INTRODUCTION

« Il ne s'agit pas d'être optimiste ou pessimiste, mais déterminé. »

Jean Monnet

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi présenté le 18 juin 2008 en Conseil des ministres par Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, et soumis à l'examen de notre Haute Assemblée, tend à concrétiser, pour partie, dans le droit national l'« Accord pour le développement et la protection des oeuvres et programmes culturels sur les nouveaux réseaux ». Conclu au Palais de l'Elysée le 23 novembre 2007, à la suite d'une mission confiée à M. Denis Olivennes, ce dernier compte 50 signataires représentant les secteurs de la musique, du cinéma, de l'audiovisuel et des fournisseurs d'accès.

A l'occasion de la signature de cet accord, au terme d'une concertation exemplaire , guidée par la recherche d'un compromis équilibré, novateur et pragmatique , le Président de la République a rappelé son engagement fort en faveur de « la protection du droit de chaque artiste, de chaque interprète, de chaque producteur de voir son travail normalement rémunéré » . Il s'est félicité que les propositions formulées permettent de redonner à la France « une position de « leader » dans la campagne de « civilisation » des nouveaux réseaux » : « le risque le plus grand était de ne rien faire. C'était le risque de se laisser mourir. Les uns parce qu'ils ne pourraient plus rien produire. Les autres parce qu'ils n'auraient plus rien à diffuser. »

Alors que ces « Accords de l'Elysée » fêteront dans quelques semaines leur premier « anniversaire », les acteurs de la création artistique ont marqué, de façon quasi-unanime, leur grande impatience à voir se concrétiser une démarche répondant, à leurs yeux, à une situation d'urgence absolue .

En effet, la révolution numérique offre d'immenses opportunités et permet d'accéder à un grand nombre d'oeuvres culturelles ; mais parallèlement, elle contribue à la chute des achats de supports physiques (CD, DVD...) que sont loin de compenser les actes de consommation par voie électronique.

A l'inverse, elle favorise le développement de comportements dits « pirates », c'est-à-dire non respectueux du droit d'auteur, lequel doit permettre aux créateurs, artistes et industries culturelles de percevoir une rémunération en échange de la mise à disposition de l'oeuvre dont ils ont la propriété ou dont ils détiennent le droit d'exploitation.

Or les conséquences du « piratage » sur Internet des oeuvres protégées sont désastreuses pour toutes ces professions, qui représentent environ 2,4 % de l'emploi en France. En outre, son impact sur l'avenir de la création dans notre pays est fortement préoccupant, voire potentiellement dramatique, en termes de diversité culturelle et de renouvellement.

Il est donc temps de rétablir un équilibre, aujourd'hui rompu, entre les droits fondamentaux des internautes et ceux tout aussi légitimes des créateurs , dont le droit de propriété sur leurs oeuvres et la juste rémunération qui en découle sont aujourd'hui trop souvent bafoués. Il convient de rendre ces droits compatibles et non de les hiérarchiser.

L'objectif du présent projet de loi est ciblé : faire du « piratage » des oeuvres protégées sur Internet un risque inutile, par la mise en oeuvre d'une réponse préventive, à la fois pédagogique et dissuasive.

La France n'est pas le seul pays concerné par ce « fléau » : c'est pourquoi la démarche novatrice engagée par les « Accords de l'Élysée » et déclinée dans le présent projet de loi est également regardée avec le plus grand intérêt au-delà de nos frontières. Certains pays -tels les États-Unis et la Grande-Bretagne- ont engagé une démarche de même nature, mais par voie contractuelle.

Plus de deux ans après l'adoption de la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information dite loi DADVSI, ce texte prolonge et complète la démarche, restée inaboutie, de « régulation » des réseaux numériques.

Internet, formidable espace de liberté, ne saurait demeurer néanmoins une « zone de non-droit » où l'on laisserait prospérer, au nom d'une certaine idéologie, des pratiques qui s'apparentent à un véritable pillage des oeuvres culturelles en ligne. L'actualité récente montre, en effet, la nécessité d'une régulation dans les champs économiques et sociaux où elle était jusqu'alors insuffisante ou absente. Dans le domaine d'Internet, ce besoin de régulation vient d'être réaffirmé par le Gouvernement, dans le cadre du Plan « France numérique 2012 ».

