f) L'évolution préoccupante des frais de justice

Votre rapporteur spécial a déjà exposé, à propos de l'exécution de la loi de finances pour 2003 (voir supra, partie I) que les frais de justice avaient progressé de 30 % en deux ans (entre 2001 et 2003), et l'analyse que la Cour des comptes avait dressée de cette évolution inquiétante. La progression de ceux-ci entre 2002 et 2004 s'établit à plus de 40 %, selon des estimations de la chancellerie au 1 er octobre 2004.

(1) Evolution des dotations initiales
 
 
 
 
 
 

(en millions d'euros )

Année

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

PLF 2005

Dotation LFI

248,103

266,565

283,215

277,169

293,191

310,101

338,151

358,105

Evolution en millions d'euros

19,666

18,462

16,650

-6,046

16,022

16,910

28,050 (1)

19,953 (2)

Evolution en %

8,6%

7,4%

6,2%

-2,1%

5,8%

5,8%

9,0%

5,90%

(1) Ajustement intégrant un transfert de 3,05 millions d'euros provenant du chapitre 46-01 ; hors transfert, l'ajustement est de 25 millions d'euros.

(2) Cet ajustement tient compte de la taxation de 2 % supportée par les frais de justice intégrés dans le chapitre 37-30 art 30 relatif aux expérimentations de globalisation des crédits dans le cadre de la LOLF ; hors taxation, l'ajustement est de 20 millions d'euros.

Après une période de ralentissement qui s'est traduite par une diminution des crédits ouverts en 2001, les dotations inscrites en loi de finances initiale sont de nouveau en progression. En 2001, la dotation baisse pour prendre en compte le recul de la dépense constatée en 1999. Depuis 2002, les crédits inscrits en loi de finances initiale sont en progression constante, compte tenu de l'évolution tendancielle des frais de justice à la hausse liée à la mise en application de réformes et au recours de plus en plus incontournable aux technologies modernes pour la recherche de la vérité.

Au titre du projet de loi de finances pour 2005 sont prévus, sur le chapitre 37-11 :

- un ajustement de 19,36 millions d'euros, pour tenir compte de l'évolution des dépenses :

• article 10 : + 9,20 millions d'euros ;

• article 20 : + 10,16 millions d'euros ;

- une mesure nouvelle de 0,64 million d'euros destinée à financer l'accès des sourds et des malentendants à la justice civile ;

soit, au total, 20 millions d'euros.

(2) Evolution des dotations finales, en gestion
 
 
 
 
 

(en millions d'euros)

Année

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

Dotation finale

248,103

266,565

258,823

271,070

288,190

338,000

338,15

Dotation initiale

248,103

266,565

283,215

277,169

293,190

310,100

338,15

Différence

0,000

0,000

-24,392

-6,099

-5,000

+27,900

0,000

(3) Evolution globale de la dépense effective depuis 1998
 
 
 
 
 

(en millions d'euros)

 

Année

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004 (1)

Dotation finale

248,103

266,565

258,823

271,070

288,190

338,000

338,151

Dotation initiale

248,103

266,565

283,215

277,169

293,190

310,100

338,151

Dépense

247,059

243,140

258,361

262,010

290,090

341,431

410,865

Solde

1,044

23,424

0,462

9,060

- 1,900

- 3,43

-,72,71

 
 
 
 
 
 
 
 

Evolution de la dépense en %

5,44%

-1,59%

6,25%

1,42%

10,72%

17,70%

20,34%

Evolution de la dépense

12,757

-3,918

15,220

3,649

28,080

51,341

69,434

(1) Prévision au 1 er octobre.

Les frais pénaux représentent 74 % de la dépense totale des frais de justice.

Deux principaux blocs de dépenses méritent d'être examinés :

- le domaine des frais criminels médicaux,

- le domaine de la téléphonie.

Ces deux blocs regroupés constituent près de la moitié de la dépense des frais de justice criminelle soit 46,19 %. Or, ils ont connu en 2003 une évolution sans précédent. Ils sont par voie de conséquence la cause essentielle du résultat de l'évolution des frais de justice pénale en 2003. Ils sont responsables de près de 70 % de cette évolution .

• Les examens médicaux :

Sous ce générique sont regroupés : les examens psychiatriques, (psychologiques et médico-psychologiques), les examens toxicologiques, biologiques ou radiologique, les autres examens médicaux.

Premier poste de dépense en volume (26,5 millions d'euros), les examens médicaux ont augmenté en 2003 de 22,5 %. L'évolution constatée provient d'abord de la revalorisation tarifaire de la consultation par un médecin généraliste. Elle résulte ensuite des effets de la loi n° 2003-87 du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants . Le décret d'application a été publié le 1 er avril 2003. Cette réforme a généré un volume supplémentaire de consultations médicales estimé à 25.000.

