N° 228

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la présidence du Sénat le 18 janvier 2011

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi de M. Jean-Pierre GODEFROY, Mmes Patricia SCHILLINGER, Raymonde LE TEXIER, Annie JARRAUD-VERGNOLLE, MM. Serge ANDREONI, Jean-Etienne ANTOINETTE, Mme Marie-Christine BLANDIN, M. Yannick BODIN ; Mme Nicole BONNEFOY, M. Didier BOULAUD, Mmes Bernadette BOURZAI, Nicole BRICQ, Claire-Lise CAMPION, Françoise CARTRON, Monique CERISIER-ben GUIGA, MM. Yves CHASTAN, Yves DAUDIGNY, Jean-Pierre DEMERLIAT, Mme Christiane DEMONTÈS, M. Jean DESESSARD, Mme Josette DURRIEU, MM. Bernard FRIMAT, Charles GAUTIER, Didier GUILLAUME, Ronan KERDRAON, Serge LAGAUCHE, Serge LARCHER, Mme Françoise LAURENT-PERRIGOT, M. Jacky LE MENN, Mme Claudine LEPAGE, MM. Roger MADEC, Jacques MAHÉAS, Rachel MAZUIR, Jean-Pierre MICHEL, Gérard MIQUEL, Jean-Jacques MIRASSOU, Jean-Marc PASTOR, Bernard PIRAS, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Daniel RAOUL, François REBSAMEN, Daniel REINER, Michel SERGENT, Simon SUTOUR, Mme Catherine TASCA, MM. Bernard ANGELS, Jacques BERTHOU, Yannick BOTREL, Jean-Noël GUÉRINI, Robert NAVARRO, Mme Michèle ANDRÉ, MM. Jacques GILLOT et Jean-Pierre BEL relative à l' aide active à mourir , la proposition de loi de MM. Guy FISCHER, François AUTAIN, Mmes Annie DAVID, Odette TERRADE, Marie-Agnès LABARRE, MM. Bernard VERA, Michel BILLOUT, Jack RALITE, Ivan RENAR, Gérard LE CAM, Mmes Mireille SCHURCH, Brigitte GONTHIER-MAURIN, Isabelle PASQUET, Marie-France BEAUFILS, M. Robert HUE, Mme Josiane MATHON-POINAT et M. Jean-François VOGUET relative à l' euthanasie volontaire et la proposition de loi présentée par M. Alain FOUCHÉ relative à l' aide active à mourir dans le respect des consciences et des volontés ,

Par M. Jean-Pierre GODEFROY,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Muguette Dini , présidente ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mmes Annie David, Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe , Alain Milon , vice - présidents ; MM. Nicolas About, François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger , secrétaires ; M. Alain Vasselle, rapporteur général ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Gérard Dériot, Mme Catherine Deroche, M. Jean Desessard, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Adrien Giraud, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Mme Valérie Létard, MM. Jean-Louis Lorrain, Alain Milon, Mmes Isabelle Pasquet, Anne-Marie Payet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, François Vendasi, André Villiers.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

65 (2008-2009), 659 (2009-2010), 31 et 229 (2010-2011)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Trois propositions de loi, dont les auteurs sont issus de trois groupes politiques différents, ont été déposées au cours des deux dernières années au Sénat, pour accorder et organiser un droit à la mort assistée aux personnes parvenues à ce qu'elles considèrent être la fin de leur vie. La réflexion sur cette question difficile n'est pas récente ; elle a été placée au coeur du débat public en France en 1980, date de la création de l'association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) qui compte aujourd'hui plus de 47 000 membres.

Les similitudes observées entre ces trois textes 1 ( * ) ont conduit la commission des affaires sociales à proposer leur examen conjoint, qui prolongera des travaux précédemment engagés à la suite du vote de la loi relative aux droits des malades en fin de vie 2 ( * ) : question orale avec débat organisée, à la demande de votre rapporteur, le 8 avril 2008, sur l'aide aux malades en fin de vie ; création, au sein de la commission des affaires sociales, d'un groupe de travail sur la fin de vie, présidé par Nicolas About et dont le rapport d'information a été publié le 23 juin 2010 3 ( * ) .

Ces réflexions collectives et le fait que les initiatives législatives proviennent de groupes politiques de diverses sensibilités justifient que l'on examine en conscience le bien-fondé d'inscrire dans notre droit la possibilité pour une personne en fin de vie d'obtenir une aide destinée à lui apporter une mort rapide et sans douleur.

Cette éventualité soulève évidemment une série d'arguments, favorables ou non, renvoyant à la conscience intime qu'on peut avoir du sens de la vie. D'un point de vue technique, qu'il nous faut adopter ici dès lors que trois textes sont en discussion, elle doit être étudiée d'une part, au regard des droits de la personne, d'autre part, dans le contexte du développement des soins palliatifs.

