C. L'AMÉLIORATION DE LA GOUVERNANCE ET DES OUTILS

La gestion immobilière de l'Etat requiert encore l'amélioration du dispositif de « gouvernance » et des outils sur lesquels elle s'appuie.

1. Le renforcement de la gouvernance

La « gouvernance » de la politique immobilière de l'Etat repose aujourd'hui sur le rôle essentiel dévolu, au plan opérationnel, au service France Domaine issu de l'ancien service des domaines et, pour la supervision, au Conseil de l'immobilier de l'Etat (CIE) créé en 2006. Ce schéma a priori très « centralisateur » se heurte cependant à la réalité des pratiques :

- d'une part, comme l'a confirmé le contrôle précité de votre rapporteure spéciale en ce qui concerne le parc locatif de l'Etat, France Domaine doit encore trouver sa légitimité d'intervention (cf. ci-après, 2) et le rôle du CIE reste à consacrer , notamment en l'absence de texte qui fixe clairement les critères de sa saisine pour avis sur un projet immobilier ;

- d'autre part, la diversité des structures publiques compétentes dans le domaine du patrimoine immobilier de l'Etat complexifie les circuits de décision. En tout état de cause, la reconnaissance d'un « Etat propriétaire » suppose que celui-ci soit au fait, sinon l'acteur, de tous choix relatifs à son parc immobilier.

Des progrès ont été accomplis, en ce sens, ces dernières années :

- au sein des ministères d'abord, la fonction de directeur immobilier unique est maintenant mieux installée , comme en témoigne la pratique de la réunion mensuelle des responsables immobiliers autour du secrétaire général du CIE. De plus, les circulaires du Premier ministre du 16 janvier 2009, déjà citées, ont prévu la mise en place de comités de la politique immobilière (CPI) pour chacun des ministères, en principe réunis deux fois par an pour l'examen de la programmation immobilière ;

- au plan local ensuite, le préfet de région a été identifié , dans les circulaires précitées, comme le représentant local de l'Etat propriétaire , dont la gestion exige en effet un pilotage interministériel. Par ailleurs, la direction générale des finances publiques (DGFiP) a désigné en février 2009, au sein de son réseau, des « responsables de la politique immobilière de l'Etat » (RPIE) directement rattachés au trésorier-payeur général (ou au directeur des finances publiques lorsqu'il est désigné). Néanmoins, ce dispositif doit maintenant faire ses preuves ; la réforme de l'administration territoriale de l'Etat (RéATE, cf. ci-dessus) en constituera l'occasion.

2. Le perfectionnement des outils

En ce qui concerne les outils de la gestion immobilière de l'Etat, un certain nombre d'aspects ont déjà été évoqués dans les développements qui précèdent, notamment la mise en place des nouvelles « conventions d'utilisation », l'extension des SPSI , l'indexation des loyers budgétaires , l'évolution du programme budgétaire dédié à l'entretien des bâtiments, les perspectives d'un « tableau de bord » des baux que supporte l'Etat...

Aussi, votre rapporteure spéciale se bornera à mentionner, ici, trois autres perfectionnements nécessaires .

a) Le développement du module immobilier de « CHORUS »

Le module immobilier du système d'information « CHORUS » doit remplacer les applications du tableau général des propriétés de l'Etat (TGPE) et donner lieu à la mise en place progressive de fonctionnalités avancées pour la gestion immobilière .

D'après les indications fournies à votre rapporteur spéciale, le démarrage de ce module est intervenu le 6 avril 2009. Plusieurs fonctionnalités doivent être prochainement déployées, concernant en particulier les données afférentes aux SPSI, aux conventions d'utilisation et aux « loyers budgétaires » ou le parc immobilier des opérateurs de l'Etat.

