CHAPITRE IV
TRANSPOSITION DE LA DÉCISION-CADRE 2003/577/JAI
DU CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE DU 22 JUILLET 2003
RELATIVE À L'EXÉCUTION DANS LADITE UNION EUROPÉENNE
DES DÉCISIONS DE GEL DE BIENS OU D'ÉLÉMENTS DE PREUVE

Article 5
(art. 695-9-1 à 695-9-30 nouveaux du code de procédure pénale)
Emission et exécution des décisions de gel de biens
ou d'éléments de preuve

Cet article tend à transposer en droit français la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 22 juillet 2003 relative à l'exécution au sein de l'Union des décisions de gel des biens ou d'éléments de preuve. A cette fin, il insère une nouvelle section dans le chapitre II ( Dispositions propres à l'entraide entre la France et les autres Etats membres de l'Union européenne ) du titre X du livre IV du code de procédure pénale. Cette section s'articule autour de trois volets consacrés successivement aux dispositions générales, à l'émission d'une décision de gel par les autorités judiciaires françaises et, enfin, à l'exécution d'une décision de gel par les autorités judiciaires françaises.

Présentée en décembre 2000 par la France, la Suède et la Belgique, la décision cadre innove à plusieurs égards.

En premier lieu, elle couvre à la fois les demandes de gel portant sur des biens et celles concernant des éléments de preuve qui, jusqu'à présent faisaient l'objet d'instruments juridiques internationaux distincts.

La saisie d'éléments de preuve est actuellement autorisée par plusieurs conventions d'entraide judiciaire au premier rang desquelles la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959. La demande prend la forme d'une commission rogatoire internationale . Aux termes de l'article 5 de la Convention de 1959, les Etats signataires peuvent, s'ils le souhaitent, soumettre les commissions rogatoires aux fins de perquisition ou saisies d'objets à une ou plusieurs des trois conditions suivantes :

- l'infraction motivant la commission rogatoire doit être punissable selon la loi de la partie requérante et de la partie requise ;

- l'infraction motivant la commission rogatoire doit être susceptible de donner lieu à extradition dans l'Etat requis ;

- l'exécution de la commission rogatoire doit être compatible avec la loi de la partie requise.

Il est remarquable qu'en tant qu'Etat requis la France, à l'instar de la Grèce, d'Israël, de l'Italie et de la Lettonie et au contraire des trente-sept autres Etats parties à cette Convention n'ait retenu, au moment de la signature de la convention, aucune de ces conditions pour l'application de saisies ou de perquisitions. Ainsi, sous la réserve générale que l'exécution de la demande n'est pas susceptible de porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels, les autorités judiciaires sont tenues de procéder aux saisies et aux perquisitions concernant des faits qui ne constituent pas nécessairement une infraction au regard de la loi française.

Le gel des biens peut, quant à lui, être demandé par un autre Etat (ou à celui-ci) sous l'empire de trois conventions internationales : la convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 20 décembre 1988 57 ( * ) , la convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime du 8 novembre 1990 58 ( * ) et, enfin, la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale du 12 décembre 2000. Lorsque la France est Etat requis, il appartient au président du tribunal de grande instance, saisi à cette fin par le procureur de la République, de décider les mesures conservatoires concernant les biens dont le propriétaire ne pouvait ignorer l'origine ou l'utilisation frauduleuse et qui sont susceptibles d'être confisqués dans des circonstances analogues selon la loi française. La décision autorisant l'exécution de mesures provisoires est prise, aux frais avancés du Trésor, selon les procédures civiles d'exécution.

Lorsque la France est Etat requérant, le juge des libertés et de la détention peut ordonner en application de l'article 706-103 du code de procédure pénale des mesures conservatoires sur les biens, meubles ou immeubles, divis ou indivis de la personne mise en examen, qui pourraient être exécutées dans un Etat partie dans le cadre de l'une des conventions internationales précitées.

Le deuxième apport principal de la décision-cadre réside dans la rapidité d'exécution .