Les honoraires et indemnités alloués pour examens toxicologiques , biologiques et radiologiques ont connu, en un an, une majoration de 39,16 %. Ce poste de dépense est passé du 11 ème au 4 ème rang des frais de justice pénale entre 1998 et 2003 (20 millions d'euros contre 7,5 millions d'euros en 1998).

Les expertises biologiques auxquelles le juge a de plus en plus recours ainsi que l'alimentation des données au fichier des empreintes digitales sont à l'origine de la progression constatée de la dépense dont la courbe est orientée sans exception à la hausse depuis 1995. Cette évolution ne saurait s'infléchir compte tenu de l'extension du champ des infractions donnant lieu à l'enregistrement au fichier des empreintes digitales.

De plus, ce même poste de dépense se trouve « impacté » par les effets des dépistages de stupéfiants sur les conducteurs impliqués dans des accidents mortels ou corporels ou sur certains conducteurs présumés avoir commis certaines infractions.

Les examens psychiatriques, psychologiques et médico-psychologiques progressent de 11,42 %. Cette évolution traduit, d'une part, la prise en compte spécifique des droits de la victime dans la procédure pénale et, d'autre part, la « judiciarisation » de l'application des peines, qui accroît le nombre d'expertises ordonnées par les juges de l'application des peines.

• Les prestations dans le domaine de la téléphonie

Ce domaine, qui ne concerne pas seulement les interceptions mais également toutes les informations relatives aux données techniques liées aux communications, révèle une augmentation de la dépense de 50,23 %. Ce secteur de dépense représente, en 2003, 26 % des frais de justice pénale . Plus de 41 % de l'évolution de la dépense 2003 est lui est imputable.

Cette progression exponentielle traduit l'accroissement du nombre des interceptions sur le réseau mobile que les différents opérateurs sont en mesure de pratiquer aujourd'hui en grande quantité et qu'ils facturent dans des délais beaucoup plus rapides (réduction du délai de 6 mois à 1 mois). Ainsi, le nombre des interceptions sur mobile est passé de 3.024 (en mois interception) en 2001 à 10.500 en 2003 sur la base des informations obtenues à la fin du premier semestre.

Enfin 3 postes de dépenses appellent des commentaires :

Les frais d'interprètes et de traduction : + 30 %

Les juridictions apportent comme explication à ce phénomène l'augmentation très importante des procédures impliquant des étrangers et principalement venant d'Europe de l'est. Il apparaît également que les étrangers systématiquement disent ne pas comprendre le français ce qui est parfois faux, mais pour la régularité de la procédure un interprète est désigné.

L'évolution très forte des dépenses d'interprétariat depuis l'année 2000 doit être également rapprochée de l'évolution des interceptions sur mobile puisqu'il est fait appel à des interprètes pour traduire les communications en langues étrangères.

Les frais de gardiennage des scellés : +15,74 %

Cette évolution, en dépit des efforts fournis par les juridictions, n'est pas satisfaisante. Cependant, le volume de la dépense 2003 (14,6 millions d'euros) est inférieur au niveau de l'année 1999 (14,7 millions d'euros). A cet égard, la cour d'appel de Paris qui est celle qui concentre le plus gros volume de la dépense a réussi en 2003 à stabiliser ce poste (- 0,09 % avec une dépense de 4,06 millions d'euros).

(4) La recherche d'une maîtrise des dépenses de justice

Le système de décision ne semble pas permettre une maîtrise suffisante des dépenses. M. Dominique Perben, ministre de la justice, indiquait lui-même à la presse, le 22 septembre 2004 lors de la présentation du projet de budget de la justice pour 2005, qu'il n'était pas rare « de voir des prestations payées deux fois ou des factures honorées alors qu'elles ne correspondaient plus à des prestations utiles à la procédure ».

Le ministre de la justice a annoncé en conséquence un plan de rationalisation des dépenses qui reposera sur deux axes :

- une réforme des modes de gestion et la mise en place d'un système d'information qui permette un suivi des dépenses. L'instauration d'un système d'ordonnancement secondaire dont les chefs de cour assumeront la responsabilité va dans ce sens ;

- une rationalisation de la gestion « afin d'instaurer pour ces achats publics, finalement ordinaires dans leur nature, une relation normale de client à fournisseur ».

