ARTICLE 68

Création d'un crédit d'impôt famille

Commentaire : le présent article vise à créer un régime de crédit d'impôt en faveur des entreprises qui engagent certaines dépenses permettant à leurs salariés de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale .

I. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article résulte des engagements du Président de la République de créer un crédit d'impôt pour les entreprises prenant des mesures en faveur de leurs salariés ayant des charges de familles, et plus particulièrement des enfants en bas âge.

Il fait également suite aux préconisations du rapport du groupe de travail « Familles et entreprises » remis en février 2003 à MM. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées et Christian Jacob, ministre délégué à la famille, ainsi qu'aux conclusions de la conférence de la famille du 29 avril 2003 relatives à l'insuffisance des moyens d'accueil des jeunes enfants.

Il propose de créer au bénéfice de l'ensemble des entreprises soumises à un régime réel d'imposition 96 ( * ) un crédit d'impôt égal à 25 % des sommes engagées, déduction faite des subventions publiques éventuellement reçues à cet effet, pour quatre catégories de dépenses :

- « les dépenses ayant pour objet de financer la création et le fonctionnement d'établissements visés aux deux premiers alinéas de l'article L. 2324-1 du code de la santé publique et assurant l'accueil des enfants de moins de trois ans de leurs salariés ». Ces deux premiers alinéas de l'article L. 2324-1 du code de la santé publique, qui vise en fait les établissements publics ou privés accueillant les enfants de moins de six ans, concernent les crèches collectives et les haltes-garderies ;

- « les dépenses de formation engagées en faveur des salariés de l'entreprise bénéficiant d'un congé parental d'éducation » (CPE). On peut rappeler à cet égard que pendant ce congé parental, dont la durée initiale est d'un an et qui peut être prolongé deux fois pour s'achever au plus tard au troisième anniversaire de l'enfant, le contrat de travail est suspendu et le salarié a conformément aux dispositions de l'article L. 122-28-7 du code de travail, la faculté de suivre des actions de formation professionnelle continue ;

- « les rémunérations versées par les entreprises aux salariés bénéficiant d'un congé dans les conditions prévues par les articles L. 122-25-4, L. 122-26 et L. 122-28-1 et aux deux premiers alinéas de l'article L. 122-28-8 du code du travail », relatifs respectivement au congé de paternité , au congé de maternité , au congé parental d'éducation et au congé dit « pour enfant malade » , c'est à dire au congé autorisé en cas de maladie ou d'accident d'un enfant de moins de seize ans dont le salarié a la charge, dans la limite de trois jours par an, portés à cinq jours pour les salariés ayant la charge d'un enfant de moins d'un an ou de trois enfants de moins de seize ans.

Il convient à cet égard de préciser que, pendant son congé de paternité ou de maternité, le salarié est indemnisé par sa caisse de sécurité sociale ; pendant son congé parental d'éducation, il peut sous certaines conditions bénéficier de l'allocation parentale d'éducation (APE) versée par sa caisse d'allocations familiales ; et, pendant son congé pour enfant malade, il n'est en principe pas rémunéré. Cependant les employeurs peuvent accorder à leurs salariés des conditions ou des compléments de rémunération plus favorables, et certains employeurs y sont d'ailleurs tenus par des conventions collectives, comme celles de la banque ou de l'assurance ;

- enfin, « les dépenses visant à indemniser les salariés de l'entreprise qui ont dû engager des frais exceptionnels de garde d'enfants à la suite d'une obligation professionnelle imprévisible survenant en dehors des horaires habituels de travail, dans la limite des frais réellement engagés ».

Ce crédit d'impôt s'imputerait sur l'impôt dû au titre de l'année au cours de laquelle l'entreprise a engagé ces dépenses. A défaut de base d'imputation, il serait restitué au contribuable par l'administration fiscale.

Il convient d'observer que, dès lors qu'elles sont engagées dans l'intérêt de l'entreprise, ces dépenses sont d'ores et déjà considérées dans le droit en vigueur comme des charges déductibles.