Comme l'ont souligné lors de leur audition par votre rapporteur des magistrats praticiens des commissions rogatoires, les délais actuels de mise en oeuvre des commissions rogatoires nuisent à l'efficacité de cette procédure. Cette lenteur trouve son origine dans l'obligation de transmission (sauf en cas d'urgence) des demandes d'entraide par la voie diplomatique (art. 694 du code de procédure pénale). D'une part, la décision-cadre prévoit que les autorités judiciaires prennent « sans délai » les mesures nécessaires à « l'exécution immédiate » de la décision de gel. D'autre part, elle pose le principe d'une transmission directe entre autorités judiciaires. En outre, la décision-cadre, sur le modèle du mandat d'arrêt européen, supprime l'exigence de la double incrimination pour 32 catégories d'infractions (allant de la participation à une organisation criminelle au sabotage) punies dans l'Etat à l'origine de la décision de gel d'une peine de trois ans d'emprisonnement. Si la France en tant qu'Etat d'exécution avait déjà renoncé à cette condition s'agissant de la saisie des éléments de preuve 59 ( * ) tel n'était pas le cas pour le gel des avoirs. En outre, elle bénéficiera en tant qu'Etat d'émission de la simplification -et donc de l'accélération de la procédure- que permet cette disposition.

Enfin, l'intérêt de la décision cadre est d'apporter les garanties nécessaires pour une exécution efficace de la décision de gel.

En effet, comme l'ont indiqué les magistrats entendus par votre rapporteur, les demandes d'entraide souffrent parfois de l'absence de précision. Or la décision cadre prévoit que les décisions de gel devront être accompagnées d'un certificat comportant des mentions à la fois détaillées et homogènes (puisqu'un modèle commun est joint à la décision cadre). La décision transmise doit en outre comporter les éléments nécessaires pour déterminer le régime ultérieur du bien gelé (demande de transfert des éléments de preuve vers l'Etat d'émission ou demande de confiscation).

La décision-cadre du 22 juillet 2003 constitue en fait le premier volet d'un dispositif qui comporte également une décision cadre relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens du crime adoptée le 24 février 2005- et dont la transposition devait intervenir avant le 15 mars 2007. Cet instrument vise à harmoniser les peines de confiscation en retenant pour principe que les biens constituant le produit ou l'instrument de toute infraction pénale punie d'une peine de plus d'un an d'emprisonnement doivent pouvoir être confisqués par un tribunal (sous réserve cependant des principes fondamentaux des Etats membres en matière de liberté de la presse).

Paragraphe premier
(art. 695-9-1 à 695-9-6 nouveaux)
Dispositions générales

Le présent paragraphe établit plusieurs définitions et décrit le certificat devant accompagner toute décision de gel.

La décision de gel est définie par le nouvel article 695-9-1 comme « une décision prise par une autorité judiciaire d'un Etat membre de l'Union européenne, appelé Etat d'émission, afin d'empêcher la destruction, la transformation, le déplacement, le transfert ou l'aliénation d'un bien susceptible de faire l'objet d'une confiscation ou de constituer un élément de preuve et se trouvant sur le territoire d'un autre Etat membre, appelé Etat d'exécution ».

La décision de gel peut ainsi poursuivre deux finalités différentes : la confiscation, d'une part, la conservation d'un élément de preuve, d'autre part.

Cette distinction est importante car elle détermine des règles de compétence juridictionnelle et procédurale différenciées selon l'objectif poursuivi même si, par ailleurs, le moyen employé (le « gel » des biens ou des objets considérés) sont identiques.

La rédaction proposée reproduit les termes de l'article 2 de la décision-cadre et reprend, en particulier, trois éléments novateurs introduits par cet instrument :

- le choix des notions d'« Etat d'émission » et d'« Etat d'exécution » préférées à celles d'« Etat requérant » et d'« Etat requis » utilisées en matière d'entraide judiciaire. Depuis l'affirmation du principe de reconnaissance mutuelle lors du sommet de Tampere d'octobre 1999, cette formulation permet d'inscrire les décisions-cadre, par contraste avec les instruments traditionnels de coopération pénale, dans une nouvelle logique fondée sur l'assimilation des décisions judiciaires étrangères aux décisions judiciaires nationales et leur exécution directe ;

- l'expression de « décision de gel » inspirée du droit anglo-saxon destinée à recouvrir à la fois la saisie proprement dite ainsi que toutes les mesures conservatoires prises sur le bien concerné (telles qu'une hypothèque sur un immeuble qui a pour effet de « geler » le bien sans pour autant en déposséder le propriétaire -aucun scellé n'est, en effet, placé sur l'immeuble, l'intéressé peut continuer à l'occuper, les frais d'entretien du bien restant à sa charge).

L'assimilation, prévue au dernier alinéa de l'article 695-9-1 nouveau, du régime juridique de la décision de gel à celui de la saisie , vise, selon les informations données par le ministère de la justice, à inscrire le dispositif sui generis du gel dans un cadre juridique existant afin de régler toutes les modalités de mise en oeuvre qui n'ont pas été expressément prévues par les mesures de transposition.

