Article 142 ter (nouveau)
(art. L. 651-1 nouveau du code de commerce)
Champ d'application des actions en responsabilité
à l'encontre des dirigeants sociaux

Le présent article, inséré par l'Assemblée nationale à l'initiative de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, tend à apporter une clarification au champ d'application des sanctions financières.

Actuellement , l'article L. 624-2 du code de commerce définit les personnes dont la responsabilité pécuniaire est susceptible d'être mise en jeu. Il s'agit des dirigeants d'une personne morale de droit privé débitrice qui peuvent être des personnes physiques ou des personnes morales. Dans cette dernière hypothèse sont visées les personnes physiques représentants permanents des dirigeants personnes morales. La mise en jeu de la responsabilité pécuniaire des dirigeants sociaux suppose l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

Sous réserve de sa renumérotation (article L. 651-1 du code de commerce), le projet de loi initial ne proposait pas de modification à cet article.

Cependant, compte tenu de la nouvelle structuration du livre VI du code de commerce, l'Assemblée nationale, sur la proposition de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, a jugé nécessaire de préciser les mesures visées à cet article. En effet, le texte actuel n'indique pas à quelles actions il s'applique, se bornant à renvoyer « aux dispositions suivantes du présent titre ». Dans un souci de clarification, l'Assemblée nationale a remplacé cette référence pour viser les deux premiers chapitres du présent titre qui concernent les actions tendant à mettre en jeu la responsabilité pécuniaire des dirigeants.

Une autre modification prévue au paragraphe III de l'article 183 du projet de loi porte sur ce même article L. 651-1 en vue d'en étendre l'application à la procédure de sauvegarde.

Votre commission vous soumet un amendement de cohérence pour supprimer la référence à l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation comme condition préalable à la mise en jeu de la responsabilité pécuniaire des dirigeants sociaux. Elle serait inutile, le projet de loi précisant par ailleurs les conditions de recevabilité de chaque action aux articles 143 et 146.

Elle vous propose d'adopter l'article 142 ter ainsi modifié .

Article 143
(art. L. 651-2 nouveau du code de commerce)
Adaptation du régime de l'action en comblement de l'insuffisance d'actif

Le présent article, modifié par l'Assemblée nationale, a pour objet d'apporter des modifications techniques au régime de l'action en comblement de l'insuffisance d'actif afin de l'étendre à la sauvegarde tout en en limitant l'application au jugement de résolution du plan de redressement ou de sauvegarde . Par coordination, les règles de prescription de l'action et de l'affectation du produit de l'action seraient modifiées.

1. Le droit en vigueur

Les règles actuelles de l'action en comblement de l'insuffisance d'actif figurent à l'article L. 624-3 du code de commerce issu de la codification de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985.

A la différence des personnes physiques frappées de plein fouet dans leur patrimoine par une procédure collective, les dirigeants sont longtemps restés à l'abri des conséquences de la faillite de la société dans laquelle ils exercent. En effet, la personnalité morale constituait un moyen commode pour échapper au paiement des dettes et aux conséquences de la faillite. Un décret-loi du 8 août 1935 a mis fin à cette situation en instituant des poursuites à l'encontre des dirigeants d'une société en cessation des paiements. Le principe d'une sanction purement financière a été consacré par la loi du 16 novembre 1940 et repris dans la loi du 13 juillet 1967 à son article 99 célèbre pour sa rigidité 311 ( * ) et, de ce fait, peu appliqué.

La loi du 25 janvier 1985 a instauré un système, toujours en vigueur, plus clément pour les dirigeants de sociétés en cessation des paiements et plus adapté aux réalités économiques . Pour certains praticiens, « la loi de 1985 a allégé la responsabilité des dirigeants (...). Mais la réforme a surtout une portée psychologique : les dirigeants ne sont plus traités comme des suspects » 312 ( * ) .

L'action en comblement de l'insuffisance d'actif tend à faire supporter une partie des dettes d'une personne morale de droit privé soumise à une procédure collective en tout ou partie, avec ou sans solidarité, par tous ses dirigeants de droit ou de fait rémunérés ou non ou par certains d'entre eux ( premier alinéa de l'article L. 624-3 ).

