CHAPITRE TROIS

L'IMPÉRATIVE DIMINUTION DES CHARGES DE RÉMUNÉRATION DE L'ÉTAT

I. LA RÉDUCTION DU NOMBRE DES FONCTIONNAIRES DOIT ÊTRE DÉSORMAIS LE PREMIER IMPÉRATIF BUDGÉTAIRE

A. LE NOMBRE DES FONCTIONNAIRES, PREMIÈRE VARIABLE D'AJUSTEMENT POUR INFLÉCHIR L'ÉVOLUTION DE LA DÉPENSE DE FONCTION PUBLIQUE

1. La montée en charge du coût des pensions est inexorable

La réforme des retraites n'a pas eu d'autre ambition que de freiner la progression du coût des pensions (infra) . Ainsi, pour tenter de contenir la part exorbitante des crédits de la fonction publique dans le budget de l'Etat, il faut nécessairement jouer sur la charge des rémunérations.

2. L'évolution des rémunérations individuelles obéit à des règles de progression dont il paraît difficile de s'abstraire

a) Les facteurs d'évolution des rémunérations

La rémunération moyenne des personnes en place (RMPP) de la fonction publique augmente sous l'impact de trois facteurs :

• les mesures générales , qui recouvrent essentiellement les revalorisations successives de la valeur du point de la fonction publique (les grilles de rémunération de la fonction publique sont exprimées en nombre de points) ; ces revalorisations sont souvent mises en perspective avec l'évolution du coût de la vie, car il n'existe plus de mécanismes d'indexation (leur effet avait été jugé inflationniste) ;

Les négociations salariales dans la fonction publique : un vaste champ d'application

Au-delà des 2,6 millions d'agents civils et militaires l'Etat et de ses établissements publics, il faut en effet comptabiliser dans l'emploi public :

- les 487.000 agents des exploitants publics de la Poste et de France Telecom ;

- les 1,435 million d'agents de la fonction publique territoriale ;

- les 843.000 agents de la fonction publique hospitalière (hors médecins) ;

- ainsi que 149.000 enseignants des établissements privés sous contrat.

Au total, on recense donc 5,4 millions d'agents publics 24 ( * ) pour une population active de 22,4 millions, soit plus d'un actif sur cinq . C'est la totalité de cette population qui est concernée par la négociation salariale dans la fonction publique, dont les effets excèdent donc largement le périmètre du budget de l'Etat.

• les mesures catégorielles , qui sont ciblées sur certains groupes d'agents ;

• le glissement-vieillesse-technicité (GVT), dit encore « GVT positif », qui résulte de l'effet de carrière, c'est-à-dire de la progression sur les grilles de rémunération, évalué à 2 % par an.

Il résulte de la combinaison de ces facteurs que l'augmentation de la rémunération des fonctionnaires est toujours largement supérieure à celle de l'inflation, comme en rend compte le tableau suivant :

Source: "jaune" "fonction publique" annexé au projet de loi de finances pour 2003

b) Le problème de la maîtrise de l'évolution des rémunérations

Des gains seraient évidemment à attendre d'un « écrasement » des grilles, afin de rendre les carrières moins progressives.

Cependant, il n'est pas dans la logique de la réforme de l'Etat de tasser les carrières, mais plutôt de s'acheminer vers des mécanismes d'incitation financière à la réalisation de gains de productivité ( infra ). De plus, le problème de la désaffection relative pour les concours administratifs incite plutôt à renforcer l'attractivité financière de la fonction publique.

En outre, une modification rapide de l'ensemble des grilles paraîtrait techniquement difficile à mettre en oeuvre étant donné le nombre de cadres 25 ( * ) .

Par ailleurs, sur le plan de l'équité, aucun instrument fiable ne permet aujourd'hui de mesurer l'évolution de la RMPP dans le secteur privé, si bien qu'il est impossible d'établir de façon certaine que les revalorisations ayant cours dans le public ou dans le privé seraient plus favorables.

Toutefois, une étude figurant dans le rapport bisannuel sur les rémunérations et les pensions de retraite de la fonction publique annexé au projet de loi de finances pour 2003 a montré que dans les années quatre-vingt-dix, le salaire moyen par tête (SMPT) avait cru nettement plus vite dans le secteur public que dans le secteur privé (tableau suivant).

Source: "jaune" fonction publique annexé au projet de loi de finances pour 2003

Ces chiffres, dont la presse s'était d'ailleurs faite l'écho, appellent certains éclairages.

Certes, même si ces évolutions ne rendent pas directement compte de celles qu'ont connues les personnes en place (RMPP) 26 ( * ) , elles laissent supposer qu'un écart qui atteint 6,2 % sur la période peut, dans une large part, leur être transposé.

