TRAVAUX DE LA COMMISSION

Audition de Mme Danièle KARNIEWICZ, présidente du conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav)

Réunie le mardi 30 octobre 2007 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'audition de Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

M. Nicolas About, président , a souhaité connaître la position du conseil d'administration de la Cnav, ainsi que le sentiment personnel de sa présidente sur les dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Cnav , a tout d'abord souligné que le régime général enregistrera en 2007 un déficit supérieur d'un milliard d'euros aux prévisions. Ce dérapage important ne s'explique pas uniquement par l'engouement des assurés sociaux pour le dispositif de longue carrière. Il correspond également à un souhait quasi unanime des seniors de liquider leur pension dès que possible. Dans ces conditions, les besoins de financement de la Cnav ne peuvent que s'accroître pour atteindre 10 milliards d'euros par an à l'horizon 2010-2012.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 comporte un ensemble de mesures coercitives destinées à dissuader les entreprises de recourir aux mécanismes bien connus de préretraite et autres cessations précoces d'activité. Ces dispositions ont fait l'objet d'un accueil globalement favorable de la part du conseil d'administration de la Cnav. Cela n'a pas été le cas, en revanche, de la perspective envisagée par le Gouvernement consistant à augmenter la durée nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Face à l'ampleur des départs précoces, il convient déjà de tout faire pour que les entreprises cessent de se séparer de leurs salariés âgés.

La Cnav entend apporter sa propre contribution aux débats de 2008 sur les retraites. Il est encore prématuré d'en présenter les détails, mais les travaux préparatoires s'organisent autour de plusieurs idées force :

- les projections financières des comptes du régime général illustrent la nécessité de fournir un effort supplémentaire ;

- cette action, dont les contours restent à définir, est susceptible de porter sur le montant, sur l'élargissement de l'assiette et sur la durée de cotisation ;

- l'enjeu consiste à redonner confiance aux assurés sociaux sur la pérennité même du système de retraite par répartition.

S'exprimant à titre personnel, Mme Danièle Karniewicz a souligné combien les jeunes actifs sont inquiets et craignent même de cotiser à perte. L'une des questions majeures de la prochaine réforme des retraites consiste à mettre un terme à cette dérive qui menace de tuer l'esprit de la retraite par répartition. Si la collectivité nationale n'est pas capable d'envoyer un signal clair pour les rassurer, les jeunes générations auront tendance à s'adresser à des assureurs privés. Il convient donc de fournir les efforts nécessaires et de rétablir la crédibilité de l'assurance vieillesse.

Elle a constaté par ailleurs que beaucoup de salariés du secteur privé expriment une sensibilité de plus en plus forte à l'égard des régimes de retraite spéciaux restés jusqu'ici à l'écart des réformes successives de l'assurance vieillesse. Ce sujet des régimes spéciaux, de même que celui de la pénibilité, sera l'un des principaux thèmes du rendez-vous de 2008 sur les retraites.

Mme Isabelle Debré s'est interrogée sur les critères permettant de définir la notion de pénibilité.

A titre personnel, là encore, Mme Danièle Karniewicz a estimé qu'il convient d'appréhender le dossier de la pénibilité en veillant à ne pas créer uniquement un mécanisme de départ anticipé supplémentaire. Les grilles de référence actuellement utilisées par les branches professionnelles ne correspondent plus toujours à la réalité. Ainsi, elles ne prennent en compte, le plus souvent, que la pénibilité physique des tâches effectuées, en faisant abstraction des troubles psychologiques et moraux qui affectent la santé d'un nombre croissant de salariés. Il serait également nécessaire de promouvoir la prévention de la pénibilité, notamment en permettant aux assurés de bénéficier d'une formation tout au long de leur vie professionnelle.

La notion de pénibilité correspond à une réalité indéniable du monde du travail, qu'il est toutefois difficile d'apprécier. Sans doute peut-on se fonder sur le critère de l'espérance de vie. Mais les autres dimensions du dossier apparaissent problématiques. Comment assurer la « traçabilité » de la pénibilité des parcours professionnels individuels ? Cette mission devrait-elle être du ressort du médecin du travail, du médecin traitant, du médecin de la sécurité sociale ou des trois ensemble ? Est-il possible d'appréhender le risque, pour une personne ayant exercé un métier pénible mais se trouvant actuellement en bonne santé, de développer ultérieurement une maladie professionnelle ? Comment financer les mesures qui seraient prises pour traiter le problème de la pénibilité, lorsque le régime général consacre déjà plus de 2 milliards d'euros par an aux carrières longues ?

