2. Le multilinguisme à l'épreuve des élargissements successifs et de l'inflation normative communautaire

L'Union européenne est la plus vaste enceinte de négociation administrative et politique du monde . Le doublement du nombre des langues officielles de l'Union à la suite de ses élargissements successifs vers les pays de l'Europe centrale et orientale a constitué un véritable défi pour les lois de la gestion publique.

a) Une situation paradoxale : 15 États membres appartenant à la Francophonie, mais un recul persistant du français

De fait, en multipliant le nombre des langues officielles, l'élargissement a pour effet d'accélérer le recours à la langue anglaise qui s'est imposé, en particulier depuis l' élargissement de 1995 , comme le plus petit dénominateur linguistique commun .

Néanmoins, les deux derniers élargissements de l'Union européenne, en 2004 et 2007, ont permis une présence accrue des ressortissants des pays membres de la francophonie institutionnelle dans les institutions communautaires, notamment dans la Commission européenne. En effet, dix des douze nouveaux États membres font partie de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) , à différents titres. Aussi, l'Union européenne compte-t-elle désormais 15 États membres appartenant à la Francophonie : six membres à part entière avec la Belgique, la Bulgarie, la France, la Grèce, le Luxembourg et la Roumanie ; un membre associé, Chypre ; et huit pays observateurs, à savoir l'Autriche, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie.

Cependant, force est de constater que les liens étroits entretenus par les nouveaux entrants avec l'espace francophone n'ont pas permis d'enrayer un basculement vers l'anglais et de maîtriser le recul du français au sein des institutions de l'Union européenne.

b) Les contraintes budgétaires et techniques

En valeur absolue, les enjeux budgétaires du multilinguisme institutionnel peuvent sembler considérables. Afin de limiter le coût du multilinguisme, le recours à l' externalisation d'une partie des services de traduction et d'interprétation est ainsi encouragé.

Selon les informations transmises par la Commission européenne, depuis deux décennies, la direction générale de la traduction (DGT) externalise une partie de sa production globale. Le taux d'externalisation est en augmentation constante depuis 2000 (voir le tableau ci-dessous). Dans le même temps, il faut noter qu'une augmentation du recours à la traduction externe a un impact sur le besoin en ressources internes qui doivent mener à bien les appels d'offres, le contrôle de qualité et la gestion globale du flux des travaux de traduction.

D'une manière générale, divers types de documents sont ouverts à l'externalisation, à l'exception des documents très urgents, confidentiels, ou politiquement et/ou juridiquement sensibles. La traduction externe est une ressource permettant notamment d'équilibrer la charge de travail, de concentrer les ressources internes sur les documents essentiels tout en faisant face aux nouveaux besoins de communication.

ÉVOLUTION DU TAUX D'EXTERNALISATION ENTRE 2000 ET 2008

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

14,16%

20,06%

20,65%

21,54%

22,76%

19,97%

19,43%

23,75%

26,33%

Source : Commission européenne.

Le coût total de l'interprétation dans les institutions de l'Union européenne était évalué à environ 195 millions d'euros en 2006. En 2008, le coût de la traduction à la seule Commission européenne était estimé à près de 303 millions d'euros.

ÉVOLUTION DES MOYENS BUDGÉTAIRES CONSACRÉS
PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE À SES SERVICES DE TRADUCTION

En millions d'euros

Budget de la Direction générale Traduction

Dépenses du personnel + infrastructures

Coût total

2003

16,5

203,4

219,9

2004

12,9

232,4

245,4

2005

12,4

257,0

269,4

2006

18,2

277,7

295,9

2007

18,3

283,0

301,3

2008

18,6

284,3

302,9

Source : Commission européenne

.

ÉVOLUTION DES COÛTS D'INTERPRÉTATION
DE LA DIRECTION GÉNÉRALE INTERPRÉTATION DE LA COMMISSION

En millions d'euros

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

Coût total

103,58

106,44

107,05

100,61

109,96

114,23

119,36

128,23

Évolution annuelle (en%)

-

2,80

0,60

-6,0

9,30

3,90

4,50

7,40

Source : Commission européenne

Cependant, en termes relatifs, le coût total de la traduction et de l'interprétation dans une Union à 23 langues officielles, toutes institutions confondues, ne représenterait, en moyenne, que 2,20 euros par citoyen et par an. L'argument budgétaire donc doit être fortement relativisé et cesser d'être présenté systématiquement comme un obstacle insurmontable à l'application du multilinguisme. Avec le développement des nouvelles technologies et notamment de la traduction automatique , le poids financier de la traduction devrait être partiellement allégé, même si cette méthode ne saurait jamais se substituer à la traduction humaine et à l'apprentissage des langues étrangères.

Par ailleurs, il existe également un certain nombre de contraintes techniques . Le passage de 11 langues officielles dans l'Europe des Quinze à 23 dans une Union à 27 signifie que l'on est passé de 110 à 506 combinaisons bilatérales possibles . En outre, certaines de ces combinaisons s'avèrent impossibles à réaliser directement, faute d'interprètes.

Votre rapporteur se félicite de la mise en place d'une coopération entre les services de traduction des différentes institutions européennes, coordonnée par un Comité interinstitutionnel de la traduction et de l'interprétation (CITI). Elle touche divers domaines d'intérêts mutuels : terminologie, outils de traduction (par exemple les mémoires de traduction), complémentarité en matière de gestion et mise en commun de la recherche de nouvelles méthodes et techniques de travail ainsi que les questions liées aux élargissements de l'Union européenne.

Un bon exemple de cette coopération est la base commune de terminologie « IATE », ouverte au public :

http://iate.europa.eu/iatediff/switchLang.do?success=mainPage&lang=fr

c) La nécessité de mieux légiférer

Enfin, le droit d'accès à l'acquis communautaire pour les citoyens des nouveaux États membres a exigé que tous les textes communautaires à caractère contraignant soient rétroactivement traduits dans les langues des États en voie d'adhésion. Or, en dépit de l'action de la Commission en faveur de la simplification et de la codification du droit communautaire, celui-ci connaît une inflation normative et jurisprudentielle considérable . Le volume exponentiel du droit communautaire rend de plus en plus difficile ce travail de traduction a posteriori du droit en vigueur 10 ( * ) .

Votre rapporteur estime, cependant, qu'il faut savoir gré à l'actuelle Commission de s'être investie dans un vaste exercice d'amélioration de la législation communautaire, dans le cadre de l'initiative « Mieux légiférer » qui s'appuie notamment sur un recours plus systématique aux études d'opportunité et aux analyses d'impact.

Il relève, ainsi, que la DGT a créé une unité « Qualité linguistique », qui a pour tâche d'améliorer les documents de la Commission au stade de leur rédaction, notamment dans la mesure où ils ne sont pas rédigés par des personnes de langue maternelle. Son travail consiste à examiner et, le cas échéant, à modifier un texte de manière à le rendre correct sur le plan orthographique, grammatical et stylistique et linguistiquement adapté à ses fins, c'est-à-dire suffisamment clair pour être compris par le public visé ou pour être traduit sans difficulté dans d'autres langues. Ceci représente une contribution directe à l'agenda « Mieux légiférer » dans la mesure où un texte législatif clair, dans toutes les langues, est une condition sine qua non de sa bonne mise en oeuvre.

* 10 NABLI, Béligh, « Le principe de diversité culturelle et linguistique au sein d'une Union élargie », in La Revue française de droit administratif , n° 1, 2005.

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