L'article 695-1 nouveau précise que la décision doit être prise par une autorité judiciaire , conformément au principe prévu par la décision-cadre, ce qui exclut les mesures susceptibles, dans certains pays, d'être décidées par les autorités policières.

Les biens ou éléments de preuve susceptibles de donner lieu à la décision de gel

Selon les termes même de la décision-cadre, l'article 695-9-2 distingue :

- les biens meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, « ainsi que tout acte juridique ou document attestant d'un titre ou d'un droit sur ce bien » si l'autorité judiciaire de l'Etat d'émission estime qu'ils sont le produit d'une infraction ou correspondent en tout ou partie à la valeur de ce produit ou constituent l'instrument ou l'objet d'une infraction ;

- les objets, documents ou données 60 ( * ) pouvant servir de pièces à conviction dans le cadre d'une procédure pénale de l'Etat d'émission.

Le certificat

Le nouvel article 695-9-3 prévoit que toute décision de gel doit être accompagnée d'un certificat établi par l'autorité judiciaire ayant ordonné la mesure.

Aux termes des nouvelles dispositions du code de procédure pénale, ce certificat devrait mentionner :

- l' identification de l'autorité judiciaire ayant pris la mesure ainsi que celle de l'autorité centrale compétente pour la transmission et la réception des décisions de gel si une telle autorité a été désignée : le Royaume-Uni et l'Irlande ont en effet obtenu une dérogation au principe de la transmission directe d'autorité judiciaire à autorité judiciaire afin de permettre que la décision de gel et le certificat soient expédiés par l'intermédiaire d'une autorité centrale 61 ( * ) ;

- la date et l'objet de la décision de gel ainsi que, le cas échéant, les formalités procédurales à respecter pour l'exécution d'une décision de gel concernant des éléments de preuve. En effet, la décision cadre impose à l'Etat d'exécution d'appliquer les procédures de l'Etat d'émission lorsque celui-ci le demande ;

- la description précise des biens ou des éléments de preuve en question, leur localisation et la désignation de leur propriétaire ou de leur gardien ;

- les motifs de la décision de gel ; la nature et la qualification juridique de l'infraction indiquant, le cas échéant, si elle relève de l'une des 32 catégories d'infraction visées à l'article 695-23 du code de procédure pénale pour lesquelles le mandat d'arrêt européen peut être décidé sans contrôle de la double incrimination ; une description complète devrait être fournie pour toutes les autres infractions -l'autorité judiciaire pouvant refuser de mettre en oeuvre la mesure de gel si l'infraction n'est pas reconnue dans l'Etat d'exécution ;

- les conditions dans lesquelles un recours peut être exercé contre la décision de gel non seulement par les personnes concernées mais aussi par les « tiers de bonne foi » ;

- la signature de l'autorité judiciaire d'émission ou celle de son représentant attestant l'exactitude des informations contenues dans le certificat.

Un modèle de certificat est joint en annexe de la décision-cadre. Ce document devrait, d'après les informations communiquées par la Chancellerie, être repris par les juridictions françaises. Il a vocation à faciliter le contrôle matériel effectué par l'autorité judiciaire.

L'article 695-9-5 prévoit que le certificat doit être traduit dans la langue applicable de l'Etat d'exécution ou dans l'une des langues officielles de l'Union européenne reconnue par cet Etat. Les demandes adressées à la France devront ainsi en principe être traduites en français.

Le régime du bien gelé

La décision de gel devrait comporter les éléments nécessaires destinés à porter à la connaissance de l'autorité judiciaire de l'Etat d'exécution le sort qui devrait être réservé au bien « gelé » :

- soit une demande de transfert des preuves vers l'Etat d'émission ;

- soit une demande de confiscation du bien.

Si l'autorité de l'Etat d'émission n'est pas en mesure d'apporter ces indications, elle doit indiquer dans le certificat que le bien ou l'élément de preuve doivent être conservés jusqu'à la réception d'une de ces deux demandes.

Ces demandes seront traitées selon les règles applicables à l'entraide judiciaire en matière pénale -en l'espèce, la convention du Conseil de l'Europe du 20 avril 1959.

Le principe de la transmission directe d'autorité judiciaire à autorité judiciaire

L' article 695-9-6 pose le principe, essentiel, de transmission directe de l'autorité judiciaire de l'Etat d'émission à l'autorité judiciaire de l'Etat d'exécution 62 ( * ) (sous réserve de la dérogation obtenue par le Royaume-Uni et l'Irlande).

