C. LE NOUVEAU RÉGIME DES ACTIONS EN JUSTICE RELATIVES À LA FILIATION

Le chapitre 3 du titre VII du livre premier, consacré aux actions en justice relatives à la filiation, comporte trois sections respectivement consacrées aux dispositions générales ( articles 318 à 324 ), aux actions aux fins d'établissement de la filiation ( articles 325 à 331 ) et aux actions en contestation de la filiation ( articles 332 à 337 ).

Le rapport de présentation de l'ordonnance au Président de la République souligne, d'une part, qu'« un équilibre a été recherché entre les composantes biologique et affective qui fondent le lien de filiation . Il convient en effet de tenir compte de la complexité de ce lien qui ne saurait être réduit à sa seule composante génétique », d'autre part, que « la modification du régime des actions, rendue nécessaire par le développement des moyens de preuve, appelle une plus grande rigueur dans les délais, afin de mettre l'enfant à l'abri de revendications tardives affectant la stabilité de son état ».

La plupart de nos collègues qui sont intervenus dans le débat relatif à la possibilité pour les candidats au regroupement familial de faire la preuve de leur filiation maternelle au moyen d'une expertise biologique, introduite dans la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, ont également insisté sur l' importance de la filiation vécue et la nécessité de ne pas la sacrifier sur l'autel de la vérité biologique .

1. Les dispositions générales : des innovations en matière de conflit de filiation et de prescription

Le nouveau régime général des actions relatives à la filiation reprend la plupart des règles antérieures, parfois à l'identique, mais comporte deux innovations principales concernant les conflits de filiation et la prescription.

Les règles maintenues par l'ordonnance sont les suivantes :

- l'irrecevabilité de l'action relative à la filiation d'un enfant qui n'est pas né viable, étant rappelé qu'en vertu d'une circulaire interministérielle du 30 novembre 2001 l'officier de l'état civil dresse un acte d'enfant sans vie si l'enfant pesait au moins cinq cent grammes ou est né au terme de vingt-deux semaines d'aménorrhée ( article 318 du code civil ) ;

- la compétence exclusive du tribunal de grande instance 45 ( * ) ( article 318-1 du code civil ), le juge répressif devant surseoir à statuer sur une infraction portant atteinte à la filiation jusqu'à ce que le juge civil se soit définitivement prononcé sur la question de filiation ( article 319 du code civil ). Sur ce dernier point, l'ordonnance vise l'ensemble des infractions et non plus seulement les délits, par exemple les conséquences en terme de filiation du crime que constituerait un clonage reproductif ;

- l'indisponibilité des actions relatives à la filiation 46 ( * ) ( article 323 du code civil ) ;

- l'intransmissibilité des actions relatives à la filiation, la portée de ce principe, déjà limitée par la loi du 3 janvier 1972, subissant cependant de nouvelles restrictions. Dans la mesure où l'ordonnance du 4 juillet 2005 prévoit la transmissibilité des actions relatives à la filiation aux héritiers (y compris les héritiers institués, c'est-à-dire les légataires universels ou à titre universel), le principe de l'intransmissibilité ne subsiste plus qu'à l'égard des créanciers ( article 322 du code civil ) ;

- l'autorité absolue des jugements relatifs à la filiation, qui s'imposent aux personnes qui n'y ont point été parties. Consacrant la jurisprudence de la Cour de cassation 47 ( * ) , l'ordonnance précise que ceux auxquels l'action était ouverte 48 ( * ) ont la possibilité de former la tierce opposition au jugement dans un délai qu'elle ramène de trente à dix ans. L'admission de cette action ne rend la décision attaquée inopposable qu'au tiers opposant 49 ( * ) . Enfin, la règle selon laquelle le juge a la possibilité de faire appeler en cause toutes les personnes auxquelles il estime que le jugement doit être rendu commun est maintenue car elle constitue le corollaire de l'opposabilité du jugement aux personnes qui n'y ont pas été parties ( article 324 du code civil ).

