2. ... qui se heurte à d'insurmontables difficultés d'application

• Une application tardive

La complexité du dispositif adopté en 2001 s'est traduit dans les délais nécessaires à l'élaboration des textes réglementaires.

Ce n'est en effet que, depuis la publication du décret du 2 avril 2002 précité, que l'ensemble des dispositions de la loi sont devenues applicables, soit seize mois après sa promulgation. Le fait de remettre cette réforme sur le métier moins d'un an après son entrée en vigueur traduit un échec patent.

Dès les premiers mois de son application, la loi du 17 janvier 2001 a montré ses limites, la maladresse de certaines prescriptions s'ajoutant à la nouveauté de procédures que les aménageurs, insuffisamment informés, ne maîtrisaient pas.

Cette situation, dont les effets ont été accentués par les retards pris dans la mise en place de l'INRAP, a abouti à une nouvelle crise opposant les aménageurs, et en particulier les collectivités territoriales, aux archéologues. En effet, une des conséquences -pour le moins inattendue- de la réforme de 2001 a été de remettre en cause un principe « casseur-payeur » qui s'était imposé depuis le début des années 70 et qu'elle avait pourtant eu le mérite de consacrer.

Plusieurs initiatives législatives ont été prises afin de remédier aux difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre des dispositions de la loi de 2001.

Lors de l'examen, le 12 novembre 2002, de la proposition de loi portant modification de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains 3 ( * ) , le Sénat avait adopté un amendement visant à rétablir un mécanisme contractuel, qui, dans l'esprit des auteurs, avait vocation à servir de dispositif transitoire dans l'attente d'une réforme de plus grande ampleur.

Inspirée par des préoccupations similaires, l'Assemblée nationale a introduit dans la loi de finances pour 2003 4 ( * ) un article 105 visant à réduire de 25 % le montant des redevances d'archéologie préventive.

C'est dans cette perspective également que s'inscrit la proposition de loi déposée par notre excellent collègue Claude Biwer qui vise à faire bénéficier les communes à faible potentiel fiscal d'un abattement supplémentaire sur le montant des redevances qu'elles doivent acquitter.

Si la préoccupation du législateur d'atténuer les effets les plus nocifs de la loi a présenté l'inconvénient de réduire les recettes d'un établissement public, déjà confronté à de graves difficultés financières, elle a toutefois eu le mérite de susciter une réflexion au sein du Gouvernement.

Cette réflexion a abouti, à l'issue d'une large concertation, à la réforme qui nous est présentée aujourd'hui, dans des délais dont la brièveté est à mettre à l'actif de la détermination du ministre de la culture à assurer dans de bonnes conditions la protection du patrimoine archéologique.

• Un dispositif à l'origine de graves dysfonctionnements

Les difficultés soulevées par la mise en oeuvre des dispositions de la loi du 17 janvier 2001 sont de plusieurs ordres.

En premier lieu, chez les aménageurs, le sentiment domine que les procédures de protection du patrimoine archéologique accordent aux services de l'Etat des compétences dont la mise en oeuvre comporte une large part d'arbitraire.

Certes, seules les prescriptions induisant des redevances exorbitantes au regard des capacités contributives des aménageurs ou imposant l'abandon pur et simple des projets sont contestées et il est difficile d'apprécier la proportion exacte des prescriptions illégitimes.

Toutefois, il semble que les dispositions de la loi et plus spécifiquement du décret du 16 janvier 1992, en étendant la saisine du préfet de région à tous les projets d'aménagement susceptibles d'affecter le patrimoine archéologique, qui, pour certains, ne lui étaient pas, jusque là soumis, ont débouché sur une augmentation du nombre de prescriptions.

En 2002, sous l'empire de la nouvelle loi, environ 11 % des demandes de permis de construire ont été transmis aux services régionaux de l'archéologie pour examen. Sur ce total, 12,8 % ont fait l'objet d'une prescription de diagnostics et 1,6 %, d'une prescription de fouilles. Le nombre total d'opérations prescrites est passé de 1 752 en 2000 à 4 270 en 2002. Il convient de souligner que cet accroissement des prescriptions a conduit à une forte progression, au sein des opérations de terrain, des diagnostics, dont le nombre est passé de 1 253 en 2000 à 1 755 en 2002. Il apparaît donc que les procédures de détection et de protection du patrimoine archéologique ont tendance à devenir systématiques, ce qui d'ailleurs constitue une conséquence mécanique, et parfaitement prévisible de la loi de 2001.

Cette automaticité a fait l'objet de vives réactions dans la mesure où le préfet de région détient un pouvoir d'appréciation considérable, pouvoir qui, dans les premiers mois d'application de la loi, n'a été encadré par aucune directive ministérielle. Votre rapporteur avait d'ailleurs perçu cette difficulté lors des débats et avait souligné que « le caractère aléatoire des prescriptions archéologiques demeurait faute d'un zonage du territoire en réalité impossible à réaliser ». En effet, la carte archéologique consacrée par l'article 3 de la loi du 17 janvier 2001, loin d'être achevée, ne contient que des informations parcellaires. Les modalités d'application de la loi sont donc très variables selon les régions : si dans l'une, les diagnostics sont systématiquement prescrits, dans une autre, les prescriptions sont très rares.