Cependant, à ce stade, le module ne constitue qu'un « basculement » des données du TGPE, avec toutes leurs limites en termes de fiabilité et d'« exploitabilité ». Le processus d'acquisition d'un outil au service d'une gestion immobilière performante devrait exiger plusieurs années.

b) La poursuite de la professionnalisation de France Domaine

Le service France Domaine constitue aujourd'hui la « cheville ouvrière » de la politique immobilière de l'Etat. Après un important effort, ces dernières années, pour étoffer les compétences du service central (recours à des prestataires pour l'assistance et le conseil à la cession d'immeubles, à des notaires pour la rédaction d'actes de vente ; partenariat avec l'ordre des géomètres-experts ; recrutement d'agents spécialement qualifiés...), France Domaine vient de voir son organisation locale renforcée par la mise en place des RPIE (cf. ci-dessus).

Toutefois, comme le contrôle précité de votre rapporteure spéciale sur « l'Etat locataire » a été l'occasion de le mettre en relief, il reste à France Domaine à développer, auprès des autres administrations, son rôle d'appui et d'« accompagnateur » des rationalisations immobilières. En outre, il lui faut se doter des moyens lui permettant d'assurer les contrôles nécessaires , notamment pour la vérification des surfaces occupées par les différents services de l'Etat.

En effet, si le Gouvernement entend communiquer sur les progrès réalisés en la matière, notamment en ce qui concerne l'atteinte de la cible du ratio d'occupation de 12 m 2 de surface utile nette par poste de travail qui a été définie (ratio qui s'établit actuellement à 18 m 2 par agent et devrait, après la mise en oeuvre de la RéATE, se trouver abaissé à 15 m 2 par agent ), encore faudrait-il que la crédibilité des résultats ainsi rendus publics ne puisse pas être mise cause. Or les calculs en la matière, aujourd'hui, reposent pour l'essentiel sur le décompte effectué par chaque administration, selon une homogénéité de méthode pour le moins douteuse .

Evolution des surfaces de bureaux occupées par l'Etat

(en m 2 )

Administrations

Années

Différence de surface occupée par rapport à l'année antérieure

Evolution entre 2006 et 2008

Affaires étrangères et européennes

2006

- 3.480

2007

+ 13.756

+ 10.276

2008

0

Agriculture et pêche

2006

- 473

2007

- 9.113

- 11.151

2008

- 1.565

Budget, économie

2006

- 1.125

2007

- 21.906

- 91.806

2008

- 58.649

Culture et communication

2006

- 615

2007

- 1.058

- 8.170

2008

- 6.497

Défense

2006

+ 16.668

2007

+ 3.350

+ 21.565

2008

+ 1.547

Ecologie, équipement

2006

+ 19.888

2007

- 50.056

- 29.547

2008

+ 621

Education nationale, enseignement supérieur et recherche

2006

- 9.913

2007

- 2.419

- 28.159

2008

- 15.827

Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales

2006

26.775

2007

- 4.292

+ 22.206

2008

- 277

Justice

2006

+ 6.978

2007

+ 8.893

+ 20.381

2008

+ 4.510

Santé, jeunesse et sports

2006

+ 4.068

2007

+ 7.041

+ 8.687

2008

- 2.422

Services du Premier Ministre

2006

+ 180

2007

- 852

- 1.234

2008

- 562

Travail, relations sociales et solidarité

2006

- 631

2007

- 5.271

- 6.000

2008

- 98

Organismes administratifs

2006

+ 2.392

indépendants

2007

+ 2.047

+ 6.128

2008

+ 1.689

2006

+ 50.586

Totaux

2007

- 59.880

- 86.824

2008

- 77.530

Source : PAP du compte « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » annexé au projet de loi de finances pour 2010

c) Le renforcement de l'information donnée au Parlement

Votre rapporteure spéciale, en cette qualité, dispose d'une information relativement substantielle sur la gestion immobilière de l'Etat, bien que cette information ne soit pas toujours facile à obtenir. En revanche, force est de constater que, de manière générale, le Parlement n'est pas toujours aussi bien informé, sur ce sujet, qu'il devrait l'être par le Gouvernement . Ainsi, notamment, les limites du PAP du compte « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » annexé au présent PLF ont été soulignées ci-dessus (cf. II).

