C. LA MISE EN oeUVRE DE LA LOI : ENTRE DIALOGUE ET PÉDAGOGIE

1. L'apport de l'Assemblée Nationale : priorité au dialogue et à l'évaluation

Le Président de la République avait souhaité que la voie du dialogue soit toujours privilégiée dans l'application de la loi . L'exposé des motifs l'avait souligné. Les députés ont décidé d'inscrire explicitement cette précision dans le texte de loi. La sanction, à savoir l'exclusion définitive, devra toujours être le recours ultime. Dans tous les cas, elle sera considérée comme un échec.

Il s'agit, de fait, de la solution qui est déjà mise en oeuvre au sein des établissements scolaires. Depuis 1994, elle trouve un relais au niveau national, par la désignation de la médiatrice de l'Education nationale pour les questions relatives au port du voile, Mme Hanifa Chérifi.

Le dispositif prévu initialement prenait déjà en compte cette exigence d'explicitation, d'explication et de dialogue :

- en amont de l'entrée en application de la loi , cette dernière devant prendre effet à compter de la rentrée scolaire suivant sa publication, c'est à dire en septembre 2004. L'exposé des motifs précise que « ce délai permettra de procéder à un important travail d'explication, d'échange et de médiation, notamment avec les autorités religieuses de notre pays », et sera mis à profit par les établissements scolaires pour adapter leur règlement intérieur ;

Cette phase de dialogue, qui prévoit la participation des autorités religieuses, est nécessaire, mais elle ne saurait conduire à transiger sur le principe de laïcité et sur la règle fixée.

Comme l'a annoncé le ministre lors de son audition, une circulaire, qui sera adressée prochainement aux chefs d'établissement, indiquera dans quelles conditions précises les règlements intérieurs devront traduire les dispositions de la loi.

- tout au long de son application , le même exposé des motifs indiquant que la mise en oeuvre de la loi devra être assurée « en usant du dialogue et de la concertation, et en recourant à une démarche fondée sur l'explication et la persuasion, soucieuse de faire partager aux élèves les valeurs de l'école républicaine ».

La proposition de disposition législative de la commission Stasi intégrait d'ailleurs cette phase première de dialogue, en prévoyant que « Toute sanction est proportionnée et prise après que l'élève a été invité à se conformer à ses obligations ». Le rapport poursuit en précisant que « cette nouvelle règle sera explicitée et déclinée par le biais des règlements intérieurs et des cours d'éducation civique » ; « la sanction ne doit intervenir qu'en dernier recours. Les procédures actuelles de médiation et les efforts d'accompagnement doivent être maintenus, voire développées, vis-à-vis des élèves concernés et de leurs familles. »

SONDAGE CSA POUR LE MONDE ET LA VIE , 5 FÉVRIER 2004

Question posée aux enseignants : Quelle serait, une fois la loi votée, votre attitude face à une ou plusieurs jeunes filles se présentant voilées dans votre classe ?

- 65 % chercheraient à trouver un compromis avec les élèves concernées, et, en cas d'échec, se prononceraient pour l'exclusion ;

- 19 % exigeraient le retrait du voile et se prononceraient pour l'exclusion si les élèves conservaient leur voile ;

- 15 % se prononceraient contre l'exclusion, même après avoir échoué à trouver un compromis.

Enfin, à l'initiative du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, l'application de la loi fera l'objet, au bout d'un an, d'une évaluation . Celle-ci, présentée par le député M. René Dosière comme une « garantie » pour mesurer l'efficacité de la loi, sera destinée à identifier et apprécier ses difficultés d'application éventuelles , notamment liées à l'interprétation de la rédaction retenue.

2. La laïcité à l'école nécessite un effort de pédagogie

Ce projet de loi n'est qu'une première étape, qui, tout en étant nécessaire, ne sera évidemment pas suffisante, encore moins autosuffisante. L'ensemble des personnes que nous avons auditionnées, ainsi que la majorité des députés, à la suite du Premier Ministre, ont souligné la nécessité de la mise en oeuvre de mesures d'accompagnement de la loi.

Les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur mission prouvent, en effet, que la laïcité à l'école n'est pas réductible au port de signes religieux. C'est pourquoi l'Assemblée nationale a adopté un amendement modifiant l'intitulé du projet de loi. Initialement « Projet de loi sur l'application du principe de laïcité dans les écoles, les collèges et les lycées publics », celui-ci devient : « Projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ».

Cette mesure traduit la nécessité d'accompagner l'entrée en application de la loi de toute une série de dispositions destinées à renforcer la cohérence et la compréhension de notre pacte laïque.

Ainsi, le ministre de l'éducation nationale a annoncé la diffusion prochaine d'un « livret républicain », destiné à renouveler l'approche pédagogique de l'éducation civique.