Le montant annuel de ce crédit d'impôt serait toutefois plafonné à 500.000 euros par entreprise , ce plafond s'appliquant le cas échéant à chacune des sociétés membres d'un groupe de sociétés et non pas au niveau de la société mère.

Ce dispositif s'appliquerait aux dépenses engagées à partir du 1 er janvier 2004.

Le gouvernement estime la dépense fiscale afférente à 10 millions d'euros en 2005.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre commission des finances partage les objectifs poursuivis par le dispositif proposé consistant notamment, conformément aux préconisations du rapport « Familles et entreprises » précité, à favoriser l'employabilité des salariés en congé parental d'éducation et à favoriser la création de crèches inter-entreprises à proximité du lieu de travail, en particulier « dans les zones industrielles et commerciales situées près des villes moyenne importance » 97 ( * ) .

Ce rapport soulignait en effet qu'il n'existait en France que 224 crèches « d'entreprises » accueillant 15.000 enfants, soit 0,7 % des enfants de moins de trois ans, et que la quasi-totalité d'entre elles étaient en fait des crèches d'hôpitaux, d'entreprises publiques ou d'entreprises anciennement publiques (comme le Crédit Lyonnais), la seule exception relevée par le rapport étant celle du journal Libération , accueillant 30 enfants et subventionnée à hauteur de 6 % par le journal, de 25 % par la Caisse d'allocations familiales (CAF) et de 25 % par la Ville de Paris.

Il convient toutefois de relever que le dispositif proposé s'inscrit sensiblement en retrait des conclusions de ce rapport, qui préconisait un crédit d'impôt égal à 50 % des dépenses engagées et étendu à d'autres types de dépenses (notamment le financement de structures pour les jeunes et les adolescents, ainsi que le coût des assurances d'ores et déjà souscrites par certaines entreprises, comme EDF, au bénéfice de leurs salariés pour la garde de leurs enfants en cas de maladie).

Inversement, on peut s'interroger à plusieurs titres sur la portée, l'efficacité et l'évaluation du coût du dispositif retenu .

En premier lieu, la notion de « dépense visant à indemniser les salariés de l'entreprise qui ont dû engager des frais exceptionnels de garde d'enfants à la suite d'une obligation professionnelle imprévisible survenant en dehors des horaires habituels de travail, dans la limite des frais réellement engagés » semble de prime abord remarquablement difficile à cerner et, pour l'administration fiscale, à contrôler : à quelles conditions ces frais de garde sont-ils « exceptionnels » ? Qu'est-ce qu'une « obligation professionnelle imprévisible » ? Comment établir les « horaires habituels de travail » pour les cadres ? Que se passe-t-il dans le cas, a priori fréquent, où ces frais de garde, notamment s'ils sont acquittés sous la forme de chèques emplois-service, donnent lieu à une réduction d'impôt sur le revenu pour le salarié concerné ?

Par ailleurs, aucune limite d'âge n'est prévue pour les enfants concernés, ce dont on peut d'ailleurs se féliciter à certains égards, puisque le dispositif pourrait ainsi s'appliquer à des enfants handicapés adultes. Au total, ce volet du dispositif semble d'un intérêt relativement restreint, compte tenu notamment de son coût de gestion par les entreprises comme par l'administration, et du risque de contentieux associé. Le rapport « Familles et entreprises » constatait d'ailleurs que, quoique « théoriquement avantageux pour l'entreprise comme pour le salarié », le Titre emploi service créé en 1996 et géré par les comités d'entreprises, dont l'esprit est similaire et le champ d'intervention beaucoup plus large, puisqu'il permet de payer l'ensemble des services réalisés au domicile des salariés par un prestataire agréé, n'en n'a pas moins connu un « développement confidentiel ».

