B. LA GOUVERNANCE DES SOCIÉTÉS COTÉES

Sur ce thème, la proposition de résolution comporte un alinéa unique (alinéa 23) qui vise à interdire que, dans une société cotée, les administrateurs, le président du conseil d'administration et le directeur général, titulaire d'un mandat social, soient liés par un contrat de travail.

Votre rapporteur estime tout d'abord que cet alinéa dépasse le cadre de la proposition de directive visée , qui modifie les « directives fonds propres ». Par ailleurs, la proposition n'envisage que la question des sociétés « monistes » sans mentionner les sociétés « dualistes », dotées d'un directoire et d'un conseil de surveillance, ni les sociétés en commandite.

L'article L. 225-22 du code de commerce n'interdit pas le cumul entre un mandat social et un contrat de travail. Toutefois, ce dernier implique un lien de subordination entre l'employé et l'employeur, ce qui n'est évidemment pas le cas pour les dirigeants mandataires sociaux.

Comme le notait la récente mission d'information de l'Assemblée nationale sur « la rémunération des dirigeants mandataires sociaux et des opérateurs de marché » 16 ( * ) , en cas de révocation de dirigeants mandataires sociaux par ailleurs titulaires d'un contrat de travail, l'entreprise est souvent contrainte de verser de substantielles indemnités de licenciement en sus de l'indemnité de départ.

Le code sur le gouvernement d'entreprise, adopté par l'AFEP et le MEDEF en octobre 2008, préconise également la cessation du contrat de travail , soit par rupture conventionnelle, soit par démission, lorsqu'un salarié devient mandataire social et souligne que « le niveau élevé des rémunérations des dirigeants mandataires sociaux dans les sociétés cotées se justifie notamment par la prise de risque. Il est par conséquent incompatible avec le cumul des avantages du contrat de travail ».

Position de votre commission des finances : votre rapporteur approuve donc l'idée défendue par cet alinéa . L'Autorité des marchés financiers (AMF) a encore récemment rappelé 17 ( * ) qu'il fallait mettre fin au cumul mandat social / contrat de travail. Pour autant, cette question relève d'une compétence nationale et n'a pas sa place dans la présente proposition de résolution , puisque le droit du travail n'est pas harmonisé au niveau communautaire. Le législateur devrait être incité à s'en saisir au plus tôt.

C. LA RÉMUNÉRATION DES DIRIGEANTS DES SOCIÉTÉS COTÉES

Votre rapporteur juge que l'ensemble de cette partie de la proposition de résolution va bien au-delà du champ de la proposition de directive examinée.

Deux points méritent d'emblée d'être soulignés. La proposition de la Commission européenne ne traite des politiques de rémunération que pour le seul secteur financier. De surcroît, ces politiques ne sont abordées que sous l'angle de la surveillance prudentielle.

La Commission a effectivement publié une recommandation C(2009) 3177 complétant les recommandations 2004/913/CE et 2005/162/CE en ce qui concerne le régime de rémunération des administrateurs de sociétés cotées mais qui ne donnera pas lieu à un suivi législatif. Il revient en effet à chaque Etat membre d'adapter sa législation pour tenir compte de cette recommandation. Votre rapporteur approuve totalement cette orientation qui va dans le sens du respect du principe de subsidiarité.

Position de votre commission des finances : telles sont les raisons pour lesquelles votre rapporteur propose, sauf cas particulier d'être défavorable aux considérations exprimées par la proposition de résolution et analysées ci-après.

1. Soumettre la rémunération des dirigeants à des contre-pouvoirs internes

Un consensus est apparu ces derniers mois pour encadrer plus fermement les politiques et les structures des rémunérations des entreprises cotées. Des contre-pouvoirs internes (conseil d'administration, comité des rémunérations, assemblée générale des actionnaires) et externes (autorité de régulation) ont vocation à surveiller plus étroitement ces rémunérations afin de s'assurer, d'une part, qu'elles sont compatibles avec une gestion des risques efficace, et d'autre part, qu'elles récompensent une performance avérée et mesurable des dirigeants.

La proposition de résolution, par ses alinéas 25 et 26, préconise la mise en place d'instruments radicaux de contrôle et vise à soumettre la rémunération des présidents de conseil d'administration et des directeurs généraux à trois contre-pouvoirs : l'avis conforme du comité d'entreprise, le vote de l'assemblée générale et le vote du conseil d'administration. Deux imprécisions méritent d'emblée d'être soulignées : tout comme pour l'alinéa 23, la situation des entreprises dualistes ou en commandite n'est pas envisagée ; la mention, à l'alinéa 26, d'une « augmentation substantielle » apparaît inopérante en l'état.

