II. FRUIT DU DIALOGUE SOCIAL, LE PROJET DE LOI VISE À MODERNISER LES RELATIONS DU TRAVAIL PAR UNE PROFONDE RÉFORME DES RÈGLES DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE

Présentant son projet de loi à l'Assemblée nationale, M. François Fillon a insisté sur la portée de ce texte :

« Chacun doit bien mesurer la portée de ce projet. Il s'agit de repenser un système inchangé depuis des décennies en modifiant les règles posées par la loi de 1950 sur les conventions collectives. Derrière son caractère technique, c'est bien la modernisation de notre démocratie sociale qui est en jeu. Parler des règles de la négociation collective, c'est traiter des modalités de conclusion des accords, c'est aborder la légitimité de ces accords, c'est redéfinir les champs de négociation et les niveaux de compétence pour les négocier. C'est repenser l'articulation entre la loi et le contrat. En somme, c'est provoquer une nouvelle donne susceptible de modifier la nature des relations sociales. »

Cette « nouvelle donne » n'est néanmoins possible qu'à une double condition :

- que la réforme en cours s'appuie sur une initiative ou recueille l'assentiment des partenaires sociaux qui seront à l'avenir chargés de la faire vivre ;

- que le projet de loi s'attaque effectivement aux blocages juridiques qui ont progressivement conduit à figer le dialogue social dans notre pays.

Votre rapporteur a la conviction que ces deux exigences sont aujourd'hui réunies.

D'abord, le présent texte est lui-même le fruit du dialogue social puisqu'il reprend pour l'essentiel la Position commune du 16 juillet 2001 sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective signée par les trois organisations patronales et par quatre des cinq organisations syndicales représentatives au niveau national interprofessionnel.

Ensuite, il s'attaque directement aux trois principaux points de blocage au développement de la négociation collective : la légitimité incertaine des accords, l'articulation trop contraignante des différents niveaux de négociation et les failles de la couverture conventionnelle.

A. UNE RÉPONSE AUX ATTENTES DES PARTENAIRES SOCIAUX

1. Une demande ancienne et renouvelée, mais restée jusqu'ici lettre morte

Voilà plus de vingt ans que les diagnostics sur les crispations du dialogue social, établis le plus souvent d'ailleurs à l'initiative des partenaires sociaux eux-mêmes, se sont multipliés. Mais ces diagnostics sont la plupart du temps restés lettre morte tant il est vrai que l'engagement d'une réforme du dialogue social, même limitée à quelques points techniques, risquait immanquablement d'aboutir à une remise en cause fondamentale du système actuel.

Pourtant, les partenaires sociaux ont su prendre leurs responsabilités en proposant, à deux reprises, les voies et moyens d'une relance de la négociation collective.

a) L'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995

Le 31 octobre 1995 était conclu l'accord national interprofessionnel relatif aux négociations collectives 11 ( * ) .

Cet accord avait un double objet :

- d'une part, il s'agissait de favoriser la négociation collective dans les petites entreprises ne disposant pas de représentation syndicale ;

- d'autre part, il visait à revoir « les articulations entre les trois niveaux de négociation en clarifiant notamment la place et le rôle de chacun et en les inscrivant dans une dynamique d'ensemble. » 12 ( * )

Cet accord n'a toutefois pas pu fonder durablement une réforme de notre droit de la négociation collective.

Certes, la loi du 16 novembre 1996 a introduit les modifications législatives nécessaires à l'application des orientations de l'accord pour le développement de la négociation collective dans les petites entreprises. Mais cette loi n'était qu'expérimentale pour une durée de trois ans. Or, à son échéance, le précédent gouvernement, exclusivement focalisé sur la question du temps de travail, n'a ni cherché à les pérenniser, ni même engagé la moindre concertation visant à en tirer les conséquences.

Surtout, le second volet de l'accord, qui exigeait lui aussi des modifications législatives, n'a jamais été mis en oeuvre. Si le gouvernement d'Alain Juppé a certes commandé un rapport sur les perspectives d'une réforme des rapports entre la loi et la négociation collective 13 ( * ) , le précédent gouvernement n'a pas, là encore, jugé bon d'aller plus loin.

b) La Position commune du 16 juillet 2001

Face à la nouvelle situation de blocage du dialogue social issue notamment de l'application imposée de la réduction du temps de travail, les partenaires sociaux ont engagé, à partir de février 2000 et dans le cadre de la « refondation sociale », une nouvelle réflexion sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective.

Cette négociation a abouti à la Position commune du 16 juillet 2001, dans laquelle les partenaires sociaux ont fait part de leur souhait de « donner un nouvel élan à la négociation collective au sein d'un système performant de relations sociales, respectueux des personnes, des prérogatives du législateur et de l'ordre public social, et adapté à une économie diversifiée et ouverte sur le monde. »

Pour cela, ils ont formulé plusieurs propositions de réforme de notre droit de la négociation collective articulées autour de trois axes :

- développer la négociation collective notamment par une « articulation dynamique et maîtrisée des niveaux de négociation » , par un « mode adapté de conclusion des accords » et par une « généralisation de la représentation collective et de la possibilité de négocier » ;

- renforcer les moyens du dialogue social ;

- créer une dynamique de complémentarité entre le rôle de la loi et celui de négociation collective.

Certes, à la différence de l'accord national interprofessionnel de 1995 et même si son esprit est similaire, la Position commune ne constitue pas stricto sensu un accord. Il s'agit plutôt d'un relevé de conclusions, voire d'une adresse au législateur et au Gouvernement.

Mais, là encore, le précédent gouvernement choisit de ne pas donner suite à ces propositions, le Premier ministre de l'époque se contentant d'adresser, dès le 6 juillet 2001, - soit avant même la fin des négociations -, une fin manifeste de non recevoir aux demandes des partenaires sociaux :

« Notre système de relations professionnelles doit être renforcé. Même si l'analyse et les conclusions qui en sont tirées peuvent être différentes, ce constat est aujourd'hui très largement partagé ; il fait d'ailleurs l'objet d'une négociation entre partenaires sociaux sur les « voies et moyens de la négociation », dont les acquis seront certainement pris en compte dans nos réflexions.

« Ce thème renvoie à de nombreuses questions. Parmi celles-ci apparaissent notamment trois chantiers concrets, que nous pourrions engager rapidement : les moyens des organisations syndicales et professionnelles, l'insuffisante représentation du personnel dans les entreprises, en particulier les plus petites d'entre elles et, enfin, la place des salariés dans les processus de décision économique. Je suis, bien entendu, ouvert aux autres propositions que vous pourriez faire à ce sujet. »

* 11 Cet accord a été signé par le CNPF, la CGPME, la CFDT, la CFTC et la CGC.

* 12 Selon les termes mêmes du préambule de l'accord.

* 13 Rapport de M. Yves Robineau, « Loi et négociation collective », 15 mars 1997.

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