La première innovation de l'ordonnance du 4 juillet 2005 consiste à chercher à prévenir les conflits de filiation , alors que telle n'était pas la préoccupation première de la loi du 3 janvier 1972.

Cette dernière avait même édicté un principe général pour leur apporter une solution : si un conflit de filiation survenait, les actes de l'état civil d'un enfant mentionnant par exemple deux pères différents, les tribunaux devaient le régler en déterminant, par tous les moyens de preuve, la filiation la plus vraisemblable et, à défaut d'éléments suffisants, en ayant égard à la possession d'état ( ancien article 311-12 ).

Considérant que les progrès des expertises biologiques permettent aujourd'hui de déterminer avec certitude la filiation d'un enfant, les auteurs de l'ordonnance du 4 juillet 2005 ont abandonné la « conception probabiliste » sur laquelle reposait la loi de 1972 et généralisé l' application du principe chronologique pour mettre l'enfant à l'abri des conflits de filiation.

L' article 320 du code civil énonce ainsi que « tant qu'elle n'a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait . »

La seconde innovation de l'ordonnance du 4 juillet 2005 consiste dans la réduction du délai de prescription de droit commun des actions relatives à la filiation afin, selon le rapport au Président de la République, de « garantir une plus grande stabilité de l'état de l'enfant ».

Il était admis, avant la loi du 3 janvier 1972, que ces actions étaient imprescriptibles. Depuis lors, elles étaient en principe soumises au délai trentenaire de droit commun de la prescription extinctive.

L'ordonnance du 4 juillet 2005 substitue à ce délai trentenaire un délai de dix ans courant, comme avant, à compter du « jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté ». En outre la prescription reste suspendue pendant la minorité de l'enfant, de sorte qu'il pourra agir jusqu'à l'âge de vingt-huit ans même, précise une jurisprudence antérieure qui devrait conserver sa valeur 50 ( * ) , s'il avait été émancipé ( article 321 du code civil ).

En outre, le décret n° 2006-640 du 1 er juin 2006 pris pour l'application de l'ordonnance du 4 juillet 2005 a apporté une autre modification importante au régime des actions relatives à la filiation en prévoyant que le pourvoi en cassation n'a pas , en cette matière, d'effet suspensif ( article 579 du nouveau code de procédure civile ).

Cette innovation a été justifiée par le souci, dans l'intérêt de l'enfant, « d'éviter le traumatisme qui pourrait résulter de la remise en cause, après un arrêt rendu par la Cour de cassation, d'une décision relative à la filiation... d'ores et déjà exécutée . »

Les règles générales définies par l'ordonnance du 4 juillet 2005 ont vocation à s'appliquer sous réserve des règles particulières prévues tant pour les actions en établissement de la filiation que pour les actions en contestation de la filiation.

* 45 L'affaire doit être communiquée au parquet (article 425 du nouveau code de procédure civile) ; elle est instruite en chambre du conseil, seul le jugement étant rendu en audience publique (article 1149 du nouveau code de procédure civile).

* 46 C'est en se fondant sur l'indisponibilité de l'état des personnes que la jurisprudence a proclamé, dès avant les lois bioéthiques, l'illicéité des contrats de mère porteuse (Assemblée plénière de la Cour de cassation, 31 mai 1991).

* 47 Première chambre civile de la Cour de cassation, 11 juin 1991.

* 48 Par conséquent, la tierce opposition est irrecevable dans les actions en recherche de filiation maternelle (article 325) en recherche de filiation paternelle hors mariage (article 325) et en rétablissement de la présomption de paternité du mari (article 329). En revanche, elle est admise dans les actions en constatation de la possession d'état (article 330).

* 49 Première chambre civile de la Cour de cassation, 27 octobre 1981.

* 50 Première chambre civile de la Cour de cassation, 14 mars 1978.

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