TRAVAUX DE LA COMMISSION

1 - Audition de M. Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, sur la certification des comptes de l'Etat pour l'exercice 2008

2 - Audition de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, sur les résultats de l'exécution budgétaire 2008

3 - Examen du rapport de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur le projet de loi n° 502 (2008-2009), adopté par l'Assemblée nationale, de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2008.

AUDITION DE M. PHILIPPE SÉGUIN, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES, SUR LA CERTIFICATION DES COMPTES DE L'ÉTAT POUR L'EXERCICE 2008

Réunie le mercredi 3 juin 2009, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé à l'audition de MM. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, et Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes, sur les rapports relatifs à la certification des comptes de l'Etat et à l'exécution budgétaire de 2008 .

A l'invitation de M. Jean Arthuis, président, M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes , a présenté les observations de la Cour sur la certification des comptes, les résultats et la gestion budgétaire en 2008. Plusieurs nouveautés accompagnent cette présentation, parmi lesquelles la redéfinition de la mission constitutionnelle d'assistance au Parlement confiée à la Cour, et la primeur, réservée aux assemblées parlementaires, du rapport sur les résultats et la gestion. Conformément à la demande de la commission des finances, ce rapport est désormais accompagné des notes d'exécution budgétaire et des notes d'analyse par programme, la Cour partageant la volonté du Sénat de faire de l'examen du projet de loi de règlement un « moment de vérité » budgétaire.

Les circonstances exceptionnelles dues à la crise ne doivent pas occulter l'enjeu lié à la bonne application de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Or, trois années après l'entrée en vigueur effective de cette dernière, le risque d'un « rendez-vous manqué » n'est pas à écarter. Les différents acteurs ne se sont pas pleinement approprié les nouveaux outils comptables, qui conditionnent pourtant l'analyse des coûts et des performances associés aux actions ainsi que celle de la soutenabilité des finances publiques. De même, la réforme a conduit à réviser en profondeur la maquette budgétaire et à désigner des responsables de programmes censés constituer le pivot de la nouvelle gestion. Ces derniers peinent toutefois à s'imposer face aux ordonnateurs, faute de définition précise de leurs missions et de leurs prérogatives. Enfin, la fongibilité des crédits et l'allocation des moyens budgétaires en fonction des résultats demeurent peu utilisés. Au total, si la Cour approuve sans réserve les orientations tracées par la LOLF, les modalités de son application, bien que mobilisant considérablement les administrations, ne permettent pas encore d'en tirer tous les bénéfices attendus. En la matière, seule une volonté politique sans faille peut surmonter les résistances de tous ordres qui font obstacle à la pleine application de la réforme budgétaire.

S'agissant de la certification des comptes de l'Etat pour 2008, M. Philippe Séguin a précisé que douze réserves avaient été émises, dont neuf substantielles. En certifiant les comptes, la Cour a toutefois adopté une démarche constructive afin d'accompagner l'Etat dans son processus de modernisation. Plusieurs progrès ont été constatés par rapport à l'exercice 2007, et deux réserves ont été intégralement levées, concernant le compte des procédures publiques gérées par la Coface et la section des fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations, ainsi que les provisions pour risques de l'Etat. Ont également été réglés les désaccords entre la Cour et l'Etat sur la comptabilisation des déficits fiscaux reportables en avant et sur la valorisation des immobilisations incorporelles spécifiques. Au total, la Cour a formulé 283 observations d'audit et obtenu des corrections et ajustements à hauteur de 9 milliards d'euros au compte de résultat, de 27 milliards d'euros au bilan et de 33 milliards d'euros au titre des engagements hors-bilan.

Il convient de se féliciter de ce que la comptabilité générale favorise la diffusion d'une culture de maîtrise des risques au sein de l'Etat, ainsi qu'une plus grande transparence de l'information, s'agissant par exemple des stocks de déficits fiscaux qui viendront s'imputer sur les recettes futures ou de la valorisation des nouveaux actifs de l'Etat liés aux autorisations d'exploiter le spectre hertzien, aux quotas d'émissions de gaz à effet de serre ou à des opérations d'armement telles que la mise au point de l'A 400M.