Ce faisant, la France se replace en première ligne dans la protection des droits de propriété artistique, fidèle à sa tradition de défense du droit d'auteur, droit fondamental et légitime.

Cette étape est décisive : le présent projet de loi traduit le « volet préventif » des « Accords de l'Élysée », en confiant notamment à une autorité administrative indépendante - la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) -, présentant des garanties maximales en termes d'impartialité et de respect des droits, la mise en oeuvre d'un mécanisme d'avertissement et de sanction . Cette « réponse graduée », essentiellement pédagogique , offre une alternative à la procédure pénale actuelle, lourde et répressive, qui s'avère manifestement disproportionnée, inadaptée et donc inefficace pour prévenir et réprimer un phénomène « de masse », qui est notamment le fait de jeunes internautes.

C'est pourquoi les attaques, portées par une minorité active, contre un texte qui serait « ultra répressif », voire « liberticide » laissent dubitatifs. Votre commission rappellera plutôt que 74 % des Français ont soutenu, dans un récent sondage, la réponse préventive du projet de loi et la possibilité, in fine , d'aboutir à une suspension temporaire de l'accès à Internet, comme alternative à la sanction pénale.

Certes, le projet de loi ne règlera pas tous les problèmes auxquels est confrontée l'industrie culturelle. Il ne mettra pas fin, du jour au lendemain, au piratage des oeuvres ; cependant, il marquera une étape décisive s'il parvient déjà à « civiliser » les usages d'Internet , de la même façon que la politique de sécurité routière a favorisé un comportement plus responsable chez la plupart des automobilistes.

Ce projet de loi accompagne la transition d'un monde à un autre ; il incitera les internautes à se détourner de l'offre illicite pour se porter vers une offre légale désormais riche, attractive et diversifiée, mais qui souffre encore de cette concurrence déloyale.

En effet, votre commission est convaincue que la diffusion numérique des oeuvres est une chance , une opportunité formidable à saisir : l'appétit des « consommateurs-internautes » pour les contenus culturels est un signe très positif pour le monde de la création. Encore faut-il poser clairement les règles du jeu afin que le processus soit « gagnant-gagnant ».

Comme le souligne Denis Olivennes dans un récent ouvrage 1 ( * ) , il ne s'agit ni de « diaboliser le Net » , ni de « prier pour que rien ne change » : au contraire, « la nouvelle donne numérique permet de franchir une nouvelle étape, une étape proprement inouïe dans la diffusion de la culture » .

Au terme d'un large travail préparatoire, qui a permis à votre rapporteur d'entendre environ 120 personnes au cours d'une soixantaine d'auditions et d'un déplacement à Bruxelles, votre commission vous propose d'adopter le projet de loi, assorti néanmoins de 50 amendements ayant notamment pour objectif de mieux concilier les droits des créateurs et ceux des internautes.

I. LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE S'ACCOMPAGNE D'UNE ÉVOLUTION RAPIDE DES USAGES ET DES MODES DE CONSOMMATION DES BIENS CULTURELS

A. UN CONSTAT : LA DÉMATÉRIALISATION CROISSANTE DES oeUVRES

1. L'évolution rapide des technologies et des usages

a) Une révolution technologique...

La première décennie du XXI e siècle est marquée par une véritable révolution technologique. L'explosion de l'univers technologique, dans les pays développés, permet le développement de ce que l'on appelle « l'économie de l'immatériel ».

Si les supports physiques conservent leurs avantages et leurs attraits, il est incontestable que les nouvelles technologies offrent d'immenses opportunités pour accéder aux oeuvres culturelles du monde entier.

Le mouvement de démocratisation et de banalisation de l'usage d'oeuvres sous forme numérique et sur d'autres supports que le CD ou le DVD ne cesse de s'accélérer. Cette pratique concerne certes beaucoup les jeunes générations, mais elle se développe au sein de l'ensemble de la population. Il s'agit là d'une évolution profonde de la société et des modes de consommation de nos concitoyens.

Elle est encouragée par l'accès croissant des Français à Internet, la diffusion très large des lecteurs numériques, et du téléchargement.

Un accès croissant à Internet

D'après une étude de GfK/Médiamétrie, au 1 er trimestre 2008, plus d'un foyer français sur deux avait accès à Internet, soit 45,6 % de plus qu'au 1 er trimestre 2007. La France compte aujourd'hui 32 millions d'internautes.