La transmission doit se faire par tout moyen laissant une trace écrite et dans les conditions permettant à l'autorité judiciaire de l'Etat d'exécution de s'assurer de son authenticité.

Paragraphe 2
(art. 695-9-7 à 695-9-9 nouveaux)
Dispositions relatives aux décisions de gel de biens
ou d'éléments de preuve prises par les autorités judiciaires françaises

Les autorités judiciaires françaises compétentes

Quelles seront les autorités françaises chargées de prendre des décisions de gel visant les biens ou les éléments de preuve se trouvant sur le territoire d'un autre Etat ?

L'article 695-9-7 nouveau apporte une réponse cohérente avec l'état présent du droit. Il s'agirait en effet des autorités actuellement compétentes pour ordonner une saisie de biens ou d'éléments de preuve. Un bien susceptible de servir d'éléments de preuve peut être saisi par le procureur de la République durant l'enquête de flagrance ou l'enquête préliminaire ou par le juge d'instruction au cours de l'instruction. En pratique, les opérations de saisie ou de perquisition sont effectuées par les officiers de police judiciaire agissant sous le contrôle du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d'instruction.

La chambre de l'instruction n'a pas, sauf circonstances particulières -lorsque, par exemple, elle dessaisit le juge d'instruction- vocation à saisir des éléments de preuve. Elle statue néanmoins, en vertu de l'article 173, troisième alinéa, du code de procédure pénale sur toute requête en nullité visant un acte de procédure ayant conduit à une saisie ou à une perquisition.

Par ailleurs, en cas d'information ouverte pour l'une des infractions entrant dans le champ d'application de la criminalité organisée, le juge des libertés et de la détention peut, afin de garantir le paiement des amendes encourues ainsi que, le cas échéant, l'indemnisation des victimes et l'exécution de la confiscation, ordonner en application de l'article 706-103 du code de procédure pénale, des mesures conservatoires sur des biens, meubles ou immeubles, divis ou indivis, de la personne mise en examen. La décision ordonnant une mesure conservatoire est ensuite exécutée selon les modalités prévues par les procédures civiles d'exécution.

Le projet de loi visait initialement dans l'intitulé du paragraphe 2 les « juridictions » françaises. Compte tenu de la référence, parmi les autorités susceptibles d'ordonner une saisie, au procureur de la République, qui n'est pas une juridiction, l'Assemblée nationale, à l'initiative du rapporteur de la commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement a utilement modifié cette rédaction pour viser les « autorités judiciaires ».

Le certificat établi par ces autorités peut préciser que la demande de gel devra être exécutée dans l'Etat d'exécution selon les règles du code de procédure pénale français . Cette extension territoriale de règles procédurales nationales est permise par l'article 5 de la décision-cadre « pour garantir que les éléments de preuve sont valables », à condition qu'elles « ne soient pas contraires aux principes fondamentaux du droit de l'Etat d'exécution ». Au reste, en vertu du principe de réciprocité, les autorités françaises pourraient être saisies de demandes de gel devant être exécutées « selon les règles de procédures expressément indiquées » par l'Etat d'admission (art. 695-9-14 nouveau).

Selon les informations recueillies par votre rapporteur, il semble que les magistrats français recourent assez peu à cette faculté déjà ouverte par les conventions d'entraide judiciaire en vigueur pour les commissions rogatoires exécutées à l'étranger.

En effet, en tout état de cause, selon une jurisprudence constante de la cour de cassation, les juridictions françaises n'apprécient pas la validité des procédures conduites à l'étranger sous réserve que les principes d'ordre public français aient été respectés.

En revanche, il arrive parfois que certaines commissions rogatoires en France pour le compte d'autorités judiciaires étrangères soient exécutées selon les formes demandées par l'Etat requérant (art. 694-3 du code de procédure pénale).

Les modalités d'exécution

L'article 695-9-8 nouveau prévoit deux modalités différentes de transmission de la décision de gel à l'autorité judiciaire de l'Etat d'émission :

- le juge d'instruction transmettrait directement la décision de gel et le certificat à l'autorité judiciaire de l'Etat d'exécution ;

- les autres autorités judiciaires devraient passer par l'intermédiaire du procureur de la République -la chambre de l'instruction, du fait de son caractère collégial, 63 ( * ) ou le juge des libertés et de la détention, qui ne dispose pas du pouvoir d'exécuter lui-même ses décisions, ne pourraient en effet intervenir directement.