Après avoir souligné le très fort impact de la réforme Balladur de 1993 sur le niveau des retraites, Mme Danièle Karniewicz a estimé qu'il convient désormais de mettre un terme à cette évolution. Prenant le contre-pied des opinions généralement avancées par beaucoup d'experts et de décideurs publics, elle a considéré qu'il faudrait accroître le montant des pensions, ne serait-ce que pour donner confiance aux jeunes générations. Cela supposerait d'améliorer le mode d'indexation des salaires portés au compte des assurés sociaux tout au long de leur carrière professionnelle, en allant au-delà du seul indice des prix.

Elle a également avancé l'idée de définir un taux de remplacement minimum par rapport au dernier salaire d'activité. Pour y parvenir, il faudrait toutefois établir une répartition précise des efforts à fournir par la Cnav d'une part, par les régimes complémentaires, d'autre part. A défaut, une telle garantie serait dépourvue de toute effectivité.

Elle a ensuite exprimé son attachement au travail réalisé par les services de la Cnav dans le domaine de l'action sociale, en mettant en garde contre le réflexe qui consisterait à vouloir s'en remettre exclusivement aux conseils généraux.

M. Dominique Leclerc, rapporteur pour la branche vieillesse , a constaté que ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne fait qu'aborder la question des retraites, en attendant le lancement de la prochaine réforme. Il a rappelé les préoccupations exprimées de longue date par la commission - préserver le système par répartition et réduire les disparités entre les assurés sociaux - et a approuvé l'article qui propose de restreindre et pénaliser financièrement les cessations précoces d'activité dans les entreprises.

En ce qui concerne la pénibilité, il a fait part de sa perplexité à l'égard de l'issue des négociations engagées entre les partenaires sociaux. A ses yeux, il faudrait avant tout améliorer les conditions de travail et insister sur la prévention. La prise en compte de la pénibilité ne doit pas se traduire uniquement par des préretraites supplémentaires.

Au-delà du rendez-vous de 2008, il convient d'engager une réflexion pour aboutir à une réforme structurelle plus importante à l'horizon 2012. Dans cette perspective, il est essentiel de connaître l'évolution probable, au cours des prochaines décennies, du taux de remplacement, c'est-à-dire du pourcentage que représente la retraite par rapport au dernier salaire d'activité. Il semble d'ailleurs que les prospectives disponibles fassent état de fortes disparités entre les salariés du secteur privé et les ressortissants des trois fonctions publiques. Cette question mériterait d'être approfondie, comme d'ailleurs celle des futurs adossements des régimes spéciaux.

Faisant référence à un sondage réalisé à la demande de la Cnav, Mme Danièle Karniewicz s'est inquiétée du sentiment d'exaspération à l'égard du monde du travail que manifestent les salariés arrivant à l'âge de la retraite. Bon nombre d'entre eux, y compris les plus modestes, vont même jusqu'à racheter à un coût élevé des trimestres de cotisations pour partir le plus vite possible. Il faudrait engager des efforts très importants pour sortir de cette situation. Les négociations sur la pénibilité pourraient être l'occasion d'élaborer un véritable pacte citoyen dans les entreprises afin d'améliorer les conditions de travail et les parcours professionnels, de façon à garder les seniors en activité.

Elle a ensuite réaffirmé ses réticences à l'égard du dispositif de cumul emploi-retraite, qui n'est pas exempt d'effets pervers. A l'inverse de la présentation qui en est faite généralement par le patronat, il ne s'agit en aucun cas du quatrième pilier de la retraite : actuellement, ce dispositif serait essentiellement utilisé par des salariés placés en préretraite, mais contraints de reprendre une activité professionnelle en raison de la modicité de leur pension.

S'exprimant à titre personnel, Mme Danièle Karniewicz a fait valoir le désarroi d'une partie croissante des classes moyennes à l'égard du principe de solidarité sur lequel est fondé notre système social. Nombreux sont nos concitoyens qui ont le sentiment d'être mis à contribution toujours davantage et de ne recevoir en contrepartie que des prestations de plus en plus faibles. A ce titre, un dispositif comme le bouclier sanitaire est susceptible de susciter de vives critiques dans la population.

