ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS L'ARTICLE 58 bis (Art. 199 quinvicies du code général des impôts, art. L. 221-3 et L. 221-4 du code monétaire et financier) - Abrogation du compte épargne co-développement et du livret d'épargne pour le co-développement
Commentaire : le présent article, proposé par votre commission des finances, vise à abroger le compte épargne co-développement et le livret d'épargne pour le co-développement.
I. LA SITUATION ACTUELLE
A. DEUX PRODUITS D'ÉPARGNE RÉGLEMENTÉS EN FAVEUR DU CO-DÉVELOPPEMENT
Les transferts de fonds effectués par les étrangers résidant en France sont estimés représenter environ huit milliards d'euros, soit plus de 3 % du montant global de transferts des migrants dans le monde, évalué à environ 240 milliards d'euros 44 ( * ) . Eu égard à l'importance de ces transferts, le législateur a institué deux produits d'épargne réglementés visant à orienter l'épargne des étrangers vers le financement d'investissements dans les pays en développement , et concourant ainsi à l'essor économique de ces derniers.
Ces produits d'épargne sont partie prenante de la politique de « co-développement » française, laquelle tend à « favoriser le développement en s'appuyant sur les migrations, dans le cadre de relations partenariales fondées sur la recherche de l'intérêt mutuel entre pays d'accueil et pays d'origine des migrations . [Cette recherche] concerne notamment les pays les moins avancés économiquement, principalement en Afrique subsaharienne, qui sont à l'origine de flux migratoires vers la France 45 ( * ) . »
1. Le compte épargne co-développement
Le « compte épargne co-développement » (CEC) a été créé par la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration et se trouve codifié à l'article L. 221-33 du code monétaire et financier. Suivant cet article, le CEC est destiné à recevoir l' épargne d'étrangers ayant la nationalité d'un pays en voie de développement qui figure sur une liste de pays établie par arrêté conjoint des ministres chargés des affaires étrangères, de l'intérieur, de l'économie et du budget 46 ( * ) , et titulaires d'une carte de séjour permettant l'exercice d'une activité professionnelle, afin de financer certains investissements dans leur pays d'origine .
Les investissements autorisés à partir d'un tel compte sont, aux termes de la loi, « ceux qui concourent au développement économique des pays bénéficiaires, notamment :
« a) la création, la reprise ou la prise de participation dans les entreprises locales ;
« b) l'abondement de fonds destinés à des activités de microfinance ;
« c) l'acquisition d'immobilier d'entreprise, d'immobilier commercial ou de logements locatifs ;
« d) le rachat de fonds de commerce ;
« e) le versement à des fonds d'investissement dédiés au développement ou des sociétés financières spécialisées dans le financement à long terme, opérant dans les pays visés ».
Le CEC peut être proposé par tout établissement de crédit ou autorisé à recevoir des dépôts qui s'engage, par convention avec l'Etat, à respecter les règles précitées. Il est rémunéré par un taux librement fixé entre l'établissement et l'épargnant.
Le retrait de tout ou partie des sommes versées sur un CEC est tenu de servir effectivement à un investissement dans un pays en développement , défini comme susmentionné. À défaut, un prélèvement libératoire de 40 % est appliqué , conformément aux dispositions de l'article 199 quinvicies du code général des impôts.
2. Le livret d'épargne pour le co-développement
Le « livret d'épargne pour le co-développement » (LEC) a été créé par la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile et se trouve codifié à l'article L. 221-34 du code monétaire et financier. En vertu de ce texte, le LEC est destiné à recevoir l' épargne d'étrangers majeurs ayant la nationalité d'un pays en voie de développement qui figure sur la liste de pays, précitée, établie pour la mise en oeuvre du CEC, titulaires d'un titre de séjour d'une durée supérieure ou égale à un an et fiscalement domiciliés en France, pour financer des opérations d'investissement dans les pays signataires d'un accord avec la France prévoyant la distribution de ce livret. En pratique, une clause peut être insérée à cet effet dans les « accords de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire » que conclut notre pays 47 ( * ) .
Sur le modèle du régime prévu pour le CEC, le LEC peut être proposé par tout établissement de crédit ou autorisé à recevoir des dépôts qui s'engage, par convention avec l'Etat, à respecter les règles précitées. Le taux de sa rémunération est librement fixé entre l'établissement et l'épargnant.