La mainlevée des décisions de gel (article 695-9-9 nouveau) est transmise « sans délai » selon des procédures comparables à celles prévues par la transmission de la demande de gel.

Paragraphe 3
Dispositions relatives à l'exécution des décisions
du gel de bien ou d'éléments prises par les autorités étrangères
(art. 695-9-10 à 695-9-30 nouveaux)

Ce paragraphe détaille la procédure applicable aux décisions de gel de biens ou d'éléments de preuve prises par les autorités étrangères et adressées à la France. Elle décrit successivement les règles de compétence, la procédure d'exécution, les motifs de refus ou de délai, les voies de recours et, enfin, la décision une fois exécutée, le sort réservé au bien ou aux éléments de preuve.

Les autorités compétentes

Le choix des magistrats compétents pour statuer sur une demande de gel obéit aux critères retenus pour la saisie en droit interne :

- le juge d'instruction est compétent pour statuer sur les demandes de gel d' éléments de preuve ainsi que pour les exécuter ;

- le juge des libertés et de la détention est compétent pour statuer sur les demandes de gel de biens en vue de leur confiscation ultérieure ;

- le procureur de la République est compétent pour ordonner l'exécution des mesures ordonnées par le juge des libertés et de la détention.

Le juge des libertés et de la détention, il convient de le rappeler, ne dispose en effet ni du pouvoir d'exécuter lui-même ses décisions, ni celui de requérir par commission rogatoire un officier du police judiciaire pour procéder à des actes de police judiciaire.

La procédure d'exécution

La demande de gel accompagnée du certificat est directement transmise par l'autorité judiciaire de l'Etat d'émission dans les conditions prévues par l'article 695-9-6 nouveau. Cette transmission peut passer par l'intermédiaire du procureur de la République.

Le magistrat territorialement compétent serait celui du lieu où se trouve le bien ou l'élément de preuve demandé, et faute d'information sur ce point, le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention de Paris.

Comment l'autorité judiciaire de l'Etat d'émission connaîtra-t-elle l'autorité compétente en France ? La consultation du réseau judiciaire européen, explicitement prévue par la décision cadre, et celle des magistrats de liaison -dont le rôle, très utile, a été souligné par les interlocuteurs de votre rapporteur- devrait faciliter cette identification.

En tout état de cause, le projet de loi (art. 695-9-11, dernier alinéa) prévoit que si l'autorité judiciaire française destinataire de la demande n'est pas compétente, elle doit « sans délai » transmettre celle-ci au magistrat compétent et en informer l'autorité judiciaire de l'Etat d'émission.

La procédure d'exécution s'articule en trois temps :

- Premier temps : l'information du procureur

Le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention saisis directement d'une demande de gel la communiquent pour avis au procureur de la République (dans le cas où le procureur de la République a reçu directement cette demande 64 ( * ) , il l'adresse, accompagnée de son avis, aux fins d'exécution au magistrat compétent).

- Deuxième temps : la vérification de la régularité de la demande au terme de laquelle le magistrat doit statuer

La décision du magistrat doit intervenir « dans les meilleurs délais et, si possible, dans les vingt-quatre heures, suivant la réception » de la décision de gel. La brièveté de ce délai constitue, il faut le souligner, l'apport principal de la décision cadre.

- Troisième temps : l'exécution de la décision

L'exécution des décisions de gel d' éléments de preuve obéira aux règles prévues par le code de procédure pénale. Ainsi, le juge d'instruction pourra exécuter lui-même la saisie demandée ou déléguer ses pouvoirs, dans le cadre de commissions rogatoires, à un officier de police judiciaire.

Cependant, conformément au principe posé par l'article 5 de la décision-cadre, et si la demande de gel le précise, les décisions de gel d'élément de preuve pourraient être exécutées selon les règles de procédure de l'Etat d'émission.

Le projet de loi initial prévoyait que ces règles ne devaient pas réduire les droits des parties ou les garanties procédurales prévues par notre droit. Par un amendement, l'Assemblée nationale dans un souci de simplification rédactionnelle a renvoyé sur ce point au deuxième alinéa de l'article 694-3 du code de procédure pénale relatif à l'entraide judiciaire dont les dispositions sont identiques.

Le juge des libertés et de la détention, responsable de l'exécution des décisions de gel des biens, devrait quant à lui appliquer les règles prévues par les procédures civiles d'exécution .

Ces règles ont été définies pour l'essentiel, par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution ainsi que par le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution 65 ( * ) .

