Article 144
(art. L. 651-3 nouveau du code de commerce)
Saisine du tribunal pour engager
l'action en comblement de l'insuffisance d'actif

Le présent article, modifié par l'Assemblée nationale, a pour objet de modifier la liste des personnes titulaires du pouvoir de saisir le tribunal pour engager l'action en comblement de l'insuffisance d'actif afin d'en exclure certains organes de la procédure et de l'étendre aux créanciers nommés contrôleurs en cas de carence du mandataire de justice.

1. Le droit en vigueur

Les règles actuelles de mise en oeuvre de l'action en comblement de l'insuffisance d'actif figurent à l'article L. 624-6 du code de commerce issu de la codification de l'article 183 de l'article du 25 janvier 1985.

Les autorités habilitées à saisir le tribunal sont limitativement énumérées . Tous les organes de la procédure sont mentionnés, en particulier l'administrateur, le représentant des créanciers, le commissaire à l'exécution du plan, lorsque lors de la cession, le passif n'était pas encore connu dans sa totalité, le liquidateur et le procureur de la République. Par ailleurs, le tribunal dispose également d'une faculté de se saisir d'office.

Ne figurent dans cette liste ni les autres dirigeants 320 ( * ) , ni les créanciers 321 ( * ) , même s'ils sont contrôleurs.

Par un renvoi aux articles L. 624-4 et L. 624-5, ces dispositions s'appliquent également à l'ouverture d'une procédure collective à titre de sanction à l'encontre du dirigeant qui ne s'acquitte pas de l'obligation en comblement de l'insuffisance d'actif et du dirigeant de mauvaise foi ou malhonnête.

2. Les modifications proposées par le projet de loi

Le présent article propose de renuméroter l'article L. 624-6 qui deviendrait l'article L. 651-3 du code de commerce.

Il tend à redéfinir le champ d'application du présent article en actualisant le renvoi aux règles de l'action en comblement de l'insuffisance d'actif définies à l'article L. 651-2 (et non plus L. 624-3). En revanche, les références aux articles L. 624-4 et L. 624-5 abrogés par l'annexe du projet de loi ( tableau I ) 322 ( * ) seraient supprimées. Les nouvelles règles de saisine prévues par le présent article seraient applicables à la nouvelle obligation aux dettes sociales instituée par l'article 146 du présent projet de loi qui renvoie à l'article L. 651-3.

La saisine du tribunal demeurerait ouverte :

- au liquidateur ;

- au « représentant des créanciers » devenu « mandataire judiciaire » ;

- au « ministère public », ce qui ouvrirait au parquet général de la cour d'appel une faculté de saisine du tribunal.

Seraient supprimées :

- la saisine d'office du tribunal. Cette modification, qui reprend une préconisation de la Cour de cassation dans son rapport d'activité pour 2002, se justifie doublement.

D'une part, le maintien de cette possibilité paraît incompatible avec la philosophie de la présente réforme qui tend à conforter la mission de prévention confiée au président du tribunal et à inciter le chef d'entreprise à faire part de ses difficultés au tribunal le plus tôt possible.

D'autre part, ce dispositif paraît contraire au droit à un procès équitable consacré par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En effet, la saisine d'office pourrait apparaître comme un pré-jugement susceptible d'introduire un doute sérieux sur l'impartialité du jugement. D'ailleurs, la jurisprudence de la Cour de cassation, constante sur cette question, a posé le principe d'une stricte séparation entre les autorités de poursuite et de jugement. Cette modification reprend une suggestion de la Cour de cassation mentionnée dans son rapport d'activité pour 2002, pour laquelle la suppression de la saisine d'office du tribunal trouve sa contrepartie dans le fait que « le ministère public, mieux informé qu'auparavant, se trouve en situation de provoquer de telles sanctions » ;

- la saisine de l'administrateur. Ce retrait du droit de saisine s'explique par le souci légitime du Gouvernement de mieux distinguer les deux métiers de mandataire et d'administrateur. En outre, selon les informations fournies par le ministère de la justice, la quasi-totalité de ces actions sont engagées dans le cadre d'une liquidation judiciaire. Cette modification aurait donc peu d'impact en pratique ;

- la saisine du commissaire à l'exécution du plan. Cette suppression reprend une préconisation de la Cour de cassation  dans son rapport précité.