Des difficultés persistantes sont néanmoins à déplorer. Ainsi, la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) devrait être incluse dans le périmètre des comptes de l'Etat, qui la contrôle et en assume les risques. Son reclassement en entité contrôlée aboutirait à grever la situation nette de l'Etat de 80 milliards d'euros. De même, plusieurs problèmes ayant donné lieu à la formulation de réserves substantielles en 2006 et 2007 peinent à trouver leur solution. Il en va ainsi de la valorisation exhaustive et fiable du patrimoine immobilier de l'Etat ou du recensement des opérateurs, dont les comptes sont par ailleurs de qualité médiocre et produits tardivement.

Au cours du prochain exercice de certification, la Cour fera preuve de compréhension à l'égard des chantiers qui ne peuvent raisonnablement aboutir à brève échéance, tels que la modernisation des systèmes d'information. Il n'en sera pas de même des domaines où les progrès sont à portée de main, à l'instar des comptes de trésorerie, des produits régaliens ou des passifs d'intervention. En la matière, la Cour devra tirer toutes les conséquences d'une éventuelle inertie, sous peine de priver la mission de certification de toute crédibilité.

M. Philippe Séguin a ensuite présenté les conclusions de la Cour sur les résultats et la gestion budgétaire pour 2008. Si l'exercice 2009 se caractérisera par un niveau de déficit et de dette sans précédent, la fin de l'exercice 2008 manifeste déjà une nette dégradation du solde. Selon le projet de loi de règlement, le déficit de l'Etat s'établit à 56,3 milliards d'euros en 2008, en augmentation de près de 47 % par rapport à 2007. Ce montant équivaut au quart des recettes annuelles de l'Etat.

Comme à l'accoutumée, le résultat affiché dans le projet de loi de règlement ne prend pas en compte certaines dépenses ou dettes pourtant exigibles, pour un total de 5,9 milliards d'euros. Par ailleurs, les « errements » traditionnellement constatés, tels que les sous-budgétisations, les contractions de recettes et de dépenses ou les reports de charges ne semblent ni plus ni moins importants que les années précédentes. La Cour, qui ne reprend à son compte aucun chiffre alternatif de déficit, n'est pas habilitée à statuer sur la sincérité du projet de loi de règlement, dont elle n'examine que l'exactitude. La portée du dernier alinéa du nouvel article 47-2 de la Constitution aura donc vocation à être précisée, afin de déterminer si les principes de régularité et de sincérité des comptes des administrations publiques qu'il définit s'appliquent à la seule comptabilité patrimoniale ou s'étendent aux résultats budgétaires.

Selon M. Philippe Séguin , la crise n'a eu qu'un impact limité sur la dégradation du déficit en 2008, dégradation dont les causes sont essentiellement structurelles. Celles-ci résident dans une diminution des recettes fiscales et non fiscales, indépendante de la conjoncture, et dans une croissance insuffisamment maîtrisée des dépenses, non imputable aux effets du plan de relance. Les recettes fiscales nettes diminuent, pour la troisième année consécutive, de 2,5 % par rapport à 2007. Une première baisse de 6,1 milliards d'euros résulte des transferts de recettes opérés vers les collectivités territoriales pour accompagner la dévolution de nouvelles compétences, ainsi que vers les administrations de sécurité sociale en compensation des politiques d'exonération et d'allègement de charges. Un second facteur d'érosion réside dans les allègements d'impôts, pour 7,8 milliards d'euros, dont 3,2 milliards d'euros au titre de la seule loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (TEPA). Hors transferts, allègements et aléas ayant affecté la prévision, l'impact de la crise sur les recettes de 2008 est, au total, inférieur à 4 milliards d'euros.