Dans la perspective de l'application de la LOLF, le dispositif suivi de la dépense mis en place en 1996 (suivi reposant sur la transmission par chaque cour d'appel, à périodicité semestrielle, des informations relatives aux dépenses correspondant à la consolidation semestrielle des paiements effectuées par les régies des juridictions de son ressort) s'est en effet révélé insuffisant pour permettre aux juridictions d'avoir une connaissance précise de la dépense engagée .

Le plan d'action en cours d'étude comporte plusieurs axes ayant pour objectif une meilleure maîtrise des coûts et une meilleure prévisibilité de la dépense de frais de justice.

- la maîtrise des coûts, par la fixation de tarifs réglementaires ou la négociation tarifaire.

Ainsi, dans le domaine des empreintes génétiques, des travaux ont été engagés en vue d'une tarification, par le code de procédure pénale, des analyses génétiques standard, dont le coût unitaire facturé au ministère de la justice par les laboratoires est beaucoup trop élevé par rapport au coût de revient estimé.

Dans le domaine des interceptions téléphoniques , le ministère a engagé des négociations , tant avec les loueurs de matériels d'interception qu'avec les différents opérateurs de téléphonie , pour aboutir à une baisse des coûts.

Il est envisagé de mettre en oeuvre, de manière coordonnée avec les autres départements ministériels concernés, les actions nécessaires à une meilleure maîtrise de cette dépense, nonobstant le fait que le recours aux interceptions téléphoniques est devenu un mode incontournable de recherche de la vérité.

Le nouveau cadre de gestion des frais de justice, outre la nécessité d'une comptabilité des engagements qu'il impose pour le respect du caractère bientôt limitatif des crédits , soulève la question de l'organisation de l'engagement comptable et de l'engagement juridique, organisation qui doit par ailleurs être compatible avec la « liberté de prescription » du juge et les délais de procédure .

Sous l'impulsion du garde des sceaux, a été mis en place au mois de septembre 2004 un groupe de travail chargé d'élaborer des propositions d'organisation du circuit d'exécution de la dépense de frais de justice , dans le respect de ces principes. Les missions de ce groupe de travail consistent plus précisément à définir les modalités d'engagement de la dépense (tant juridique que comptable), les modalités de mise en oeuvre d'une comptabilité des engagements (aujourd'hui inexistante) ainsi que les circuits de paiement (mandatement ou paiement par les régies). A cet égard, il aura également pour objet de valider le logiciel de comptabilisation des frais de justice en cours de développement dans la cour d'appel de Lyon, logiciel qui devrait permettre à la fois, un suivi budgétaire des frais de justice et un suivi analytique des dépenses par prescription, par procédure, par juridiction, et le cas échéant par prescripteur.

Par ailleurs, une réflexion est en cours pour instaurer à la chancellerie un service «référent» en matière de frais de justice, qui puisse constituer, pour les magistrats, une aide à la décision préalable à l'engagement juridique des dépenses atypiques, tant dans leur nature que leur montant .

Toutefois, le budget du ministère de la justice supporte aujourd'hui de nombreuses dépenses imputées sur frais de justice dont il n'est pas directement prescripteur, ce qui rend totalement impossible le suivi et donc la maîtrise de la dépense que la LOLF rend encore plus incontournable.

Ainsi, en particulier pour l'alimentation du fichier des empreintes génétiques, les officiers de police judiciaire peuvent-ils d'office, en application de la loi du 18 mars 2003, ordonner des expertises génétiques, alors qu'en l'état du droit antérieur l'enregistrement d'une empreinte génétique était de la compétence des magistrats du parquet qui ordonnaient l'analyse .

Votre rapporteur spécial appuie d'autant plus ces orientations que, d'une part, les crédits de frais de justice, aujourd'hui évaluatifs, auront un caractère limitatif à compter du 1 er janvier 2006 et que, d'autre part, l'amélioration souhaitable des conditions du « rendu de la justice » ne dispense pas de la rigueur de gestion. Les moyens dégagés par la Nation pour la justice doivent améliorer les conditions dans lesquelles celle-ci est rendue, non pas servir, de fait à alimenter des gaspillages irresponsables.

La commission des finances ne manquera pas de suivre attentivement l'évolution en la matière.

Il convient, enfin, de préciser que, pour ce qui est des crédits pour 2005, ils sont, précisément, majorés pour tenir compte de l'évolution des dépenses en la matière, tant en matière pénale (+ 9,2 millions d'euros) que civile (+ 10,16 millions d'euros). Par ailleurs, 0,6 million d'euros sont inscrits pour favoriser l'accès des sourds et malentendants à la justice civile et pénale (prise en charge des frais d'interprétariat).

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