Au deuxième trimestre 2008, la France comptait 18 millions d'abonnés à Internet dont 16,7 millions en haut débit, la plupart utilisant l'ADSL. Avec un taux de pénétration du haut débit de 61 % des ménages, la France arrive en troisième position en Europe, derrière les Pays-Bas (74 %), la Suisse (69 %), et à égalité avec le Royaume-Uni.

La diffusion des baladeurs numériques

Ainsi, dans notre pays, l'institut GfK évalue le marché des baladeurs numériques à environ 6 millions d'unités vendues en 2006, soit +23 % par rapport à 2005. Fin 2006, 28 % des foyers français possédaient un baladeur MP3, dont 10 % un baladeur compatible avec les dispositifs de protection des fichiers et de gestion des droits (DRM) des plateformes légales de téléchargement.

Le développement de la pratique du téléchargement et autres modes d'accès aux contenus

La pratique du téléchargement est largement répandue : selon une récente étude de l'IDATE, plus d'un internaute sur deux (55 %) a effectué au moins un téléchargement de fichier, quelle qu'en soit la nature, au cours du trimestre écoulé, 59 % d'entre eux déclarant avoir téléchargé de la musique.

Soulignons que le téléchargement ainsi que les autres modes d'accès aux contenus par voie électronique sont fortement liés à la pénétration du haut débit dans les foyers, puisque 94 % des internautes ayant téléchargé au cours du dernier trimestre sont équipés d'un accès Internet haut débit.

b) ...Que le développement de la fibre optique et du très haut débit viendra accélérer

La plupart des grands pays développés, comme la Corée du Sud, le Japon, les Etats-Unis, l'Italie, la Suède, le Danemark ou les Pays-Bas, se sont résolument lancés vers le très haut débit. Au Japon et en Corée du sud, la fibre optique représente déjà 25 % des accès Internet. En Europe, cinq pays (Suède, Danemark, Pays-Bas, Italie, Norvège) concentrent à eux seuls près de 96 % des abonnés aux réseaux en fibre optique.

La France est l'un des tout premiers pays au monde pour le développement d'Internet vient d'annoncer ses ambitions en la matière, avec la récente présentation du « Plan de développement de l'économie numérique à horizon 2012 » par M. Eric Besson, secrétaire d'État chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique. Il s'agit d'encourager le déploiement de l'Internet haut débit sur l'ensemble du territoire mais aussi l'avènement d'une nouvelle génération : l'Internet très haut débit par fibre optique dans les grandes villes. L'objectif du Gouvernement est que 100 % de la population aient accès au haut débit d'ici à 2012.

Précisons que ce plan repose sur quatre priorités : permettre à tous les Français d'accéder aux réseaux et aux services numériques, développer la production et l'offre de contenus numériques, accroître et diversifier les usages et les services numériques dans les entreprises, les administrations, et chez les particuliers, moderniser notre gouvernance de l'économie numérique.

En outre, rappelons que pour faire de notre pays un leader en matière de très haut débit, plusieurs mesures viennent d'être prises dans le cadre de la loi de modernisation de l'économie (LME).

RAPPEL DES DISPOSITIONS DE LA LOI DE MODERNISATION DE L'ÉCONOMIE

- un droit à la fibre optique, analogue à celui du droit à l'antenne, a été mis en place. Ce droit doit permettre à chaque Français de se faire raccorder à un réseau en fibre optique s'il dispose d'une offre d'un opérateur ;

- le pré-câblage, obligatoire à partir de 2010, de tous les immeubles a été instauré afin d'accélérer le déploiement du très haut débit ;

- une obligation de mutualisation des réseaux à très haut débit a été définie, en un point de raccordement facilement accessible pour les opérateurs tiers. Par ailleurs, les différentes infrastructures (réseaux câblés, électriques, de distribution d'eau ou d'assainissement) devront être utilisées pour le déploiement du très haut débit.

La pratique du pair à pair (peer to peer ou P2P) continue à se développer, ainsi qu'il sera précisé ci-après. Toujours selon l'étude de l'IDATE, 30 % des internautes auraient utilisé au moins une application de P2P au cours des trois derniers mois.

