D. UNE RÉFORME FINANCIÈRE DE FOND

L'impact financier d'ensemble de la « loi Fillon » sera progressif et jouera à plein à l'horizon 2020. A cette date, une économie, correspondant à plus de 1 % du produit intérieur brut, devrait être dégagée. Les besoins de financement des régimes de retraite du secteur public et du secteur privé devraient être réduits respectivement de 46 % et de 41 %. S'agissant de la fonction publique, le solde sera fourni par les « employeurs publics ». Pour ce qui concerne le secteur privé, la hausse des cotisations vieillesse devrait pouvoir être neutralisée par des transferts de l'Unédic vers la branche vieillesse, en raison du retournement démographique.

a) L'acquis de la réforme Balladur de 1993, du plan Juppé de 1995, et des accords AGIRC et ARRCO du 25 avril 1996

L'histoire de la réforme des retraites est donc rythmée par les quatre étapes suivantes : la « réforme Balladur » de 1993,  l'échec du « plan Juppé » en 1995, le sauvetage des régimes complémentaires et le vote de la « Loi Fillon » du 21 août 2003.

La réforme Balladur de 1993

Les mesures prises alors portaient sur le régime général (CNAVTS) et sur trois régimes dits « alignés » : le régime de base des salariés agricoles, géré par la MSA, le régime de base des artisans, géré par des caisses relevant de la CANCAVA et le régime de base des industriels et commerçants géré par les caisses relevant de l'ORGANIC.

Cette réforme prévoyait un allongement de la durée d'assurance prise en compte pour bénéficier d'une pension à taux plein, de 150 trimestres à 160 trimestres, soit 40 annuités, le calcul des pensions du régime général sur la base des 25 meilleures années de carrière, au lieu des dix meilleures années et l'indexation des pensions de retraite sur les prix à la consommation.

Plusieurs dispositions complémentaires sur les recettes ont été, en outre, nécessaires ultérieurement [relèvement d'1,3 point du taux de la contribution sociale généralisée au 1 er juillet 1993, création du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) au 1 er janvier 1994].

Au total, la Cour des comptes a estimé dans son rapport 2003 consacré à la sécurité sociale que la réforme de 1993 avait déjà permis de ramener le poids des pensions de retraites des anciens salariés du secteur privé dans le PIB en 2003 de 6,8 % à 6,1 % de la richesse nationale, soit un allégement de 0,7 point au bout de dix années. Cette estimation ne prend en compte qu'une partie des effets de la réforme, dont l'intégralité des dispositions n'entreront en vigueur qu'en 2009.

Le sauvetage des régimes complémentaires

Parallèlement à la réforme des régimes de base, les partenaires sociaux ont pris, eux aussi, dans le cadre des régimes complémentaires qui leur incombent, entre 1993 et 1996, des décisions courageuses qui aboutissent à programmer la diminution du « rendement » de ces régimes et qui organisent une solidarité financière entre l'AGIRC et l'ARRCO.

Il convient, à ce titre, de rappeler la signature, le 10 février 1993, de l'accord trisannuel ARRCO, celle de signature de l'accord d'assainissement financier de l'AGIRC le 9 février 1994 et surtout les accords AGIRC et ARRCO du 25 avril 1996, instituant la compensation financière entre les deux régimes et le passage du taux de cotisation contractuel à 16 % en 1999.

L'accord du 10 février 2001 a permis de maintenir en l'état le système de prise en charge des retraites complémentaires entre 60 et 65 ans ,dans le cadre de l'Association pour la gestion du fonds de financement des régimes complémentaires.

L'échec de 1995

Le plan Juppé souhaitait consolider la réforme du régime général des salariés et des régimes alignés réalisée en 1993 et sauvegarder les autres régimes de retraite par répartition du secteur public.

La création d'une caisse autonome des fonctionnaires était envisagée afin que soit isolé du budget de la Nation, l'effort de l'État et des fonctionnaires en matière de retraite. De même, la durée d'assurance pour l'obtention d'une retraite à taux plein devait passer de 37,5 à 40 ans.

Sous la pression de la rue, le Gouvernement a finalement renoncé à son projet de réforme de la retraite pour les régimes publics, le 10 décembre 1995.

b) Les conséquences financières de la « loi Fillon »

Le schéma d'ensemble du financement de la réforme

Les effets à long terme de la loi du 21 août 2003 ont fait l'objet d'une première évaluation par le ministère des finances présentée dans le cadre du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2004.

