2. Les faiblesses du dispositif institutionnel français de prévention des risques sanitaires environnementaux

a) L'absence de planification

S'il est incontestable que les indicateurs sur la pollution des milieux et sur la santé des populations se développent, ils restent encore inégaux, voire, dans certains cas, insuffisants. Ainsi que le souligne le rapport de l'IGAS précité, la surveillance est « variable selon les milieux en fonction de l'existence ou non de normes réglementaires et de leur ancienneté. Le suivi de la qualité des eaux de consommation destinées à l'alimentation humaine bénéficie d'une antériorité qui explique qu'il soit plus complet que celui de l'air extérieur (...) La connaissance de la qualité de l'air intérieur et des sols, qui ne font pas l'objet de normes, est encore embryonnaire (...) Les indicateurs relatifs aux sources de pollution sont encore plus disparates car ils dépendent pour une part de données détenues par les opérateurs économiques et sont difficiles à établir pour les sources diffuses. »

D'une façon générale, le développement des dispositifs de prévention des risques sanitaires liés à l'environnement s'est fait au coup par coup, en réponse à des crises sanitaires plus ou moins aiguës et face à des réactions émotionnelles de la population : ainsi, c'est sans aucun doute la panique, plus ou moins fondée scientifiquement, concernant la réduction de la couche d'ozone qui a conduit à l'édiction du premier véritable système de normes concernant la pollution atmosphérique.

L'analyse de la sécurité sanitaire environnementale reste par ailleurs encore trop cloisonnée : ainsi, la santé au travail reste largement hors du champ d'étude de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE), comme d'ailleurs de celui de l'InVS, alors même qu'il s'agit d'un milieu de vie dans lequel les personnes passent une grande partie de leurs journées.

Au total, cette brève analyse met en lumière une absence de planification et de priorités d'action en matière de sécurité sanitaire environnementale. Elle montre également la faiblesse de la coordination interministérielle dans ce domaine : alors que la prévention des pollutions est une préoccupation ancienne pour le ministère de l'environnement, les aspects sanitaires restent trop rarement pris en compte ; de même, bien qu'ils aient été mis en place depuis plus d'un siècle, les dispositifs de réduction des risques en matière de santé au travail, qui relèvent du ministère du travail, se limitent au suivi individuel des salariés.

b) Une gestion du risque fondée sur l'approche normative

La prévention des risques sanitaires environnementaux est principalement axée, en France, sur des systèmes de prévention collective et primaire, à travers la production de normes exprimées sous la forme de valeurs limites de polluants admises dans les milieux ou les produits.

Or ces systèmes ne sont pas entièrement convaincants en raison, pour l'essentiel, d'un manque de cohérence dans la conception même de ces normes :

- l'approche transversale par polluant est insuffisante : ainsi, en matière de pesticides, la teneur autorisée dans l'eau correspond, peu ou prou, à une interdiction de toute trace de ces produits, au nom d'une approche fondée - hors toute considération scientifique - sur le principe de précaution, celle acceptable pour les produits alimentaires est entre cent et mille fois supérieure, en vertu du seuil de nocivité pour la santé ;

- la réflexion sur les effets pervers des normes est quasiment inexistante : les risques de substitution d'un polluant par un autre sont ainsi rarement analysés.

Le rapport annuel de l'IGAS pour 2003 montre par ailleurs très justement que l'efficacité des normes n'est garantie qu'à trois conditions : « la cohérence du niveau d'exigence des normes portant sur les milieux avec les actions menées en amont sur les sources de pollution ; une compréhension partagée du caractère relatif des normes trop souvent assimilées à un seuil d'innocuité ; la capacité à assurer un contrôle approprié de ces normes. »

Deux exemples, tirés de politiques de gestion du risque sanitaire pourtant éprouvées, montrent à quel point le contrôle des normes reste insuffisant en France :

- dans le domaine de l'eau, l'arsenal législatif et réglementaire, très étoffé, ne prévoit aucune sanction administrative en cas de non-respect des normes relatives à la qualité sanitaire de l'eau distribuée, obligeant les autorités de contrôle à se placer d'emblée sur le terrain pénal. Il convient d'ailleurs de constater que le dispositif pénal reste lui-même partiel puisqu'il ne permet pas de sanctionner l'ensemble des manquements aux obligations relatives à la qualité de l'eau ;

- s'agissant du plomb, les contrôles du risque d'exposition sont limités à une seule source potentielle d'exposition : les revêtements muraux. Le dispositif de prévention primaire dans ce domaine reste également lacunaire car il ne s'exerce qu'à l'occasion des ventes de logement.

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Pour toutes ces raisons, le projet de loi relatif à la santé publique constitue une avancée importante, car il devrait permettre à la fois d'améliorer la planification des actions de recherche et de prévention en matière de sécurité sanitaire environnementale et de moderniser les dispositifs existants de gestion des risques, dans les domaines où les connaissances scientifiques permettent la mise en oeuvre d'actions concrètes de réduction des risques.

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