III. LA NÉCESSITÉ DE MENER UNE ACTION RÉSOLUE ET CONCOMITANTE SUR DEUX FRONTS : LES RÉMUNÉRATIONS ET LES PENSIONS

Le tableau suivant permet d'apprécier la dérive attendue des charges de fonction publique, en 2010 et en 2020. Il tient compte de l'impact de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites.

Progression du coût des charges annuelles de la fonction publique civile

(en milliards d'euros)

 

en 2010

en 2020

Au rythme moyen des créations d'emploi observé de 1997 à 2002

Progression de la masse salariale

1,7

4,1

Progression des pensions

7,3

16,3

Progression totale

9

20,4

En cas de stabilisation des effectifs

Progression de la masse salariale

0

0

Progression des pensions

7,2

15,6

Progression totale

7,2

15,6

NB : Ces chiffres reposant sur l'hypothèse d'un gel du point de la fonction publique et d'une inflation nulle, ils peuvent être considérés comme rendant compte d'une progression exprimée en euros constants.

Source: réponse au questionnaire budgétaire

En l'absence de réforme des retraites, la progression des pensions serait à majorer de 3 milliards d'euros pour 2010, et de 7 milliards d'euros à l'horizon 2020.

A. LA FORTE INERTIE DES DÉPENSES DE FONCTION PUBLIQUE

1. L'existence de facteurs de croissance inéluctables

L'inertie de des dépenses de fonction publique est principalement due à des facteurs inéluctables désormais bien identifiés : le dynamisme des rémunérations individuelles ( infra ) et, pour les charges de pension, la démographie des fonctionnaires ( infra ).

Certains éléments particuliers, constituant autant de facteurs aggravant cette inertie à court terme, sont appelés à décliner.

2. Le déclin de certains facteurs aggravants

a) Les mesures de résorption de l'emploi précaire

La mise en oeuvre de la loi du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l'emploi précaire s'étale sur cinq exercices successifs. Cette loi donne suite au protocole d'accord du 10 juillet 2000 (voir encadré ). En théorie, les emplois étant déjà occupés, l'impact budgétaire se limite 17 ( * ) au coût additionnel lié au changement de régime de retraite.

Pour 2003, le coût des titularisations a pu être évalué à 1,9 million d'euros. Les recrutements ouverts en 2003 sont les plus importants depuis la parution de la loi, en raison du retard pris pour édicter les règlements d'application : 6.515 emplois ont été ouverts durant les huit premiers mois de l'année, contre 5.098 en 2002 et 2.990 en 2001.

Le plan de résorption de la précarité dans la fonction publique

Au mois de juillet 2000 , le ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat et plusieurs organisations syndicales de fonctionnaires ont conclu un accord, d'une durée de cinq ans , tendant à résorber la précarité dans la fonction publique.

En effet, en dépit d'un accord similaire conclu en 1996 - accord dit « Perben » -, qui arrivait à sa quatrième et dernière année d'application 18 ( * ) , la fonction publique comptait un grand nombre d'emplois précaires, parfois forts anciens.

Le même constat semblait devoir être dressé à l'issue de chaque plan de résorption de la précarité : « les administrations recrutent fréquemment de nouveaux agents non titulaires pour remplacer ceux ayant bénéficié d'une mesure de titularisation » notait ainsi le rapport annuel du ministère portant sur la période mars 1999-mars 2000.

De fait, il subsistait alors de nombreux emplois hors statut général dans les trois fonctions publiques :

- 80.000 personnes en contrat à durée déterminée dans la fonction publique d'Etat ;

- 320.000 dans la fonction publique territoriale ;

- 26.000 dans la fonction publique hospitalière.

Afin d'éviter que la précarité ne se reconstitue, l'accord signé en juillet 2000 concerne l'ensemble des catégories de fonctionnaires, et non pas exclusivement les fonctionnaires de catégorie C, comme le stipulait l' « accord Perben ». Tous les contractuels des trois fonctions publiques qui, au cours des huit dernières années, justifient de trois ans d'activité en équivalent temps plein, ont normalement vocation à être titularisés.

b) Le congé de fin d'activité (CFA)

Instauré en 1997, le CFA permettait aux agents de percevoir un revenu 19 ( * ) de remplacement égal à 75 % de leur traitement indiciaire. Il était ouvert à 58 ans 20 ( * ) , voire à 56 ans 21 ( * ) .

Ce congé s'avérait onéreux car les départs donnaient toujours lieu à remplacements, et le dispositif, qui ne faisait pas donc l'objet d'une gestion ciblée, semblait appelé à monter régulièrement en puissance.