Parallèlement, les dépenses ont crû en valeur de 2,8 % au lieu des 1,9 % programmés en loi de finances initiale, et ce sans tenir compte de certaines dépenses irrégulièrement payées en dehors du budget de l'Etat. Figurent parmi ces dépenses les primes d'épargne logement financées au moyen d'avances rémunérées du Crédit foncier de France ou le remboursement de dettes à la sécurité sociale au moyen d'une contraction irrégulière de recettes et de dépenses. La réintégration de ces sommes conduit à une augmentation de 3,4 % de la norme de dépense, dont il convient de rappeler qu'elle exclut les charges des comptes spéciaux, les opérations de trésorerie, et surtout les dépenses fiscales, qui ont augmenté de 7 % par rapport à 2007 pour s'établir à un total de 73 milliards d'euros. Sur ce dernier point, l'amélioration de l'information contenue dans les projets et rapports annuels de performance, la création d'un objectif annuel de dépense fiscale et l'obligation de gager toute nouvelle création d'une telle dépense constituent toutefois d'indéniables avancées.

A l'instar du constat formulé sur les recettes, l'impact de la crise sur les dépenses est demeuré très faible en 2008. Le plan de relance pèsera essentiellement sur 2009 et le plan de soutien au secteur financier a reposé avant tout sur l'octroi de garanties n'ayant pas encore donné lieu à des déboursements de la part de l'Etat, hors prise de participation dans le groupe Dexia. La comptabilité patrimoniale contribue à affiner et à « assombrir » le diagnostic, en faisant apparaître un alourdissement de la dette financière de près de 100 milliards d'euros en 2008. En deux ans, le résultat comptable de l'Etat s'est dégradé de 13 %, traduisant la progression des charges financières, de fonctionnement et d'intervention de l'Etat.

M. Philippe Séguin a considéré que la nouvelle comptabilité générale doit désormais constituer le support privilégié de l'analyse de la soutenabilité des finances publiques. Comme l'illustrent les informations précieuses qu'elle fournit sur les conséquences des garanties accordées par l'Etat dans le cadre du soutien au secteur financier ou sur les engagements hors-bilan associés aux pensions, cette comptabilité permet de s'affranchir de la vision partielle et parfois en « trompe-l'oeil » de la comptabilité budgétaire. Il a conclu en jugeant nécessaire de porter un coup d'arrêt à la baisse des recettes, de mettre en oeuvre des réformes structurelles plus ambitieuses que celles qui sont en cours et de ne pas prendre prétexte de la crise pour renoncer à la pleine application de la LOLF.

M. Jean Arthuis, président , a partagé les constats établis par la Cour et souscrit à l'analyse selon laquelle la mise en oeuvre de la LOLF est affaire de volonté politique. Il a regretté que l'insuffisance des progrès accomplis en matière de modernisation des systèmes d'information financière compromette encore la possibilité de réaliser l'audit des comptes de l'Etat.

S'appuyant sur une brève analyse de la situation budgétaire du Royaume-Uni, M. Philippe Marini, rapporteur général , s'est interrogé sur la pertinence des ratios utilisés pour analyser l'évolution des finances publiques, dans la mesure où ils apparaissent particulièrement sensibles aux changements de périmètre. Il a souhaité obtenir des précisions sur les modalités de comptabilisation des engagements hors-bilan par les organismes certificateurs européens, avant de solliciter des éclaircissements sur l'évolution de la norme de dépense en 2008, qui semble ne pas faire consensus entre la Cour et le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.

M. Philippe Séguin a indiqué que les chiffres avancés par la Cour sur l'évolution de la norme de dépense n'ont fait l'objet d'aucune observation de la part du Gouvernement au cours de la phase contradictoire précédant la parution du rapport. S'agissant de l'harmonisation des techniques de comptabilisation en Europe, il a estimé que la méthode « maastrichtienne » du calcul du déficit et de la dette, pour imparfaite qu'elle soit, a néanmoins le mérite de consolider l'ensemble des situations des administrations publiques.

M. Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes , a précisé que les divergences apparentes d'interprétation constatées entre la Cour et le Gouvernement sur l'évolution de la norme de dépense résultent d'une incompréhension temporaire. En effet, le chiffre de 3,4 % correspond fortuitement à deux réalités différentes que sont l'évolution des dépenses brutes de l'Etat, incluant certains remboursements, dégrèvements et doubles comptes, et la progression de la norme proprement dite telle que reconstituée par la Cour des comptes. Les dépenses s'étant élevées à 270,6 milliards d'euros en 2007 et ayant augmenté de 7,5 milliards d'euros en 2008, leur taux de progression s'élève à 2,8 %. Il convient d'ajouter à ces montants deux opérations à tort non comptabilisées, relatives aux primes d'épargne logement et au remboursement de dettes à la sécurité sociale, respectivement pour 953 et 753 millions d'euros. L'agrégation de ces éléments conduit donc bien à l'augmentation de 3,4 % de la norme de dépenses calculée par la Cour.

