Article 8
(art. L. 611-11 nouveau du code de commerce)
Privilège de paiement pour les créanciers ayant consenti au débiteur
un nouvel apport de crédit ou fourni un nouveau bien ou service
- Limitation de la responsabilité pour soutien abusif

Cet article, entièrement réécrit par l'Assemblée nationale à l'initiative de sa commission des lois avec l'avis favorable du Gouvernement, tend à instituer un privilège pour les créanciers qui auraient consenti un crédit ou une avance au débiteur dans le cadre de l'accord amiable. A cet effet, il insèrerait un article L. 611-11 nouveau dans le code de commerce. En revanche, le dispositif initialement prévu, destiné à limiter les causes de mise en jeu de la responsabilité pour soutien abusif, a été supprimé par l'Assemblée nationale , au profit d'un dispositif nouveau, plus large, figurant à l'article 142 bis du présent projet de loi.

Actuellement, le régime du règlement amiable ne comporte pas d'incitation réelle pour les créanciers à participer au redressement de l'entreprise qui connaît des difficultés. En effet, si une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire s'ouvre après l'échec du règlement amiable, les créanciers ayant accepté de renoncer à certaines de leurs créances ou consenti au débiteur des liquidités nouvelles -ce que la pratique qualifie d'« argent frais » 78 ( * ) - ne bénéficient d'aucun traitement privilégié par rapport aux créanciers qui se sont abstenus d'apporter toute aide au stade amiable.

Le texte proposé pour rédiger l'article L. 611-11 du code de commerce a donc pour but d'inciter les créanciers à participer dès la procédure de conciliation à des mesures permettant de restaurer la situation économique et financière du débiteur. A cette fin, il prévoit d'instituer une priorité de paiement.

1. La création d'un privilège de paiement pour les nouveaux apports en trésorerie consentis et la fourniture de nouveaux biens ou services

Dans sa rédaction initiale, le premier alinéa du texte proposé par le présent article pour l'article L. 611-7 du code de commerce prévoyait le paiement « par privilège à toutes créances nées avant l'ouverture de la conciliation » du montant des « crédit et avance » consentis par les créanciers dans le cadre de l'accord amiable. Rappelons que l'opération de crédit est l'acte par lequel le créancier met à la disposition du débiteur une somme d'argent ou prend, au bénéfice du débiteur, un engagement tel qu'un cautionnement, un aval ou une garantie. L'avance s'analyse comme un paiement partiel effectué préalablement à l'exécution, même fragmentaire, d'une prestation convenue à l'avance.

Le privilège institué par cet article ne tendait donc à couvrir que ces deux types d'actes, à l'exception notamment de simples rééchelonnements de dettes du débiteur, le but recherché par le Gouvernement étant, à juste titre, de récompenser les créanciers qui, dans le cadre de la conciliation, apportent au débiteur « l'argent frais » qui lui est nécessaire pour surmonter ses difficultés.

A l'initiative de sa commission des lois et de son rapporteur, M. Xavier de Roux, l'Assemblée nationale a, avec l'avis favorable du Gouvernement :

- d'une part, limité le champ d'application du privilège créé par cet article aux seuls nouveaux « apports de trésorerie » consentis par les créanciers participant à l'accord de conciliation homologué par le tribunal, afin d'éviter que ce privilège puisse être appliqué à une simple promesse de mise à disposition de fonds ou à une garantie ;

- d'autre part, étendu son champ d'application au prix des nouveaux biens et services qui seraient fournis par les créanciers en application d'un accord homologué par le tribunal.

Le texte proposé instituerait un « privilège » et non une simple « priorité » de paiement. Ce choix terminologique tendrait à tirer les conséquences de la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle a jugé que, dans la mesure où l'article L. 621-32 du code de commerce définissait un ordre des priorités de paiement et non un ordre de privilèges, 79 ( * ) cet ordre ne pouvait être invoqué par les créanciers que dans le cadre de la procédure collective à laquelle il s'applique et ne pouvait donc l'être dans une procédure distincte, même subséquente. 80 ( * ) Dès lors, il serait désormais possible au créancier titulaire du privilège visé par la présente disposition de s'en prévaloir dans le cadre d'une autre procédure que celle au cours de laquelle il l'a acquis .