Les nouveaux usages de la vidéo se caractérisent par une multiplication des canaux (TNT, ADSL, VoD, 3G, streaming, téléchargement) et une prolifération des écrans (TV, PC, baladeurs, mobiles). Les consommateurs ont pris goût à cette abondance de choix. Le téléviseur conçu autrefois comme un appareil isolé est de plus en plus connecté en WIFI ou par câble à une série d'autres appareils qui décuplent ses capacités : PC, décodeur, box ADSL, disque dur, enregistreur numérique. Ils favorisent la prise de contrôle sur la vidéo par le spectateur qui peut commander, enregistrer, conserver, transférer des contenus avec une grande liberté.

Les capacités de stockage des équipements ont fait des progrès remarquables : elles peuvent atteindre plusieurs centaines de Gigas octets, voire aujourd'hui le Tera octets, ce qui diminue le besoin de graver sur CD ou DVD. L'essentiel de l'effort financier consenti par les consommateurs concerne désormais le matériel et les équipements d'accès à la vidéo, et beaucoup moins les contenus en eux-mêmes.

L'accès à la vidéo gratuite - légale ou non - n'a jamais été aussi facile, aussi riche et aussi diversifié. L'offre gratuite de la TNT complétée par l'offre ADSL de base satisfait une bonne partie des attentes. Avec ce que l'on appelle la « télévision de rattrapage » (ou « catch-up TV »), le « streaming » et le téléchargement, les consommateurs ont l'embarras du choix. Ils deviennent donc beaucoup plus sélectifs et exigeants vis-à-vis des offres payantes, dont la valeur relative se déprécie à leurs yeux. Ils sont prêts à payer pour une télévision à la carte (chaînes à l'unité, mini-bouquets, VOD) mais réticents aux bouquets larges ou qui l'engagent dans la durée. Une partie des consommateurs privilégient ainsi une télévision personnalisée et à moindre coût.

2. Un développement important bien que tardif de l'offre légale

L'argument selon lequel le piratage des oeuvres serait en quelque sorte encouragé par l'insuffisance de l'offre légale n'est plus pertinent aujourd'hui.

Il est vrai que les acteurs culturels n'ont pas tous su accompagner, et encore moins anticiper, les évolutions technologiques. Il faut dire, à leur décharge, que cette révolution technologique se produit avec une ampleur et à une vitesse inimaginable. Parallèlement, l'ingéniosité des contrefacteurs, qui tirent un bénéfice direct ou indirect de la mise à disposition illicite de contenus créatifs, a contribué à l'explosion des pratiques illicites.

A l'occasion de ses nombreuses auditions, votre rapporteur a pu constater que l'offre commerciale légale en ligne -tant payante que gratuite (c'est-à-dire financée par la publicité) pour l'internaute- s'est considérablement enrichie depuis 2006, date d'adoption de la loi DADVSI. Des progrès restent sans doute à accomplir dans certains domaines, y compris en termes d'interopérabilité.

a) S'agissant de la musique

Selon une étude de l'Observatoire de la musique, les ventes de téléchargement de musique numérique ont représenté en France, en 2007, un volume de 53,1 millions de titres (dont 37,2 millions sur PC et 15,9 millions sur téléphone mobile), soit une augmentation de + 65,8 % par rapport à 2006.

Le chiffre d'affaires correspondant est de 40,2 millions d'euros (taxes comprises), en progression de + 27,6 %. Il est réalisé à hauteur de 67,4 % sur PC (en augmentation de + 10,7 points contre 2006) et de 32,6 % sur mobile.

Il faut relever que le prix a sensiblement baissé en un an. Ainsi, en 2007, le prix moyen d'un titre téléchargé sur PC est de 0,73 euro TTC (- 10,2 % par rapport à 2006). Par ailleurs les offres des fournisseurs d'accès Internet qui permettent d'accéder, moyennant un prix forfaitaire de quelques euros par mois, à un catalogue de plusieurs centaines de milliers de titres, se sont multipliées.

En actes de téléchargement, les internautes se sont procuré 1,6 million d'albums, représentant 5,2 % de l'ensemble des actes de téléchargement , et 24,4 millions de titres, soit 46 % du marché en volume et 35,6 % du marché en valeur.

b) Pour ce qui concerne le cinéma et l'audiovisuel

Une étude comparative de la Direction du développement des médias et de l'Observatoire Européen de l'Audiovisuel de janvier 2008 a recensé 258 services de vidéo à la demande (VoD) en Europe, contre 142 à la fin 2006. La France, avec 32 services, est le pays qui héberge l'offre la plus importante , suivie par les Pays-Bas (30 services) et l'Allemagne (26 services).