Sur cette base, la réforme des retraites représente, à terme, pour les finances publiques et sociales, l'équivalent d'une diminution durable d'un point de PIB (cf. tableau présenté ci-après) du déficit structurel. Cette estimation prend en compte l'ensemble des régimes du secteur public et du secteur privé. L'amélioration pourrait même se monter à 1,5 point de PIB en tenant compte des recettes supplémentaires liées à l'accroissement de la population active que la réforme pourrait susciter. Toutefois, ces évaluations sont affectées par une marge d'incertitude propre aux projections de long terme, notamment relative à l'attitude future des salariés face à la décote pour départ anticipé ou à la surcote pour maintien en activité au-delà de l'âge légal de la retraite.

La même étude prévoit, à partir de 2010, une augmentation de la population active allant jusqu'à 300.000 personnes en 2020 et 400.000 en 2040, qui pourrait conduire, en termes de recettes, à un gain supplémentaire de 0,5 point de PIB.

Il convient de remarquer que le pourcentage relatif des économies réalisées dans la fonction publique (- 46,2 %) apparaît, en première analyse plus important que dans le régime général (- 41,3 %). Mais ce dernier avait déjà fait l'objet d'une première réforme en 1993, contrairement aux régimes publics : ces derniers partaient ainsi de « plus loin ».

On notera également, qu'à l'exception de l'augmentation de la durée de cotisations, de la hausse de celles-ci et de l'alignement des règles d'indexation du privé sur le public, les autres mesures introduites par la « loi Fillon » présentent toutes un bilan net négatif en termes d'économies.

Tableau détaillé du régime général en 2020

(en millions d'euros 2000)

Besoin de financement initial

- 15.000

Allongement durée assurance pour le taux plein, proratisation, allégement de la décote et création de la surcote

+ 6.000

Revalorisation minimum contributif

- 600

Retraite anticipée

- 300

Mesure pluripensionnés

- 1.000

Augmentation de cotisations de 2006 (0,2 point)

+ 900

Solde des mesures

+ 6.200

Affectation de cotisation chômage

+ 9.800

Solde final

0

Tableau détaillé des régimes de la fonction publique en 2020

(en millions d'euros 2000)

Besoin de financement initial

- 28.000

Allongement durée assurance pour le taux plein, proratisation, allégement de la décote et création de la surcote

9.300

Indexation sur les prix

4.500

Création du régime additionnel

- 800

Solde des mesures

+ 13.000

Solde après mesures

- 15.000

Effort supplémentaire des employeurs publics

+ 15.000

Solde final

0

Les besoins de financement des régimes de retraite des secteurs public et privé devraient être notablement réduits. S'agissant de la fonction publique, le solde proviendrait des « employeurs publics », donc, in fine, du contribuable. Pour ce qui concerne le secteur privé, la hausse des cotisations vieillesse devrait pouvoir être neutralisée par des transferts de l'Unédic, par effet mécanique du retournement démographique prévisible.

La suppression de la « surcompensation »

La « surcompensation » ou « compensation spécifique » désigne un mécanisme financier créé en 1985 afin d'assurer des transferts de ressources entre les régimes spéciaux et de prendre en compte ainsi les disparités démographiques qui les affectent.

Les principaux bénéficiaires de ce système sont le régime des mines, de la SNCF. Les principaux contributeurs sont la CNRACL et le régime des fonctionnaires.

Evolution des montant de la surcompensation (en millions d'euros)

Régimes contributeurs

2001

2002

2003

2004

Fonctionnaires civils

1 503,9

1 469,1

1 257,5

1 065,4

CNRACL

1 268,0

1 366,6

1 311,2

1 210,3

EGF

61,7

55,8

35,2

18,0

Total

2 833,6

2 891,5

2 603,9

2 293,7

Régimes bénéficiaires

2001

2002

2003

2004

Fonctionnaires militaires

488,6

584,7

491,0

421,3

FSPOEIE

189,0

182,1

171,2

153,2

CANSSM

1 237,6

1 232,9

1 122,3

986,6

SNCF

498,4

481,1

431,2

378,9

RATP

6,6

1,6

0,2

0,0

ENIM

270,0

268,6

260,2

239,4

CRPCEN

44,6

44,6

44,6

43,6

Banque de France

7,7

7,8

6,7

5,8

SEITA

31,5

31,5

28,6

25,6

CAMR

59,6

56,6

47,9

39,3

Total

2 833,6

2 891,5

2 603,9

2 293,7

Source : CCSS - septembre 2003


Les principales règles de la « surcompensation »

Les régimes concernés sont ceux dont l'effectif des retraités titulaires de pensions de droit direct, âgés de 60 ans ou plus, dépasse 5.000 personnes : fonctionnaires de l'État, CNRACL, ouvriers de l'État (FSPOIE), marins (ENIM), mines (CANMSS), salariés des chemins de fer secondaires (CAMR), EDF-GDF, Banque de France, clercs de notaire (CRPCEN), régimes de la RATP et de la SEITA.

Le calcul de la surcompensation est réalisé en deux temps et correspond à l'addition de deux éléments.

