Article 142 bis (nouveau)
(art. L. 650-1 nouveau du code de commerce)
Limitation de la responsabilité des créanciers pour soutien abusif

Cet article a été introduit par l'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement. Il a pour objet d'élargir au-delà de la seule conciliation les dispositions initialement prévues à l'article 8 du présent projet de loi prévoyant d'encadrer la mise en jeu de la responsabilité des créanciers pour soutien abusif . Cette limitation serait désormais mentionnée à l'article L. 650-1 nouvellement inséré dans le code de commerce.

1. Le droit en vigueur

Si, depuis l'article 60 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit 306 ( * ) , un texte détermine les conditions dans lesquelles un établissement de crédit peut décider de suspendre les concours financiers qu'il octroie à une entreprise, les obligations des établissements qui accordent ou maintiennent des crédits à des entreprises en difficulté ont été déterminées par la seule jurisprudence.

Or, selon la Cour de cassation, la responsabilité d'une banque peut être engagée, dans les conditions du droit commun, si cette dernière octroie un nouveau crédit ou maintient un crédit existant à une entreprise « dont la situation est irrémédiablement compromise » 307 ( * ) , cette notion se distinguant de la simple cessation des paiements et impliquant l'absence de toute possibilité raisonnable de redressement. Cette solution jurisprudentielle a d'ailleurs récemment été entendue à des organismes de recouvrement des cotisations sociales 308 ( * ) .

L'existence d'une responsabilité pour soutien abusif s'explique par le fait que, par un concours financier trop prolongé, l'établissement de crédit et, plus généralement, toute personne consentant un crédit à une entreprise en difficulté peut contribuer à maintenir de manière artificielle l'activité déficitaire du débiteur, causant ainsi un préjudice tant à ce dernier qu'à ses créanciers.

Dans le cadre de cette action, il convient alors que le demandeur prouve l'existence d'une faute de l'établissement bancaire. Celle-ci est caractérisée lorsque, notamment, un prêt a été accordé ou maintenu alors même que la situation irrémédiablement compromise du débiteur était connue de la banque 309 ( * ) . Il en est de même lorsque celle-ci a consenti de nouveaux crédits sans s'interroger sur leur utilité et la possibilité pour ces derniers de contribuer à un véritable redressement de l'entreprise 310 ( * ) .

Si la responsabilité pour soutien abusif constitue bien un risque réel pour les personnes qui consentent un crédit à une entreprise qui, par la suite, fait l'objet d'une procédure collective, elle n'a toutefois donné lieu qu'à un nombre limité de condamnations, même si le montant des dommages et intérêts octroyés a pu, dans certaines espèces, être relativement élevé.

2. Les modifications apportées par le présent projet de loi

Afin d'éviter que les personnes susceptibles d'aider financièrement l'entreprise, mais soucieuses de prévenir toute action contentieuse, s'abstiennent de lui apporter un concours financier alors que sa situation financière pourrait malgré tout être redressée, le projet de loi proposait initialement, dans son article 8, de limiter la responsabilité à deux hypothèses :

- la fraude. Il s'agissait d'éviter que des manoeuvres ne soient exercées par le créancier qui consentirait une avance ou un crédit au débiteur dans un but autre que celui de maintenir l'activité de l'entreprise ou d'assurer sa pérennité. Cette hypothèse reprenait ainsi, au niveau législatif, l'exclusion bien connue formulée par l'adage fraus omnia corrompit ;

- ou le comportement manifestement abusif. Si l'abus de soutien n'apparaissait ainsi plus, en tant que tel, sanctionable, l'abus manifeste restait en revanche susceptible de donner lieu à une action en réparation. Il est des cas en effet où le créancier bancaire ne peut ignorer que l'octroi de nouveaux crédits aura nécessairement des conséquences dommageables. Pour ces cas extrêmes, le principe de la responsabilité était donc maintenu, le juge compétent appréciant alors, au cas par cas, le caractère manifeste du soutien inconsidérément octroyé au débiteur.

Ces limitations à l'action en responsabilité pour soutien abusif ne devaient s'appliquer qu'au cas où les concours auraient été consentis au débiteur dans le cadre d'un accord homologué. A contrario , l'action en responsabilité pouvait être exercée dans les conditions du droit commun lorsque le concours était apporté dans un accord n'ayant pas fait l'objet d'une homologation. En revanche, elle s'appliquerait quelle que soit la qualité de la personne ayant consenti un crédit au débiteur.

La commission des lois de l'Assemblée nationale a souhaité modifier assez profondément cette disposition, tout en en conservant l'objet , qui reste essentiel : il est nécessaire de sécuriser la position des créanciers qui prennent le risque de soutenir un débiteur en difficulté.

En premier lieu, le champ d'application de la limitation de l'action en responsabilité serait étendu à l'ensemble des concours consentis au débiteur . Contrairement au dispositif initialement prévu pour figurer à l'article L. 611-11 du code de commerce, la limitation de responsabilité ne concernerait pas seulement les concours consentis au débiteur dans le cadre d'un accord de conciliation ayant donné lieu à homologation.

En deuxième lieu, les cas de mise en jeu de la responsabilité des créanciers seraient limités à :

- la fraude du créancier. La jurisprudence a en effet montré l'existence de pratiques telles que l'escompte d'effets fictifs ou de complaisance, la mobilisation par bordereau Dailly de factures ne correspondant pas à des créances réelles ou la circulation de traites de cavalerie. La participation du créancier à de telles pratiques doit ainsi l'empêcher de se prévaloir du régime de responsabilité limité institué par la présente disposition ;

- l'immixtion caractérisée du créancier dans la gestion du débiteur. Cette restriction renvoie à l'hypothèse, particulièrement rare, dans laquelle le créancier acquiert la qualité de dirigeant de fait en participant activement à la gestion du débiteur et en prenant seul des décisions importantes en ses lieu et place ;

- la prise de garanties disproportionnées par rapport aux concours consentis par le créancier. Les créanciers qui prendraient de telles garanties nuiraient aux autres créanciers, puisqu'ils réduiraient d'autant leurs propres garanties.

En dernier lieu, dépassant le cadre de la sanction normale de l'action en responsabilité que constitue l'octroi de dommages et intérêts à la victime de la faute commise par le créancier, le dispositif prévu par le présent article aurait pour effet de rendre nulles les garanties prises en contrepartie de ses concours, lorsque sa responsabilité a été reconnue.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 142 bis sans modification.

* 306 Codifié à l'article L. 313-12 du code monétaire et financier.

* 307 Cour de cassation, ch. commerciale, 5 février 1978, JCP éd. G. 1978, II, 19132, note Stoufflet.

* 308 Cour de cassation, ch. commerciale, 10 décembre 2003, JCP éd. G 2004, IV, 1297.

* 309 Cour de cassation, ch. commerciale, 19 janvier 1983, D. 1994, IR, p. 90.

* 310 Cour de cassation, ch. commerciale, 26 mars 1996, Bull. civ. IV, n° 95 ; 25 mars 2003, Bull. civ. IV, n° 50.

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