Plus de 70 % des services sont au moins présents sur Internet , qui constitue le premier réseau de distribution des offres de vidéo à la demande. C'est notamment sur Internet que se développent les services de « catch up TV » (rediffusion à la demande) des éditeurs de chaînes.

Ces derniers, jusqu'alors peu ou mal positionnés sur le marché de la vidéo à la demande proposent désormais à travers ces offres, des services fortement différenciés et attractifs. Dans leur sillage, les autres plates-formes, positionnées à l'origine sur un catalogue de films de cinéma, s'ouvrent assez largement au contenu télévisuel.

Relevons que la France est le pays qui compte le plus grand nombre d'abonnés à des offres de télévision sur Internet (IPTV) en Europe. C'est également le pays où l'offre de vidéo à la demande sur DSL (services groupés Internet + télévision + téléphone) est la plus conséquente : six des sept opérateurs Internet significatifs du marché national, proposent une offre de vidéo à la demande.

Néanmoins, les achats en ligne ne représentent que 7 % du marché national, contre environ 25 % aux Etats-Unis.

3. Une pratique massive et évolutive du piratage

Le piratage est à la fois physique et numérique. En effet, l'IFCIC estime que 37 % des CD achetés sur la planète sont des copies illégales et que 20 fichiers de musique pirates sont aujourd'hui téléchargés pour chaque fichier légal vendu.

En France, le piratage d'oeuvres culturelles passe essentiellement par la voie numérique, compte tenu du niveau élevé en équipements informatiques et de l'importante couverture du territoire en haut débit.

Ainsi que le relève le rapport du CGTI 2 ( * ) sur la « distribution de contenus culturels après le rapport Olivennes », présenté le 20 juin 2008, Internet : « nous y communiquons, nous y informons, achetons et vendons, donnons notre avis et faisons des rencontres : Internet est devenu partie intégrante de notre vie. Dans un même temps, les oeuvres culturelles (la musique, le film, l'audiovisuel) se sont soustraites aux circuits de distribution traditionnels et se trouvent mises à disposition dans l'univers numérique. Une circulation gratuite, massive et illégale des fichiers apparaît à travers les différents moyens qu'offrent les technologies informatiques : depuis l'an 2000, ce sont les réseaux d'échange de fichiers peer-to-peer qui sont en l'incarnation la plus parfaite, même si les moyens d'accès aux oeuvres se renouvellent constamment. »

Tous les secteurs culturels sont progressivement concernés : musique, cinéma et audiovisuel, mais aussi, les logiciels et jeux vidéos et, dans une moindre mesure, l'édition.

a) La technique du pair à pair ou P2P

Le développement d'Internet a été marqué par l'explosion des réseaux pair à pair (ou peer to peer). Ce terme désigne une classe d'applications informatiques dédiées à la mutualisation de ressources. Cette mutualisation propre aux systèmes de pair-à-pair repose avant tout sur la spécificité du numérique, à savoir l'existence d'effets de réseau.

Les flux de P2P représenteraient environ 80 % de l'ensemble des flux de communication numérique dans l'Internet.

Dans son avis n° 2005-2 du 7 décembre 2005 3 ( * ) sur la distribution des oeuvres en ligne, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) a établi un état des lieux qui conserve toute son actualité :

« Sur le plan technique, le P2P est sans doute la forme de distribution aujourd'hui la plus pratiquée et celle qui préoccupe le plus les industries culturelles mais l'approche de la question doit naturellement être plus large sous peine de n'avoir qu'une vision partielle de la situation et de n'aboutir qu'à des solutions qui pourraient se révéler rapidement obsolètes ou inadaptées. Le P2P n'est que la pointe émergée d'une nouvelle donne technologique aux dimensions aussi incertaines que croissantes.

Les nouvelles techniques ne doivent évidemment pas être combattues en tant que telles, compte tenu de l'utilité d'un certain nombre d'usages, mais d'autres posent problème. Le succès des réseaux P2P est en effet principalement lié à la possibilité créée, pour des millions d'internautes, de se procurer librement et gratuitement des contenus culturels, essentiellement de la musique et des films, sans accord et sans rémunération des ayants droit. La demande sociale tendant à un accès large et facilité aux contenus culturels doit être entendue mais respecter le cadre juridique et économique nécessaire au développement harmonieux des industries culturelles.