Cependant, il faut tenir compte de l'évolution de la structure hiérarchique de la fonction publique de l'Etat, dont la proportion de cadres est passée de 29,5 % à 40,8 % (source INSEE) dans le même temps. Si l'on exclut les enseignants - dont la répartition par cadre a enregistré l'effet de la transformation des emplois d'instituteurs en emploi de catégorie A -, cette proportion est passée de 15 % à 19 % d'après le rapport annuel de la fonction publique de l'Etat.

Par ailleurs il est à noter que le différentiel de progression est fortement corrélé à la croissance : il est favorable au secteur privé en période de haute conjoncture, et favorable à la fonction publique en période de basse conjoncture (ce qui permet de conclure au rôle contra cyclique de l'inertie des rémunérations publiques).

Au total, la rémunération moyenne nette existant dans la fonction publique était, en 2000, supérieure de 14 % à celle des salariés du secteur privé, ce qu'explique une bien plus forte proportion de cadres (contenue à 16 % dans le secteur privé).

Votre rapporteur spécial se garde ainsi de toute conclusion définitive qui serait formulée en terme d'équité .

c) La rigueur actuelle

Toutefois, votre rapporteur spécial réitère son souhait de voir limiter à court terme, dans toute la mesure du possible, la progression de la valeur du point afin d'infléchir l'évolution des charges de rémunération ; les évolutions qui viennent d'être rappelées, même accompagnées des réserves qui précèdent, rendent certainement acceptable la modération salariale qu'impose actuellement un contexte de forte tension budgétaire.

Aussi , il estime opportun que la valeur du point n'ait pas été revalorisée depuis décembre 2002, que l'année 2003 soit une année « blanche », et que le budget pour 2004 n'anticipe pas sur les hausses susceptibles d'être consenties, nonobstant l'inconvénient d'une vraisemblable sous-évaluation des crédits.

Cette rigueur devrait se trouver tempérée par la perspective de l'instauration de règles nouvelles en matière de négociation salariale dans la fonction publique, applicables à compter de 2005, qui imposeraient, en particulier, des rendez-vous annuels . Il doit être rappelé que les dernières négociations salariales s'étaient soldées par un échec , qui remonte à janvier 2001.

Par ailleurs, votre rapporteur spécial se félicite également que, dans le même temps, les mesures catégorielles demeurent contenues : l'enveloppe distribuée s'élève ainsi à 408 millions d'euros en 2004, contre 805 millions d'euros pour 2003 et encore 455 millions d'euros en 2002.

3. Un recrutement visant au simple maintien des effectifs détournerait une part croissante des jeunes diplômés du secteur marchand

Une stabilité des effectifs de l'Etat de 2002 à 2010 conduirait à orienter vers l'Etat une part de plus en plus importante des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur (en particulier dans les filières où l'Etat recrute de façon significative). Ainsi, la part de l'Etat passerait de 14 % des jeunes diplômés 27 ( * ) en 2002, à 19,2 % en 2007. Cette part irait ensuite très légèrement décroissante jusqu'en 2010.

La part des jeunes diplômés orientés vers l'Etat se stabiliserait au niveau actuel si le flux de recrutement était limité à 80 % des départs en retraites de 2002 à 2005, puis environ à 70 % de 2006 à 2010.

4. La démographie des fonctionnaires offre une chance historique de diminuer sensiblement les effectifs

Les départs croissants des fonctionnaires qu'explique la structure démographique des effectifs de la fonction publique constituent une opportunité qu'il faut saisir. La proportion de fonctionnaires âgés de plus de cinquante ans dépasse 30 % dans certains ministères, comme l'enseignement supérieur et l'économie, les finances et l'industrie.

Le nombre de sorties définitives des agents de l'Etat ira croissant jusqu'à 2008 et se maintiendra à un niveau historiquement élevé jusqu'en 2015. L'occasion est ainsi offerte de diminuer sensiblement les effectifs de l'administration sans coût social ; le tableau suivant en rend compte.

Votre rapporteur spécial déplore toutefois que ces prévisions de départ n'intègrent toujours pas les effets de la réforme des retraites.

La réflexion menée sur la baisse des charges de fonction publique est encore lacunaire car elle consiste à raisonner sur les effectifs comme si la réforme des retraites n'existait pas, et à raisonner sur l'équilibre du régime des retraites comme si la baisse des effectifs, dont il faut espérer qu'elle aura lieu, était sans incidence sur le montant des cotisations.