À l'issue d'une phase d'épargne comprise entre trois et huit années consécutives, le titulaire du livret bénéficie d'une prime d'épargne , dont le montant est fonction de l'effort d'épargne, à la condition de contracter un prêt aux fins d'investissement dans un pays signataire avec la France d'un accord prévoyant la distribution du LEC. La nature des investissements concernés doit être définie par cet accord.
B. DEUX CATÉGORIES DE DÉPENSES FISCALES ASSOCIÉES À CES PRODUITS D'ÉPARGNE
1. La réduction d'impôt attachée au CEC
L'article 199 quinvicies précité du code général des impôts dispose que le compte épargne co-développement , sous réserve que les conditions ci-dessus rappelées de son régime soient respectées, ouvre droit à une réduction d'impôt sur le revenu à hauteur de 40 % des sommes versées dans l'année , retenues dans la limite annuelle de 25 % du revenu net global du contribuable et de 20 000 euros 48 ( * ) . Cet avantage fiscal, toutefois, se trouve expressément limité aux sommes versées entre le 1 er janvier 2009 et le 31 décembre 2011.
La dépense fiscale correspondante est rattachée au programme 301 « Développement solidaire et migrations » de la mission « Aide publique au développement ».
2. Le prélèvement libératoire à taux réduit attaché au CEC et au LEC
Les produits d'un compte épargne co-développement ou d'un livret d'épargne pour le co-développement bénéficient du prélèvement libératoire au taux réduit de 5 % prévu pour l'ensemble des mécanismes d'épargne dits « solidaires », contre un taux normal de 18 %, par le 10° du paragraphe III bis de l'article 125 A du code général des impôts.
Cette catégorie de dépenses fiscales est associée au programme 110 « Aide économique et financière au développement » de la mission « Aide publique au développement ».
C. UNE MISE EN oeUVRE DIFFICILE
1. Des résultats très médiocres
Comme indiqué ci-dessus, le compte épargne co-développement et le livret d'épargne pour le co-développement peuvent être commercialisés par les établissements de crédit ou autorisés à recevoir des dépôts qui ont conclu une convention ad hoc avec l'Etat. Or, à ce jour :
- en ce qui concerne le CEC , seules deux conventions ont été signées par l'Etat, l'une avec le groupe des Caisses d'épargne, en septembre 2007, l'autre avec l'Union tunisienne des banques, au mois de novembre de la même année. En outre, en pratique, seule l'Union tunisienne des banques distribue ce produit . De fait, seulement 31 CEC étaient souscrits au 31 juillet 2010 - contre, il est vrai, seulement deux comptes ouverts fin juillet 2009. Le montant de l'encours correspondant était de 261 000 euros (contre 10 700 fin juillet 2009) ;
- en ce qui concerne le LEC, aucune banque n'a conclu de convention avec l'Etat à ce jour. Dans ces conditions, ce produit n'est toujours pas distribué .
C'est donc de manière logique que, dans le projet annuel de performances (PAP) de la mission « Aide publique au développement » annexé au présent PLF, les dépenses fiscales attachées à ces produits d'épargne sont estimées quasiment nulles pour l'année prochaine, comme les années précédentes . En effet, tant la réduction d'impôt sur le revenu au titre des sommes épargnées sur un CEC que le prélèvement libératoire à taux réduit sur les produits des CEC et LEC sont inscrits dans la catégorie « dépense inférieure à 0,5 million d'euros ». D'après les informations fournies à votre rapporteur général, le « risque maximum », en la matière , est évalué à environ 100 000 euros , montant qui représente 40 % de l'encours précité des CEC recensés à la fin du mois de juillet dernier.
2. Une situation liée au « public cible »
Cet insuccès des produits d'épargne réglementés mis en place en faveur du co-développement a déjà été souligné par le rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement », notre ancien collègue Michel Charasse hier 49 ( * ) , notre collègue Yvon Collin aujourd'hui 50 ( * ) . La situation tient, pour l'essentiel, à l' absence d'épargne disponible du « public cible » pour lequel le CEC et le LEC ont été conçus. En effet, la population concernée les étrangers ayant la nationalité d'un pays en voie de développement ne jouit, en général, que d'un revenu très limité.