I. LE DROIT À LA MORT ASSISTÉE ET LA LIBERTÉ DES PERSONNES

Dans son ouvrage « l'Ultime liberté ? 4 ( * ) », , le professeur Axel Kahn estime que la liberté de mourir n'existe pas, car la liberté suppose la possibilité de changer d'avis ; or, la mort est un choix sans retour. Les propositions de loi soumises à l'examen de la commission adoptent un point de vue différent. S'agissant de personnes en fin de vie, la liberté de choix s'exerce moins entre la vie qui s'éloigne et la mort, qu'entre les circonstances de celle-ci. A l'heure actuelle, la possibilité offerte au malade par la loi dite « Leonetti » du 22 avril 2005 5 ( * ) est celle de demander l'interruption des traitements et l'apaisement des douleurs physiques par des produits dont on admet qu'ils ont aussi l'effet d'abréger la vie. La mort survient comme un processus naturel qui peut avoir été accéléré. Sans remettre en cause cette faculté, les auteurs des propositions de loi souhaitent en offrir une autre : celle de choisir le moment de sa mort et de garantir qu'elle soit rapide et sans douleur.

A. ÉVITER LES DÉRIVES

La première crainte, légitime quand il est question d'instituer un droit à la mort assistée, est celle des dérives potentielles. Or, les propositions de loi entendent elles-mêmes remédier, par la mise en place de l'aide active à mourir, à des dérives permises par les lacunes du droit actuel ou par diverses solutions alternatives parfois envisagées.

1. Les euthanasies subies

La première de ces dérives, et sans doute la principale, est l'existence dans les faits d'euthanasies qui ne disent pas leur nom et qui, ce qui est plus grave encore, ne répondent pas forcément à la volonté de ceux qui les subissent.

La loi Leonetti de 2005 a marqué un progrès réel dans les pratiques médicales, en obligeant les médecins à informer les patients parvenus au stade avancé ou terminal d'une maladie grave lorsque les soins mis en oeuvre ou envisagés ont pour conséquence de raccourcir leur espérance de vie. Mais il est vraisemblable que cette information ne soit pas systématiquement donnée - ou toujours bien comprise - et que la réalité des euthanasies subies dans les hôpitaux ou les établissements de soins par des personnes en fin de vie demeure. En l'absence d'études scientifiques solides permettant de mesurer l'ampleur de ce phénomène, toute estimation relève de la conjecture.

L'argumentation présentée à l'appui des propositions de loi soutient justement que c'est l'absence de définition des cas où la mort pourrait être provoquée qui permet la perpétuation de telles pratiques, que le droit pénal ne parvient pas à éteindre. En effet, c'est parce que le désir d'anticiper la fin ne peut être accueilli ouvertement que les pratiques restent cachées et donc sans contrôle. Or, il relève de la personne concernée et de nul autre que de décider si elle doit continuer à vivre ou mourir.

2. La nécessité d'un cadre médical

Les propositions de loi soutiennent aussi que l'absence de législation conduit, dans les faits, un certain nombre de personnes en fin de vie au suicide, avec les conséquences terribles pour la personne et son entourage qui en résultent, les répercussions éventuelles en cas d'échec et le risque majeur d'un passage à l'acte anticipé lorsque le malade se sait condamné, à terme, à la dépendance et qu'il préfère agir tant qu'il en a encore la capacité physique.

Comme le soulignait le philosophe Emmanuel Halais lors de son audition par la commission 6 ( * ) , la question de la mort assistée devrait rester dans le cadre intime, mais cette formule est impossible si l'on veut protéger l'entourage de la personne qui souhaite anticiper le moment de son départ.

Le suicide assisté effectué par la prescription médicale d'un produit lytique ne paraît pas non plus une situation satisfaisante. Les nombreuses ambiguïtés suscitées par l'expérience suisse de suicide assisté, qui repose sur l'appel à des associations, et notamment la question de l'intérêt des membres desdites associations, conduisent les auteurs des propositions de loi à privilégier la formule adoptée en Belgique et aux Pays-Bas. Dans ces pays, le médecin qui apporte l'aide à mourir accompagne la personne jusqu'au terme de sa vie.

La compétence technique du médecin vient ainsi en soutien de la volonté de la personne en fin de vie et permet que sa mort soit réellement rapide et sans douleur. Le regard extérieur et scientifique du médecin est aussi la garantie que les conditions fixées par le législateur pour encadrer l'aide à mourir seront respectées. Certes, l'acte d'aider à mourir n'est ni un acte thérapeutique, ni un acte de soin. Comme l'ont relevé à raison plusieurs représentants des professions médicales, il sort du champ de la médecine. Mais il n'est pas sans lien avec lui : il est en quelque sorte le prolongement des soins donnés, et la dernière étape du « prendre soin ».

L'insertion de l'aide à mourir dans un processus médical apparaît ainsi, plus que les autres solutions envisagées, comme un gage du respect réel de la volonté de la personne demandeuse. Or, c'est bien là le point essentiel.


* 1 Proposition de loi n° 65 (2008-2009) déposée le 29 octobre 2008 par Alain Fouché, sénateur UMP ; proposition de loi n° 659 (2009-2010), déposée par Jean-Pierre Godefroy et plusieurs membres du groupe socialiste ; proposition de loi n° 31 (2010-2011) déposée par Guy Fischer, François Autain et plusieurs membres du groupe CRC-SPG.

* 2 Loi n° 2005-570 du 22 avril 2005.

* 3 Contribution au débat sur la fin de vie, rapport d'information Sénat n° 579 (2009-2010) fait au nom de la commission des affaires sociales.

* 4 Plon, octobre 2008.

* 5 Loi n° 2005-370 relative aux droits des malades et à la fin de vie.

* 6 Cf compte rendu infra.

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