En ce qui concerne les adossements, elle a indiqué que les négociations engagées avec l'Etat au sujet de la RATP sont au point mort pour deux raisons : la Cnav refuse le principe de l'intervention du fonds de solidarité vieillesse (FSV) pour les avantages familiaux et elle estime que le taux d'actualisation proposé par la puissance publique n'est pas suffisant. D'autres contacts ont été engagés avec les services de La Poste, mais une telle opération constituerait à l'évidence une première, puisque cette entreprise est majoritairement composée de fonctionnaires.

Mme Isabelle Debré s'est déclarée favorable à la mise en oeuvre d'un pacte citoyen pour l'emploi des seniors dans les entreprises. La réussite d'une telle initiative ne passe pas nécessairement par la loi, mais par la mobilisation de l'ensemble des acteurs du monde du travail.

Mme Gisèle Printz a observé que tous les salariés âgés ne veulent pas partir en retraite le plus tôt possible. Beaucoup, à l'inverse, y sont contraints par la direction de l'entreprise qui les emploie.

M. Guy Fischer s'est inquiété de la baisse des pensions, notamment celles des femmes et des personnes âgées, et du problème posé par le mode d'indexation sur les prix. Il a souhaité savoir quel a été l'impact de la réforme Balladur sur ce point précis et s'il est exact que ce mode de calcul entraîne mécaniquement un effondrement du taux de remplacement. Il a également souhaité connaître le sentiment de Mme Karniewicz sur le niveau d'1,1 % proposé pour la revalorisation des pensions en 2008.

Mme Marie-Thérèse Hermange a approuvé les propos de Mme Karniewicz sur l'importance de l'action sociale de la Cnav.

Faisant référence à l'article du projet de loi de financement de la sécurité sociale consacré aux mises à la retraite d'office, M. Alain Vasselle a souhaité connaître l'opinion de Mme Karniewicz sur les craintes formulées par certains employeurs : la pénalisation des mises à la retraite d'office ne risque-t-elle pas d'avoir les mêmes effets pervers que la contribution Delalande pour le taux d'emploi des seniors ? Il a également souhaité savoir si la position personnelle de la présidente de la Cnav sur le dossier de la pénibilité est partagée par d'autres interlocuteurs syndicaux.

M. Jean-Pierre Godefroy a observé que dans bon nombre d'entreprises, mais aussi dans le corps des ouvriers d'Etat auquel il appartenait lui-même, les salariés ont été placés, contraints et forcés, en préretraite à cinquante-deux ou cinquante-trois ans. Il a estimé en outre que le problème de la pénibilité doit être prioritairement traité, par le biais d'une amélioration des conditions de travail, la cessation précoce d'activité devant être réservée aux pathologies professionnelles, dans le cas de l'amiante par exemple.

Mme Danièle Karniewicz a confirmé que les trente années passées de mauvaises pratiques dans les entreprises ont toujours un impact dévastateur pour l'emploi des seniors. Répondant à Alain Vasselle, elle a estimé que la pénalisation financière des mises à la retraite d'office ne recèle pas d'effets pervers. A l'inverse, des mesures coercitives sont nécessaires pour montrer aux employeurs le chemin à accomplir. D'autres pays européens, comme les Pays-Bas, y ont eu recours avec des résultats significatifs. Il faut néanmoins combiner mesures incitatives et contraignantes pour sortir de l'impasse actuelle sur la faiblesse du taux d'emploi des seniors.

Les négociations en cours sur la pénibilité traduisent progressivement une évolution de la position des partenaires sociaux. En ce qui concerne l'indexation des pensions sur les prix, l'impact de la réforme Balladur peut être estimé à - 15 % depuis 1993, par rapport à la situation qui aurait prévalu si l'on avait conservé pour référence l'évolution des salaires. La question de la revalorisation des pensions constitue une vraie préoccupation, qui conduit à poser le principe de la répartition des efforts entre les différentes générations et entre actifs et inactifs. A ce titre, elle a précisé que sa proposition d'amélioration du mode d'indexation concerne non pas les pensions, mais les salaires portés au compte durant la carrière professionnelle des assurés sociaux.

Après avoir fait part de ses réticences sur la technique de gestion des retraites par points, elle a jugé que la Cnav fournit un travail remarquable dans le domaine de l'action sociale : l'aide à domicile, le portage des repas et les services fournis aux personnes âgées avant qu'elles ne soient dépendantes sont indispensables.

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