La technologie P2P n'est pas illégale en elle-même ; seuls le sont certains types d'utilisations comme ceux visant à se procurer et à échanger sans autorisation des contenus culturels. D'un point de vue juridique, il a été établi que, en l'absence d'autorisation des titulaires de droits, l'opération d'upload 4 ( * ) est manifestement illicite. Il en est de même du download 5 ( * ) lorsqu'il est associé à une opération d'upload. En ce qui concerne le download dissocié de l'opération d'upload, la très grande majorité des membres de la Commission considère qu'il s'agit d'un acte de contrefaçon. En dehors du P2P, d'autres modes de téléchargement peuvent ne pas être non plus respectueux des règles de la propriété littéraire et artistique. »

Sur le plan économique, le mythe de la gratuité totale a vécu. Il n'est pas possible de tolérer des formes de distribution des oeuvres qui ne permettent pas d'assurer la rémunération de la création 6 ( * ) et de la production. Quelles que soient les offres faites aux utilisateurs, sous forme gratuite et/ou payante, la rémunération et/ou le financement de la création et de la production doivent être assurés. »

b) Les autres techniques

Outre le P2P, on assiste à un développement très rapide d'autres moyens permettant une mise à disposition illicite de contenus culturels. La part du P2P est amenée à diminuer, au profit notamment des sites de « streaming ».

Le CSPLA les a exposés dans un rapport de 2008.

AUTRES MOYENS PERMETTANT UNE MISE À DISPOSITION ILLICITE
DE CONTENUS CRÉATIFS

EXTRAITS DU RAPPORT DE LA COMMISSION SPÉCIALISÉE
SUR LES PRESTATAIRES DE L'INTERNET

DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE (2008)

Après le succès des réseaux décentralisés de P2P (pair à pair), celui du web 2.0 marque l'apparition d'intermédiaires donnant aux consommateurs de nouveaux moyens d'accéder aux contenus créatifs.


Les plates-formes communautaires

Ces plates-formes ont été mises en cause par certains ayants droits pour la diffusion non autorisée d'oeuvres ou d'extraits protégées. Elles ont également été accusées d'être le réceptacle d'oeuvres dites «dérivées», reproduisant, sans l'accord d'un ayant droit, le texte, le son, l'image ou la vidéo d'un auteur, d'un artiste, d'un producteur ou d'un distributeur. En l'absence à ce jour d'une étude précise du phénomène, les évaluations évoquées devant la commission (entre 2 et 10 % des contenus postés sur les sites en cause) restent largement hypothétiques et sont fortement contestées par les sites concernés. La réalité du phénomène n'est toutefois pas niée et la multiplication des actions judiciaires comme les efforts entrepris par les plates-formes en cause pour endiguer le phénomène conduisent à penser que celui-ci est loin d'être négligeable.


Les services d'échanges ou partage de fichiers

Le rôle de certains services Internet comme vecteurs d'atteintes aux droits d'auteur d'oeuvres audiovisuelles et musicales a également été évoqué. Ces services sont les « trackers bittorent », les services de « Direct Download », et les « newsgroups ». Ils se caractérisent du point de vue des internautes par une possibilité de mise à disposition et de téléchargement de milliers de contenus musicaux et/ou audiovisuels, leur facilité d'utilisation, l'anonymat relatif des utilisateurs et la rapidité d'accès aux contenus illicites.

- « Bittorent » est un système d'échange de fichiers utilisant les techniques du P2P. Des serveurs annuaires, appelés trackers , mettent en relation les utilisateurs et coordonnent le téléchargement des pièces de chaque fichier. Tous les utilisateurs participent au partage en recevant et en envoyant des parties de fichiers, ce qui permet d'optimiser le transfert des données et de limiter la charge sur le fichier source. Les trackers Bittorent servent ainsi à injecter des fichiers à travers Internet de manière intensive et permettent un téléchargement beaucoup plus rapide pour les utilisateurs (2/3 heures au lieu d'environ une journée).