Les principes de l'action en comblement de l'insuffisance d'actif sont calqués sur ceux de la responsabilité civile (premier alinéa de l'article L. 624-3), le requérant devant prouver l'existence :

- d'un préjudice , à savoir une insuffisance d'actif qui résulte d'une disproportion certaine entre l'actif et le passif ;

- d'une faute caractérisée 313 ( * ) , au sens d'une faute de gestion ;

- d'un lien de causalité , la faute devant avoir contribué au dommage.

Pour des faits identiques, l'action en comblement de l'insuffisance d'actif ne peut se cumuler avec la responsabilité civile de droit commun (Cour de cassation, chambre commerciale, 20 juin 1995).

Si cette procédure ressemble à l'action en responsabilité de droit commun, elle s'en singularise sur deux points :

- son champ d'application est plus large , la faute devant avoir contribué au préjudice sans que cette cause soit exclusive ou principale ;

- sa mise en oeuvre est plus restrictive car elle dépend étroitement du tribunal saisi de la procédure collective qui dispose d'une faculté totale d'appréciation sur la condamnation elle-même et le montant de la réparation 314 ( * ) . La faculté de modération du tribunal a conduit certains praticiens à considérer cette procédure plus indulgente pour les dirigeants que le droit commun mais également plus efficace car mieux adaptée à la capacité contributive des ressources des dirigeants. Comme l'a indiqué le ministère de la justice à votre rapporteur, en pratique il s'agit le plus souvent d'une mise à charge fort partielle.

L'action est recevable dans le cas d'un redressement judiciaire comme d'une liquidation judiciaire (premier alinéa de l'article L. 624-3). Son déclenchement suppose une insuffisance d'actif, ce qui ne soulève aucune difficulté dans l'hypothèse d'une liquidation ou d'un plan de cession. Elle se révèle plus incertaine s'agissant d'un plan de continuation qui prévoit le règlement de l'intégralité du passif ce qui, par définition, exclut une insuffisance d'actif. Une partie de la doctrine a critiqué la référence au plan de continuation « car on imagine mal une action sans intérêt à agir » 315 ( * ) , celle-ci allant parfois jusqu'à s'interroger sur le point de savoir si le législateur n'avait pas commis une « erreur d'inadvertance ».

La durée de la prescription de l'action en comblement de l'insuffisance d'actif s'élève à trois ans . Le délai court à compter du jugement ayant arrêté le plan de redressement ou prononcé la liquidation, ce qui correspond à la phase judiciaire au cours de laquelle le montant du passif peut être connu (deuxième alinéa de l'article L. 624-3).

Le sort des sommes recouvrées figure au troisième alinéa de l'article L. 624-3. Les versements des dirigeants entrent dans le patrimoine du débiteur afin de permettre le remboursement des créanciers. L'affectation du produit de l'action en comblement obéit à des règles différentes selon la procédure collective en cours :

- dans l'hypothèse d'une cession , depuis la loi du 10 juin 1994, ou d'une liquidation judiciaire , les sommes sont réparties entre les créanciers « au marc le franc », c'est-à-dire de manière égale entre les créanciers , sans tenir compte des privilèges, du super privilège et des droits de préférence. Cette solution avantage les créanciers chirographaires placés sur un pied d'égalité avec les créanciers privilégiés ;

- à l'inverse, dans l'hypothèse d'un plan de continuation , la redistribution des sommes s'effectue « selon les modalités prévues par le plan d'apurement du passif ». Cela signifie que les versements sont attribués dans l'ordre des privilèges et des droits de préférence.

Les dirigeants condamnés doivent bien évidemment exécuter le jugement du tribunal. A défaut, le code de commerce prévoit deux mesures permettant au tribunal :

- d'ouvrir une procédure collective à l'égard des dirigeants à la charge desquels a été mis tout ou partie du passif d'une personne morale (article L. 624-4 du code de commerce) 316 ( * ) et qui ne se seraient pas acquittés de cette obligation ;

- de prononcer la faillite personnelle du dirigeant (article L. 625-6 du même code) 317 ( * ) .