Ce renvoi, traditionnel, aux procédures civiles d'exécution, pour prendre des mesures conservatoires sur des biens aux fins de leur confiscation ultérieure, se retrouve également aux articles 627-3 et 706-103 du code de procédure pénale ainsi qu'à l'article 15 de la loi n° 96-392 du 13 mai 1996 relative à la lutte contre le blanchiment et le trafic de stupéfiants et à la coopération internationale en matière de saisine et confiscation des produits du crime.

Que l'exécution soit confiée au juge d'instruction ou au juge des libertés et de la détention, elle doit intervenir « immédiatement ». Selon les magistrats entendus par votre rapporteur, le recours aux procédures civiles d'exécution n'apparaît pas toutefois toujours compatible avec l'objectif de rapidité poursuivi.

Le magistrat responsable de l'exécution informe « sans délai » l'autorité judicaire de l'Etat d'émission de l'exécution de la décision de gel « par tout moyen laissant une trace écrite ».

Les motifs de refus et de délai d'exécution

Le nouvel article 695-9-16 prévoit que l'exécution de la décision peut être refusée si elle n'est pas accompagnée d'un certificat ou si celui-ci est incomplet ou ne correspond pas à la décision de gel. Toutefois, dans ce cas, un délai peut être accordé à l'autorité judiciaire de l'Etat d'émission pour apporter les éléments nécessaires.

Quatre motifs obligatoires de refus d'exécution sont par ailleurs prévus (art. 695-9-17) :

- si une immunité fait obstacle à cette exécution ou si l'élément de preuve est insaisissable selon la loi française comme tel serait le cas pour des correspondances échangées entre l'avocat et la personne mise en examen ou encore les documents classés « secret défense ». Parmi les motifs de refus la décision-cadre mentionne « une immunité ou un privilège qui rend impossible l'exécution de la décision de gel ». Le caractère insaisissable conféré par la loi a été assimilé par le Gouvernement à la notion de « privilège » visé par la décision cadre ;

- si la personne en cause a déjà été jugée définitivement en France, ou dans un autre Etat membre de l'Union européenne pour l'infraction justifiant la demande de saisie et que la peine a été exécutée ou est en cours d'exécution ; le motif se fonde sur le principe de « non bis in idem » ;

- si la décision de gel a pour objet de poursuivre ou de condamner une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle. Ce motif de refus a été déduit non du dispositif même de la décision-cadre mais des considérants inscrits en préambule (considérant 6) ;

- si la décision de gel vise la confiscation ultérieure d'un bien alors que les faits qui le justifient ne constituent pas une infraction permettant en droit français d'ordonner une mesure conservatoire ; cette règle, fondée sur le principe de la double incrimination, ne vaudrait pas cependant pour une infraction entrant dans l'une des catégories visées par l'article 695-23 du code de procédure pénale et qui est punie d'une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement. L'exécution de la décision de gel ne saurait davantage être refusée en matière de taxe, impôt, douane ou change au motif que ces derniers diffèrent de l'Etat d'émission (article 695-9-18).

En outre, le nouvel article 695-9-17 prévoit, par référence à l'article 694-4 du code de procédure pénale, que l'exécution d'une décision de gel pourrait également être refusée si celle-ci était « de nature à porter atteinte à l'ordre public ou aux intérêts essentiels de la Nation ». Ce motif n'est pas explicitement prévu par la décision-cadre. Néanmoins, le droit dérivé communautaire est soumis aux traités constitutifs de l'Union européenne. Or le traité sur l'Union européenne reconnaît explicitement aux Etats membres la possibilité de préserver leur intérêt national (art. 34).

Le texte prévoit également, conformément aux dispositions de la décision cadre, la possibilité de différer l'exécution de la mesure dans quatre hypothèses :

- si la décision de gel risque de nuire à une enquête pénale en cours ;

- si le bien ou l'élément de preuve en cause a déjà fait l'objet d'une décision de gel ou de saisie dans le cadre d'une procédure pénale française ;

- si la décision de gel est prise en vue de la confiscation ultérieure d'un bien qui a fait l'objet d'une décision de gel ou de saisie dans le cadre d'une procédure non pénale en France ;

- si le bien ou l'élément de preuve, objet de la demande, est couvert par le secret au titre de la défense nationale tant que la décision de le déclassifier n'a pas été notifiée par l'autorité administrative au magistrat chargé de l'exécution.

Lorsqu'il n'existe plus de raison de différer la mise en oeuvre de la décision, celle-ci doit être exécutée dans les conditions prévues à l'article 695-9-13.

