3. Des questions laissées en suspens

La réflexion doit se poursuivre sur plusieurs questions laissées en suspens par l'Assemblée nationale. Deux d'entre elles ont retenu l'attention de votre rapporteur.

En premier lieu, MM. Patrick Ollier et Jean-Pierre Grand, respectivement président et rapporteur de la commission des Affaires économiques, ainsi que plusieurs de leurs collègues ont proposé la création, à titre expérimental, de sociétés publiques locales d'aménagement présentant les caractéristiques suivantes :

- les collectivités territoriales et leurs groupements pourraient détenir, ensemble ou séparément, la totalité de leur capital ;

- leur compétence matérielle serait limitée aux opérations d'aménagement ;

- leur compétence géographique serait circonscrite au territoire des communes ou groupements de communes qui en seraient actionnaires ;

- elles ne pourraient intervenir que pour le compte de leurs actionnaires, et non de leur propre initiative.

A l'appui de cet amendement, M. Patrick Ollier a souligné la nécessité de « mettre fin à deux difficultés réelles : d'une part, la limitation certaine au principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales - je souhaite en effet que l'on fasse pièce à cette limitation ; d'autre part, l'absence, dans certaines SEM dont l'activité n'offre pas de perspectives de rentabilité, d'un réel partenariat public privé . »

Il a également déclaré : « Selon moi, les sociétés publiques locales apporteront à leurs actionnaires publics, tout d'abord, une transparence totale des comptes de la société et de ses opérations, assurée par le cumul des contrôles de droit privé - commissaire aux comptes, rapport du président sur le contrôle interne - et de droit public - rapport des élus mandataires à la collectivité, contrôle de la chambre régionale des comptes. Sur le plan de la transparence, nous sommes clairs .

« Les sociétés publiques locales offriront ensuite une maîtrise effective des décisions par les élus, qu'il s'agisse de la création de la société qui relèvera des assemblées délibérantes et non d'un arrêté préfectoral, de l'organisation des pouvoirs en son sein, notamment en ce qui concerne le choix, par le conseil d'administration, entre le cumul ou la séparation des fonctions de président et de directeur général, ou de la nomination de ceux-ci par le conseil d'administration sans intervention extérieure .

« Les sociétés publiques locales apporteront une sécurité financière liée au statut de SA, société à risque limité, les actionnaires ne supportant les éventuelles pertes sociales qu'à concurrence de leur mise initiale. Ceci a le mérite d'être clair, efficace et simple .

« Enfin, les sociétés publiques locales pourront être efficaces grâce à la souplesse de gestion qu'apporte une société anonyme soumise à la comptabilité commerciale 17 ( * ) . »

De telles sociétés pourraient en outre être considérées comme des prestataires « in house » au sens du droit communautaire et devenir titulaires de concessions d'aménagement sans formalités préalables de publicité et de mise en concurrence.

A cet égard, M. Jean-Pierre Grand a ajouté qu'il s'agissait d'un « instrument plus simple à mettre en place qu'un établissement public d'aménagement prévu par la loi Borloo du 1 er août 2003. En effet, il faut quinze jours pour créer une SA, mais un an pour créer un établissement public. Or, étant donné les échéances municipales, et le temps qu'il faut à un maire pour mener à bien un projet d'aménagement urbain, je crois qu'il serait dommage de se priver de cette possibilité 18 ( * ) . »

L'amendement a toutefois été retiré en séance après que le Gouvernement a eu mis en exergue les difficultés juridiques qu'il soulevait, notamment au regard du droit des sociétés, pris l'engagement de constituer un groupe de travail chargé d'élaborer un texte et annoncé que la loi serait modifiée avant la fin de l'année .

M. Léon Bertrand, ministre délégué au tourisme, a ainsi souligné :

« Tout d'abord, il [l'amendement] évoque la création d'une société anonyme, composée d'un ou de plusieurs actionnaires. Or, si la société ne comporte qu'un seul actionnaire, il ne pourra s'agir que d'une société par actions simplifiée, et non d'une société anonyme, puisque celle-ci doit comporter au moins sept actionnaires. Cette règle, en l'occurrence, est applicable aux SEM .