Prévisions de départs définitifs de titulaires entre 2003 et 2018, par période de deux ans

Ministère

Effectif

réel concerné au 31.12.00

2003 / 2004

2005 / 2006

2007 / 2008

2009 / 2010

2011 / 2012

2013 / 2014

2015 / 2016

2017 / 2018

2003 / 2018

Education nationale (enseignement scolaire)

951.000

68.400

71.500

75.100

71.300

65.000

59.400

55.200

53.100

519.000

Economie finances et industrie

186.900

9.300

11.600

14.600

15.100

15.300

14.800

14.500

13.700

108.900

Intérieur

160.200

11.800

11.600

11.400

10.900

10.300

9.900

9.600

9.000

84.500

Universités

119.500

6.900

7.800

8.900

8.800

8.500

7.900

7.000

6.400

62.200

Equipement, transports

96.500

5.900

6.800

7.800

8.200

8.200

8.000

7.600

6.800

59.300

Justice

62.200

3.200

3.400

3.800

4.100

4.400

4.400

4.400

4.400

32.100

Autres ministères civils

84.800

4.300

4.900

5.800

6.200

6.400

6.500

6.500

6.300

46.900

Ensemble

1.661.100

109.800

117.600

127.400

124.600

118.100

110.900

104.800

99.700

912.900

Source : DGAFP

B. L'ESQUISSE D'UN PLAN DE STABILISATION DES CHARGES DE FONCTION PUBLIQUE : UNE POLITIQUE ÉNERGIQUE DE NON REMPLACEMENT DES DÉPARTS PROGRESSIVEMENT ÉPAULÉE PAR LA RÉFORME DES RETRAITES

D'une façon générale, la réduction des coûts est proportionnelle au taux de non remplacement , et elle ne devient sensible que dans la durée .

Le nombre de départs annuels évolue comme suit jusqu'en 2010 :

Départs annuels des agents civils de l'Etat jusqu'en 2010

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

53.900

55.900

57.500

60.100

62.067

65.333

62.767

61.833

Les tableaux suivants indiquent les économies à attendre du remplacement de 95 %, 75 %, 50 % et 0 % des départs, par rapport à une stabilisation des effectifs :

Remplacement de 95 % des départs

(en millions d'euros)

 

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Nombre de départs remplacés

53.105

54.625

57.095

58.963

62.067

59.628

58.742

Economie sur l'année

71,0

73,0

76,3

78,8

82,9

79,7

78,5

Réduction cumulée des crédits

71

144

220,3

299,1

382

461,7

540,2

Remplacement de 75 % des départs

(en millions d'euros)

 

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Nombre de départs remplacés

41.925

43.125

45.075

46.550

49.000

47.074

46.375

Economie sur l'année

354,85

365

381,5

393,95

414,7

398,4

392,5

Réduction cumulée des crédits

354,8

719,8

1.101,3

1.495,3

1.910

2.308,4

2.700,9

Remplacement de 50 % des départs

(en millions d'euros)

 

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Nombre de départs remplacés

27.950

28.750

30.050

310.33

32.667

31.383

30.917

Economie sur l'année

709,7

730

763

787,9

829,4

796,8

785

Réduction cumulée des crédits

709,7

1.439,7

2.202,7

2.990,6

3.820

4.616,8

5.401,8

Non-remplacement total des départs à la retraite

(en millions d'euros)

 

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Nombre de départs remplacés

0

0

0

0

0

0

0

Economie sur l'année

1.419,4

1.460

1.526

1.575,8

1.658,8

1.593,6

1.570

Réduction cumulée des crédits

1.419,4

2.879,4

4.405,4

5.981,2

7.640

9.233,6

10.803,6

Il apparaît que les gains peuvent être substantiels si la politique de non remplacement est énergique : en 2010, ils excèderaient 5 milliards d'euros en cas de non remplacement d'un fonctionnaire sur deux, et 10 milliards d'euros si aucun départ n'était remplacé.

A titre de comparaison, le gain attendu de la réforme des retraites approche les 10 milliards d'euros pour le régime de l'Etat, mais seulement en 2020. Pour 2010, le gain attendu est de l'ordre de 3 milliards d'euros.

* 24 Par ailleurs, il est à noter qu'environ 5 millions de personnes voient leur pension directement indexée sur la rémunération des fonctionnaires : 2,44 millions de personnes bénéficient d'une pension civile ou militaire de retraite et 620.000 bénéficiaires d'une pension versée par la CNRACL, 1,41 million de  bénéficiaires du régime de retraite complémentaire IRCANTEC ainsi que 484.000 personnes ayant droit à une pension militaire d'invalidité.

* 25 Il en est répertorié 1.570 dans la fonction publique de l'Etat.

* 26 Il convient de préciser que dans la fonction publique, l'écart entre l'augmentation de la SMPT et celle de la RMPP s'explique par l'« effet de noria » : les fonctionnaires entrants sont, en moyenne, recrutés à des conditions salariales bien inférieures à celles des fonctionnaires sortants. Cet effet, également désigné « effet entrée-sortie » ou « GVT négatif », est estimé depuis 2000 à - 2 % sur la masse des crédits de rémunération ; il s'équilibre ainsi avec l'effet de carrière (le GVT stricto sensu ou « GVT positif »), qui est évalué à + 2 %.

* 27 Recrutement à l'issue des concours externes à partir du niveau bac + 2.

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