Actions en comblement de l'insuffisance d'actif

2001

2002

2003

Demandes en comblement de
l'insuffisance d'actif
dont nombre de condamnations

657

450

625

431

583

non communiqué

Nombre d'appel sur les actions en comblement de l'insuffisance d'actif

323

297

276

Source : Ministère de la justice - Répertoire général civil

2. Les modifications proposées par le projet de loi

Outre la renumérotation de l'article L. 624-3 qui deviendrait l'article L. 651-2 du code de commerce , le présent article propose des modifications techniques au régime de l'action en comblement de l'insuffisance d'actif.

? Son paragraphe dans la numérotation des députés, tend à modifier le premier alinéa de l'actuel article L. 624-3 sur deux points.

D'une part, il se bornerait à supprimer une mention inutile issue de la loi de 1985 tendant à prévoir que les dirigeants de personnes morales « rémunérés ou non » peuvent être soumis à l'obligation de comblement de l'insuffisance d'actif. La référence aux « dirigeants de droit ou de fait » mentionnée dans le dispositif paraît suffisante pour viser cette hypothèse. Il s'agit d'une modification de pure forme sans effet sur le droit actuel. Si ce souci de rigueur juridique mérite d'être approuvé, il ne saurait pour autant être interprété comme excluant les dirigeants bénévoles du champ d'application de cette sanction. Comme l'a indiqué la Cour de cassation 318 ( * ) , le dirigeant, même bénévole, a accepté une responsabilité qu'il doit assumer.

D'autre part, les hypothèses dans lesquelles cette action peut être mise en jeu seraient élargies à la « sauvegarde » instituée par le présent projet de loi qui s'ajoute « au redressement ou à la liquidation judiciaire ».

Sur la proposition de leur commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, les députés ont entièrement réécrit le premier alinéa pour y apporter deux modifications :

- l'une pour préciser dès le premier alinéa que l'action en comblement de passif pouvait être mise en oeuvre dans le cas de la « résolution d'un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire » ;

- la seconde pour mentionner que les dirigeants devaient avoir « contribué à la faute de gestion ». Cet ajout n'est pas sans conséquence par rapport au droit actuel. En effet, actuellement, le texte ne tient pas compte de la contribution des dirigeants à la faute et impose une responsabilité collective. Cette indication apporte donc une amélioration sensible au dispositif actuel en exigeant désormais que la faute du dirigeant soit prouvée, ce qui renforce le lien entre la faute commise par le dirigeant et la condamnation pécuniaire, ce qui donne plus de sens à cette dernière. On peut supposer que celle-ci pourra dès lors être mieux acceptée par le dirigeant fautif, du moins mieux adaptée à la gravité de la faute.

Votre commission vous soumet un amendement pour clarifier les règles applicables en cas de pluralité de dirigeants et, à cet effet, prévoir que la condamnation solidaire de plusieurs dirigeants ne pourra être prononcée par le tribunal que sur une décision motivée. Ainsi la participation à la faute pourra-t-elle être établie avec certitude.

Son paragraphe dans la numérotation des députés, tend à apporter deux modifications.

- Une clarification des conditions d'application de la procédure

Il clarifierait les règles applicables dans l'hypothèse d'un redressement judiciaire pour répondre aux critiques susmentionnées selon lesquelles le requérant est dépourvu d'intérêt à agir lorsqu'un plan de redressement est arrêté par le tribunal. A cet effet, il serait proposé d'insérer un nouvel alinéa à l'article L. 651-2 pour exclure toute condamnation d'un dirigeant sur le fondement d'une action en comblement de l'insuffisance d'actif en situation de redressement .

La mise en jeu de la responsabilité des dirigeants serait possible uniquement dans l'hypothèse d'une résolution du plan de redressement . En effet, en cas d'inexécution par le débiteur de ses engagements dans les délais fixés par le plan, le tribunal a la possibilité de prononcer la résolution du plan. Ce jugement donne lieu à l'ouverture d'une nouvelle procédure collective qui, depuis la loi du 10 juin 1994, ne peut être qu'une liquidation judiciaire. Il paraît logique que l'action en comblement de l'insuffisance d'actif redevienne recevable dès lors que l'intérêt à agir resurgit.

Par coordination avec l'instauration de la sauvegarde, la recevabilité de l'action en comblement de l'insuffisance d'actif serait étendue à l'hypothèse d'une résolution du plan de sauvegarde dont le régime serait similaire à celui du plan de redressement.

L'Assemblée nationale a approuvé ce dispositif qu'elle n'a modifié que par un amendement rédactionnel sur la proposition de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement.