Votre rapporteur s'oppose fermement tout d'abord à ce que le comité d'entreprise émette un avis, conforme de surcroît, sur la rémunération des dirigeants. Le comité d'entreprise n'est pas , et n'a pas vocation à l'être, un organe de gestion de l'entreprise . Outre ses activités sociales et culturelles, le comité d'entreprise est consulté sur des décisions relatives au volume et à la structure des effectifs, à la durée du travail et aux conditions de travail du personnel. L'intervention du comité d'entreprise est d'autant moins requise que les dirigeants mandataires sociaux ne devraient plus être membres du personnel (cf. supra alinéa 23).

La détermination des rémunérations les plus élevées dans les sociétés cotées incombe d'ores et déjà au conseil d'administration ou de surveillance.

En revanche, l'assemblée générale des actionnaires apparaît légitime pour examiner et voter l'ensemble des éléments composants la rémunération des dirigeants mandataires sociaux . Actuellement, l'assemblée générale vote sur le rapport annuel et non sur la politique de rémunération. La mission d'information de l'Assemblée nationale précitée recommandait la modification des articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 du code de commerce afin de rendre obligatoire la consultation de l'assemblée générale sur ces éléments. Il serait donc nécessaire qu'à terme l'assemblée générale puisse se prononcer, au moins à titre consultatif, sur des résolutions individuelles relatives à l'ensemble des rémunérations (fixe ou variable ; actuelle ou différée) de chaque mandataire social.

Sur ce dernier point, votre rapporteur estime cependant qu'il revient au législateur national d'intervenir en priorité et non aux instances communautaires. Il convient d'envisager de déposer une proposition de loi en ce sens.

2. Faire établir par le comité des rémunérations un rapport annuel sur la politique de rémunération

L'alinéa 27 souhaite donner un rôle plus important au comité des rémunérations. Celui-ci est une émanation du conseil d'administration, ou du conseil de surveillance, qui a pour mission de lui apporter un éclairage sur la question spécifiques des rémunérations. Il n'a pas, contrairement au comité d'audit par exemple, de statut légal . D'après le dernier rapport de l'Autorité des marchés financiers sur le gouvernement d'entreprise et le contrôle interne, en date du 27 novembre 2008, 73 % des sociétés françaises cotées disposaient d'un comité des rémunérations, dont 37 sociétés du CAC 40.

Le code AFEP-MEDEF sur le gouvernement d'entreprise prévoit la création d'un tel comité et préconise qu'il soit composé majoritairement d'administrateurs indépendants et, en tout état de cause, qu'aucun dirigeant mandataire social n'y participe.

La recommandation C(2009) 3177 complétant les recommandations 2004/913/CE et 2005/162/CE en ce qui concerne le régime de rémunération des administrateurs de sociétés cotées prescrit également l'intervention d'un comité des rémunérations dont les membres devraient fournir des explications aux actionnaires lors de l'assemblée générale annuelle.

Une proposition de loi visant à donner un statut légal au comité des rémunérations a été adoptée par l'Assemblée nationale, le 20 octobre 2009 18 ( * ) .

3. Encadrer les droits des dirigeants attachés aux options et aux actions gratuites

Nos collègues socialistes proposent deux dispositifs sur lesquels le Sénat a d'ores et déjà eu l'occasion de se prononcer.

En premier lieu, l'alinéa 28 s'attache à encadrer les droits des mandataires sociaux à bénéficier d'options de souscriptions d'actions (« stock-options ») ou d'actions gratuites : une fraction de ces droits, égale aux deux tiers, serait étalée sur au moins trois ans avec une clause de retenue ou de restitution en cas de résultats négatifs.

Le système de bonus-malus a été vigoureusement défendu, avec succès, par la France lors du dernier sommet du G 20 à Pittsburgh. La déclaration finale du sommet indique « qu'une partie significative des rémunérations variables [doit être] étalée dans le temps, liée aux performances, soumise à un dispositif de malus ». Pour autant, ce système ne s'applique qu'aux rémunérations dans le secteur financier et, principalement, à celles des opérateurs de marché .

Votre rapporteur demeure dubitatif sur l'extension du dispositif à tous les dirigeants.

De même, la proposition de résolution ajoute que « chaque levée d'options ou cession d'actions doit être préalablement annoncée au conseil d'administration lors de l'exercice précédent et selon un calendrier précis ». Votre rapporteur juge que cette mesure est trop contraignante et peut-être même superfétatoire. En effet, si le conseil d'administration estime que les performances, évaluées sur un cycle pluriannuel, ont été atteintes, il peut attribuer des options ou des actions gratuites. Le mandataire social est alors libre d'en disposer à sa guise , dans le respect du droit de l'information financière. Si toutefois, les performances ne sont pas atteintes, soit le conseil n'attribue pas d'options ou d'actions gratuites, soit il fait jouer le système du malus. De surcroît, notre législation 19 ( * ) encadre déjà précisément les possibilités de levée d'options ou de ventes d'actions gratuites.