La voie du recours devant les juridictions administratives étant exclue par les aménageurs compte tenu des contraintes de temps qui pèsent sur eux, ces derniers, contraints de payer des redevances, se sont retournés contre les services de l'Etat, auxquels la loi n'a pas accordé les moyens d'arbitrer de tels conflits.

Le sentiment d'incompréhension suscité par la loi a été accentué par la rigueur des procédures qui prévoient que, dès lors que des prescriptions sont édictées par le préfet et transmises à l'INRAP, un avis de recouvrement est émis par l'établissement.

Cette rigueur des procédures n'a pu dans les faits être tempérée, les pratiques de l'établissement public ayant révélé, comme l'a souligné un rapport réalisé à la demande du ministre de la culture 5 ( * ) , une « absence de culture de la négociation et plus généralement du partenariat ».

L'exaspération des aménageurs a été, en outre, nourrie par l'opacité des modalités de calcul de la redevance qui produisent un certain nombre d'effets pervers à l'opposé du souci d'équité qui avait présidé à leur tâtonnante élaboration par le précédent Gouvernement.

Si près des trois quarts des aménageurs paient moins de redevance qu'ils n'en auraient payé dans le cadre de la facturation de l'AFAN, il n'en reste pas moins que, pour certaines opérations, l'application du barème se traduit par des coûts souvent insupportables.

On rappellera que, s'agissant des diagnostics, la loi retenait un barème forfaitaire de 2,58 francs par mètre carré, la surface prise en compte correspondant à l'emprise au sol. Pour les fouilles, si le barème est pondéré par la nature des structures archéologiques, le montant de la redevance est calculé par rapport à la surface soumise à l'emprise des fouilles. Votre commission avait estimé que, compte tenu de ces modalités de calcul, « les opérations urbaines devraient payer à ce titre moins cher que les opérations en périphérie des villes ou en milieu rural ».

C'est précisément sous cet aspect que les redevances ont été le plus vivement critiquées. Alors que seulement 2 % des diagnostics urbains reviennent plus cher après l'application de la loi, la proportion atteint 22 % pour les diagnostics ruraux. S'agissant des fouilles, on constate que les fouilles non stratifiées -essentiellement réalisées en zone rurale- sont plus coûteuses dans 44 % des cas tandis que pour les fouilles stratifiées, la redevance aboutit à un renchérissement dans seulement 20 % des cas.

Les contestations concernent essentiellement des opérations de grande superficie en zone rurale. Dans certains cas portés à la connaissance de votre rapporteur, le montant des redevances s'avère sans commune mesure avec le coût des opérations envisagées et les capacités contributives des aménageurs, les conduisant en pratique à abandonner ou à retarder leur projet.

A cet effet pervers des redevances, est venu s'ajouter un inconvénient, là encore parfaitement prévisible et prévu par votre rapporteur. Le produit global des redevances est insuffisant pour couvrir le coût des dépenses opérationnelles de l'établissement et ne permet donc pas de financer ses dépenses de structure pas plus que ses missions scientifiques. Le déficit cumulé de l'INRAP sur les exercices 2002 et 2003 s'élève à 40 millions d'euros, selon une mission d'inspection menée en avril 2003 6 ( * ) . On soulignera que ce déficit imputable à un rendement insuffisant des redevances, était acquis, pour plus de sa moitié avant la réduction de leur montant opérée par la loi de finances pour 2003.

L'inadaptation des ressources de l'INRAP à ses missions s'est traduite par les difficultés rencontrées par l'établissement pour faire face aux obligations que lui impose la loi de 2001, difficultés en partie inhérentes à la lenteur avec laquelle ses structures se sont mises en place. Il convient de souligner, ce qui apparaît symptomatique, que le conseil d'administration de l'établissement public ne s'est pas encore réuni à ce jour. Par ailleurs, les directions interrégionales ne sont pas encore totalement organisées, ce qui induit un fonctionnement très centralisé qui, à l'évidence, n'est guère de nature à faciliter les relations avec les aménageurs et à permettre une réactivité de l'établissement, dont les équipes sont peu ou prou laissées à elles-mêmes.

L'établissement semble donc incapable de faire face aux missions très larges que lui attribue la loi dans les limites actuelles de ses ressources.

La combinaison de ces difficultés que votre commission avait parfaitement anticipées nourrit un climat de crise qui impose une refonte des mécanismes de la loi du 17 janvier 2001 dans des délais très rapides. Si rien n'était fait, il y a fort à craindre que les acquis de la politique de protection du patrimoine archéologique mise en oeuvre depuis les années 1970 ne soient durablement fragilisés.

* 3 Proposition en instance à l'Assemblée nationale (AN, n° 374 - 2002-2003)

* 4 n° 2002-1575 du 30 décembre 2002

* 5 Rapport sur l'application de la loi du 17 janvier 2001, Alain Van der Malière, inspecteur général de l'administration des affaires culturelles - 15 janvier 2003

* 6 Mission conjointe menée par l'inspection générale des finances, l'inspection générale des affaires culturelles et l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche.

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