Dans le cas où le juge refuse l'exécution ou la diffère, il en informe « sans délai » l'autorité judiciaire de l'Etat d'émission par « tout moyen laissant une trace écrite ». Il est tenu de motiver son choix.

Par ailleurs, il peut être impossible de procéder à l'exécution de la décision lorsque le bien ou les éléments de preuve ont disparu, ont été détruits ou n'ont pu être localisés. Dans ce cas, le juge responsable de l'exécution en informe immédiatement, par écrit, l'autorité judiciaire de l'Etat d'émission (article 695-9-19).

Les voies de recours

L'article 11 de la décision-cadre avait posé le principe d'un droit de recours pour toute personne concernée, « y compris les tiers de bonne foi », contre l'exécution de toute mesure de gel. Deux recours pourraient être portés parallèlement, l'un dans l'Etat d'émission, l'autre dans l'Etat d'exécution -dans ce dernier cas, cependant, le recours ne saurait porter sur le fond de l'affaire.

Le projet de loi de transposition distingue deux voies de recours.

- La voie de recours ouverte contre la décision de gel d'un élément de preuve

Ce recours est ouvert à toute personne qui détient des éléments de preuve ou « toute autre personne » prétendant avoir un droit sur ceux-ci. Il est ouvert dans les dix jours à compter de l'exécution de la mesure et doit prendre la forme d'une requête remise au greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel territorialement compétente. La procédure devant la chambre de l'instruction obéit aux règles de droit commun fixées à l'article 173 du code de procédure pénale auquel il est renvoyé.

Par ailleurs, la chambre de l'instruction peut autoriser, par une décision insusceptible de recours, l'Etat d'émission à intervenir à l'audience « par l'intermédiaire d'une personne habilitée ». Les députés, à l'initiative du rapporteur de la commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, ont, dans ce cadre, donné à l'Etat d'émission la faculté d'intervenir par visio-conférence dans les conditions prévues par l'article 706-71 du code de procédure pénale.

L'article 694-5 du code de procédure pénale prévoit d'ores et déjà le recours à cette technique pour l'exécution simultanée en France et à l'étranger de demandes d'entraide judiciaire.

Ce recours n'est pas suspensif.

- Les voies de recours ouvertes contre la décision de gel prise en vue de la confiscation d'un bien

Elles sont communes aux voies de recours applicables aux procédures civiles d'exécution (article 695-9-23). Aux termes de l'article 30 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution pour l'application de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, « le délai d'appel et l'appel lui-même n'ont pas d'effet suspensif ».

Dans les deux cas, le recours ne peut porter sur les motifs de fond de la décision de gel.

Par ailleurs, la personne intéressée par la décision de gel peut également s'informer auprès du greffe du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention des voies du recours ouvertes dans l'Etat d'émission et mentionnées dans le certificat (article 695-9-24).

Enfin, il appartient au procureur général près la cour d'appel de la chambre de l'instruction saisie ou au procureur de la République près le tribunal de grande instance (lorsque s'appliquent les voies de recours applicables aux procédures civiles d'exécution), d'informer l'autorité judiciaire de l'Etat d'émission de l'éventuel exercice d'un recours et des moyens soulevés afin que cette autorité puisse alors produire les observations -le cas échéant, par moyens de télécommunication comme l'a précisé l'Assemblée nationale par amendement. Il l'avise des résultats de cette action.

Le régime ultérieur de l'élément de preuve ou du bien gelé

- L'élément de preuve

Si l'autorité judiciaire de l'Etat d'émission a demandé le transfert de l'élément de preuve, celui-ci ne peut être transmis par le juge d'instruction que si la décision d'exécution du gel revêt un caractère définitif et, partant, que les voies de recours sont épuisées. Ce transfert doit alors intervenir « dans les meilleurs délais », dans les conditions prévues par la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959. En vertu de cet accord, les autorités françaises acceptent de transférer des éléments de preuve vers un Etat membre de l'Union européenne partie à la convention sans exiger que les faits à l'origine de la demande d'entraide judiciaire soient également incriminés en droit français.

En revanche, si l'élément de preuve n'a pas fait l'objet d'une demande de transfert, il est conservé sur le territoire national selon les règles du code de procédure pénale 66 ( * ) .

- Le gel des biens

Le bien dont le gel a été demandé en vue d'une confiscation est conservé selon les règles applicables aux procédures civiles d'exécution. Les sûretés ordonnées sur la base des procédures civiles d'exécution deviennent, conformément aux articles 167 et 257 du décret du 31 juillet 1992, caduques au terme d'un délai de deux ou trois ans, à moins qu'elles aient été renouvelées avant l'expiration du délai légal de conservation.