Par ailleurs, la proposition de résolution, en son alinéa 35, souhaite interdire que de telles modalités de rémunérations puissent être offertes à des dirigeants de sociétés bénéficiant de l'aide publique sous forme de recapitalisation ou de garantie. Sur le fond, l'encadrement des rémunérations variables dans ces entreprises répond à une demande tant des contribuables que des citoyens. Ce dispositif reprend en réalité l'esprit de l'article 25 de la loi de finances rectificative du 20 avril 2009 , adopté à l'initiative de votre commission des finances.

4. Proportionner la rémunération des dirigeants à la rémunération la plus faible versée par l'entreprise

Par les alinéas 29 et 34, la proposition de résolution envisage de proportionner la rémunération des dirigeants à la plus faible rémunération versée par l'entreprise. Ce coefficient serait fixé à 25 pour les entreprises bénéficiant de l'aide publique.

Votre rapporteur s'oppose fermement à un tel dispositif, comme à tout plafonnement strict du montant des rémunérations, qui relève plus de la démagogie que de l'économie. Ses effets seraient désastreux sur la compétitivité : une grande partie de nos cadres préférerait l'exil vers des pays plus rémunérateurs plutôt que d'accepter de percevoir un salaire qui ne correspondrait ni à leur productivité, ni à la valeur ajoutée qu'ils apportent à l'entreprise.

5. Limiter la part variable de la rémunération à 100 % de la rémunération fixe

La proposition de l'alinéa 30 rejoint une préconisation du code sur le gouvernement d'entreprise publié par l'AFEP et le MEDEF. Celui-ci dispose en effet que la part variable de la rémunération doit consister en un pourcentage de la partie fixe, sans pour autant préciser ce pourcentage.

Votre rapporteur approuve l'idée d'une proportion entre part fixe et part variable. En revanche, le seuil de 100 % apparaît inutilement limitatif . Il importe surtout que la rémunération soit déterminée en fonction des critères posés par le dernier sommet du G 20 (cf. supra , II. A. 1 ).

6. Taxer à hauteur de 30 % les indemnités de départ

Le dispositif prévu par l'alinéa 31 dispose que, dès lors que le salaire annuel dépasse 500 000 euros après prélèvement des cotisations sociales, les indemnités de départ sont taxées à hauteur de 30 %, si elles dépassent le salaire annuel net.

Votre rapporteur s'interroge sur la portée et l'utilité de cette nouvelle taxation, pour le moins complexe. En effet, les indemnités de départ de plus de 500 000 euros sont taxées par le biais de l'impôt sur le revenu à la tranche marginale supérieure, soit 40 % , donc à un taux supérieur à celui proposé par nos collègues socialistes.

7. Taxer les sociétés qui augmentent le salaire de leurs dirigeants avant leur départ de l'entreprise

L'alinéa 32 prévoit de rehausser de 15 % le taux d'imposition sur les sociétés pour les sociétés qui augmentent le salaire de leurs dirigeants six mois avant leur départ de l'entreprise.

Cette mesure souhaite empêcher certains abus commis par le passé et consistant à relever le salaire d'un dirigeant quelques mois avant son départ afin que cette augmentation se répercute sur le montant de ses indemnités de départ ou de sa retraite.

Une telle mesure serait cependant inefficace . Les sociétés de mauvaise foi seraient tentées d'augmenter les salaires quelques jours avant le délai limite des six mois tandis que les sociétés de bonne foi, dont les dirigeants partiraient de façon impromptue, seraient gravement pénalisées par une taxation injuste.

Votre rapporteur est donc défavorable à une telle proposition.

8. Limiter le montant des retraites complémentaires différentielles

L'alinéa 33 propose de limiter à 30 % de la rémunération de la dernière année d'exercice les retraites complémentaires différentielles, dites « retraites-chapeaux ». Ces retraites constituent un élément différé, mais parfois très substantiel, de la rémunération. La société fixe un niveau de pension pour la retraite de son dirigeant et compense la différence entre ce seuil et les prestations versées par les régimes de cotisation obligatoire. Elles s'apparentent à une rente de situation qui, après plusieurs années, devient totalement déconnectée des performances du dirigeant.

Votre rapporteur approuve donc la nécessité de modifier le régime légal de ces retraites, mais en actionnant le levier fiscal ou social, plus efficace qu'un plafonnement qui crée des effets de contournement.

* 16 « Quelle régulation pour la rémunération des dirigeants mandataires sociaux et des opérateurs de marché ? », rapport d'information n° 1798, 7 juillet 2009 (XIII e législature).

* 17 Rapport de l'AMF sur les rémunérations des dirigeants des sociétés cotées et sur la mise en oeuvre des recommandations AFEP / MEDEF, 9 juillet 2009.

* 18 Proposition de loi visant à créer un comité des rémunérations dans les sociétés anonymes excédant certains seuils de chiffre d'affaires et d'effectifs, TA n° 355, adopté le 20 octobre 2009.

* 19 Article L. 621-18-2 du code monétaire et financier.

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