3. Les actions tendant à la contestation de la filiation : une unification des règles conduisant à une modification significative des délais pour agir

A la dizaine d'actions en justice préexistantes, dont les règles s'avéraient complexes et contraires au principe d'égalité des filiations, l'ordonnance substitue une action en contestation de la maternité et une action en contestation de la paternité, dont elle unifie et modifie les conditions d'exercice, ainsi qu'une action en contestation de la possession d'état.

a) L'action en contestation de la paternité ou de la maternité

L' article 332 du code civil pose un principe général selon lequel la maternité ou la paternité peut être contestée en prouvant, selon le cas, que la mère n'a pas accouché de l'enfant ou que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père de l'enfant.

Le régime de l'action est conditionné par l'existence ou non de la possession d'état en renfort du titre , la conformité du titre et de la possession d'état justifiant une protection renforcée.

Les dispositions générales prévues aux articles 318 à 324 du code civil sont applicables. Ainsi, conformément au principe chronologique de l' article 320 , deux actions peuvent être jointes, l'une tendant à l'annulation de la filiation légalement établie et l'autre aux fins d'établissement de la filiation à l'égard d'un tiers.

Conséquence de l'abandon des notions de filiations légitime et naturelle, l'ordonnance ne distingue plus selon qu'il s'agit de contester l'une ou l'autre. Désormais, la contestation de la filiation de l'enfant né pendant le mariage obéit au même régime que la filiation de l'enfant né hors mariage.

• L'objet de la contestation

La contestation de la maternité est admise en rapportant la preuve que la mère n'a pas accouché de l'enfant. Cette règle s'inscrit dans la logique de l'ordonnance, qui consacre expressément le principe selon lequel la mère est celle qui accouche de l'enfant.

La maternité étant désormais établie par l'indication du nom de la mère dans l'acte de naissance, les seuls cas désormais possibles reposent sur une supposition ou substitution d'enfants.

Lorsque l'action est dirigée contre une femme mariée alors que la présomption de paternité n'avait pas été écartée, l'annulation de sa maternité entraîne l'annulation de la paternité du mari, en raison de l'indivisibilité de la filiation en mariage. Il convient donc que le mari soit mis en cause afin que le jugement lui soit rendu commun ( article 324 du code civil ).

La contestation de la paternité suppose que soit rapportée, par tous moyens, la preuve de la non paternité du mari ou de l'auteur de la reconnaissance.

Toute filiation, qu'elle soit corroborée ou non par la possession d'état, peut désormais être contestée par le ministère public , l' article 336 du code civil , qui fonde son action, n'opérant aucune distinction selon le type de filiation.

Le ministère public peut agir dans le délai décennal de droit commun de l' article 321 du code civil dans deux hypothèses :

- lorsque des indices tirés des actes eux-mêmes rendent invraisemblable le lien de filiation légalement établi, par exemple en présence d'une trop faible différence d'âge entre le parent et l'enfant ;

- lorsque la filiation a été établie en fraude à la loi, la rédaction retenue étant plus large que celle de l' ancien article 339 du code civil qui visait exclusivement une reconnaissance destinée à frauder les règles relatives à l'adoption. Le ministère public peut ainsi agir non seulement dans cette hypothèse mais aussi, par exemple, en cas de violation des articles 16-7 et 16-9 du code civil prohibant la procréation et la gestation pour le compte d'autrui.

Dans tous les cas, le demandeur doit rapporter la preuve de l'inexactitude de la filiation selon les règles de droit commun.

• La contestation lorsque le titre est corroboré par la possession d'état

Lorsque l'enfant dispose d'un titre corroboré par la possession d'état, ce qui est heureusement la situation la plus habituelle, il est légitime que, dans un souci de protection de la paix des familles, la possibilité de contestation de la filiation soit restreinte.

Jusqu'à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 4 juillet 2005, la présomption de paternité du mari ne pouvait être contestée que par ce dernier à l'occasion d'un désaveu dans un délai de six mois suivant la naissance de l'enfant ( ancien article 316 du code civil ) ou par la mère, lorsque celle-ci se remariait avec le père prétendu, dans un délai de six mois à compter du remariage et avant que l'enfant ait atteint l'âge de sept ans ( ancien article 318 du code civil) . Ni l'enfant ni le père prétendu ne pouvaient contester la filiation établie à l'égard du mari. L'action en contestation d'une filiation naturelle était plus ouverte puisque la reconnaissance pouvait être contestée par son auteur pendant dix ans, et par la mère, l'enfant ou le père prétendu pendant trente ans ; la prescription étant suspendue durant la minorité de l'enfant, celui-ci pouvait donc agir pendant 48 ans, l'existence de la possession d'état n'ayant aucun effet particulier.

Désormais, l' article 333 du code civil édicte, en cas de titre et de possession d'état conforme, une double règle applicable à la contestation de la filiation en mariage et hors mariage :

- l'action n'est ouverte qu'à l'enfant, à ses père et mère ou à celui qui se prétend le parent véritable, qui peuvent agir dans un délai de cinq ans à compter de la cessation de la possession d'état (premier alinéa) ;

- nul ne peut contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance si elle a été faite ultérieurement (second alinéa).

Selon la circulaire du 30 juin 2006, ce délai de cinq ans posé par le second alinéa de l' article 333 du code civil est un délai préfix, institué à peine de déchéance et susceptible d'être relevé d'office par le juge 55 ( * ) . La filiation établie par la conjonction du titre et de la possession d'état doit être inattaquable dès l'expiration du délai de cinq ans. On ne saurait admettre que l'enfant, par le jeu de la suspension, puisse la contester pendant vingt-trois ans. En revanche, il pourra agir au maximum jusqu'à l'age de vingt-trois ans lorsque la possession d'état aura duré moins de cinq ans.