La montée en puissance du CFA

Année

Dépense totale (en millions d'euros)

Nombre d'entrées dans le dispositif

1997

110,7

11.400

1998

233,9

7.015

1999

274

10.354

2000

334,2

11.444

2001

403,5

12.300

2002

456,8

11.945

Source: ministère de la fonction publique

En outre, le CFA s'inscrivait mal dans l'orientation européenne 22 ( * ) prise en faveur de l'augmentation des taux d'activité des travailleurs de plus de 50 ans.

La loi de finances pour 2003 a organisé la suppression progressive de ce dispositif.

L'extinction du régime du CFA

Jusqu'en 2002, le CFA était ouvert :

• à partir de 56 ans, aux agents justifiant de 37 années et demie de cotisation et de 25 années de services publics ;

• à partir de 58 ans, aux agents justifiant de 40 ans de cotisation et de 15 années de services publics ;

• sans condition d'âge, aux agents justifiant de 43 ans de cotisation tous régimes confondus, et de 15 années de services publics.

L'article 132 de la loi n° 2002-575 du 30 décembre 2002 portant loi de finances pour 2003 a instauré un mode d'extinction progressif -suivant des modalités proches de celles qui avaient été retenues pour l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE)- dont les caractéristiques sont les suivantes :

- âge minimal d'entrée dans le dispositif remplacé par une référence à la date de naissance ;

- abandon de la référence à une date butoir pour la validité du dispositif.

Ainsi peuvent désormais bénéficier du CFA :

• les agents nés avant le 31 décembre 1944 pouvant faire état de 37 ans et demi de cotisation et de 25 années de services publics effectifs ;

• les agents nés avant le 31 décembre 1946 pouvant faire état de 40 années de cotisation et de 15 années de services publics effectifs ;

• les agents justifiant au 31 décembre 2002 de 43 ans de cotisation tous régimes confondus, et de 15 années de services publics ;

• les agents justifiant au 31 décembre 2002 de 40 années de services publics pris en compte pour la constitution du droit à pension.

Les fonctionnaires se trouvant en position de congé de fin d'activité seront, pour nombre d'entre eux, amenés à demander la liquidation de leur pension après le 1 er janvier 2004, à l'issue du congé. En application de l'article 74 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, les conditions de liquidation des droits à retraite en vigueur lors de l'entrée en congé de fin d'activité de ces fonctionnaires seront prorogées.

Si, d'après les réponses au questionnaire budgétaire, « la distribution par âge des 24.126 agents en CFA au 31 décembre 2002 ne permet pas d'envisager une baisse brutale de la dépense dès 2003 », en revanche, « en 2004 (...) puis en 2005 (...) celle-ci devrait enregistrer une baisse significative ». Le ministère du budget a précisé qu'une économie de 140 millions d'euros était attendue pour 2004.

c) Les 35 heures

Le cadre général de l'instauration des 35 heures a été fixé par le décret du 25 août 2000, qui a disposé d'une mise en place effective au 1 er janvier 2002. La réduction du temps de travail s'est effectuée à effectif quasi-contant, le nombre d'emplois budgétaires créés à ce titre ayant été limité à 3.200 en 2002, représentant un coût de 184 millions d'euros. Parallèlement, le coût des mesures indemnitaires relatives à la rémunération des astreintes et des heures supplémentaires a pu être estimé à 660 millions d'euros pour 2002.

Evidemment, les améliorations apportées dans les différents services de l'Etat au titre de la réduction du temps de travail n'ont pu qu'entamer les réserves de productivité existantes .

Cependant, il est permis d'espérer que l'augmentation continue des gains de productivités finira par compenser les pertes de potentiel de travail liées à la mise en place de 35 heures, et se traduire plus facilement par des diminutions d'effectifs.

d) Le « compte épargne-temps »

Par ailleurs, il se trouve que les améliorations de l'organisation du travail se sont pas toujours avérées suffisantes, ou ont été impossibles (situations de travail posté), entraînant l'accumulation d'heures de récupérations et de jours de repos à prendre, et suscitant la création du « compte épargne-temps ».

La mise en place d'un « compte épargne-temps » par le décret du 29 avril 2002 aura pour effet de mettre l'Etat dans une position débitrice par rapport à ses agents, position qu'il faudra bien solder en temps, ou en argent (cette dernière possibilité n'existe, pour l'instant, que dans la fonction publique hospitalière, pour laquelle il une enveloppe de 1,256 milliard d'euros est requise). Cela revient à dire qu'une partie des futurs gains de productivité sera déjà gagée , et qu'à terme, le niveau des recrutements ne pourra qu'enregistrer l'impact de cette mesure.