Sur la demande du Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID) qui s'est réuni le 5 juin 2009, une évaluation de ce dispositif a été menée au cours de l'année 2010 par un groupe de travail 51 ( * ) . Les premières conclusions de celui-ci ont notamment fait valoir les deux séries d'éléments complémentaires suivants :
- d'une part, le CEC et le LEC sont réservés aux résidents étrangers, à l' exclusion des résidents binationaux et de ceux qui, originaires des pays bénéficiaires, ont acquis la nationalité française . De la sorte, non seulement le champ d'application potentiel de ces produits est significativement réduit, mais c'est souvent au moment même où un migrant, ayant opté pour la nationalité française, se trouve en mesure d'épargner qu'il perd la faculté d'ouvrir le CEC ou le LEC qu'il aurait pu souhaiter en vue de contribuer au développement de son pays d'origine ;
- d'autre part, alors qu'environ la moitié des foyers fiscaux français se trouve en dessous du seuil d'imposition sur le revenu, cette proportion s'avère nettement supérieure en ce qui concerne les foyers d'immigrés. Dès lors, l'avantage fiscal associé au CEC présente peu d'attrait pour ces derniers, car il prend la forme d'un crédit d'impôt , et non d'un versement du Trésor.
II. LA MESURE PROPOSÉE PAR VOTRE COMMISSION DES FINANCES
À l'occasion du rapport sur le présent PLF du rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement », notre collègue Yvon Collin, votre commission des finances 52 ( * ) s'est interrogée sur l'utilité de maintenir en vigueur le compte épargne co-développement, à peine distribué encore, comme on l'a vu ci-dessus, malgré quatre ans d'existence, et le livret d'épargne pour le co-développement, qui pour sa part n'a même pas reçu un début de commercialisation en trois ans.
Ces dispositifs paraissent manifestement inappropriés au but de « co-développement » poursuivi. Votre rapporteur général propose donc d'y mettre un terme , en abrogeant à cet effet les articles L. 221-3 et L. 221-4 précités du code monétaire et financier, ainsi que, par coordination, l'article 199 quinvicies également précité du code général des impôts, qui prévoit la réduction d'impôt sur le revenu associée au CEC.
Cette proposition donne acte à la réflexion encore en cours, le groupe de travail ci-dessus mentionné devant approfondir son analyse pour proposer au Gouvernement la réforme nécessaire . Il convient de souligner que, lors du sommet « Afrique-France » qui s'est tenu à Nice les 31 mai et 1 er juin derniers, notre pays s'est engagé à mener cette réforme , en collaboration avec les établissements de crédit et les représentants des migrants , afin de « renforcer l'efficacité de la mobilisation de l'épargne des migrants pour le co-développement ».
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article additionnel.
* 44 328 milliards de dollars en 2008, 317 milliards en 2009 (estimation hors envois d'argent informels réalisée par la Banque mondiale), soit plus de deux fois et demie le montant total de l'aide publique au développement versée par les Etats membres du comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE (119,6 milliards de dollars en 2009).
* 45 Présentation du programme 301 « Développement solidaire et migrations » figurant dans le PAP de la mission « Aide publique au développement » joint au présent PLF.
* 46 Algérie, Bénin, Burkina-Faso, Burundi, Cap Vert, Cameroun, République centrafricaine, Comores, Congo, République démocratique du Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée, Haïti, Ancienne République yougoslave de Macédoine, Madagascar, Mali, Maroc, Mauritanie, Monténégro, Niger, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Serbie, Somalie, Surinam, Tchad, Togo, Tunisie, Vietnam.
* 47 À ce jour, la France a signé un accord de gestion concertée des flux migratoires avec treize pays ; par ordre chronologique : le Sénégal, le Gabon, la République du Congo, le Bénin, la Tunisie, le Cap Vert, la République de Maurice, le Burkina-Faso, le Cameroun, l'Ancienne République yougoslave de Macédoine, le Monténégro, la Serbie et le Liban.
* 48 Suivant le principe de réduction de 10 % que prévoit l'article 58 du présent PLF, le taux de la réduction d'impôt sur le revenu prévue pour le CEC serait abaissé à 36 %.
* 49 Cf . en dernier lieu le rapport n° 101 (2008-2009), tome III, annexe 4.
* 50 Cf . l'annexe 4 du présent tome III du rapport n° 111 (2010-2011).
* 51 Mission confiée par les ministres chargés des affaires étrangères, de l'économie et de l'immigration à MM. Pierre Duquesne, ambassadeur, et Dominique de Rambures, président honoraire de l'association « Euro Banking ».
* 52 Réunion du mardi 16 novembre 2010.