III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION

Avant de faire part de ses commentaires, de ses interrogations, de ses inquiétudes et d'énumérer à cette occasion ses propositions de modification, votre rapporteur tient à résumer les points qu'il considère comme réellement positifs dans la proposition de directive établie par la Commission européenne.

1. Les points positifs de la proposition de directive

Comme il a déjà eu l'occasion de le souligner dans sa proposition de résolution présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne en application de l'article 73 bis du Règlement du Sénat , il approuve :

- l'extension du champ d'application de la directive à l'ensemble des services audiovisuels quels que soient leur nature (linéaire et non-linéaire) et leur support de diffusion (hertzien, câble, satellite, ADSL...) ;

- la codification dans le corps même de la directive de la jurisprudence de la Cour de Justice des communautés européennes relative aux délocalisations abusives ;

- l'introduction d'une disposition visant à faciliter l'identification des fournisseurs de services de médias ;

- l'encadrement juridique de la pratique du placement de produit ;

- le maintien d'un socle commun de règles « qualitatives »  applicable à l'ensemble des communications commerciales ;

- le maintien des obligations de diffusion relatives aux oeuvres européennes et indépendantes imposées aux services linéaires ;

- le maintien de la possibilité, pour les États membres, de prévoir des règles plus détaillées ou plus strictes dans les domaines couverts par la directive pour les radiodiffuseurs relevant de leur compétence.

2. Les remarques et propositions de votre commission

S'il comporte quelques points positifs, le texte proposé par la Commission européenne n'est toutefois pas exempt de certaines lacunes que votre rapporteur entend ici souligner.

a) Affermir les dispositions de la directive relatives à la promotion de la production audiovisuelle européenne et indépendante

Votre rapporteur a déjà eu l'occasion de souligner que l'application des articles 4 et 5 de la directive relatifs à la promotion de l'industrie européenne de programmes n'avaient pas permis de mettre en place un véritable espace audiovisuel européen.

Bien que l'exclusion de ces articles des dispositions actuellement en négociation puisse être considérée comme une première victoire pour les tenants de la diversité culturelle au sein de l'Union européenne, cette nouvelle révision de la directive représente par conséquent pour votre commission l'occasion de réaffirmer la nécessité de perfectionner les mécanismes communautaires relatifs à la diffusion des oeuvres européennes et aux obligations de financement ou de diffusion des oeuvres émanant de producteurs indépendants.

Comme le soulignait déjà notre collègue M. Adrien Gouteyron en 1995 dans sa proposition de résolution portant sur la première modification de la directive « Télévision sans Frontières » 23 ( * ) , il s'agit par ce biais « de partager avec nos voisins les avantages culturels et économiques d'une industrie de programmes prospère et de créer avec eux des courants d'échanges commerciaux significatifs mais aussi de créer autour de quelques réglementations fortes un marché régional susceptible d'accompagner en bon ordre l'internationalisation croissante de la communication audiovisuelle ainsi que la concurrence entre diffuseurs » .

Sans revenir sur le caractère insuffisamment normatif de ces dispositions 24 ( * ) , quatre pistes de réflexion méritent ainsi d'être explorées.

La première est relative à la définition de l'oeuvre . L'article 4 de la directive inclut en effet dans la base de calcul du temps de diffusion d'oeuvres européennes les émissions majoritairement réalisées en plateau (variétés, « talk show »...). Si cette définition permet aux diffuseurs de se libérer à bon compte de leurs obligations en matière de quotas de diffusion, elle handicape lourdement le développement d'une véritable industrie européenne de programmes susceptible d'irriguer l'espace audiovisuel de l'Union européenne.

Votre rapporteur estime par conséquent qu'il convient de revenir sur cette définition afin de ne considérer comme de véritables oeuvres que les oeuvres cinématographiques, les fictions télévisuelles, les documentaires et les films d'animation.

La deuxième concerne l'absence de mécanisme de contrôle permettant d'assurer le respect des dispositions de la directive relatives à la promotion de l'industrie européenne de programmes . La directive ne prévoit en effet aucun mécanisme de cette nature. Le paragraphe 2 de l'article 3 dispose simplement que « les États membres veillent, par les moyens appropriés, dans le cadre de leur législation, au respect par des organismes de radiodiffusion télévisuelle de leur compétence, des dispositions de la présente directive ». Traduisant ce principe, le troisième paragraphe de l'article 4 précise quant à lui que les États membres communiquent tous les deux ans à la Commission européenne un rapport sur l'application des dispositions relatives à la promotion de l'industrie européenne des programmes (articles 4 et 5).

