2. La nécessité de sanctions effectives pour faire évoluer le comportement des entreprises
Dès lors que la loi fixerait une obligation quantifiée de représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance des sociétés, elle doit nécessairement comporter des sanctions, sans quoi elle n'aurait guère de portée effective. Sans sanction adaptée, la loi ne parviendrait pas à faire évoluer les comportements. A cet égard, les deux propositions de loi contiennent différents types de sanctions.
a) La nullité des nominations irrégulières
Pour être effective, l'obligation de représentation équilibrée des femmes et des hommes doit comporter une sanction lorsqu'elle n'est pas respectée. Les deux propositions de loi prévoient la nullité des nominations qui interviendraient en violation de cette obligation. La sanction de la nullité des nominations est la sanction nécessaire d'une obligation qui concerne la composition du conseil.
Cette sanction est plus lourde qu'il n'y paraît, puisqu'un conseil pourrait comporter plusieurs membres dont la nomination est nulle, au point de ne plus respecter le minimum statutaire voire légal. Ainsi, en théorie, une société dont le conseil ne serait pas composé régulièrement pourrait voir progressivement le mandat de tous les membres de son conseil être nul au fil des nominations et renouvellements. De la sorte, la société au bout de quelques années n'aurait légalement plus de conseil.
Votre rapporteur estime que cette sanction de nullité des nominations constitue déjà une sanction importante.
b) La nullité des délibérations
Les deux propositions de loi assortissent la nullité des nominations irrégulières d'une sanction de nullité des délibérations. La proposition de loi émanant de l'Assemblée nationale ne prévoit cette sanction qu'au cours de la seule période transitoire et précise qu'il s'agit de la nullité des délibérations auxquelles a pris part le membre du conseil irrégulièrement nommé, tandis que la proposition de loi de notre collègue Nicole Bricq évoque une simple nullité des délibérations, de sorte que l'on peut considérer que seraient nulles toutes les délibérations du conseil, que le membre du conseil irrégulièrement nommé y ait participé ou non.
Votre commission estime que la sanction de nullité des délibérations est extrêmement sévère et disproportionnée, car elle mettrait très gravement en cause la sécurité juridique des délibérations des conseils et, par conséquent, celle des actes de la société, de ses rapports avec des tiers et de la protection de ces derniers. Peuvent ainsi être menacés un contrat stratégique pour l'avenir de la société, une décision d'acquisition, la mise en oeuvre d'un plan social ou une procédure de redressement judiciaire.
Votre rapporteur ajoute qu'une telle sanction, aussi disproportionnée, est manifestement étrangère au droit des sociétés. C'est ainsi un principe que toute irrégularité dans les délibérations des conseils et dans la prise de décision ne peut être opposable aux tiers de bonne foi. Alors qu'une décision qui, par exemple, excède l'objet social engage la société à l'égard des tiers, il serait curieux qu'une simple irrégularité dans la composition de son conseil entraîne la nullité de ses délibérations lorsqu'elles concernent des tiers.
De plus, une telle sanction contrevient au principe selon lequel toute irrégularité dans la composition du conseil ne saurait affecter la validité de ses délibérations. En effet, selon le premier alinéa de l'article L. 210-9, « ni la société ni les tiers ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d'une irrégularité dans la nomination des personnes chargées de gérer, d'administrer ou de diriger la société, lorsque cette nomination a été régulièrement publiée ». Autre exemple de ce principe, le dernier alinéa de l'article L. 225-21 indique que les délibérations auxquelles a pris part un administrateur ne respectant les règles de cumul des mandats sociaux ne sont pas affectées du fait de cette irrégularité dans la composition du conseil. De même, la nullité de la nomination d'un administrateur au-delà de la limite d'âge, au troisième alinéa de l'article L. 225-19, n'entraîne pas la nullité des délibérations. A fortiori , la nullité de la nomination d'un administrateur lorsqu'elle n'est pas effectuée conformément aux prescriptions légales, au dernier alinéa de l'article L. 225-18, n'entraîne pas non plus la nullité des délibérations du conseil, de sorte que serait particulièrement paradoxale et disproportionnée la nullité des délibérations en cas de non-respect du principe de représentation équilibrée.
Votre rapporteur s'interroge même sur le caractère constitutionnel d'une telle sanction. Du fait de sa disproportion, le Conseil constitutionnel pourrait y voir une erreur manifeste d'appréciation du législateur au regard de l'objectif recherché. Il pourrait aussi y discerner une atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ainsi qu'au droit au maintien de l'équilibre des conventions légalement conclues... Une telle sanction serait très vite une cible privilégiée pour la nouvelle question prioritaire de constitutionnalité.
Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission considère que la sanction de nullité des délibérations contenue dans les deux propositions de loi n'est pas acceptable, pas même à titre transitoire.
c) Les sanctions financières
Dans son article 6, la proposition de loi de notre collègue Nicole Bricq prévoit qu'aucune rémunération ne peut être versée aux administrateurs si le conseil d'administration n'est pas régulièrement composé. Cette formule apparemment judicieuse, par l'effet incitatif qu'elle peut avoir sur les conseils, qui exercent un rôle de proposition à l'assemblée générale dans la nomination des administrateurs, pose plusieurs difficultés du fait de sa généralité.
En premier lieu, seraient visés les jetons de présence que l'assemblée générale peut décider d'allouer aux membres du conseil (articles L. 225-45 et L. 225-83 du code de commerce). Dans ce cas, cela ne présenterait pas de difficulté particulière. Votre rapporteur estime d'ailleurs que ceci pourrait être repris comme incitation à rendre la composition des conseils conforme au principe de représentation équilibrée sans remettre en cause la régularité des délibérations elles-mêmes du conseil, avec toute l'insécurité juridique que cela génère pour les tiers et cocontractants de la société. En effet, la sanction de nullité des nominations, du fait de son caractère indolore, pourrait ne pas être suivie d'effets, alors qu'elle est pourtant déjà lourde. Une sanction portant sur la suppression temporaire ou la suspension des jetons de présence aurait un effet plus directement incitatif, pas tant en raison du manque à gagner pour les membres des conseils 24 ( * ) qu'à cause de la publicité qui pourrait en être faite au travers du contrôle et de la publicité des comptes.
En deuxième lieu, seraient visées les rémunérations exceptionnelles versées au titre de missions ou mandats particuliers confiés à des membres du conseil (articles L. 225-46 et L. 225-84 du code de commerce). Il serait curieux de supprimer ces rémunérations, car elles doivent correspondre à une mission spécifique effective, qui excède le mandat normal d'administrateur ou membre du conseil de surveillance.
En troisième lieu, pourraient également être visées les rémunérations diverses versées par la société, par exemple celles versées au directeur général lorsqu'il est également administrateur de la société. Il en serait de même pour les administrateurs titulaires d'un contrat de travail avec la société au début de leur mandat, puisqu'un salarié peut être nommé administrateur et continuer à percevoir son salaire s'il continue à remplir ses fonctions salariées. De plus, qu'en serait-il des salaires perçus, lorsqu'il en existe, par les administrateurs représentant les salariés et élus à cet effet ?
* 24 Au sein des plus grandes sociétés, selon les informations communiquées à votre rapporteur, les jetons de présence représentent en moyenne plus de 50 000 euros par an.