En outre, l'enseignement du fait religieux doit être renforcé . M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, a pris l'engagement, en séance publique à l'Assemblée nationale, de faire figurer cette exigence, étendue à l'enseignement de la laïcité, dans la future loi d'orientation sur l'école. C'est ce qu'a suggéré, dans la lignée des propositions du recteur Philippe Joutard en 1989 ou de Régis Debray en 2002, le rapport de la commission Stasi.

Par le « développement d'une approche transversale des phénomènes religieux », il s'agit « d'affirmer une laïcité active développant la connaissance raisonnée et l'approche critique », mais aussi d'améliorer la compréhension mutuelle entre les différentes cultures et traditions de pensées religieuses. C'est en effet de l'ignorance que naissent l'intolérance et le racisme, tous deux inacceptables, notamment à l'école.

Ainsi, le rapport de la commission Stasi présente cette nécessité comme le corollaire d'une réelle liberté de conscience des citoyens en puissance : « Si elle se limite à une conception étroite de la neutralité par rapport à la culture religieuse ou spirituelle, l'école contribue à la méconnaissance des élèves en ce domaine et les laisse désarmés, sans outil intellectuel, face aux pressions et aux instrumentalisations des activistes politico-religieux qui prospèrent sur le terreau de cette ignorance. Remédier à ces carences est une urgence sociale. En cela, l'école doit permettre aux élèves d'exercer leur jugement sur les religions et la spiritualité en général dans la multiplicité de leurs manifestations (...) La laïcité crée une responsabilité à la charge de l'Etat. Favoriser l'enrichissement de la connaissance critique des religions à l'école peut permettre de doter les futurs citoyens d'une formation intellectuelle et critique. Ils peuvent ainsi exercer la liberté de pensée et de choix dans le domaine des croyances ».

Cela ne va pas sans rappeler les observations de Ferdinand Buisson, en 1882 : « Si, par laïcité de l'enseignement primaire, il fallait entendre la réduction de cet enseignement à l'étude de la lecture et de l'écriture, de l'orthographe et de l'arithmétique, à des leçons de choses et de mots, toute allusion aux idées morales, philosophiques et religieuses étant interdite comme infraction à la stricte neutralité, nous n'hésitons pas à dire que c'en serait fini de notre enseignement national ».

Cette exigence renvoie à un autre impératif, qui consiste à renforcer la formation des enseignants à la laïcité , dans ses dimensions historiques, philosophiques, ou sociales. Elle est actuellement lacunaire, ce qui accroît, chez nombre d'enseignants, leur sentiment d'isolement et d'impuissance.

Enfin, le présent projet de loi n'a de sens que s'il prend appui, plus largement, sur un renforcement de nos dispositifs d'intégration. Il s'agit de reconnaître, d'une part, le pluralisme religieux dans la société, et d'autre part, de combattre les discriminations, notamment religieuses.

C'est le sens des propositions de la commission Stasi, relayées, pour une grande partie d'entre elles, par le discours du Président de la République le 17 décembre 2003. Celui-ci a en effet annoncé toute une série de mesures destinées à réaffirmer le principe de laïcité dans notre pays : réaffirmation, par une disposition législative, du principe de laïcité à l'hôpital, adoption d'un « Code de la laïcité », qui sera remis aux fonctionnaires et agents publics, création d'un Observatoire de la laïcité, promotion du principe d'égalité entre les hommes et les femmes, engagement d'un programme de rénovation urbaine, aide aux jeunes dont le français n'est pas la langue maternelle, mise en place d'un contrat d'accueil et d'intégration pour les arrivants étrangers, lutte contre l'antisémitisme, création d'une autorité indépendante chargée de lutter contre toutes les formes de discrimination, à la suite du rapport remis au Premier Ministre le 16 février 2004 par le Médiateur de la République 38 ( * ) .

Ainsi, lors de l'ouverture des débats sur le projet de loi à l'Assemblée nationale, le Premier Ministre a présenté ce texte non pas comme un aboutissement, mais comme un point de départ, un « levier d'action ». Il a annoncé que sera prochainement présentée une disposition législative sur le respect de la laïcité dans les hôpitaux.

L'ampleur de la tâche est à la mesure de l'enjeu majeur autour duquel ce débat nous rassemble : faire en sorte que chacun, quelles que soient ses origines, sa religion, ses convictions, ait foi en la République, confiance dans sa capacité à offrir à tous un destin commun. La laïcité pourra retrouver son évidence, chacun étant convaincu de sa capacité à assurer l'intégration de tous dans la communauté nationale, par-delà les différences qui font notre richesse et notre diversité.

* 38 Rapport au Premier Ministre, présenté par M. Bernard Stasi, « Vers la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité », 16 février 2004.

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