuvage et plus récemment, en avril 2002, à l'AER (allocation équivalent retraite qui n'est pas un minimum social). Simultanément, les possibilités de cumul intégral de l'allocation et du revenu d'activité ont été renforcées fin 1998 après l'adoption de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, et plus récemment à la suite du programme de lutte contre les exclusions de juillet 2001. Depuis le 1 er décembre 2001, les titulaires du RMI peuvent cumuler intégralement leur allocation et leur revenu d'activité jusqu'à la deuxième déclaration trimestrielle de ressources qui suit leur reprise d'activité. Les règles de cumul concernant les autres minima sociaux n'ont pas changé. Un régime particulier demeure appliqué aux personnes qui reprennent un contrat emploi-solidarité en métropole ou un contrat d'incitation à l'activité dans les départements d'outre-mer.

Source : solidarité et santé, n° 4, 2002

Sur ce dernier point, votre commission que l'intéressement reste peu répandu : seuls 13 % des allocataires en bénéficient, cette proportion étant stable ces dernières années. Il est vrai que ce dispositif est complexe et peu connu des intéressés et mériterait à ce titre une sérieuse rénovation.

Dans ces conditions, votre commission a la ferme conviction que les difficultés du retour à l'emploi tiennent plus aux carences de l'offre - celle des employeurs - qu'à la faiblesse de la demande - celle des allocataires.

Certes, on peut comprendre les réticences des employeurs à recruter des personnes en situation souvent très difficile et dont la productivité est, au moins dans un premier temps, faible.

Il reste que les dispositifs de la politique de l'emploi n'ont pas, jusqu'à présent, permis d'offrir une solution d'insertion à ces personnes, faute avant tout d'un ciblage pertinent.

Ainsi, s'agissant des contrats aidés qui visent pourtant les publics considérés comme « prioritaires » pour la politique de l'emploi, ils ne bénéficient finalement qu'assez marginalement aux bénéficiaires du RMI. Ceux-ci ne représentent que 27 % des bénéficiaires des contrats initiative-emploi (CIE) et 36 % des bénéficiaires des contrats emploi-solidarité (CES) en 2001, leur part respective dans les entrées étant d'ailleurs en diminution ces dernières années (- 1,8 % pour les CES, - 1 % pour les CIE en 2001) 11 ( * ) .

* 6 « Politiques sociales de l'Etat et territoires » Rapport annuel de l'IGAS, 2002.

* 7 « Pour une République territoriale : l'unité dans la diversité » Rapport n° 447 (1999 - 2000) de M. Michel Mercier, sénateur, au nom de la mission commune d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales.

* 8 « Le retour à l'emploi des allocataires du RMI : les enseignements de l'enquête sur le devenir des personnes sorties du RMI », santé et solidarité, n° 1, 2002.

* 9 Selon une estimation réalisée par l'ANPE (« les demandeurs d'emploi bénéficiaires du RMI : portrait statistique », juin 2002), 60 % des allocataires du RMI seraient inscrits à l'ANPE, les 40 % restant regroupent, d'une part, des personnes qui ne sont pas à la recherche d'un emploi et, d'autre part, des personnes qui en cherchent sans être à l'ANPE.

* 10 Seuls 10 % des allocataires auraient refusé un emploi, principalement du fait d'une inadaptation du travail à leur qualification ou d'un éloignement trop important du domicile.

* 11 Voir notamment « Premières informations et Premières synthèses », n° 44, octobre 2002, DARES.

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