« Dans le cas d'une société par actions simplifiée où le seul actionnaire serait la collectivité territoriale, un président devra être désigné dans des conditions fixées par les statuts. Ce président représentera les intérêts de la collectivité territoriale. Votre amendement comporte donc un risque de conflit d'intérêts pour l'élu mandataire qui représentera la collectivité territoriale et sera amené à agir pour le compte de la société. Telle est la première difficulté identifiée .

« La deuxième difficulté concerne la composition du capital. Si la proportion du capital détenue par la collectivité territoriale n'est pas précisée, celle-ci pourrait en théorie ne détenir que 1 % du capital, les 99 % restants étant alors la propriété des autres personnes publiques. Cette répartition du capital entre les collectivités territoriales et les autres personnes publiques pourrait poser des problèmes juridiques, notamment au regard du « in house » 19 ( * ) . »

Cette proposition a suscité un grand intérêt sur tous les bancs de l'Assemblée mais aussi certaines réserves, exprimées notamment par des associations d'élus que votre rapporteur a souhaité recevoir. Elle doit être examinée grande attention mais également prudence .

Il est vrai que nombre de sociétés d'économie mixte locales n'ont de mixte que le nom puisque la présence d'une seule personne privée à leur capital est suffisante.

En outre, les élus locaux s'interrogent parfois sur l'intérêt de créer une société d'économie mixte s'il leur faut ensuite systématiquement la mettre en concurrence avant de lui confier certaines actions . Ces interrogations concernent toutefois l'ensemble des sociétés d'économie mixte et pas seulement les sociétés d'aménagement.

Enfin, la France est actuellement le seul Etat de l'Union européenne qui impose des seuils de participation minimum et maximum des collectivités territoriales au capital social des sociétés d'économie mixte locales . Les communes, les départements, les régions et leurs groupements doivent ainsi détenir, séparément ou à plusieurs, plus de la moitié du capital de ces sociétés et des voix dans les organes délibérants. En revanche, la participation des autres actionnaires, publics ou privés, ne peut être inférieure à 15 % du capital et la présence d'une personne privée au moins est impérative.

Dans les autres Etats de l'Union européenne, la loi définit parfois des seuils. Il peut s'agir de minima -en Italie, 20 % au moins du capital doit être public- ou de plafonds -au Danemark, la participation d'une seule collectivité dans une entreprise ne peut en général représenter plus de 49 % du capital. Dans les faits, un grand nombre d'entreprises publiques locales ont un capital entièrement public, notamment en Allemagne, en Suède, au Portugal, en Grèce ou en Belgique, même si la mixité semble de plus en plus recherchée par les autorités locales.

Aussi, lors de l'examen en première lecture de la loi n° 2002-1 du 2 janvier 2002 tendant à moderniser le statut des sociétés d'économie mixte locales, la commission des Lois de l'Assemblée nationale avait-elle envisagé dans un souci d'harmonisation avec les autres pays européens, de permettre aux collectivités territoriales et à leurs groupements de détenir une participation comprise entre 34 % et 100 % du capital social des sociétés d'économie mixte locales .

Selon son rapporteur, M. Jacky Darne, la suppression du plafond de 80 % aurait permis aux collectivités locales de créer, même en l'absence d'investisseurs privés, des sociétés d'économie mixte bénéficiant des possibilités offertes par le régime des sociétés commerciales. A l'inverse, la possibilité pour une collectivité locale de détenir une participation inférieure à 50 % du capital aurait été susceptible de rendre les sociétés d'économie mixte plus attractives aux yeux des actionnaires privés en leur conférant un réel pouvoir de direction. M. Jacky Darne estimait en effet que leur participation était souvent moins motivée par un objectif de rentabilité que par l'espoir d'obtenir des financements ou des marchés de la part de leurs associés publics. Enfin, l'obligation de conserver une minorité de blocage dans les assemblées générales extraordinaires, avec l'institution d'un seuil plancher de 34 % du capital social aurait permis aux collectivités locales de veiller au respect de l'intérêt général.