En second lieu, le dispositif proposé s'écarte sur un point important des préconisations du rapport « Familles et entreprise » en rendant éligible au crédit d'impôt les dépenses de rémunération aujourd'hui exposées par des entreprises en application de conventions collectives en faveur de leurs salariés en congé de maternité ou de paternité, en congé parental d'éducation ou en congé pour enfant malade. Corollairement, le présent article n'évite pas « l'effet d'aubaine » identifié par le groupe de travail à l'origine du rapport précité. Cela peut se justifier compte tenu d'un risque inverse identifié lui aussi par ce groupe de travail : l'exclusion des dépenses de rémunération engagées par les entreprises en application de conventions collectives en faveur de leurs salariés en congés pour raisons familiales pourrait inciter les branches concernées à renégocier ces conventions collectives dans un sens moins protecteur des salariés, ce qui serait évidemment contraire à l'objectif poursuivi. Cet effet d'aubaine conduit toutefois à émettre quelques doutes sur le chiffrage du coût de la mesure proposée.

On peut d'ailleurs s'interroger sur le plafonnement du crédit d'impôt à 500.000 euros par entreprise , qui semble n'avoir d'autre objectif que de limiter l'effet d'aubaine précité pour les grandes entreprises régies par les conventions collectives banque et assurance et, plus généralement, de maîtriser le coût potentiel d'un dispositif que l'administration appréhende en fait fort mal, mais qui n'est pas sans effet pervers, puisque ce montant est relativement faible au regard du coût de l'investissement nécessaire à la création d'une crèche.

Enfin, on peut plus généralement s'interroger sur l'efficacité du premier volet du dispositif : compte tenu de l'insuffisance globale de places de crèches dans certaines localisations, ne vaudrait-il pas mieux accorder un avantage plus important aux dépenses d'investissement des entreprises en faveur de la création de nouveaux établissements, ce qui conduirait à une économie de fonds publics pour les collectivités locales ? Les entreprises ne peuvent-elles pas d'ailleurs d'ores et déjà créer les crèches via des fondations d'entreprises dans des conditions fiscales bien plus avantageuses (puisque ces dernières donnent droit à un crédit d'impôt égal à 60 % des dépenses engagées) ?

En conclusion, on peut aussi se demander si le dispositif proposé ne contrevient pas aux recommandations formulées en 2003 par le 21 ème rapport du Conseil des impôts au Président de la République, relatif à la fiscalité dérogatoire.

En effet, le dispositif proposé est pérenne , alors que le Conseil des impôts préconisait de n'autoriser les dépenses fiscales que pour une durée déterminée, et lors de la création de nouveaux dispositifs, de prévoir une période d'expérimentation avec un appareil adéquat de suivi et d'évaluation, ce qui se justifierait en l'espèce d'autant plus que les effets des dépenses fiscales proposées sont très difficiles à appréhender.

En outre, la portée des dépenses fiscales proposées est relativement faible, alors que le Conseil des impôts préconisait de supprimer les dépenses fiscales de faible portée, donc a fortiori de ne pas en créer de nouvelles, en soulignant notamment qu'elles « engagent, au delà de leur coût budgétaire en apparence faible, de nombreux frais administratifs (pour la gestion de l'impôt par les services, la production d'imprimés spécifiques, les contrôles, les contentieux, etc.) [et que] le champ des bénéficiaires effectifs ne correspond à la cible potentielle qu'au prix d'une information significative qui fait souvent défaut ».

Votre commission des finances ne pense pas que le présent article puisse avoir un effet significatif sur la satisfaction des besoins rencontrés dans le domaine de la garde des enfants de salariés, compte tenu de la grande complexité de cette nouvelle « niche  fiscale », mais, considérant que cette initiative va dans le sens d'une amélioration du dialogue social dans l'entreprise et pourrait, dans certaine situations, limiter les efforts réalisés sur les fonds des collectivités territoriales, elle n'y est pas opposée.

Décision de la commission : sous le bénéfice de ces observations, votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

* 96 Qu'elles soient assujetties à l'impôt sur les sociétés ou à l'impôt sur le revenu. Ne seraient en fait exclues du dispositif que les entreprises relevant du régime du forfait ou des régimes spécifiques réservés aux micro-entreprises.

* 97 Une convention-cadre pour le développement de l'accueil collectif de la petite enfance dans les zones d'activité a d'ailleurs été signée le 14 février 2002 entre l'Etat, la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution et l'Association nationale pour le développement des emplois de service.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page