En vue d'améliorer cette information, le ministre chargé du budget, M. Eric Woerth , lors de la séance du Sénat du 1 er avril 2009 , a annoncé la mise en place , « à partir de cet automne », d'« un document résumant l'ensemble des acquisitions de l'Etat ou de ses engagements hors bilan importants, le seuil restant à déterminer ». Cet engagement faisait suite à l'invitation en ce sens de notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, à l'occasion du débat sur l'avance consentie en LFR, par l'Etat, à la Cité de la musique, en vue de l'acquisition par cet établissement de la salle Pleyel qu'il avait antérieurement prise à bail.

Votre rapporteure spéciale, à l'issue de son contrôle précité relatif aux baux supportés par l'Etat, a proposé que cet « état immobilier », annexé aux projets de loi de finances, fasse figurer les prises à bail les plus importantes , soit celles qui impliquent un loyer annuel supérieur à un million d'euros dans la région Ile-de-France et à 0,5 million d'euros en province.

Séance du Sénat du 1 er avril 2009

Examen du 2 e projet de loi de finances rectificative pour 2009

M. Philippe Marini, rapporteur général . [...] Tirons, pour l'avenir, quelques enseignements de cette opération [l'avance de 60,5 millions d'euros, par l'Etat, à la Cité de la musique, en vue de l'acquisition par cet établissement de la salle Pleyel qu'il avait prise à bail pour 50 ans] , d'autant que beaucoup a déjà été fait en matière d'évaluation et de gestion du patrimoine immobilier de l'État avec le Conseil de l'immobilier de l'État.

Dans le moindre des conseils municipaux, le maire doit, chaque année, en vertu de la loi, fournir un état des acquisitions et ventes du patrimoine immobilier. Dans un souci de transparence, ne serait-il pas raisonnable, monsieur le ministre, que l'État transmette, chaque année, au Parlement un état des biens acquis d'une valeur unitaire supérieure à 50 millions d'euros ou à 100 millions d'euros ?

Ainsi que Jean Arthuis l'a évoqué tout à l'heure, se pose bel et bien la question de l'engagement pris au moment même où ce montage financier - certainement utile et opportun - a été concrétisé.

M. Gérard Longuet . Exact !

M. Philippe Marini, rapporteur général . En effet, l'État a pris alors un engagement très substantiel pour une durée de cinquante ans. Aujourd'hui, nous serions plus à l'aise encore si cette information nous avait été donnée en temps réel.

Dès lors, ne peut-on pas progresser, monsieur le ministre, sur la voie de la transparence, en informant le Parlement en temps réel des opérations immobilières menées par l'État ?

Mme la présidente . La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre . [...] Monsieur le rapporteur général, je vous l'accorde, c'est une bonne idée de résumer les engagements patrimoniaux de l'État, tant ceux qui sont inscrits au bilan que ceux qui sont hors bilan, ...

M. Philippe Marini, rapporteur général . Très bien !

M. Éric Woerth, ministre . ... car les engagements de long terme - en l'espèce, cinquante ans - suscitent les mêmes contraintes. Au demeurant, il sera assez facile d'établir cet état.

En conséquence, je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, de dresser cet état à partir de cet automne dans un document résumant l'ensemble des acquisitions de l'État ou de ses engagements hors bilan importants, le seuil restant à déterminer.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances . Très bien !

M. Philippe Marini, rapporteur général . Je vous remercie, monsieur le ministre.

Source : compte rendu intégral des débats

Pourtant, un tel document n'a pas été joint au présent PLF . Interrogé sur ce point en application de l'article 49 de la LOLF, le Gouvernement a transmis à votre rapporteure spéciale la liste des acquisitions immobilières de l'Etat réalisées en 2008 pour un montant supérieur à 0,5 million d'euros (liste ci-après reproduite). Il a précisé que, « s'agissant des engagements hors bilan et notamment du recensement des prises à bail de l'Etat, celui-ci n'est pas à ce jour centralisé au niveau national, chaque service local du domaine suivant les prises à bail dans son département. Un suivi particulier est réalisé pour les opérations parisiennes compte tenu des enjeux stratégiques et financiers » (cf. ci-dessus).

