II. HÔPITAL : UNE ÉQUATION FINANCIÈRE À PLUSIEURS INCONNUES

Tout au long de la législature, l'hôpital aura fait l'objet de plusieurs réformes regroupées au sein du plan Hôpital 2007. Présenté à l'occasion de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, ce plan prévoit notamment un effort important en direction de l'investissement hospitalier, : 10 milliards d'euros sur la période, une réforme de la gouvernance des hôpitaux et la rénovation des modalités de financement des établissements de santé publics et privés avec l'introduction de la tarification à l'activité (T2A).

Cette dernière réforme, dont l'achèvement n'est prévu qu'en 2012, concentre toute l'attention et les efforts du Gouvernement et de la communauté hospitalière.

Elle intervient dans une période où la situation financière des établissements est difficile à évaluer. Elle est néanmoins indispensable si l'on souhaite optimiser et médicaliser le financement des établissements de santé.

A. PÉRENNISER LA RÉFORME DU FINANCEMENT DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ PUBLICS ET PRIVÉS

La complexité des règles qui président à la réforme de la tarification, et le fait qu'elles sont instaurées au moment même où les établissements de santé doivent également apprivoiser de nouvelles règles de fonctionnement (réforme de la gouvernance) ou de nouvelles modalités d'organisation de l'offre de soins (schémas régionaux d'organisation sanitaire de troisième génération, fixation d'objectifs quantifiés dans le cadre des contrats d'objectifs et de moyens conclus entre les établissements et les agences régionales d'hospitalisation) font peser des contraintes supplémentaires sur la mise en oeuvre de la tarification à l'activité. Après une campagne tarifaire 2005 éprouvante pour les établissements, le Gouvernement a choisi d'aménager les modalités de montée en charge de la T2A, sans pour autant introduire plus de transparence dans les modalités retenues pour les établissements de santé publics ou privés.

1. Un contexte financier difficile à appréhender

La Cour des comptes constate, dans son rapport pour 2006, « que les informations comptables et statistiques permettant un suivi rigoureux des dépenses d'assurance maladie du secteur hospitalier sont d'une fiabilité très insuffisante ». Cette situation a des répercussions « tant sur les prévisions que sur le constat des réalisations, ce qui prive l'Ondam d'une grande partie de sa fonction de régulation ». Elle fait obstacle à une présentation transparente de la situation financière des établissements publics et privés et favorise les interprétations erronées sur la productivité ou la rentabilité de chacun des secteurs.

a) Le secteur public hospitalier face à ses reports de charge

Apprécier l'ampleur des reports de charges qui affectent la gestion des hôpitaux publics est un exercice délicat. Il repose sur des données parcellaires et pose un réel problème d'appréciation et de fiabilité.

Dans son dernier rapport 9 ( * ) , le conseil de l'hospitalisation estime que les reports de charges de 2003 sur 2004 ont atteint 714 millions d'euros et les reports de recettes 241 millions d'euros, soit un solde négatif de 472 millions d'euros contre 109 millions d'euros l'année précédente (440 millions d'euros de reports de charges et 331 millions d'euros de reports de produits). Les résultats budgétaires et comptables définitifs de l'année 2004 ont donc fait apparaître un quadruplement de ce solde négatif en une année et une situation plus dégradée que ne le laissaient envisager les résultats provisoires publiés en 2005 10 ( * ) qui évaluaient ce report à 339 millions d'euros.

Les résultats provisoires de report de 2004 sur 2005 ont fait apparaître un solde négatif de 402 millions d'euros . Le conseil de l'hospitalisation concluait son propos en estimant que, sous réserve de confirmation de ces données, cette évolution semble « masquer en réalité une dégradation de la situation des établissements ». En effet, des moyens non reconductibles, à hauteur de 412 millions d'euros, ont été alloués aux établissements hospitaliers courant 2004 afin d'apurer les reports de charges et les déficits d'exploitation.

Cette inquiétude est corroborée par la fédération hospitalière de France (FHF), qui établit annuellement une projection des reports de charges bruts.

La mise en place, en 2006, des EPRD (états des prévisions de recettes et de dépenses), pièce maîtresse de la réforme du régime budgétaire et comptable des établissements publics, devrait permettre de faire ressortir ces reports de charges dans les documents comptables et d'en connaître ainsi le montant exact.

Les premiers résultats de l'enquête sur les déficits des établissements de santé, lancée à cette occasion par la FHF, font apparaître un déficit cumulé proche d'un milliard d'euros en 2006 et de 700 millions en 2007. Ce montant est contesté par le ministre de la santé et des solidarités 11 ( * ) , ses services estimant quant à eux que le report de charges net s'élèvera à 262 millions d'euros en 2006.

Il est difficile, dans ces conditions, de disposer d'une estimation objective de la situation financière des établissements de santé publics. Le sentiment d'une dégradation constante de leurs comptes est en tout cas largement répandu dans la communauté hospitalière publique.