Ces règles nouvelles sont ainsi moins protectrices de la paix des familles mariées qu'avant, puisque les titulaires de l'action sont plus nombreux et peuvent agir pendant cinq ans, mais bien plus protectrices de celle des familles non mariées, puisque les délais de prescription ont été sensiblement réduits.

• La contestation lorsque le titre n'est pas corroboré par la possession d'état

La vraisemblance d'une filiation établie par l'acte de naissance ou l'acte de reconnaissance sans être confortée par la possession d'état est moindre, de sorte que l'action en contestation est plus largement ouverte ( article 334 du code civil ).

Elle peut être exercée par tout intéressé , cet intérêt pouvant être de nature morale ou pécuniaire : le père, la mère, celui qui se prétend le véritable parent, l'enfant lui-même, les autres enfants issus du parent à l'égard duquel la filiation est contestée, ses héritiers, le ministère public 56 ( * ) . Etant attachée à la personne, l'action n'est pas ouverte aux créanciers du parent à l'égard duquel la filiation est contestée ou aux créanciers de l'enfant, ni aux membres de la famille qui ne sont pas héritiers.

Elle obéit à la prescription de droit commun . Le délai de dix ans commence à courir à compter de l'établissement de la filiation soit, selon le cas, du jour où l'acte de naissance a été dressé, lorsque la filiation a été établie par l'effet de la loi (contestation de la maternité ou contestation de la paternité du mari), de la naissance en cas de reconnaissance prénatale, celle-ci produisant effet à compter de la naissance de l'enfant, de la date à laquelle elle a été effectuée en cas de reconnaissance postérieure à l'établissement de l'acte de naissance.

Le délai est suspendu au profit de l'enfant durant sa minorité, qui peut donc agir en principe jusqu'à l'âge de 28 ans.

b) L'action en contestation de la possession d'état

Lorsque la possession d'état a été constatée par jugement , ce jugement est opposable à tous. La filiation qu'il établit peut cependant être contestée, par la voie de la tierce opposition , pendant un délai de dix ans par ceux qui n'ont pas été parties à la procédure ( articles 321 et 324 du code civil ).

Lorsque la possession d'état a été constatée par un acte de notoriété , l' article 335 du code civil prévoit que la filiation ainsi établie peut être contestée par toute personne qui y a intérêt dans un délai de cinq ans à compter de la délivrance de l'acte.

Comme l'ont fait observer à juste titre M. Jacques Massip, conseiller doyen honoraire à la Cour de cassation, et les représentants du Conseil supérieur du notariat, le jugement se voit ainsi reconnaître une force moins grande qu'un simple acte de notoriété, pourtant moins fiable. Cette anomalie doit être corrigée.

En pratique, l'action est le plus souvent exercée par les cohéritiers d'un enfant qui se prévaut d'un acte de notoriété pour revendiquer ses droits dans la succession de son père. Elle peut également être exercée par le ministère public sur le fondement des articles 336 du code civil ou 423 du nouveau code de procédure civile , lorsque l'acte de notoriété constatant la possession d'état a été sollicité afin de contourner les règles légales interdisant d'établir la filiation, notamment en cas de fraude aux règles régissant l'adoption ou interdisant la procréation et la gestation pour le compte d'autrui.

Il appartient à celui qui conteste la possession d'état de rapporter la preuve contraire en établissant que ses éléments constitutifs ne sont pas réunis, qu'elle est viciée ou que la filiation ainsi établie n'est pas conforme à la réalité biologique.

Le succès de l'action, quel qu'en soit le fondement, a pour conséquence d'annuler le lien de filiation de manière rétroactive ; les actes de l'état civil concernés doivent être mis à jour lorsque la décision est devenue définitive. L'annulation du lien de filiation a pour effet de faire disparaître les droits et obligations qui pesaient sur le parent dont la filiation est annulée. Elle entraîne automatiquement et de plein droit le changement de nom de l'enfant mineur. En revanche, le changement de nom de l'enfant majeur requiert toujours son consentement ( article 61-3 du code civil ). L'annulation de la maternité d'une femme mariée entraîne celle de la présomption de paternité, en raison du principe de l'indivisibilité de la filiation en mariage.

L' article 337 du code civil , qui reprend les dispositions prévues à l'ancien article 311-13 , prévoit que le tribunal, lorsqu'il annule la filiation, peut, dans l'intérêt de l'enfant, fixer les modalités de ses relations avec la personne qui l'élevait en fait. La rédaction retenue permet au tribunal de décider des modalités les plus conformes à l'intérêt de l'enfant, afin d'éviter une rupture brutale des liens et d'éventuels conflits si la filiation est, dans la même action, établie à l'égard du véritable parent. Il peut donc décider d'un droit de correspondance, d'un droit de visite plus ou moins large, voire même, dans des situations particulières, de fixer la résidence de l'enfant chez le parent dont la filiation a été annulée, si l'intérêt du mineur l'exige. Si l'action est rejetée, le demandeur peut éventuellement être condamné pour procédure abusive à des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par l'enfant et par le parent dont la filiation a été contestée en vain.

* 55 Article 125 du nouveau code de procédure civile.

* 56 Il a été jugé, s'agissant de la contestation de la reconnaissance, que les grands-parents ne bénéficient d'aucun intérêt moral de principe et que leur droit d'agir est subordonné à la démonstration d'un intérêt personnel, légitime et pertinent (tribunal de grande instance de Paris, 17 avril 1992).

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