Acquisitions immobilières de l'Etat en 2008 * pour un montant supérieur à 0,5 million d'euros (hors taxes)

(en euros)

Date

Ministères

Nature de l'immeuble

Superficie

Adresse du bien

Prix

01/01/2008

Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales

Dans un ensemble immobilier en copropriété, locaux à usage de bureaux et 50 emplacements de stationnement extérieurs

1.494 m²

(SU)

55, rue Baraban à Lyon III e (69)

2.500.000

07/04/2008

Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales

Ensemble immobilier à usage de bureaux et d'appartements

n.c.

6, rue Pierre et Jean-Baptiste Benet à Narbonne (11)

664.968

28/04/2008

Ecologie, énergie, développement durable et aménagement du territoire

Parcelles situées à l'intérieur du périmètre de la concession aéroportuaire

661.384 m² (terrain)

Saint Jacques de la Landes (35)

806.888

27/05/2008

Economie, industrie, finances et emploi

Locaux de bureaux dans un immeuble en copropriété

832 m²

(SU)

95, boulevard Carnot à Lille (59)

1.378.275

24/07/2008

Budget, comptes publics et fonction publique

Ensemble de bureaux dans un immeuble en copropriété et 20 emplacements de stationnement

n.c.

17 et 17 bis , place de l'Argonne à Paris XIX e

2.700.000

12/08/2008

Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales

Immeuble composé de trois bâtiments accolés comportant bureaux, atelier, magasin et garage

n.c.

35, avenue de la République à Aulnay-sous-Bois (93)

1.250.000

27/08/2008

Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales

Ensemble de 9 pavillons, un bâtiment à usage de bureaux et locaux techniques, un bâtiment servant d'abri pour véhicules et archives

1284 m²

(SU)

605, avenue de la République à Saint-André-de-la Réunion (Réunion)

1.152.140

16/10/2008

Budget, comptes publics et fonction publique

Immeuble à usage de bureaux et bâtiment comportant 5 garages couverts

1049,70 m²

(SU)

18, avenue de l'Isle-Brune à Saint-Egrève (38)

1.700.000

13/11/2008

Justice

Ancien foyer des Glycines comportant deux corps de bâtiments

n.c.

Impasse Jean Simon à Troyers (10)

660.000

18/11/2008

Education nationale

Volume dans un ensemble immobilier

11.400 m²

(HON)

Boulevard du Champagne et avenue Marbotte à Dijon (21)

2.850.000

26/11/2008

Economie, industrie, finances et emploi

Lot de volume comportant un bâtiment situé dans le périmètre de l'aéroport d'Orly

1.008 m²

7, allée du commandant Mouchotte à Paray-Vieille Poste (91)

578.481

05/12/2008

Justice

Locaux de bureaux

n.c.

56, rue de la Méditerranée et 11, rue de Tarragone à Montpellier (34)

4.700.000

08/12/2008

Budget, comptes publics et fonction publique

Ensemble immobilier à usage de bureaux et 350 emplacements de stationnement

9.650,57 m²

(SU)

Lieu-dit "La Demi Lune" au Coudray-Montceaux (91)

4.800.000

11/12/2008

Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales

Divers lots dans un immeuble en copropriété à usage de bureaux

5.255,61 m²

(SU)

21, rue du Pont des Halles à Chevilly-Larue (94)

10.500.000

17/12/2008

Justice

Dans un immeuble en copropriété, trois lots à usage de bureaux et de réserve

466,03 m² (SUN de bureaux)

5, boulevard des Pyrénées à Perpignan (66)

890.000

* Actes de ventes signés au 31 décembre 2008.

Source : ministère du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat

Votre rapporteure spéciale propose donc un amendement prévoyant que les engagements immobiliers de l'Etat les plus importants se trouvent retracés dans une nouvelle annexe au projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion de chaque année, soit non seulement les acquisitions de plus de 0,5 million d'euros mais aussi les prises à bail pour un loyer de plus d'un million d'euros dans la région Ile-de-France et de plus de 0,5 million d'euros dans les autres régions. Il s'agit d'assurer que le Parlement soit désormais pleinement informé sur ces opérations.

La mesure, en ce qui concerne les baux supportés par l'Etat, contribuera à accélérer la mise en place, actuellement en cours, de l'indispensable centralisation du suivi.

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