Dans ce contexte, les centres hospitaliers universitaires (CHU) ont alerté les pouvoirs publics sur l'insuffisance des moyens financiers mis à leur disposition. Sur la base de projections partielles, concernant vingt-deux centres sur trente et un, la conférence des directeurs de CHU estime qu'il va leur manquer 244 millions d'euros pour boucler leur budget avant la fin de l'année.

b) Interrogations sur la véritable rentabilité des établissements de santé privés

Au cours du dernier trimestre 2006, les cliniques privées ont dû subir une baisse de 2,6 % de leurs tarifs. Cette régulation, décidée par le ministre de la santé, intervient après que les dépenses de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) des établissements de santé privés lucratifs ont augmenté de 11 % en 2006 et de 14 % sur les dix-huit derniers mois . Une telle progression des dépenses peut laisser croire que ces établissements sont les principaux bénéficiaires de la T2A, qu'ils portent seuls la responsabilité des dépassements de l'Ondam hospitalier en 2005 et 2006, voire de conclure que cette situation se traduit par des bénéfices importants pour leurs actionnaires.

S'il est trop tôt pour disposer d'un véritable bilan de l'impact de la T2A sur les résultats financiers des cliniques privées, une étude réalisée par la direction de la recherche et d'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la santé, sur un échantillon de 780 établissements 12 ( * ) , permet de faire le point sur l'évolution de leur situation économique et financière jusqu'en 2004.

Cette publication met en évidence l'augmentation du chiffre d'affaires des cliniques entre 2003 et 2004 (+ 7,7 % en 2004 contre + 8,6 % en 2003) et souligne une évolution plus forte pour les activités de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) que pour celles hors MCO. Cet accroissement du chiffre d'affaires est lié à la croissance du nombre d'entrées mais surtout aux hausses tarifaires intervenues en 2004. Les résultats 2005 et 2006 confirmeront sans doute cette évolution. Mais, malgré cette activité en progression, la Drees souligne dans cette même étude qu'en 2003 plus d'une clinique sur trois était déficitaire et que la rentabilité moyenne des établissements privés n'a pas dépassé 1,8 % du chiffre d'affaires en 2004 .

Un certain nombre de cliniques privées sont donc dans une situation financière fragile. Cette appréciation globale, qui infirme les appréciations trop rapidement avancées sur la rentabilité financière supposée du secteur, doit être toutefois nuancée en fonction de la taille des établissements et de la structure de leur actionnariat. Les établissements qui rencontrent le plus de difficultés sont les cliniques « traditionnelles » gérées par des médecins actionnaires. Les établissements de santé organisés en groupes structurés, situation qui se développe en France dans d'autres pays européens (Suède, Espagne), connaissent des résultats financiers très supérieurs, à l'instar de la Générale de santé, propriétaire de plus de 160 cliniques, dont le bénéfice net semestriel de 2006 est en hausse de 68 %.

La fragilité financière des petits établissements se traduit par une profonde restructuration du secteur hospitalier privé, entamée depuis maintenant presque quinze ans. Au cours de cette période un quart des établissements a disparu tandis que la proportion de cliniques ayant un chiffre d'affaires supérieur à 15 millions d'euros est passée de 4 % à 12 %.

2. La poursuite de la mise en oeuvre de la tarification à l'activité

Dès l'origine, la mise en oeuvre de la T2A était conçue comme progressive sur une période de huit ans, entre 2004 et 2012. Ce délai n'a rien d'exceptionnel et des transitions comparables ont été ménagées dans la plupart des pays qui ont fait basculer le financement des établissements de santé vers une tarification fondée sur l'activité. Cette montée en charge progressive est rythmée par des étapes dont la plus symbolique prévoit que 50 % des établissements de santé publics, au moins, devront être financés de cette manière en 2008.

a) Campagne tarifaire pour 2006 et objectifs 2007

Après une campagne tarifaire 2005 qui avait provoqué le mécontentement des acteurs du monde hospitalier, le Gouvernement s'est attaché à exécuter la campagne 2006 en consolidant les acquis de la réforme et en se gardant de déstabiliser à nouveau les établissements de santé.

Cette campagne se caractérise par la poursuite de la montée en charge de la T2A, la fraction des activités des établissements publics financés à l'activité étant portée de 25 % en 2005 à 35 % en 2006 avant d'atteindre 50 % en 2007 .

Le Gouvernement , soucieux de contenir l'évolution des dépenses d'assurance maladie pour les activités MCO, a baissé les tarifs applicables aux établissements de santé publics et privés de 1 % à compter du 1 er mars 2006 .

La palette d'activités financées par l'intermédiaire des tarifs a été élargie au 1 er janvier 2006 aux prestations d'hospitalisation à domicile (HAD) qui sont désormais facturées dans leur intégralité sur la base de tarifs nationaux.

Par ailleurs, plusieurs mesures ayant reçu une validation législative 13 ( * ) dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 sont venues modifier les conditions de mise en oeuvre de la T2A.