S'agissant du respect d'un principe fondamental - la promotion de la diversité culturelle au sein de l'Union européenne - votre rapporteur appelle de ses voeux la définition d'un mécanisme de contrôle et d'une procédure de sanction dans le corps même de la directive.

La troisième touche à la faible circulation des oeuvres européennes non nationales . Alors que le taux de diffusion de ces oeuvres reste relativement bas au sein de l'Union européenne - 12 % en moyenne -, votre rapporteur propose d'instaurer au sein de l'article 4 de la directive une obligation spécifique pour les oeuvres européennes non nationales.

La quatrième et dernière porte sur l'absence de mesures concrètes de soutien à la production audiovisuelle européenne ou indépendante pour les services audiovisuels non linéaires. Le nouvel article 3 septies , tout en garantissant aux États membres les marges de manoeuvre déjà rencontrées aux articles 4 et 5 ne fixe en effet aucun objectif aux éditeurs de services non linéaires en ce domaine. Qualifié de simple « signal politique » par la Commission européenne, il dispose que « les États membres veillent à ce que les fournisseurs de services de médias relevant de leur compétence facilitent, lorsque cela est réalisable, et par des moyens appropriés, la production des oeuvres européennes ».

Votre rapporteur suggère par conséquent que des mesures concrètes de soutien à la production pour les services non linéaires telles que le respect de proportions minimales de productions européennes et indépendantes au sein des catalogues de vidéo à la demande soient fixées par la directive. Il ne s'agit pas, par ce biais, de « tuer dans l'oeuf » des industries naissantes mais bien d'éviter que d'éventuelles divergences entre les États membres concernant l'interprétation du « signal politique » envisagé par la Commission européenne ne provoquent des distorsions de concurrence et la délocalisation des opérateurs vers les pays dont les législations seraient les moins contraignantes.

b) Lutter efficacement contre les délocalisations abusives

Si votre rapporteur a déjà eu l'occasion de se féliciter de l'introduction dans la directive d'une disposition autorisant les autorités nationales à prendre « les mesures appropriées » à l'encontre des fournisseurs de services audiovisuels établis dans un autre État membre dans le seul but de contourner la législation nationale du pays de réception, il s'interroge toutefois sur l'efficacité de ce dispositif.

Force est d'abord de constater que la procédure permettant à un État membre de prévenir l'abus ou le comportement frauduleux demeure particulièrement lourde. Voulant garantir l'application du principe du pays d'origine, la Commission européenne propose de créer un mécanisme exagérément formel qui, comme le précédent, est susceptible de décourager toute action préventive.

Ce dispositif se heurte ensuite à la barrière de la langue. S'il est relativement facile de présumer qu'une chaîne utilise le principe de liberté d'établissement pour contourner une réglementation nationale trop contraignante lorsqu'elle n'émet pas dans la langue de son pays d'établissement et lorsque les dirigeants en charge des programmes et de la régie publicitaire sont établis dans un pays voisin dont la langue est justement celle de la chaîne, il n'en va pas de même lorsque le pays d'établissement et le pays de réception partagent la même langue 25 ( * ) .

RTL9 illustre à merveille cette situation : son statut luxembourgeois -un cadre réglementaire qui lui permet par exemple de diffuser deux fois plus de films dans l'année qu'une chaîne française- représente une « distorsion de concurrence » qui l'aide à défendre sa position de leader en audience des chaînes thématiques françaises.

Alors que s'apprêtent à déferler sur les écrans français de nouvelles chaînes dites à « statut déclaratif » avec, sous couvert d'un passeport anglais, un fort accent américain 26 ( * ) , votre rapporteur propose d'adopter des dispositions qui, sans résoudre complètement un problème directement lié au maintien du principe du pays d'origine, permettraient de lutter plus efficacement contre les délocalisations abusives.