M. Jean Arthuis, président , a regretté que le recours à certaines « astuces » alimente les doutes quant à la sincérité des comptes publics.

Mme Nicole Bricq a douté que la préparation du projet de loi de finances pour 2009 ait respecté la nécessité, posée par la Cour, de formuler des hypothèses de recettes réalistes et prudentes. Dans cette mesure, elle a souhaité connaître les recommandations méthodologiques formulées par la Cour, pour accroître la fiabilité des prévisions de recettes. Par ailleurs, le recours croissant aux opérateurs de l'Etat semble justifié par la volonté de débudgétiser certaines politiques publiques ; dans ces conditions, le recours à la Caisse de la dette publique, à la Société de financement de l'économie française (SFEF) et à la Société de prise de participation de l'Etat (SPPE) ont-elles participé, de cette logique dans le cadre du plan de financement de l'économie ? Enfin, à l'heure où le Gouvernement s'apprête à abonder la contribution de la France au Fonds monétaire international (FMI), à hauteur de 11 milliards d'euros, elle s'est interrogée sur les motifs qui ont conduit la Cour à émettre une réserve sur le traitement comptable des versements aux organismes internationaux.

M. Philippe Séguin a jugé que l'édiction de règles méthodologiques en matière de prévisions de recettes relève du constituant ou du législateur organique, et que la Cour n'est pas habilitée à se prononcer en la matière. S'agissant du recours aux opérateurs pour la mise en oeuvre de certaines politiques publiques, il est regrettable que leur recensement demeure très imparfait et que leurs comptes s'avèrent peu fiables, alors même que les effectifs qui y sont employés sont considérables. A cet égard, la Cour remettra, avant le 14 juillet 2009, un rapport spécifique sur le rôle des opérateurs du secteur bancaire dans la mise en oeuvre du plan de financement de l'économie. Enfin, la confusion entourant les relations financières de la France avec les organisations internationales trouve une illustration emblématique dans le cas du FMI. L'administration déclare aujourd'hui partager le constat de la Cour sur la nécessité de clarifier ces relations.

M. Jean Arthuis, président , a vu dans la SFEF une extension de la Banque de France susceptible de prendre des collatéraux de qualité approximative et de s'exposer à un risque de défaut. Il s'est demandé si la Cour était en mesure d'accomplir des diligences auprès de ces deux organismes.

M. Philippe Séguin a confirmé que la Cour a accès à la Banque de France et qu'une grande partie des réponses aux interrogations de la commission sera apportée dans le rapport d'étape rendu public au mois de juillet.

M. Adrien Gouteyron a souscrit aux analyses de la Cour sur la mise en oeuvre de la LOLF et, en particulier, celles portant sur l'absence de réelles marges de manoeuvre des responsables de programmes. Se félicitant de l'abondance des travaux de la Cour sur le thème des contributions internationales de la France, qui constituent une source précieuse d'informations pour les contrôles qu'il accomplit au nom de la commission des finances, il s'est interrogé sur l'évolution des parts respectives des contributions obligatoires et volontaires, ces dernières étant plus aisément contrôlables.

M. Philippe Séguin a observé que certains Etats diminuent leurs cotisations obligatoires et privilégient la conclusion d'accords bilatéraux afin de mieux maîtriser l'emploi des contributions par leurs attributaires. La France s'est elle-même engagée dans un processus de transformation de fonds de coopération en contributions volontaires au bénéfice des mêmes pays. Il est exact que les contributions volontaires sont plus facilement accessibles aux contrôleurs des Etats dont elles proviennent, dans la mesure où les contributions obligatoires constituent la propriété des institutions qui les reçoivent et sont, comme telles, du ressort exclusif de leurs contrôleurs internes. Mais il en résulte l'inconvénient que les organisations internationales changent progressivement de nature à mesure que leur mode de financement évolue.

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