Le présent article propose de compléter le texte par deux alinéas :

- l'un pour ouvrir la saisine du tribunal à « tout créancier nommé contrôleur » mais uniquement en cas de carence du mandataire de justice et dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat . La référence au « créancier contrôleur » exclut la saisine du tribunal par le contrôleur nommé d'office - c'est-à-dire l'ordre professionnel ou l'autorité compétente lorsque le débiteur exerce une profession libérale soumise à un statut réglementé 323 ( * ) . Ce dispositif complète l'article 35 du présent projet de loi (article L. 622-18 du code de commerce) qui pose le principe selon lequel tout créancier contrôleur peut agir dans le déroulement de la procédure au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers en cas d'inaction du mandataire en se substituant à ce dernier.

L'Assemblée nationale, sur la proposition de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, a encadré les conditions d'intervention des créanciers contrôleurs en faisant valoir que les nouvelles prérogatives dévolues à ces derniers risquaient de susciter des effets pervers de la part des « parties qui souhaiteraient l'utiliser pour exercer des pressions sur le débiteur » 324 ( * ) .

Afin de mettre en avant le caractère subsidiaire de l'intervention des créanciers contrôleurs, elle a jugé préférable d'ouvrir la saisine du tribunal non plus à chaque créancier mais à « une majorité des créanciers nommés contrôleurs ». Cette modification présente l'intérêt de garantir que les créanciers agissent dans l'intérêt collectif. D'ailleurs, les députés, dans un souci de clarté, ont mentionné explicitement que cette saisine devait être motivée par « l'intérêt collectif des créanciers ». Cette mention a été reprise de l'article 35 du projet de loi. Cet ajout qui rappelle que les créanciers ne peuvent introduire une action à titre individuel dans le cadre d'une procédure collective est bienvenu 325 ( * ) .

Afin d'éviter toute ambiguïté, votre commission vous soumet un amendement pour remplacer la mention relative à « une majorité des créanciers » -qui laisse une incertitude sur le nombre de créanciers nommés contrôleurs susceptibles d'intervenir- par une référence à « la majorité des créanciers » impliquant que plus de 50 % d'entre eux doivent intervenir.

L'Assemblée nationale a en outre précisé les conditions d'exercice de cette saisine en prévoyant qu'elle n'est recevable qu'« après une mise en demeure [ du mandataire ] restée sans suite dans un délai et des conditions fixés par décret en Conseil d'Etat ». Les députés ont mis en avant le souci d'éviter que s'instaure une saisine partagée entre le mandataire et chacun des contrôleurs. Il paraît en effet important à la fois de permettre aux créanciers de prouver la carence du mandataire et de s'assurer que ce dernier a été informé de la volonté des créanciers ;

- l'autre pour prévoir le paiement prioritaire par le débiteur des frais de justice 326 ( * ) engagés pour la mise en oeuvre de la procédure .

Ce dispositif tend à éviter que les créanciers contrôleurs à l'origine de la saisine du tribunal supportent seuls les frais d'une procédure qui bénéficiera à l'ensemble des créanciers. Laisser ces frais à leur charge serait inéquitable et de nature à vider de toute portée la faculté nouvelle qui leur est ouverte.

En outre, le droit actuel -inchangé par le projet de loi- reconnaît déjà, en cas de redressement ou de liquidation, une priorité aux frais de justice judiciaire dont le paiement s'effectue après celui des créances de salaires (article L. 621-32 du code de commerce).

Votre commission vous soumet un amendement pour prévoir une disposition analogue à celle introduite par l'Assemblée nationale pour les sanctions professionnelles à l'article 153 du projet de loi tendant à consacrer l'impossibilité pour le juge-commissaire de siéger dans la formation de jugement appelée à statuer sur l'action en comblement de l'insuffisance d'actif ainsi que de participer au délibéré . Cette disposition est de nature à renforcer les garanties attachées au droit à un procès équitable. Dès lors qu'elle s'appliquerait aux sanctions professionnelles, il paraît logique de l'étendre aux autres catégories de sanctions civiles, en l'espèce, pécuniaires.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 144 ainsi modifié .

* 320 Cour de cassation, ch. commerciale, 6 juin 1995.

* 321 Cour de cassation, ch. commerciale, 8 janvier 1985.

* 322 Voir infra, le commentaire de l'article 146 du projet de loi.

* 323 Voir supra, le commentaire de l'article 21 du présent projet de loi.

* 324 Rapport A.N n° 2095 de M. Xavier de Roux précité - p. 413.

* 325 Ce qui n'interdit pas à un créancier, victime d'un préjudice personnel, distinct du dommage résultant pour tous les créanciers de la procédure collective, d'intenter une action en responsabilité de droit commun contre le tiers responsable.

* 326 Les frais de justice comprennent les droits, taxes, redevances ou émoluments perçus par les greffes des juridictions, les débours tarifés, les émoluments dus aux avoués, les rémunérations réglementées des avocats, les frais de signification et de publicité. Ne sont pas compris les honoraires des mandataires de justice.

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