Reprenant à son compte la proposition du Conseil supérieur de l'audiovisuel, il suggère ainsi de faire de la notion de « partie importante des effectifs » le premier critère énoncé au paragraphe 3 de l'article 2 de la directive. La combinaison « lieu du siège social effectif de l'organisme de radiodiffusion/lieu où sont prises les décisions éditoriales » qui figure actuellement au premier rang de la cascade des critères subsidiaires de l'établissement est d'une utilisation de plus en plus malaisée compte tenu de l'internationalisation croissante des entreprises audiovisuelles alors que la notion de « lieu d'emploi d'une partie importante des effectifs », est en revanche vérifiable de manière objective.

Votre rapporteur propose par ailleurs d'interpréter le critère de « décision éditoriale » comme « le lieu ou la gestion au jour le jour de l'organisme est assuré » et d'envisager l'introduction d'un critère relatif à l'origine territoriale des ressources publicitaires ou d'abonnement.

c) Instaurer un principe de reconnaissance mutuelle des décisions d'interdiction prononcées à l'encontre des chaînes extra-communautaires

Si, en application des principes du pays d'établissement et de liberté de réception, une chaîne autorisée par un État membre doit être reçue librement sur le territoire des autres États membres, l'inverse n'est pas vrai. En effet, en l'état actuel de la réglementation communautaire, une chaîne interdite par l'État dont elle relève peut continuer à diffuser ses programmes sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne en se plaçant sous la compétence d'un autre État membre.

Cette situation est particulièrement choquante lorsque les programmes stigmatisés incitent à la haine ou attentent à la dignité humaine. Dans ce cas précis, votre rapporteur est favorable à l'instauration d'un principe de reconnaissance mutuelle des décisions d'interdiction prononcées par un État membre à l'encontre d'une chaîne extra-communautaire pour un des motifs visés à l'article 3 sexies (nouveau) 27 ( * ) de la directive.

A défaut, il conviendrait de déterminer dans la directive un mécanisme de concertation permettant à chaque État membre de tirer, le cas échéant, les conséquences d'une telle interdiction. Comme le rappelait le Conseil supérieur de l'audiovisuel dans sa lettre d'octobre 2004 28 ( * ) « aucune décision ne sera efficace si elle n'est mise en oeuvre également par nos partenaires. C'est ensemble, et seulement ensemble, que nous veillerons à ce qu'aucun programme incitant à la haine ne puisse être diffusé à la télévision ».

d) Évaluer précisément l'impact des modifications du cadre réglementaire relatif aux communications commerciales

En matière de réglementation des communications commerciales à l'échelle européenne, deux principes fondamentaux garantissant à la fois la protection des consommateurs, le respect des téléspectateurs et la liberté de création doivent être préservés : l'absence d'influence du contenu commercial sur le contenu éditorial, d'une part, et la séparation très claire des deux types de contenu, d'autre part.

La technique du placement de produit est certes théoriquement susceptible de contribuer à brouiller la frontière entre le contenu éditorial et le contenu commercial. Votre rapporteur estime toutefois que les exigences strictes auxquelles sera soumis l'exercice du placement de produit en vertu de l'article 3 noniès 29 ( * ) (nouveau) du projet de directive devraient permettre d'écarter efficacement ce risque.

Compte tenu de l'autorisation explicite du placement de produit, votre rapporteur s'interroge toutefois sur l'avenir du critère de « proéminence indue » 30 ( * ) . Si celui-ci devait garder sa pertinence, il estime qu'une nouvelle communication interprétative de la Commission européenne permettrait d'aider les instances de régulation nationales à distinguer ce qui relève de la technique du placement de produit de ce qui relève de la publicité clandestine.

L'assouplissement des règles d'insertion de la publicité dans les programmes pose quant à lui le problème du transfert des ressources publicitaires. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a ainsi souligné que « les conséquences de ces modifications importantes sur l'équilibre de la communication doivent être soigneusement examinées :

- l'importance du décalage existant entre le régime publicitaire applicable aux programmes « protégés » et celui applicable aux autres programmes risque de décourager les diffuseurs d'investir dans ce type d'émissions, pourtant de forte valeur ajoutée en termes culturels et de formation ;

- du point de vue de l'équilibre économique du secteur, de telles mesures auraient des effets importants en termes de transferts de ressources publicitaires entre les différents médias (radio, presse, télévision) d'une part, et à l'intérieur du secteur audiovisuel d'autre part (risque de renforcement des acteurs les plus forts, dont les écrans arrivent à saturation, au détriment des acteurs les plus faibles ou des nouveaux entrants) ;

- la disproportion des ressources entre secteur privé et secteur public pourrait s'amplifier, compte tenu des obligations plus strictes qui devraient continuer à être imposées aux diffuseurs de secteur public en matière de publicité. »

Alors qu'aucune étude d'impact permettant d'évaluer les conséquences de ce projet d'assouplissement sur le marché publicitaire n'est à l'heure actuelle disponible, votre rapporteur en appelle au maintien de la règlementation existante en ce domaine.