La facturation des établissements de santé continuera à transiter par l'intermédiaire des agences régionales d'hospitalisation. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 prévoit que la transmission directe des flux sécurisés entre les établissements de santé et les caisses locales d'assurance maladie ne sera en oeuvre qu'à compter du 1 er janvier 2009 (art. 39).

Toujours en 2007, le coefficient de haute technicité qui permet, pour les établissements privés, d'assurer la transition vers le nouveau mode de financement par des tarifs nationaux sera progressivement supprimé et intégré dans les tarifs.

Enfin, un amendement adopté par l'Assemblée nationale autorise le Gouvernement à expérimenter de nouveaux modes de financement des activités de psychiatrie et de soins de suite ou de réadaptation fondés sur leurs activités (article 39 sexies ).

L'ensemble de ces mesures permet de poursuivre la montée en charge de la T2A et de corriger ses imperfections de jeunesse au cours d'une période de réglage que la Cour des comptes estime à cinq ans 14 ( * ) .

b) Régulation et efforts de gestion

L'objectif de dépenses de médecine, chirurgie et obstétrique (ODMCO) rassemblant l'ensemble des activités financées par tarifs est désormais régulé par un dispositif de type prix/volume (la baisse des tarifs doit compenser l'augmentation des volumes).

Ce dispositif a été mis en oeuvre pour la première fois au cours de l'exercice 2006, qui a vu le Gouvernement procéder à trois régulations infra annuelles :

la première en mars, au moment de la publication des tarifs qui ont subi une baisse homothétique dans les deux secteurs de 1 %. Cette baisse des tarifs n'entraîne pas nécessairement une baisse, à due concurrence, des ressources des établissements. En effet, la baisse des tarifs doit être corrélée aux augmentations de volume des années 2005 et 2006 (6 % sur deux ans) ;

la deuxième le 1 er septembre, pour intégrer dans les tarifs certains dispositifs médicaux implantables, antérieurement facturés en sus des tarifs de prestations. Soixante tarifs cible ont été revalorisés ;

la troisième, la plus symbolique, a été décidée le 1 er octobre : c'est la première qui met en oeuvre une baisse des tarifs pour contenir un éventuel dépassement de l'objectif de dépenses de médecine, chirurgie et obstétrique (ODMCO).

La croissance des activités des cliniques privées étant susceptible d'engendrer un dépassement de l'ODMCO estimé à 300 millions d'euros, le Gouvernement a été amené à procéder à une baisse de 2,6 % des tarifs applicables aux établissements privés lucratifs. L'économie attendue de cette baisse des tarifs est de 60 millions d'euros sur 10 milliards de chiffre d'affaires. Elle s'appliquera pendant les trois derniers mois de l'année. Dès le début de l'année 2007, les tarifs reviendront à leur niveau actuel.

Dans le même temps, le ministre a choisi de geler 115 millions de crédits destinés aux hôpitaux publics dans l'attente des résultats complets du premier semestre 2006.

Les modalités de la régulation opérée par le Gouvernement à cette occasion permettent de constater qu'au sein d'un même objectif, l'ODMCO, les pouvoirs publics procèdent à une analyse distincte de l'évolution des dépenses des établissements publics, d'un côté, et des établissements privés de l'autre.

Outre l'emploi de ces mécanismes de régulation, somme toute normaux dans le cadre de la T2A, le Gouvernement définit progressivement la contribution des établissements de santé, et plus particulièrement des établissements de santé publics, à la réduction des déficits de l'assurance maladie.

Conscients que l'amélioration de la gestion hospitalière est un enjeu majeur de la maîtrise des dépenses, les pouvoirs publics ont mis en oeuvre, après quelques tâtonnements sur la méthode, un plan d'amélioration de la politique des achats à l'hôpital qui doit se traduire par 850 millions d'euros d'économies d'ici à 2007 .

Après avoir fixé à 150 millions l'effort d'économie pour 2005, le ministère a fait le choix, pour les campagnes 2006 et 2007, d'intégrer les efforts d'économies dans le calcul des dotations et des tarifs . C'est ainsi que 560 millions d'euros d'économies ont été prévus dans l'Ondam 2006 et 480 dans l'Ondam 2007.

* 9 Rapport d'analyse et d'orientation de la politique de financement des établissements de santé, conseil de l'hospitalisation, juin 2006.

* 10 Rapport du conseil de l'hospitalisation, juillet 2005, cité dans le rapport d' Alain Vasselle et Bernard Cazeau, La dette sociale : mieux la connaître pour mieux l'affronter, mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, commission des affaires sociales, Sénat, n° 345, 2005-2006.

* 11 Assemblée nationale, troisième séance du jeudi 26 octobre 2006.

* 12 Conseil de l'hospitalisation, rapport 2006 précité.

* 13 Ordonnance 2005-1112 du 1 er septembre 2005 et loi 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006.

* 14 La sécurité sociale, Cour des comptes, septembre 2006, p. 200.

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