Votre commission vous propose un amendement de suppression de cet alinéa redondant avec la précision ajoutée au premier alinéa par les députés prévoyant l'ouverture de l'action en comblement du passif en cas de résolution d'un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

- Des règles de prescription actualisées

Les règles de prescription de l'action seraient modifiées par coordination avec l'impossibilité d'intenter une action en comblement de passif lors du jugement arrêtant le plan de redressement.

Le point de départ du délai de prescription - dont la durée demeurerait inchangée (trois ans) - serait donc fixé à la date du jugement qui prononce la résolution du plan de redressement ou de sauvegarde . Cette modification ne serait pas sans conséquence sur la situation du débiteur.

La résolution du plan de redressement ou de sauvegarde pouvant intervenir à tout moment dans un délai maximal de dix ans, voire de quinze ans lorsque le débiteur est un agriculteur, la responsabilité du dirigeant serait donc susceptible d'être mise en jeu durant au maximum treize ans (et dix-huit ans pour un agriculteur), soit une période beaucoup plus longue qu'actuellement. Comme l'a souligné M. Xavier de Roux, rapporteur au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, ce dispositif paraît plus favorable au créancier qu'au débiteur, placé dans une « certaine insécurité juridique » 319 ( * ) .

? Le paragraphe dans la numérotation des députés, tend à tirer les conséquences des nouvelles règles de recevabilité de l'action en comblement de l'insuffisance d'actif en cas de redressement et de sauvegarde pour l'affectation des sommes versées aux créanciers par les dirigeants.

Les dispositions applicables dans l'hypothèse d'un plan de continuation seraient supprimées par coordination avec les modifications opérées aux paragraphes I et II.

En revanche, la solution actuelle qui prévaut pour la liquidation et la cession, selon laquelle les sommes sont réparties à égalité entre tous les créanciers , deviendrait la règle pour toutes les procédures. Cette modification paraît logique car la liquidation judiciaire deviendrait l'issue finale de toutes les hypothèses dans lesquelles l'action en comblement de l'insuffisance d'actif serait engagée.

? Par ailleurs, en marge du présent article, l'annexe du projet de loi ( tableau I ) prévoit l'abrogation de l'article L. 624-4 relatif à l'extension au dirigeant d'une procédure collective pour inexécution de la condamnation à combler le passif.

Plusieurs raisons expliquent la suppression de cette sanction. D'une part, l'ouverture d'une procédure dans ce cas de figure n'est pas déclenchée par l'état de cessation des paiements, ce qui ne correspond pas à la finalité économique de cette procédure. D'autre part, elle constitue un obstacle au droit de poursuite individuelle des créanciers qui demeurent sous la dépendance des auxiliaires de justice désignés par le tribunal. Enfin, cette sanction aboutit même paradoxalement à avantager le dirigeant à l'encontre duquel une liquidation judiciaire à titre individuel est prononcée. En effet, celui-ci bénéficie de l'effacement de ses dettes après la clôture de la procédure, ce qui place les créanciers dans l'impossibilité d'intenter une action individuelle contre le débiteur.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 143 ainsi modifié .

* 311 La loi de 1967 avait institué une double présomption de faute et de causalité, obligeant ainsi le dirigeant à prouver qu'il avait apporté à la gestion des affaires toute l'activité et la diligence nécessaires, ce qui en pratique était difficile à établir.

* 312 Yves Guyon - op.cit.

* 313 Une faute grave n'est cependant pas requise. Elle peut par exemple consister en une erreur de gestion ou une imprudence.

* 314 La Cour de cassation a cependant estimé que le tribunal ne pouvait condamner le dirigeant au paiement de sommes supérieures à l'insuffisance d'actif (ch. commerciale, 20 décembre 1988) .

* 315 M. Pierre-Michel Le Corre, article publié dans la Gazette du Palais, 19-20 décembre 2003.

* 316 Le projet de loi prévoit d'abroger cet article.

* 317 Cette disposition serait maintenue par le projet de loi, l'article L. 625-6 devenant l'article L. 653-6.

* 318 Ch. commerciale, 1 er avril 1981.

* 319 Rapport A.N n° 2095 de M. Xavier de Roux - XIIème législature - p. 409.

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