- Les services de « Direct Download » sont des services de stockage, de partage et d'envoi de fichiers. Les contenus adressés par les utilisateurs sont stockés sur les serveurs de ces services et transformés en liens URL pouvant être ensuite envoyés par e-mail, ou postés sur un forum, une page web, un site... Ce service gratuit permet à tout internaute d'envoyer des fichiers d'un volume important (de 1G° jusqu'à 10 G°). Le nombre de fichiers « uploadés » est illimité. Du point de vue de l'utilisateur, un accès est offert vers des liens directement téléchargeables. Le nombre de fichiers téléchargeable est illimité.

Les liens vers des fichiers mis à disposition sur les services de type dl.free , mininova (30 millions de visiteurs uniques par mois) ou rapidshare peuvent être trouvés en utilisant des moteurs de recherche généralistes ou spécialisés qui en assurent le référencement. La finalité des moteurs de recherche spécialisés dans le référencement de ces fichiers est de permettre à l'internaute de centraliser ses requêtes et de trouver plus facilement les contenus recherchés (types de contenus référencés audio, vidéo, jeux, films, software...).


Les « newsgroups »

Ils reposent sur le réseau « Usenet » qui servait à l'origine essentiellement pour l'échange d'information sous forme de contenus textuels, mais est désormais également utilisé pour l'échange de fichiers binaires (vidéos, musique...) grâce aux évolutions des protocoles utilisés. Cette évolution en fait le support du téléchargement de contenus illégaux.

Les newsgroups ( Newsbin est l'un des plus importants) reposent sur deux entités :

- d'une part, les serveurs de news qui stockent les messages envoyés par les utilisateurs et les propagent aux autres serveurs, grâce à un ensemble de protocoles ; chaque serveur établit donc des relations bilatérales avec d'autres serveurs de newsgroups (« peering ») ;

- d'autre part, les postes des utilisateurs/clients qui envoient les messages ou lisent les messages envoyés par les autres utilisateurs, à l'aide de certains logiciels spécifiques, gratuits ou payants.

Il existe deux moyens pour accéder au réseau Usenet : les fournisseurs d'accès spécifiques à usenet (FAU), qui sont payants, et certains FAI généralistes. En France, il s'agit exclusivement de Free. Free propose gratuitement l'accès à ce réseau grâce à son propre serveur de newsgroups : c'est ainsi que Free collecte l'information sur le réseau Usenet et la rend accessible à ses abonnés en la stockant sur ses propres serveurs et en conservant les données de 11 à 12 jours. Les fournisseurs payants comme Giganews ou Newshosting proposent un accès à beaucoup plus de fichiers (grâce à une rétention qui peut aller jusqu'à 90 jours), à des vitesses plus importantes. Compte tenu de leurs intitulés (par exemple : « altbinaries.DVD », « DVD music », « Moovies DIVX », « altbinaries moovies french »), il n'y a aucune ambiguïté possible sur la vocation des newsgroups destinés au téléchargement de contenus illégaux.


Les problématiques soulevées par les moteurs de recherche d'image

Enfin, bien qu'il s'agisse de services à vocation totalement différente, certains représentants d'ayant droits ont évoqué les problématiques que soulèvent, selon eux, les moteurs de recherche d'image, en ce qu'ils facilitent l'accès à des contenus parfois mis en ligne sans autorisation et en ce que le référencement qu'ils opèrent implique certains actes techniques de reproduction.

* 1 « La gratuité, c'est le vol », Denis Olivennes, 2007.

* 2 Sous la direction de MM. Jean Berbinau, membre du CGTI et secrétaire général de l'ARMT, et Frédéric Goldsmith, délégué général de l'APC, présenté par MM. Raphaël Keller et Thomas Gouzènes.

* 3 Avis n° 2005 - 2, Commission spécialisée portant sur la distribution des oeuvres en ligne

* 4 « Téléchargement vers un autre ordinateur », opération consistant à communiquer au public de l'Internet, aux fins d'en permettre le downloading, d'oeuvres ou autres données protégées par un droit de propriété intellectuelle stockées sur le disque dur de l'ordinateur de l'uploader.

* 5 «Téléchargement à partir d'un autre ordinateur », processus de transfert, à partir d'un ou plusieurs ordinateurs d'uploaders, aboutissant à l'enregistrement, sur le disque dur de l'ordinateur du downloader, d'une copie d'une oeuvre ou d'autres données protégées par un droit de propriété intellectuelle.

* 6 Création faisant référence tant aux auteurs qu'aux artistes-interprètes.

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