Dans un premier temps, une compensation est calculée entre l'ensemble des régimes participant à la compensation spécifique. Elle se distingue de la compensation généralisée sur plusieurs points : elle concerne à la fois les retraités de droit direct et les retraités de droit dérivé ; les effectifs de retraités incluent tous les retraités de 60 ans et plus (contre 65 ans pour la compensation généralisée) ; les prestations de référence (droit direct et droit dérivé) sont des prestations moyennes et non des prestations minimales . Le coût global est réparti entre les régimes au prorata des rémunérations servant de base au versement des cotisations d'assurance vieillesse.

Dans un second temps, il est opéré une redistribution des transferts versés au titre de la compensation généralisée. Tous, à l'exception de la SEITA et de la CAMR, participent à la compensation généralisée et sont globalement débiteurs. La première étape de la compensation spécifique consiste à redistribuer entre ces régimes, au prorata de leurs masses salariales, le total de leurs versements à la compensation généralisée. Dans ce nouveau calcul, tous les régimes sont débiteurs. On calcule pour chaque régime la différence entre le versement à la compensation généralisée calculé « après redistribution » et le transfert (débit ou crédit) initial à cette compensation.

Pour chaque régime, la somme des deux transferts précédents définit le transfert de compensation spécifique, mais compte tenu des montants excessifs auxquels ces calculs aboutissent, la compensation spécifique n'est appliquée que partiellement. Le taux d'application, de 22 % à l'origine, a été augmenté jusqu'à 38 %, puis ramené à 34 % en 2000 et 30 % en 2001. En outre, le transfert de compensation est limité pour chaque régime à 25 % de ses charges totales de pensions de droits directs de plus de 60 ans et de droits dérivés.

Pour mémoire, la surcompensation fut instituée par la loi de finances pour 1986 avec pour justification « l'homogénéité » de certains régimes spéciaux justifiant la mise en place de mécanismes spécifiques de solidarité. Cette homogénéité était pourtant dès l'origine sujette à caution puisque ni l'assiette de cotisation, ni la qualité des prestations, ni les conditions de financement de ces régimes n'étaient homogènes. En outre, les règles de calcul de la surcompensation étaient elles-mêmes contestables. Contrairement à la compensation généralisée, la prestation servant de référence est très supérieure à la pension moyenne la plus faible des régimes bénéficiaires. Il s'agit de la pension moyenne de l'ensemble des régimes participants. Les modalités de calculs aboutissaient à des niveaux de transfert tellement élevés qu'ils ont dû être plafonnés.

Cette description éclaire en soi la véritable nature de la surcompensation qui n'a jamais été qu'un artifice permettant la captation des réserves de la CNRACL au profit des autres régimes, c'est-à-dire en réalité, du budget de l'État lui-même pouvant ainsi réaliser une économie sur le montant de la subvention d'équilibre qu'il verse à ces régimes.

Les mécanismes de la surcompensation et son principe même faisaient l'objet de critiques croissantes.


« La compensation spécifique a peu de justifications... »

« De fait, la compensation spécifique a peu de justifications. Telle qu'elle fonctionne, elle met à la charge d'un régime des transferts pour d'autres régimes (mines, SNCF, marins...) qui, par ailleurs, sont équilibrés par une subvention de l'État. Sans homogénéité entre les régimes, il est difficile de mettre en place une compensation équitable, qui complète la compensation généralisée. Dans ce cas, il faudrait peut-être recourir à d'autres mécanismes de solidarité, du moins pour les régimes les plus atypiques ou les plus déséquilibrés démographiquement (mines, marins), dont l'équilibre pourrait être assuré par l'État ou par le FSV ».

Rapport de MM. Yves Ullmo et Louis-Paul Pelé,
document remis au Conseil d'orientation des retraites septembre 2001, p. 25
.

La suppression du système de surcompensation a été décidée par la loi du 21 août 2003. Elle sera mise en oeuvre sur une période de neuf ans entre le 1 er janvier 2004 et le 1 er janvier 2013. Un décret prévoira une diminution progressive du taux de surcompensation de 3 % par an.

La fin de la surcompensation permet, à très court terme, d'assurer le sauvetage de la CNRACL en lui permettant de revenir à un résultat net positif qui devrait être de 240 millions d'euros en 2003 et de 420 millions d'euros en 2004.

Il est vrai que la CNRACL a été fortement mise à contribution au titre du mécanisme de « surcompensation » depuis 1985.

Sommes versées par la CNRACL au titre de la surcompensation

(en millions d'euros)

Source : CNRACL

La succession de résultats déficitaires depuis 1992, à l'exception de 1997 et 2001, avait en effet totalement absorbé les réserves de la CNRACL au point que celle-ci a dû recourir à un dispositif d'avance de trésorerie.

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