Par ailleurs, la mainlevée totale ou partielle de la mesure de gel peut être demandée par toute personne intéressée. En outre, la mainlevée de la décision de gel prononcée par l'Etat d'émission emporte obligatoirement, aux frais avancés du Trésor, la mainlevée de toutes les mesures d'exécution correspondantes.

Le projet de loi pose pour principe l' information préalable de l'autorité judiciaire de l'Etat d'émission avant que le magistrat français ne mette un terme à la mesure de gel (non conservation de l'élément de preuve quand le code de procédure pénale le permet, non renouvellement des sûretés ordonnées sur un bien, décision de main-levée à l'initiative du juge ou, à la demande de toute personne intéressée). L'autorité judiciaire étrangère doit toujours être en mesure de faire valoir ses observations.

Par ailleurs, le magistrat compétent informe également l'autorité judiciaire étrangère de toute autre mesure de gel ou de saisie dont le bien ou l'élément de preuve pourrait faire l'objet (art. 695-9-29).

Ces précisions relatives au régime ultérieur du bien ou de l'élément de preuve gelé devraient permettre d'éviter certaines situations de blocage obligeant les autorités françaises à conserver pendant une période indéterminée sur le territoire national des biens dont la saisie a été demandée par une autorité judiciaire étrangère alors même que le coût de cette immobilisation pèse très lourdement sur l'Etat français.

*

* *

Ce dispositif devrait permettre une exécution plus rapide des décisions de gel des avoirs ou des éléments de preuve et renforcer ainsi l'efficacité de la coopération judiciaire en matière pénale.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 5 sans modification.

* 57 Cette convention a fait l'objet d'adaptations dans notre droit par la loi n° 90-1010 du 14 novembre 1990.

* 58 Cette convention a fait l'objet d'adaptations dans notre droit par la loi n° 96-392 du 13 mai 1996.

* 59 La décision-cadre ne prévoit toutefois la suppression de l'exigence de double incrimination que pour une infraction entrant dans l'une des 32 catégories visées -les autres infractions demeurent soumises à cette condition. Elle définit donc un régime distinct de celui prévu par les engagements de la France au titre de la convention du 20 avril 1959 qui a supprimé cette exigence pour toutes les infractions. Il est probable que le dispositif prévu par la décision-cadre, compte tenu de ses avantages en termes de célérité, sera à l'avenir davantage utilisé que la convention de 1959.

* 60 Le terme « données » vise les « données informatiques », formulation retenue jusqu'à présent par le code de procédure pénale.

* 61 En effet, l'organisation du système judiciaire britannique ne comporte pas de parquet susceptible d'assurer la transmission d'une décision de gel de biens ou d'éléments de preuve à destination d'une autorité judiciaire étrangère. En outre, le Royaume-Uni et l'Irlande ont exprimé le souhait d'un point de passage unique pour la réception et l'expédition des demandes d'entraide judiciaire en matière pénale.

* 62 Dans le cadre de la négociation entre les Etats membres de l'Union européenne, la transmission directe à l'autorité d'exécution avait d'abord été envisagée avant d'être rapidement abandonnée dans la mesure où les forces de police saisies d'une telle demande se retourneraient vraisemblablement vers leurs autorités judiciaires nationales avant de l'exécuter.

* 63 Pour des raisons de commodité, il semble alors en effet plus pertinent de confier à une autorité unique le soin d'établir la demande et en particulier de remplir le certificat.

* 64 Il convient de prévoir en effet le cas où, faute d'identification du magistrat effectivement compétent pour assurer l'exécution de la décision, la demande est adressée au procureur de la République. Cette hypothèse est explicitement mentionnée pour les demandes d'entraide judiciaire (art. 694-1 du code de procédure pénale).

* 65 En outre des dispositions conventionnelles ou légales, spécifiques, s'appliquent en matière notamment de confiscation de bateaux, de navires ou d'aéronefs.

* 66 Aux termes de l'article 97, alinéa 2 du code de procédure pénale, tous les objets ou documents placés sous main de justice sont « immédiatement inventoriés et placés sous scellés ». Selon leur importance, ces éléments peuvent rester au dossier de la procédure, être déposés au greffe ou, s'il s'agit d'un immeuble, se voir apposés les scellés et être gardés. Lorsque les pièces saisies n'apparaissent plus utiles à l'information à l'occasion de laquelle leur saisie est ordonnée, elles ne peuvent être conservées sous main de justice.

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