Il convient de souligner que pourraient seuls bénéficier du privilège susvisé les créanciers parties à un accord homologué dans les conditions qui seraient prévues par le II de l'article L. 611-8 dans sa rédaction issue de l'article 7 du présent projet de loi. Les créanciers qui auraient accepté de ne soumettre au juge l'accord intervenu avec le créancier que pour donner à ce dernier une force exécutoire n'auraient pas accès à ce dispositif. On peut donc penser qu'en pratique les créanciers inciteront fortement le débiteur à accepter de solliciter du tribunal l'homologation de l'accord.

Encore faut-il, selon le texte proposé, que l'octroi de ces liquidités ou de ces biens et services intervienne « en vue d'assurer la poursuite de l'activité de l'entreprise et sa pérennité ». Cette exigence s'explique par le souci des rédacteurs du projet de loi que les nouveaux financements soient affectés au maintien de l'activité et à la pérennité de l'entreprise, et ne servent pas d'autre but. Il appartiendra donc au juge de s'assurer, lors du paiement des créanciers et si des conflits surviennent, que les fonds nouveaux auront bien fait l'objet d'une telle affectation. Pour garantir l'existence de ce privilège, votre commission estime qu'il pourrait être utile que l'accord amiable prévoit expressément l'affectation des sommes versées par les « apporteurs d'argent frais ».

Ce nouveau privilège permettrait à son titulaire de voir sa nouvelle créance réglée avant toutes les autres créances nées avant l'ouverture de la conciliation. La solution s'inspirerait ainsi de celle qui est actuellement prévue -et conservée par le présent projet de loi- à l'égard des créanciers postérieurs au jugement d'ouverture qui bénéficient d'une priorité de paiement par rapport à la plupart des créanciers antérieurs.

En tout état de cause, l'exercice de ce privilège par son titulaire ne pourra s'effectuer que dans les conditions prévues aux articles L. 622-15 et L. 641-13 du code de commerce dans leur rédaction proposée par les articles 34 et 120 du présent projet de loi.

Rappelons que ces dispositions déterminent l'ordre de paiement des créanciers selon la nature des créances qu'ils détiennent sur le patrimoine du débiteur, et en fonction de la procédure judiciaire ouverte. Or, ces dispositions modifieraient la hiérarchie des créances afin d'assurer le paiement des créances bénéficiant du privilège prévu par l'article L. 611-11 dans sa nouvelle rédaction, par priorité aux créances postérieures au jugement d'ouverture, si ces dernières n'ont pas été réglées à l'échéance .

La position des créanciers ayant consenti au débiteur des avances ou des crédits dans le cadre de la procédure de conciliation serait donc particulièrement favorable, puisque leurs créances ne seraient primées que par les créances bénéficiant du super-privilège des salaires et les frais de justice, tant dans le cadre de la procédure de sauvegarde ou de redressement 81 ( * ) qu'au cours de la procédure de liquidation judiciaire 82 ( * ) .

A l'invitation du rapporteur de sa commission des lois et de M. Arnaud Montebourg, l'Assemblée nationale a également souhaité, avec l'avis favorable du Gouvernement, préciser que les créanciers signataires de l'accord homologué ne pourraient en aucune façon bénéficier directement ou indirectement du privilège ainsi institué pour les concours antérieurs à l'ouverture de la procédure de conciliation. Cette précision n'était sans doute pas nécessaire dans la mesure où le privilège ne saurait s'appliquer qu'à des apports nouveaux, ce caractère s'appréciant au jour de la conclusion de l'accord amiable.

Votre commission vous soumet un amendement afin de mettre en exergue que ce privilège ne peut en fait profiter aux créanciers visés par cette disposition qu'en cas d'ouverture d'une procédure collective consécutive à l'échec du règlement des difficultés de l'entreprise dans le cadre de l'accord amiable homologué.