*

* *

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, votre rapporteur vous propose de modifier la rédaction de la proposition de résolution transmise par de la Délégation à l'Union européenne. Il s'agit par ce biais moins de remettre en cause les conclusions de la Délégation que d'en préciser les contours afin d'affermir la position du Sénat et, le cas échéant, du Gouvernement français, dans le cadre des prochaines négociations européennes.

La commission a par conséquent adopté le texte ainsi modifié et figurant ci-après.

* 23 Rapport n°43 (session ordinaire de 1995-1996) fait au nom de la commission des Affaires culturelles sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Adrien Gouteyron sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil portant modification de la directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice de radiodiffusion télévisuelle (n°E 419)

* 24 Ce caractère insuffisamment normatif caractérisé par les expressions « chaque fois que cela est réalisable » et « par les moyens appropriés » conditionne en effet, dans une certaine mesure, l'acceptation de ces mesures par les États membres souhaitant éviter d'imposer aux éditeurs de services des contraintes réglementaires pesant sur leur stratégie commerciale.

* 25 Par delà le cas de RTL9 établie au Luxembourg et ciblant la France et la Suisse, on citera à titre d'exemples : RTL-4 et RTL-5 (établies au Luxembourg et ciblant les Pays-Bas) ; TMC établie à Monaco et ciblant la France ; TV3 et 3+ (établies au Royaume-Uni et ciblant les pays scandinaves) ; Kanal 5 établie au Royaume-Uni et ciblant la Suède.

* 26 On citera notamment Fox Life (groupe Murdoch), Discovery Real Time (Liberty Media) ou Sci Fi (NBC Universal).

* 27 « Les États membres veillent, par des mesures appropriées, à ce que les services de médias audiovisuels et les communications commerciales audiovisuelles fournis par les fournisseurs relevant de leur compétence ne contiennent aucune incitation à la haine fondée sur le sexe, l'origine raciale ou ethnique, la religion ou les convictions, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. »

* 28 La lettre du CSA, octobre 2004, n° 177.

* 29 (a) le contenu et, le cas échéant, la programmation de services de média audiovisuel [comportant du placement de produit] ne doivent en aucun cas être influencés de manière à porter atteinte à la responsabilité et à l'indépendance éditoriale du fournisseur de service de média ;

(b) ils ne doivent pas inciter directement à l'achat ou à la location de biens ou de services, notamment en faisant des références promotionnelles spécifiques à ces produits ou services ;

(c) les utilisateurs doivent être clairement informés de l'existence d'un accord de parrainage et/ou de l'existence d'un placement de produit. [...] Les émissions comportant du placement de produit doivent être identifiées de manière appropriée au début de leur diffusion, afin d'éviter toute confusion de la part de l'utilisateur.

* 30 Critère établi dans la communication interprétative de la Commission relative à certains aspects de la directive « Télévision sans Frontières » concernant la publicité télévisée (2004/C 102/02) :

« 33. [...] La Commission estime approprié d'appliquer le critère de « la proéminence indue » du produit, service, marque ou nom d'entreprise : un tel caractère indu peut notamment résulter de la présence récurrente de la marque ou du produit ou service concerné ou de la façon dont ces derniers éléments sont présentés et mis en évidence. À cette fin, il convient de tenir compte du contenu éditorial des émissions dans lesquelles s'insèrent ces éléments (émissions d'information, longs métrages, etc.).

34. Le fait, par exemple, qu'un produit est présenté de façon proéminente constitue un indice de publicité clandestine lorsqu'une telle présentation ne se justifie pas au regard des besoins éditoriaux de l'émission, est le résultat d'une influence, à des fins commerciales, sur le contenu éditorial ou risque d'induire le public en erreur sur la nature d'une telle présentation. »

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