Les amendements présentés avaient eux aussi été retirés en séance publique , après que le Gouvernement eut fait valoir :

- en premier lieu, que la possibilité offerte aux collectivités locales et à leurs groupements de détenir la totalité des parts sociales remettrait en cause la notion même d'économie mixte et constituerait une rupture fondamentale avec les principes affirmés dans la loi du 7 juillet 1983 ; M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, avait ainsi rappelé que « l'essence même de l'économie mixte, ce n'est pas seulement la recherche de la souplesse, c'est aussi l'association avec des partenaires privés et, d'autre part, que l'idée de mixité sous-entend la rencontre de plusieurs cultures de gestion, lesquelles paraissent nécessaires à la dynamique des organismes en question » 20 ( * ) ;

- en deuxième lieu, que l'abaissement à 34 % du seuil minimum de participation des collectivités territoriales dans le capital social des sociétés d'économie mixte risquerait de les priver du contrôle effectif de ces sociétés et d'affecter la mise en oeuvre des missions d'intérêt général qui leur sont dévolues ;

- en dernier lieu, que la possibilité de créer des sociétés dont le capital serait détenu en majorité par des investisseurs privés pourrait conduire à une nouvelle forme de concession des services publics dépourvue des garanties de procédure instituées par la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

Les collectivités territoriales ont assurément besoin de disposer d'outils souples pour conduire des opérations d'aménagement. Il y aurait toutefois quelque paradoxe à poser le principe de l'ouverture à la concurrence des concessions d'aménagement et, dans le même texte, à créer une structure permettant d'y échapper. Surtout, il convient de prendre garde à ce que la création de sociétés publiques locales , dont le champ d'intervention serait d'abord limité à l'aménagement mais pourrait ensuite être étendu à d'autres domaines, ne conduise pas à un démembrement progressif des services des collectivités territoriales et n'expose, de surcroît, les élus à des risques de gestion de fait. Telles sont les raisons pour lesquelles, votre rapporteur juge opportune la décision prise par le Gouvernement et l'Assemblée nationale, après débat, d'engager une réflexion approfondie sur ces questions.

A cet égard, votre commission ne comprendrait pas que plusieurs représentants du Sénat ne soient pas invités à participer aux réunions du groupe de travail dont la constitution a été annoncée .

En second lieu, la question de la différence de régime fiscal entre les sociétés d'économie mixte d'aménagement et les autres aménageurs mérite également d'être étudiée . Elle introduit en effet une distorsion de concurrence alors que les concessions d'aménagement seront ouvertes à l'ensemble des personnes publiques et privées.

A titre d'exemple, l'aménageur privé achète les terrains sous le régime de la TVA immobilière, prend l'engagement de bâtir prévu à l'article 1594-OG du code général des impôts et dispose d'un délai de quatre ans, qui peut être prorogé d'une année supplémentaire seulement, soit cinq ans, pour les revendre. S'il ne les revend pas dans ce délai de cinq ans suivant l'acquisition, il se voit rappeler les droits d'enregistrement, en sus du droit de 1 % et des intérêts de retard. L'aménageur public bénéficie quant à lui des articles 1042, 1045-I, 1594-F et 902-1-2° du code général des Impôts, si bien qu'exonéré ab initio des droits d'enregistrement, il peut revendre sans limitation de délai.

Le ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer a indiqué à votre rapporteur que le Gouvernement envisageait d'autoriser , dans le prochain projet de loi de finances, la prorogation pendant plusieurs années du délai de quatre ans accordé aux aménageurs privés pour revendre les terrains dans le cadre des opérations immobilières qu'ils réalisent dans des zones d'aménagement concerté.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations et de l'amendement qu'elle vous soumet, votre commission des Lois vous propose d'adopter le projet de loi relatif aux concessions d'aménagement .

* 17 Journal Officiel des débats de l'Assemblée nationale - 1 ère séance du 27 juin 2005 - p. 3951.

* 18 Journal Officiel des débats de l'Assemblée nationale - 1 ère séance du 27 juin 2005 - p. 3961.

* 19 Journal Officiel des débats de l'Assemblée nationale - 1 ère séance du 27 juin 2005 - p. 3961.

* 20 Journal Officiel des débats de l'Assemblée nationale, troisième séance du 27 juin 2001, page 5081.

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