Par un autre amendement , elle vous propose de préciser la rédaction de cet article en prévoyant que les créances bénéficiant du privilège de « l'argent frais » seraient payées selon le rang prévu par le II de l'article L. 622-15 et le II de l'article L. 641-13 du code de commerce . En effet, il ne s'agit pas de soumettre ces créances à la règle du paiement à l'échéance mais de leur faire bénéficier d'un rang privilégié par rapport aux autres créances antérieures, rang moins important que celui qui serait notamment octroyé aux créances par le super-privilège des salariés.

2. La limitation de la mise en jeu de la responsabilité pour soutien abusif

Dans sa rédaction initiale, le présent article prévoyait de faire figurer un second alinéa au texte proposé pour rédiger l'article L. 611-11 du code de commerce afin de limiter la mise en jeu de la responsabilité pour soutien abusif à l'égard des créanciers ayant consenti des avances ou des crédits à l'occasion de l'accord amiable . Cette mesure était destinée à protéger, en particulier, les établissements de crédit -que les auteurs du projet de loi souhaitent voir apporter de l'« argent frais » au débiteur- contre les actions en responsabilité civile qui pourraient être engagées, soit par le débiteur lui-même, soit par ses autres créanciers.

En effet, la responsabilité d'une banque peut être engagée, dans les conditions du droit commun, si cette dernière octroie un nouveau crédit ou maintient un crédit existant à une entreprise « dont la situation est irrémédiablement compromise » 83 ( * ) , cette notion se distinguant de la simple cessation des paiements et impliquant l'absence de toute possibilité raisonnable de redressement. Cette solution jurisprudentielle a d'ailleurs récemment été étendue à des organismes de recouvrement des cotisations sociales 84 ( * ) . Par un concours financier trop prolongé, l'établissement de crédit peut effectivement contribuer à maintenir de manière artificielle l'activité déficitaire du débiteur, causant ainsi un préjudice tant au débiteur qu'à ses créanciers.

Afin d'éviter que les personnes susceptibles d'aider financièrement l'entreprise, mais soucieuses de prévenir toute action contentieuse, s'abstiennent de lui apporter un concours financier alors que sa situation financière pourrait malgré tout être redressée, le texte proposait de limiter la responsabilité à deux hypothèses : la fraude ou le comportement manifestement abusif. Cette limitation ne devait s'appliquer qu' au cas où les concours auraient été consentis au débiteur dans le cadre d'un accord homologué . A contrario , l'action en responsabilité pouvait être exercée dans les conditions du droit commun lorsque le concours aura été apporté dans un accord n'ayant pas fait l'objet d'une homologation.

Ce dispositif a été supprimé par l'Assemblée nationale , à l'initiative de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, au profit de l'insertion d'un nouveau dispositif ayant un objet similaire mais plus circonscrit, inscrit à l'article 142 bis du présent projet de loi, dont le champ d'application couvrirait l'ensemble des procédures du livre VI du code de commerce . Ce régime de responsabilité serait en conséquence désormais défini en tête du titre V de ce livre, relatif aux « responsabilités et aux sanctions » 85 ( * ) .

Votre commission vous propose d'adopter l'article 8 ainsi modifié.

* 78 Ou encore dénommé « new money ».

* 79 Cour de cassation, ch. commerciale, 5 février 2002, Bull. civ. IV, n° 27.

* 80 Cour de cassation, ch. commerciale, 28 juin 1994, Bull. civ. IV, n° 244.

* 81 Voir infra, le commentaire de l'article 34 du présent projet de loi.

* 82 Voir infra, le commentaire de l'article 120 du présent projet de loi.

* 83 Cour de cassation, ch. commerciale, 5 février 1978, JCP éd. G. 1978, II, 19132, note Stoufflet.

* 84 Cour de cassation, ch. commerciale, 10 décembre 2003, JCP éd. G 2004, IV, 1297.

* 85 Voir infra, le commentaire de l'article 142 bis du présent projet de loi.

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