III. LES OBSERVATIONS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

1. Sur les conditions juridiques requises pour le déclenchement du mécanisme de protection temporaire

Tout d'abord, sur le plan formel, il convient de rappeler que l'article 88-4 de la Constitution permet l'adoption d'une résolution européenne soit sur une proposition d'acte soit sur « tout document » émanant d'une institution de l'Union européenne. La proposition de résolution ne vise que des actes communautaires définitivement adoptés. Mais cette anomalie pourrait néanmoins être facilement corrigée en visant un « document » ayant un lien avec la question traitée.

Sur le fond, il est nécessaire de bien distinguer la protection temporaire, telle qu'elle est prévue par la directive de 2001, et la protection subsidiaire, telle qu'elle résulte de la directive de 2004, dite « qualifications », dont la Commission européenne a récemment proposé la refonte. La proposition de résolution semble confondre ces deux notions qui sont en réalité indépendantes et d'une nature différente.

Certes les situations visées par les deux dispositifs paraissent assez comparables, notamment le risque encouru en cas de retour dans le pays ou la volonté d'échapper à la violence ou à un conflit armé.

Mais, pour que le dispositif de protection temporaire trouve à s'appliquer, il ne suffit pas que soient constatés en Europe des déplacements de personnes fuyant des zones de conflit armé ou de violence endémique et susceptibles de répondre à la définition de la protection temporaire. Encore faut-il qu'il s'agisse de déplacements massifs de ces populations dans les pays européens entraînant des effets contraires au bon fonctionnement des systèmes d'asile et qu'il y ait une impossibilité pour ces personnes de rentrer dans leur pays d'origine.

Ce sont donc ces critères qui doivent être examinés au regard d'une éventuelle décision de déclencher le mécanisme de protection temporaire.

Au vu des données statistiques, il est difficile de considérer qu'il y aurait actuellement en Europe un afflux massif en provenance d'Afghanistan ou qu'un tel afflux serait imminent. L'Union européenne a été confrontée entre 1998 et 2003 à des flux de demandeurs d'asile afghans bien plus importants qu'aujourd'hui. Un pic a été atteint en 2001 avec 45 405 demandes. Ce chiffre n'a cessé de diminuer depuis lors (7 665 demandes en 2007). Même si l'on constate une augmentation au premier semestre 2009 avec 9 135 demandes, la communauté afghane ne se distingue pas spécifiquement par rapport à la situation d'autres communautés issues de pays en guerre comme la Somalie et l'Irak.

Les systèmes d'asile ont jusqu'à présent pris en compte les demandes émanant de ressortissants afghans sans que leur bon fonctionnement en soit altéré. Aucun État membre ne se trouve dans une situation telle que son système d'asile serait submergé et dans l'incapacité de traiter les demandes afghanes et celles provenant d'autres nationalités. Dans le cas de la France, par exemple, les cinq premières nationalités pour la demande d'asile sont la Russie, la Serbie (Kosovo), la Turquie, le Sri Lanka et la République démocratique du Congo.

La question de la possibilité ou non du retour dans le pays d'origine est évidemment très sensible. Elle mérite une très grande attention. Comme votre rapporteur l'a déjà indiqué, depuis 2002, plus de 5 millions d'Afghans, résidant en Iran ou au Pakistan, ont bénéficié de programmes de rapatriement sous l'égide du HCR. Mais on constate une forte chute du nombre de rapatriés volontaires en 2009.

De manière générale, l'ONU prohibe le retour forcé de personnes vers leur pays d'origine lorsque celles-ci risquent d'être exposées à des traitements dégradants ou inhumains. Cependant, il n'existe pas de lignes directrices ou de recommandations émanant d'institutions internationales quant à la prise en charge des réfugiés et demandeurs d'asile afghans, contrairement aux réfugiés irakiens que le HCR a demandé aux États de ne pas renvoyer dans leur pays d'origine.

La seule circonstance de venir d'un pays ou d'une région connaissant des troubles graves ne peut suffire à elle seule à justifier une protection absolue contre l'éloignement ou à ouvrir droit à une protection internationale. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, les personnes doivent justifier de « caractéristiques particulières » ou de « traits distinctifs » permettant de considérer qu'il existe des risques sérieux qu'elles soient exposées à de mauvais traitements en cas de retour.

Il y a donc là matière à une évaluation de la situation dans le pays. On peut penser que, dans les cas de plus extrême violence, toute personne du seul fait de sa présence dans le pays serait exposée à un risque réel. L'évaluation des autorités françaises et de ses partenaires est que l'Afghanistan ne se trouverait pas actuellement dans une telle situation exceptionnelle qui empêcherait de manière absolue tout retour vers ce pays. C'est donc des décisions au cas par cas qui doivent être prises, sur la base d'une évaluation individuelle au regard du contexte prévalant en Afghanistan.

Au total, le Gouvernement considère que le dispositif actuel de traitement des demandes d'asile afghanes en France et dans l'Union européenne est adapté à la situation rencontrée et ne nécessite pas la mise en oeuvre d'un nouveau dispositif de protection.

Une appréciation juridique de la demande formulée par la proposition de résolution amène, en effet, à constater que les conditions posées par le droit communautaire au déclenchement du mécanisme de protection temporaire ne peuvent être réunies aujourd'hui. D'une part, il n'y a pas d'afflux massif de réfugiés en provenance d'Afghanistan susceptible d'empêcher le bon fonctionnement des systèmes d'asile. D'autre part, le retour en Afghanistan ne se heurte pas à une impossibilité absolue.

2. Sur l'enjeu humanitaire soulevé par la situation des réfugiés afghans en Europe

Face au caractère très sensible de cette question et à l'évolution de la situation en Afghanistan, on peut être néanmoins tenté d'examiner avec une bienveillance toute particulière la proposition qui est faite par nos collègues.

Lors de l'examen de la proposition de résolution, la commission des affaires européennes a souhaité ne pas s'en tenir à une analyse purement juridique des questions qu'elle soulève.

Elle a relevé la dimension humanitaire de la situation des ressortissants afghans quittant leur pays pour rejoindre l'Europe. En particulier, elle a jugé nécessaire que soit pris en compte l'enjeu de la protection des populations civiles dans ce pays en guerre et que l'Union européenne intègre dans la détermination de sa politique les violences qui y sont commises tout particulièrement en lien avec les trafics de drogue.

Dans ces conditions, la commission des affaires européennes s'est interrogée sur les possibilités actuellement offertes par les textes communautaires pour régler des situations provisoires, comme ce fut le cas dans le passé en ce qui concerne le Kosovo.

Il s'agit, en effet, de protéger temporairement des personnes dont le souhait est majoritairement de pouvoir rentrer dans leur pays dès que les conditions de paix y seront réunies.

Force est de constater que le mécanisme prévu par la directive de 2001 n'a pas encore été utilisé. Il y a donc lieu de s'interroger sur l'adéquation des instruments disponibles pour répondre à l'urgence de certaines situations humanitaires provoquées par les violences constatées dans des pays connaissant des conflits armés. L'Union européenne pourrait donc utilement, à l'occasion de la mise en place du régime européen d'asile commun, envisager d'avoir une approche plus ambitieuse dans la prise en compte de ces situations d'urgence.

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