Dans la perspective de l'instauration d'une gestion prévisionnelle des effectifs, mais aussi pour l'information légitime du Parlement, une réflexion portant sur l'instauration d'un indicateur consolidé qui exprimerait cette dette de l'Etat envers ses fonctionnaires semblerait opportune.

*
* *

En revanche, la baisse du nombre des emplois jeunes joue plutôt dans le sens d'une diminution des effectifs réels . Le gouvernement a bien pour objectif d'accompagner l'extinction progressive de ce dispositif dans les ministères concernés (éducation nationale, intérieur et justice pour 68.500 emplois au total en juin 2003), qui résulte de l'arrivée à leur terme des aides forfaitaires de 5 ans se rapportant aux embauches réalisées à partir de 1998.

Si l'accompagnement consiste notamment en la création du nouveau statut d'assistant d'éducation par la loi n° 2003-400 du 30 avril 2003 pour l'éducation nationale, et par l'élaboration d'un nouveau statut d'adjoint de sécurité pour l'intérieur, le nombre de postes ouverts sera néanmoins inférieur au nombre actuel des emploi jeunes.

B. DES PROBLÉMATIQUES IMBRIQUÉES

En premier lieu, une réflexion s'impose, qui procède d'une vision à long terme dont il revient tout naturellement au Sénat d'être le promoteur : les emplois de demain sont les pensions d'après-demain . Or les besoins de financement du régime de l'Etat seront encore vraisemblablement colossaux en 2040, malgré la réforme des retraites qui a été engagée (infra).

Ensuite, si l'action doit être concomitante, la réflexion doit être globale.

Ainsi, l' augmentation progressive de l'âge moyen du départ en retraite ne sera évidemment pas sans effet sur le potentiel de diminution de l'emploi public , qui dépend étroitement du nombre de ces départs. Des ajustements seront alors possibles : le non-remplacement des nouveaux pensionnés pourrait être d'autant plus général que leur nombre diminuerait.

Réciproquement, une diminution de nombre des fonctionnaires, qui cotisent pour la retraite, ne serait pas sans incidences sur l'évolution de la contribution d'équilibre versée par l'Etat-employeur.

Par ailleurs, le vieillissement subséquent des fonctionnaires en place (départs plus tardifs, moindres recrutements) est susceptible de constituer une difficulté supplémentaire dans le contexte de la réforme de l'Etat, qui engendrera immanquablement une accélération de l'évolution des missions et des emplois.

Toutefois, un changement des mentalités est attendu de l'ensemble des mesures prises par le gouvernement en faveur de l'activité des plus de 50 ans. Elle devrait être accompagnée, dans la fonction publique, par une évolution de la gestion du personnel propre à susciter de nouvelles attentes en terme d'emplois et de carrière de la part des fonctionnaires les plus âgés.

Enfin, les horizons ne sont pas exactement les mêmes : les mesures qui pourront être prises en terme d'effectifs et celles concernant les pensions n'auront pas le même impact 23 ( * ) au même moment. Les décisions touchant aux recrutements peuvent apporter un bénéfice moins différé que celui attendre des mesures concernant les pensions, qui se caractérisent par une application très progressive (infra) .

* 17 Les statuts particuliers des corps d'accueil comportent tous, à l'exception des corps enseignant et de recherche, une règle dite « du butoir », selon laquelle un agent titularisé ne peut bénéficier d'un traitement supérieur à celui qui était perçu dans son ancienne situation.

* 18 Sur la période 1997-1999, 29.895 agents ont été titularisés dans la fonction publique d'Etat, 8.522 titularisés dans la fonction publique territoriale grâce aux 403 concours réservés, et 3.157 reçus aux concours réservés de la fonction publique hospitalière.

* 19 En 2002, la durée moyenne du congé de fin d'activité était de 2 ans et 3 mois ; c'est seulement à l'issue du CFA que le fonctionnaire est rémunéré en tant que pensionné.

* 20 Avec 37,5 années de cotisation et 25 ans de service public.

* 21 Avec 40 années de cotisation et 15 ans de service public.

* 22 Le Conseil européen a tenu une réunion extraordinaire les 23 et 24 mars 2000 à Lisbonne afin de définir pour l'Union un nouvel objectif stratégique dans le but de renforcer l'emploi, la réforme économique et la cohésion sociale

* 23 Tout dépend du volontarisme comparé des mesures prises en matière d'emploi et de retraite.

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